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LA VIE
D E
MONSIEUR
DESCARTES
SECONDE PARTIE.
A P A R î S,
Chez DANIEL H OR T H E M E L S , rue faint Jacques ,
au Mccénas.
M. D C. X C I.
AVEC PRiriZlEGE DV ROI,
BIBLIOTHECA
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
6
. 63 '
http://www.archive.org/details/laviedemonsieurd02bail
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TABLE
DES CHAPITRES
BE LA SECONDE PARTIE.
LIVRE CINQUIFME.
Contenant ce quis'eftpafTé au fujet de M. Defcartesj depiùs-^
Je têms de la connoifîance qu'il fît avec les ProfeiTeurs
d'Utrccht, jufqu'à la publication de Tes Méditations Mé-
thaphylîqiies,
ChAp. I. 71//^ d.e Roy , ou RègÎHS apprend la méthode & les princi-
pes de la Philofophie de Ai. Defeartes par la bouche de
M. Rènéry , & par la levure des EJfais de cette Philofophie. Il les enfei-
gne a [es Ecoliers , & il parvient par ce moyen a une Chaire de Profejfeur
en Médecine dans tVniverfité d'Vtrecht, Objiacles furvenus durant U
brigue de cette Chaire. M. Régius regarde Aï. Defeartes comme l'au-
teur de fa fortune & de fes connoïffmces. Il fe déclare fon Difciple , &'
fe dévoué a luy d'une manière particulière. Confufion dans les lettres im^
primées de Aï. Defeartes. P^%^ i
Ch AP. II. M. Defeartes fait un abrégé de Médecine j & s'appercevant
^ull vieillijjhit jil fonge aux moyens de conferver fa famé. Succès de
Ad. Rénérï dans la profefion de la Philofophie. Prudence avec laquelle il
enfeigne la ?néthode de M. Defeartes. Il e fi foulage dans fes exercices y
(îf employé le têms de fon repos a méditer fur la Géo?nétrie de M. Def-
eartes & fur fa Phyfiejue. Du Livre de la Vérité j traduit en François,,
J.Hgement cfuen fait M. Defeartes. Amitié étroite de M. Bannius &•
de M. Bloemaert Prêtres catholiques de Hollande avec M. Defeartes.
Leur éloge & leur défenfe. Jugement de la Mufique de M. Bannius. 1 1
Chap. III. Mort de M. Rénéri Profeffeur a ZJtreeht le premier des
Sénateurs de M. Defeartes , ejul ait enfeigné fes principes publiquement.
Panégyrique de M Defeartes fait par ordre des Aïagifirats dans l'Orai-
f on funèbre que M. Emilius prononça a l'honneur de Aï. Rénéri. M- Ré-
gius devient le premier des Difciples de M. Defeartes. Amitié de M^
Emilius avec M. Defeartes. Modeftie de M. Defeartes quand il s'agit de
fouffrlr ou de rejetter les lokanges. On augmente les appolntemens de M.
Règlus , qui e fi fait Profeffeur extraordinaire des Problèmes , & des nou-
.yeaute'^^^dePhyfquey&c^- ' i8
* * Chap. LV,
TABLE
ChAp.IV. Mort dn Mathématicien HortenfiM ^ avec um re7nar<jue
de M. Defcartes fur fon Horofcofe. Mort d' Elichman ^ & du Philofo-
■phe Campanelle. Jugement ^lîe M. Defcartes fai/hit des écrits & de l'ef-
prit de ce dernier. Origine des troubles excite'^ dans rUnivcrJîte d'ZJ-
trecht , an f h jet de la Philofophie de M, Defcartes , par Gijhcrt VoetiHs.
Hifloire de cet homme , fon portrait. Jngement des Sfavans fur fon ef~
prit , & fes écrits. Moyens dont il fe fert pouY attacjiiey la Philofophie de
M. Defcartes. Ses théfes touchant l'^théïfme. ± ^
Chap, V. M. Régius prend des précautions contre la wauvaife hu-
Kteur de F'oetius e^uil avoit k ménager. Préjudice cfuil fait a fa perfon-
fie , & a la Philofophie Carte fenne dans fes leçons problématiques de
Phyfique. Son indifcrétion a une théfe des Péripatèticiens, Amis que M.
Defcartes avoit a Vtrecht. Il inflruit Régius fur divers points de Phyfi-
que. Son fentiment fur la circulation du fang. Ingratitude & malhonnC"
teté de Plempius a l'' égard de M. Defcartes , qui la fonffre plus patiem^
ment que Régius. Il tâche de fe retrancher touchant le commerce des let-
tres ^ pour fe procurer plus de retraite & de repos j mais ce fut en vain.
Le P. Merfenne lui envoyé le traité des Coniques de M. Pafcal le jeune.
Jugement qu'il en ^t. 55
Chap. VI. Traité de M. des Argues touchant les SeÛlons Coniques,
Avis que luy donne M. Defcartes touchant fon deffein. Différence de la
manière d^ écrire pour les Curieux dtavec celle d^ écrire pour les Sçavans^
eu pour les gens de la Profeffion. Ouvrage de Ai. Mydorgè fur les Se-
rions Coniques. Continuation de cet ouvrage. Obfervations de M. de
Be aune fur les lignes courbes , & autres que fiions qu il propofe a M, Def-
cartes. Infiances qu'il luy fait , mais en vain , pour publier fon Monde.
Mauvaife fanté de M. de Beaune. Il travaille aux lunettes fur les in~
ftru^ions de M. Defcartes , qui ejpére plus de luy que de M. du Mau-
rier. 4 1
Chap. VII. M. Defcartes fe rapproche de fes amis d'Vtrecht, &
vient demeurer prés de cette ville ^ puis a Leyde. Eflime quon faifoit de
luy dans l'ZJniverfté de Leyde. Son amitié avec Heydanus & Rivet.
Eloge du premier qui prêche a. la Carte fienne. CaraSlére de rejprit du fe-
tond. Impreffion d'un livre anonyme contre M. Defcartes faite fans fuc~
ces. Accidens arrivez, en Hollande au commencement de l'année KJ40.
Hifioire dt une famé ife gageure de Mathématique entre Stampieen & Waef-
fenaer , ou M. Defcartes fe trouve mêlé. CaraSlére de l'efprit de Stam-
pire î qui perd la gageure. Deffein d'un voyage de M. Defcartes en
France différé , puis rtmpu. 47
Chap. VIII. L'efprit de P^oetitts s^aigrît contre M. Defcartes & M.
Régius y au fujet des théfes de ce dernier touchant le mouvement du caur
& la circulation du fang. M. Defcartes corrige ces théfes ^ & veut bien
y affifter y pourvu que ce fait dans f Ecoute de Mademoifelle de Schur^
mans. Eloge de cette Demolfelle , dont le coeur efi gâté par Labadte y &
^eff 'it par FoetiHS : par le premier ,f»ni prétexte d'une pltu grande ré-
formatitn',
DES CHAPITRES.
fbrmdtîûft y par le fécond , fom prétexte de s'enfoncer dans les controver.
fes de la Théologie. Primer o/e & S ilvins réfutent les ihéfes de Aï. Ré"
çius , aui fe défend. Ordonnance des Curateurs de VUniverfité d^Utrecht^
k laquelle M. Defcartes fait une explication en forme de Répenfe. 57
Chap. IX. Ai. Defcartes déclare fon fentiment touchant le fiége de
l'Ame dans le cerveau. Vfage de la petite Glande appellée Conarium.
Réflexion de M. de Sorbiére peu obligeante pour M. Defcartes. Senti*
•ment de M. Defcartes touchant la mémoire , quil divife en trois efpé-»
ces y corporelle ^ locale ^ & intelleQuelle. Projet de faire pajfer Ai. Def.
cartes &AÏ.Afydorge en Angleterre, pour s'jf établir fout laproteBion &
par les bien- fait s du Roy de la Grand' Bretagne. Il efl fans effet. Eloge de
M' Cavendish ou Candifch ami de AI. Defcartes & de AI. Aiydorge,
Deux ejpéces de Sénateurs de la Phiiojophie de AI. Defcartes. Amitié
de Ad. de Saumaife avec AI. Defcartes. Mauvaife humeur de M. de Sau^
maife envers fes meilleurs amis. AI. Defcartes nen cfl pas exempt. 6^
Chap. X. M. Defcartes fe brouille avec les Je fuit es contre fon atten*
te. Eftirne & déférence quil avait pour leur Compagnie en général , &
pour fes membres particuliers. Il efl attaqué par le P.Bourdin dans des
théfes de Alathématique , & par un Ecrit particulier. AI. Defcartes écrit
AU P Re fleur du Collège de C lermont , pour faire changer cette manière
de réfuter fes écrits , pour ff avoir les fentimens de la Société, & pourfo
préparer a fontenir le choc des Jéfuites , au cas qu'ils luy refufaffent leun
bienveillance & la charité quil efpéreit d'eux. Il informe fes a?ms de ce
fui fe pajfe y & il répond d'abord à P Ecrit du P. Bourdin. 70
Chap. XI. Le Père Bourdin écrit k AI. Defcartes , & il en refait une
répenfe que nous avons perdue. Peu de jours après il reçoit la réfutation
de fa yélitation. Conditions que M. Defcartes demande ah Père Bour^
din pour agir de bonne foy dans leur différent. Le Père ReUtur reçoit tn-
fln la lettre de AI. Defcartes , & au Heu d^ accepter fes propofitïons , /'/ or^
donne au P. Bourdin de luy rendre raifon de fon procédé ^ & de ne faire^
ifn'une caufe perfonnelle de fa querelle avec AI. Defcartes. Le P. Bour-
din fe brouille avec le P. Aitrfenne au fujet d'un écrit français en former
de lettre , qu'il luy avoït confié , & que celuy-cy avait envoyé à Ai. Def-
cartes fans fa participation. Ad Defcartes répond a cet Ecrit. AI. des
Argues prend fa défenfe contre le P . Bourdin. AI. Defcartes fe prépare
a. la guerre contre les Jéfuites y O" a^la réfutation de la Philofophie Scha-
la flique. Jugement qu'il fait des Conimbres ,■ du Feuillant , & de Raconis.
Il travaille a un cours méthodique de fa Philofophie. 79-
Chap'. XII. Aiort de Francine Defcartes , avec un abrégé de fa vie.
Doutes fur le mariage fécret de fon père. Reproches de fes envieux fur c#-
fomt. Il remédit prornptcmim au déréglemtnt de fon célibat. Il retourne
d'Amersfort à Leyde. Foetius fo /licite les Proteflans & les Catholiques^
contre lui. Il s'addreffe au P. Aderfenne pour le porter a écrire contre Ad.-
De cartes., & lui promet des rnatiéri. s pou- cet effet. Conduite plaif^nte de<
se A^miftre pour gagner ce Religieux. Mort du père de Ad. Defcartes. H
a ij ^ rf/m^y
TABLE
rompt le voyage i^h*11 mèditeit défaire en France, Il charge V^bbèTlcot du
foin de fes affaires domelîi^nes. Afort de M. Dounot Âiathématicien du
tiombre de fes amis. Mort de M., de Beaugrand, avec le caraElére de fan ef-
tfrit. Faux bruit de la mort de M. de Beaune. Afort du Feuillant. Le Roy
rappelle Ai. Defcartes pour V honorer d'une charge & d'une penfîon dans
fon Royaume. Il s en excufe , & demeure dans fa retraite. g^
LIVRE S I X I E* M E
Contenant ce qui s'efl pa{îe depuis la publication de (es
Méditations Metaphyfiques , jufqu'à la publication
de fes Principes de Phyfique.
ChAP. I. je DITION des Méditations Mêtaphyftques de M. Defcartes,
malgré fa réfolution de ne plus imprimer. Fiifloire de cet ou-
vrage. Deffein & motifs de fon Auteur. Pourcjuoy il veut fe munir de
Vautorité des Sçav/ins. Pourcjuoy il recherche l' approbation eu le juge-
ment des principaux Théologiens parmi les Catholic^ues. Délibérations
diverfes fur la manière de s^y prendre. Il saddreffe au P. Gibieuf pêur
conduire le Père Merfenne dans le ménagement de toute cette affaire. Il
dédie fon ouvrage a Meffieurs de Sorbonue ^ ce fi- a- dire, a toute la Fa-
culté de Théologie de Paris. Titre de ï ouvrage. Pourquoi il ejl écrit en
latin, fj ^
Chap. II. Le Père Merfenne procure des cenfeurs a M. DefcarteSy
pour luy faire des objeSlions contre fes Méditations Metaphyfiques ,
afin d' éclaire ir la r'érité , & de perfeElionner fon ouvrage. Abrégé de
ces Méditations. Pourquoy M. Defcartes ne traite pas de l'immorta-
lité de l'Ame , mais feulement de fa difrin^ion réelle d'avec le corps.
Sa manière d'écrire. Il s'attache moins k l'ordre des matières qu'a celuy
des raifens. Hifloire des premières objections contre fon livre faites
par M. Catérus Théologien des Pais-bas. Il veut que M. des Argues
foit du nombre de fes Juges. Bonne opinion qu'il a de fon ouvrage. En
quoy confîfte principalement l'excellence de ces Méditations. 107
Chap. III. Hifloire des fécondes Ob jetions faites par divers Théo-
logiens & Philofophes de Paris contre les Méditations Metaphyfiques.
Réponfe de M. Defcartes , fuivie d'un autre écrit difpofè félon la mé'
ihode des Géomètres. Livre de M. Morin de Deo. Jugement qu'en fait
M. Defcartes, & fa modeflie a parler de /'Infini. Hifloire des troifièr/ies
Ob jetions faites par M. Hobbes Anglois. Conduite de M. Hobbes
dans l étude de la Philofophie Cartéfienne. M. Defcartes renonce a la
réfutation de la Philofophie fcholaflique. Il répond aux Remarques de
M. Hobbes fur fa Dioptriqi'e , & veut rompre commerce de lettres avec
lig _, après avoir connu fon génie» 117
Chap.
DES CHAPITRES.
ChAp IV. Hifloire des (juatriémes objeClions fixités fur les Aièditations
de M. Defcartes , far M. Arnaud DoEleur de Sorbonne. Qh^alitez. de
l'efprit & des connoijfances de ce Doreur. Efiime ^ne M. Defcartes
fait de fes ob jetions . Ejforts e^nil fait pour y répondre. Rejfernblance
ds la Philofophie de M. Defcartes avec celle de S. AHguflin. Utilité
des Obje filons de M. Arnaud , pour corriger les Ji^éditations de Ai. Def-
cartes. Difficulté fur la manière d'expliquer la Tranffubflantiation. M.
Defcartes & M. Arnaud fe font peu connus depuis. Ouvrages divers de
M., des Argues eftirnez^ de M. Defcartes . 124
Chap. V. Hijloire des cinquièmes ObjeSlions faites par Ai. Gajfendi
venu nouvellement de fa province pour l'Affemblée du Clergé a Adante ,
Ô" pour s" établir a Paris. Origine de Vanimofité & de la jaloujie de
JM. Gajfendi contre Ad. Defcartes. Jugement de Ad. Defcartes fur la,
Dijfertation que Ai. Gajfendi avait faite autrefois des parhê lies de Rome.
Douceur & modération de Ai. Gajfendi. Son adrejfe & [a dijfimula-
tion envers Ai. Defcartes. Sincérité choquante de celuy-cy dans la ré-
ponje a fes ObjeSlions. Brou Hier ie de ces deux amis entretenue d^ aug-
mentée dans la fuite par quelques efprits inquiets. Hijloire des fîxiémes
objeSlions. Edition des Aiéditations. Aiodejiie de Ai. Defcartes fur le
titre de fes réponfes. Réflexions fur les approbations du livre mis long-
tëms après a /'Index. Objections de Huelnérus venues après coup Eloges
des Aiéditations de Ai. Defcartes , & de la méthode d'Acomins par cet
HuelnèrM. 131
Chap. V\. Voetius ejl fait ReEleur de IVniverJîté d'Vtrecht. Ré-
gius craignant pour la Philofophie de Ai. Defcartes & pour Uiy-rnême,
iuy fait fa cour & luy rend toutes fortes de foumijjions. Il luy donne
fes théfes a corriger par déférence. L'éclat de ces théfes luy fait re-
prendre fa rnauvaife volonté contre luy & contre Ad. Dejcartes. Régius
choque les autres Profejfeurs mal a propos. Il envoyé fes théfes à corri-
ger a Ad. Defcartes , & luy demande les fecours nécejjaires pour mettre
fes dogmes hors d'atteinte. Voetius reçoit réponfe aux j'olUcltations qu'il
avoit faites auprès du P. Aierfenne , pour le faire écrire contre Ad. Def-
cartes. Grands éloges de la Philofophie de Ai. Defcartes , conforme a la
doElrine de S. Augujiin, & utile a la Religion. Pratiques de Voetius contre
Régius ^ quil veut faire déclarer hérétique, théfes de P^oetius centre les
opinions de Régius & de Ai. Defcartes. 13^
Chap. VII. Régius prend le parti de fe dé fendre contre les théfes de
Voetius, par la plume , plutôt que par la difpute. M. Defcartes V exhorte
plutôt au filence } luy fait quelques remontrances fur fa conduite pafjée\
luy donne divers avis pour V avenir. Ai. Régius luy envoyé le projet de
fa Réponfe a f^oetius pour la corriger. 2id. Defcartes ne la trouve point
bonne. Il le porte a retracer de bonne foy ce quil avoit avancé mal a
propos , & à prendre les voyes de douceur & de modcflie dans fa Ré-
fonfe, dont il luy trace le modèle , & dont il luy fournit les matières.
Troubles caufeT^par l'édition de cette Réponfe. On en ordonne la fup-
a iij * prejjion.
TABLE
^rejpon. Décret des M^gifirats , & jugemem des Vrofejfeurs de l^Vnl"
vcrjttêi pour défendre a Aï. Réglus d'enfeigner la Philofophie de Ai,
Defcartes , ^«/ confeille k Aï. Régins d'y acquiefcer. Li(?elles de Voe^
tins. 148.
Chap. Vïir. Semimens farorables des Pérès de l'Oratoire pour les
Méditations AïétaphyJtcfHes de M. Dtfcartes. Eloge du Père de la,
Barde. Mort du P. Gibieuf. Semimens favorables des Je fuites pour les
mêmes Méditations. Eloge du P. Vatier , & du P. Méland , qui ap~
prouvent tout ce quil a écrit ^ & même fa manière d'expliquer la Tranf-
fuhflantiation. Le Père Méland fait un abrégé de fes Méditations , &
les rnet en fille fcholafticjjke & intelligible aux efprits les plus médiocres.
Le Père Bourdin fuit les feptièmes ObjeSiions dune manière ^ui met Ai,,
De fc entes en mauvaife humeur. Il répond à ces ob Je fiions , d^ écrit une
Dijprtation en forme de Lettre au Père Dinct , contre le Père Bourdin
& f^oetius.. Sa rècanciliation avec le Père Bourdin. Seconde édition
des Méditations. 158:
Chap. IX. Demeure de M. Defcartes au château d'Eyndegeefl prés,
de Leyde. Avantages & cornmodite':(^de ce Heu. Defcription des trois
petites Cours de la Hiaye , ff, du Prince d'Orange y des Etats Généraux»
& de la Reine de Bohème. Habitudes de M. de Sorbière auprès de
M. De fc Art es.. Caraflére de rejprit de cet homme. Il rend de mauvais
offices a M: Defcartes auprès de M- Gaffendi. Vifn es fréquentes que
M. Régius rend à M. Defcartes. Traduction des Méditations par M,
le Duc de Luines y & des ObjeŒons par M. Clerflier. Excellence de
ces îraduflions revues par M: Defcartes» Pourquoy fes ouvrages fran-
pois tant originaux que traduits valent mieux que fes ouvrages latins.
Jugement dt M, Defcartes fur le livre De Cive de M, Hob'bes. Hif~
toire de cet ouvrage;, & des bons offices que M, Je Sorbière a rendus k
fon Auteur. i 6 '7:
Chap. X. Les Boots écrivent contre Anfiote.Mo-^t de Galilée. Juge-
ment que M. Defcartes faifoit de luy. f^oetius employé Schooc'y^ius pour
écrire contre M. Defcartes. Quelle part Schoockjus pouvait avoir a ce-
livre. M. Defcartes le réfute a rnefure quon luy en envoyé les feuilles;.
Régies eft cnvcioppè dans la eaufe de M. Defcartes. Il ne ptut fe te-
nir d'enfeigner la Philofophie Cartèjlenne. nonobflant la définfe du Ma-
eiflrat. Hiftoire de la Confrairie de Notre- Dame de Bojlcduc commune-
éu.x CathoU-jues & aux Proteflans. F'oetius écrit contre cet étah\<.ffe}ncnt,
M. Defcartes luy répond. Voetius réplique. M. Defcartes réfute VoetniS\
pour Defmarets & les Magiflrats ie Bojlcduc. ContinMaticn du livre-
de l^n tiusou Schoockjus contre M „D?fcartes .fuivie d I.2 coiuinnation de,
la Réponfe He M. De (carte s, Connoiffiance & amitié de M D 'maréts
Avec M. Dcfcaries. Voetius ef} blâme parles Minières du Synode de^
la Haye ptur fa conduite envers M^ffieurs de Bofleduc. lyf.
Chap. XI Edition du livre de Voetius ou Schoockius ctntre M,,
Defcartes. Editioa de U réponfe de M. Defcartes a cet ouvrage & 4;
feluy
DES CHAPITRES.
<fehy de Voetîhs contre la Confrairie de N D. de Bo fie duc, Trocèdurei
.contre M- Defcartes a Vtrecht. Il répond à la première publication des
Jl^aç'ifirats , ^nl par Hne injnftice fans exemple travaillent à lay faire
fonprocez. fécrétement i fans le faire avertir, ejH après ^h il n'était plus
teins. Autres inJHJUces des 'inhnss Magiflrah Avençlel^ ou pof[édc7de
l'efprit de V'oetipu. M. Defcartes s'addrejje à iArnhaffadeitr de France,
ani par l'autorité du Prince d'Orange fait arrêter ces procédures , lors
an elles étoient fur le point de leur confommation. Ai. Defcartes en exa-
mine fin juflice , & il fe juji- fis , après avoir découvert Us principaux
points de la calomnie de fes ennemis. Il cite Schooc'J.us devant les juges
de Groningne , oh il efpére 7neillcure jnftice ijiia XJtrecht. 187
Chap. XII, UAbbé Picot qmte M, Defcartes pour retourner en
"France , & fait un voyage en Touraine pour acheter une terre. Avis
aue M' Defcartes luy donn'. la-deffpts. M. de Vdle-Breffieux demande
A retourner auprès de M. Defcartes. Rciifons de le détourner devenues
mutiles. Il demeure avec luy juftjuau voyage de France. AI. Defcartes
fait un Ecrit touchant les jets et eau. Il reçoit des deffeins de jardins.
Invention du P. Grand- Amy, pour faire une aiguille cjhï ne décline point.
JSIouveau fujet d'efiirne de AI. Defcartes pour AI. de Roberval. AI.
Defcartes reçoit ^uelejues livres nouveaux , & quelques expériences ,
dont il dit fon fentiment. i c, S
ChAp XIII. Libelle diffamatoire contre la perfonne & tes Aledi-
tations de Ad. Defcartes y forti de la boutique de f^oetius. Injlances ou
Réplique de AI. Gaffendi a la Réponfe que M. Defcartes avait faite k
fes objeFlions fur les Aléditations. Intrigues de A4.de Sorbiére pouy fervir
Ad. Gajfendi contre Ad. Defcartes , & pour imprimer en Hollande ce
eju'il avoit écrit contre luy. Douceur de AI. Gajfendi préjudiciable a la
bonne caufe de Ad. Defcartes, Objections de AI. Caramuél contre les
Adèditations de Ad. Defcartes , & fon commerce avec AI. Gaffendi. Sor^
hiére & Bornins décrient les Aléditations de Ad Defcartes , & ils élè-
vent M. Gaffendi au deffus de luy. Préparatifs du voyage de Ad. Def-
cartes en France. Dirpute furie Vuide. 204
Chap. XIV. TraduEllon latine des Effais de la Philo fophie de Ad.
I)efcartes , ce(i-a-dire , du Difcours de la Méthode , de la Dioptriqne,
Û" des AlétèoreSyfatTe par Ad. de Courcelles l'ancien. Qui et oit Ad. de
Courcelles ? Ses ménagemens entre M. Defcartes , & AI. Gaffendi. Ad.
Defcartes revoit cette traduSlion , & en approuve l'impreffion. Inquiétudes
4^ trifleffe des amis de AI. Defcartes en Hollande au fujet de fon voyage
en France. Il arrive a Paris , ou il voit peu de monde. Il va en Bre-
tagne par Bloi s & par Tours , ou il voidfes amis. Il règle fes araires
domejîiques avec fes frères , dont rainé ne luy efi point affez. favorable.
Il revient a Paris. .213
Livre VII.
TABLE
LIVRE S E P T I E" M E.
Contenant ce qui s'eft pafTé depuis l'édition des Principes
de fa Philofbphie jufqu'à fa m{)rt.
ChAP. r. pDITION des Prîncijfes de la Philo fofhie de M. DefcarteC
Différence de cet ouvrage d' avec [on Cours philo [o^hiqtu^^
mis en théfes , & [on traité du Monde. Divifion du traité des / rincipes^
ce ûjuil contient. Conformité de ces principes avec ceux d'^riflote expil-
^Hez, d'une manière particulière. En qitoy conjîfie la nouveauté de fes
opinions. A4. Defcartes a épargné les Scholafiicjues en confidération des
'je fuites fes amk. Différence de fa Fhilofovhie d'avec celle de Dém9-
crite. Qu^elle certitude peuvent avoir les explications quU a données aux
chofes naturelles. H a foumis fes Ecrits a l'autorité de l'Eglife cath^~
lique. Comi;-ient fa Phyfî^ue efl achevée. Ce ejui y manque encore pour
la rendre complète^ & dont il nom e fi refîé des fragmens. izi
Chap. II. M. Defcartes dédie fes Principes a la P rince ffe Palatine
Eïiz^abeth de Bohème fa difciple. abrégé de l'hifioire de cette Princeffe avec
celle de fes frères & de fes fœurs depuis la mort de leur père Frédéric V,
\Application particulière de la Princeffe Elix^aheth aux fciences les plus,
profondes , aux Mathématiques:, & a la Philo fophie ^ fom les infiru^ioMS
(tr la conduite de A4. Defcartes. De quelle manière cette Princeffe pou-
'voit être la feule qui put avoir une intelligence parfaite des écrits de Af^
Defcartes. Ecole Cartèfîenne établie a Hervorden par cette Princeffe^.
.AffiiBion OH elle tombe par la converfion du Prince Edouard, Ai. Def-
cartes la confole par des raifonnemens humains tirez, feulement de la,
Nature y & de la prudence du fîécle. ijo
Chap. III. Retour de M. Defcartes a Paris , ou il void les Je fuites^
renouvelle fis arnitie'^ avec eux , & particulièrement avec le P. Bourdin
fon ancien adver faire. Il rentre dans de nouveaux cha crins contre quel-
ques autres Pères de la Compagnie , qui parloient mal de fes Ecrits.
Entrevues & amitiez, avec A4. Clerjelier & M. Chanut , qui le mène
chez, A4, le Chancelier , & travaille inutilement pour liiy procurer une.
penjîon du Roy. Il void le Chevalier d'Igby fon ancien amy , avec le-
quel il a des conférences. Jugement de Thomas Anglm. Ai. Defcartes.
void A4, de Roberval, CaraUére de lefprit & des amitiez. de cet hom^
?»?. Le P, Merfenne va en Italie y & A4. Defcartes retourne en Hol-
lande. Il efî arrêté a Calais y ou il lit la verfîon de fes Principes. Z59.
Chap. IV. Arrivée de M. Defcartes en Hollande. Aiort de M\
Bannipu Prêtre HolUndois fon amy. Réjoùiffances de fes amis dZJtrecht
pour fon retour. Il fonge a pourfuivre fon procez. de Groningne contre
Schçockita. Ipi'é de celuy d'Vtrecht contre Foetins, Procédures de celuy
DES CHAPITRES.
de Groningue devant le Sénat Acadimlque , c'efl -a-dire , les ProfeffeHrs
de fVniverJtté. Sentence rendue contre Schoockjia en favenr de M.
Defcartes. 148
Chap. V. Surprife de M. Defcartes de fe voir jugé en [on cthfence,
^ avant /<t produQion de fes pièces : ce ftiil prit pour un ejflt de l'évi-
dence de la bonté de fa canfe. Il envoyé les a^es du jugement de Groni»'
gue aux Magijlrats d'Vtrecht , t^ui fe contentent de défendre V imprcjfioK
(*r le dchit de tout ce cfui était pour ou contre Defcartes. Contraven^
lion des deux Voetius a cette défence. Examen du Tribunal iniquum^
ou du libelle diffamatoire fait par le jeune Voetim contre la Sentence de
Groningue, Voetim le père s'élève contre les Chanoines reformel(^d"V -
trecht. Il intente un procez. contre fon difciple Schoockim , pour avoir
déclaré la vérité en JujUce. Defcartes e(l difpofé à fe réconcilier avec
Schoockiui & Voetitu, Il fait un Manifejle hijiorique & apologétique
de toute fon affaire aux Magijirats d'Vtrecht. 1 5 S
Chap. VI. Rivet quoique Carte fien ^ n entend pas les livres de Àt*
Defcartes. Il excite M. Gaffendi a écrire contre fes Principes. M.
Gajfendi s en excufe ^ & fe contente de dire quelques injures k M. Defcar-
tes. Lés Jéfuites témoignent vouloir fe ranger du parti de AI. Defcar-
tes. Différence de la conduite du P. Bourdin d^avec ee^e de M. Gaf-
fendi a l'égard de M. Defcartes. Le P. Me f and va aux Miffions de
C Amérique. Sentimens de M. Defcartes fur cette refolmion. Théfesr
Cartépennes foutenués a Leyde, De ceux qui paffent pour tes premiers
Poètes Cartffïens. Héereboord profeffe la Philo fophie Carte fienne k Ley-
de. M. Régim commence a s' écarter de la doflrine de fon Maître , &
veut devenir Auteur d'aune Philofophie particulière. M. Defcartes luy-
fait de vaines remontrances fur fes erreurs. Régitis fe révolte , forme
fon fchifme contre fon Maître , & luy fait in fuite dans une lettre. In-'
gratitude & infolence avec laquelle il traite M. Defcartes^ dont il fe ft
plagiaire après fa mort. 16 z
Chap. VII. Traité de M. Defcartes fur la nature des Animaux.
Il s"" applique de nouveau aux opérations an atomique s . Quelle étoit la bi"
hliothéque & l'étude de M. Defcartes. H s'élève une dijpute fameufc
fur la quadrature du cercle entre les Mathématiciens du fiécle. M. Def-.
cartes eft engagé dy prendre part. Il effime la quadrature du cercle im^
poffiblc. Jugement qu'il fait du livre de Grégoire de faim Vincent. M.
Chanut va en Suède en qualité de Réfident. M. Defcartes le voiden-
paffant. Amitié de M. Porlter avec M. Defcartes. Preuves de la reli'*
gion & de la probité de M. Defcartes. Il répond aux infiances de M.
Gaffendi ^ & fait fon traité des Paffions. Deffeins & projets de la Phi-
lofophie morale de M. Defcartes. Il fe dégoûte du travail : il faitrèfolu-
tionde ne pi PU rien imprimer ^ & de ne plus étudier que pour luy . lyi
Chap. VIII. Lesjèfu'tes, quoique Péripatéticiens & attache'^a la
Scholafiique yfont compliment a M. Defcartes fur fa Philofophie. Vai-
ne appréhenfion de M. Defcartes fur leurfujet ^ a l'occafiondu P. Kir-
b * cher^.
TA BL E
chc-r, (^m devint enfuite fort ami. j^m'iùé avec le P. N'o'èl Jcfulte. Son
fentiment touchant le livre de VVendélinus fur la plnie rouge. Dif~
Pttte fur les F'ibrations avec 214. Candifche Anglais & M. de Roberval,
.M. Defcartes en belle humeur contre ce dernier ^ entreprend de cenfurer
[on Ariflarcjue. Exercice entre Ai. Defcartes & la Prince fe Elisabeth
aux eaux de S va fur la vrayc félicité de ce monde , fur le livre d.e Se-
né^ue de Vitâ bcatâ , d" fur divers points de Amorale. Edition du livre de
RégipM intitulé Fondemens de Phyfique. Sujets de inécontentement quen
a M. Defcartes. Jldaiivaife conduite d.e Régi^u , fur tout après la mort
de M. Defcartes dans la féconde édition de fon livre, 285
Chap. IX. Amitié particulière de M. Defcartes avec M. de
Hooghelande Gentil-homme catholique Hollandais. Eloge de ce Gentil-
homme. Sa charité pour les pauvres & pour les maUdes. Ses études.
Il dédie un livre a Ai. Defcartes , dont il avait embrajfé tom les fenti-
mens. On confond M. de Hooghelande avec M. Defcartes a Rome. Etat
des amis de M . Defcartes a la Haye après la retraite de la Princejfe Eli-
sabeth fa dlfclple. De Ai. de Béklin. De Ad. Braffet. De M. le Comte
de Dhona. De Ai. P allât. EreUion de l'Vnlverfîté, ou plutôt Ecole illuflre
de Breda par le Prince d'Or&nge. On y établit le Cartefanifme. Eloge de
Ai. Huyghens fils de Ai. de Zuytlichem. Philo fophle du P. Fabrijéjkltc.
Aiart du P. Niceron Ailnhne. Amitié de M. Defcartes avec Ai le
Comte y qui luy fait des objeHions fur fes Principes, Ai. Picot y répond,
& enfuit e Ai. Defcartes. iP4»
Chap. X. Ai. Chanut fait nahre dans Pefprit de la Reine de
Suéde des ftijets de faire des que fiions a Ai. Defcartes. Eloge que Ai.
de laThuiïlerie Ambajfadeur de Suéde fait de cette Princejfe a Ai. Def-
cartes. Defcriptian naturelle que Ai. Chanut fit a Ai. de Brlenne Sé^
erétaire d Etat des qualltel^ corporelles &' fpirituelles de la même Prin-
ceffe. Relation d^un entretien qu'il eut avec elle fur les déréglemens de
V amour & de la haine. Ai. Defcartes eji confultè fur ce fujet. Il en
fait une dljfertatlon qui eft trouvée excellente. . La Reine luy fait une
shje^ion fur ce qu'il ne croyait pas que le Ai an de fut fini, JH. Chanut
luy fait en même têms une quefiion touchant le partage de nos inclina'.
fions , & la préférence dans nos aînitlel^ Il répond à l'une & a l'au-
tre. 502;
Chap. XI. Nouvelle bro'ùlllerle de Ai , Defcartes avec les Théolo-
giens de Hollande , qui entreprennent de le faire condamner comme «»
blafphèmateur & un Pélagie». Ses calomniateurs Rèvlus & Trlglan-
dlus. Ai. Defcartes écrit aux Curateurs de l'Vniverfité & aux Con-
fuls de la ville de Leyde pour leur demander fatlsfaElion. Mauvais
biais que prend fon affaire. Il explique de nouveau fts intentions aux
Curateurs dans la ré ponf»^ qu'il fait à la lettre qu'ils luy avaient écrite
tnfnlte de leur décret. Il écrit au Plénipotentiaire Ai. Servien^ pour
empêcher par l'autorité du Prince d'Orange que les Théologiens Pro-
ie fians ne fe rendent fies jugfs dans leurs Conjiflolres ou leurs Synodes.
On
DES CHAPITRES.
Cn arrête les entreprifes de fes ennemis , dont la fureur fe décharge fur
fes feElatenrs, Perfections ^uils fufcitent a Heereboord & à Heydanns
leurs collègues, pour le Cartéjîanifme, ^ i ^
Chap, XII. Second voyage de M. Defcartes en France. Edition des
'Méditations & des Principes en François, Il va en Bretagne , en Poi-
tou i & en Touraine avec l'Abhè Picot. Maladie du P. Mcrfenne.
Mort de M- Mydorge : fes dêpenfes & fa paffion pour les Mathé-
matiques , qu'il a tâché en vain d'infpirer a M. de Lamoignon. Mort
de TorricelU & de Cavaliéri. M. Defcartes reçoit une pcnfion du Roy
de 3000 livres. Il void M. Pafcal le jeune , qui l'entretient de fes ex-
périences fur le Vuide. Il luy donne avis d'en faire fur la pcfanteur de
l'air^ Il retourne en Hollande avec V Abbé Picot. Son fentiment touchant
le fouverain Bien fur la demande de la Reine de Suéde , qui luy récrit de
fa main pour l'en remercier. 223
Chap. XIII. Libelle de Révius contre M. Defcartes. Placart de
Régius contenant diverfes erreurs touchant l'état de l'Ame humaine ré-
futé par M. Defcartes. Protefiation de M. Defcartes contre Régius ,
qu'il defavouè pour fon difciple. Deux autres libelles de néant contre
M. Defcartes. Il renonce a fon traité de l' Erudition pour travailler à
ecbiy des fonctions de l'Animal. Il efl rappelle en France par ordre de
la Cour pour recevoir une penfion & un employ honorable. Mauvais
fuccés de fon voyage. Il paffe trois mois à Paris au milieu de fes a7nis.
Sa réconciliation avec M. Gajfendi faite par le moyen de M. l'Abbé
d'E/lrées aujourd'huy Cardinal. F^jijfaé injîgne de Sorhlére touchant
la perfévérance de M- Defcartes en cette amitié- 334
Chap. XIV. ^. de Robcrval veut démontrer l'impoffibilité du-ntOH-
vernent dans le plein a M. Defcartes , qui fe trouve préfent aplufteurs
expériences du Vuide , fans fe perfuader quelles fujfe m contraires a fes
principes. M. de Roberval perfécute M. Defcartes dans tout le têms
de fon féjour à Paris. M. Defcartes fait difficulté de luy répondre de
vive voix. Pourquoy il veut r obliger de mettre fes raifons par écrit , Û"
pourquoy M de Robcrval a toujours rcfufé cette condition , 7néme après
la mort de M. Defcartes. Incartades de M. de Roberval. M. Def-
cartes fatisf ait aux dijfcHltez. d' un S çavant inconnu, qu'il fouhaite en vain
de connoitre. Maladie du P. Merfenne. Aiort de l'oncle maternel de M.
Defcartes. Hijioire de la fucceffion qui luy en revint. Retour de A4.
Defcartes en Hollande. M. CUuberg devient Cartéfîen. Son éloge &
celuy de M. de Raey. M. Defcartes confie la Princtffc EU'<^beih dans
fes adverfitez,, 544
Chap. XV. Mort dn P. Merfenne le plm ancien des amis & des
feSlateun de M. Defcartes. CaraSlére de l'efprit de ce Père. Son éloge.
Ses grands fervices rendus au Public y Son attachement particulier & fa
fidélité inviolable pour M. Defcartes. Mauvais fort des lettres & de
/quelques traitez, ^que M. Defcartes avait envoyez^ a ce Père , caufé par
l'artifice de M. de Roberval. DureteiL de cet homme a l'égard de M.
b ij * Clerfelier
TABLE
Clerfelier pour ce fujct. La Reine de Suède fait rèfolution d étudier tout
âe bon la Philofophie de M- Defcartes. Elle donne commijfion à [on
Bihliothccaire de C étudier ^ar avance y four luy en faciliter l' intelligence.
Eloge de Ad. Freinshémins. Commerce de M. Defcartes avec un Philo-
fophe Anglais nommé le Jîeur Henry Mo9re, <jui luy propofe fes difficul'
tez. Grands fcntimens de A4. Aioore four la Phiiofophie de Ai. Def-
cartes. Amitié de Ad. Defcates avec le Duc de Nevvcafile Seigneur
Anglais. 5 5 i
Chap. XVI. Ai, Defcartes ferdquelcjues-vns de fa amis de France,
Ad. de Touchelaye , Ad. Hardy (^c. Il donne des avis à la Prince fft
EliTaheth fur fa maladie , fur la mort du Roy d^ Angleterre fon oncle ,
f^ fur l'article delà pai.*: de Aiunfter cjui regardait C Eleveur Palatin
Confrère. EJfais de la Politique de Ad. Defcartes. Ses incertitudes fur
le Heu ou il doit établir fa demeure le refle de fes jours. Propofîtions &
inftances efuon luy fait de la part de la Reine de Suède, pour aller la voir &
luy apprendre fa Philofophie de vive voix. Difficultej^de ce voyage levées
far Ad. Chanut,qui eft nommé Ambaffadeur ordinaire en Suéde par le Roy.
Il void M. Defcartes en Hollande y & il achève de le déterminer a Jbn
voyage. Eloges de Ad. Chanut , (jui efl renvoyé en Suéde. ^ 6^
Chat. XVII. Edition latine de la Géométrie de Ad. Defcartes avec
les notes de Ad. de Be^une c^ui mourut cfuelc^ues mois après , & les com-
mentaires de Ad. Schooten Auteur de la traduQion. Obligations partie.
cuUéres de Ad. Defcartes a f égard de Ad. Schooten. Cette traduSiion
moins eftimable que celles des autre: ouvrages de Ai. Defcartes , parce
quelle ri a point été revue par luy. Ad. Carcavi devient le carref"
pondant de M. Defcartes a la place du P. Aderfenne. Il luy fait le ré-
cit de t expérience du vif argent faite au Puy de Domme par Ai. Pèrier
& Ai. Pafcal. Le Père Adaignan Minime français demeurant a Rorne
promet des ob jetions a Ai. Defcartes contre quelques uns de fcs principes ^
comme Ai. Pafcal luy en avait promis contre fa matière fubtile. Aidais
Vun & l'autre devinrent derni-Cartéfiens dans la fuite. Ad. de Roberval
veut profiter de la facilité de Ai. Carcavi pour chicaner Ad. Dejcartes y
qui Je délivre de fes import unit ez^ par le flence. 374
Chap. XVIII. Ai. Defcartes fe prépare au voyage de Suède.
Il prend des précautions contre les envieux qui pourroient prévenir les
efprits a la Cour de Suéde. Le prejfcntitnent de la mort luy fait mettre
ordre a fes affaires. Sa raifon four ne point faire de tefl.nnent. Il ar-
rive à Stockholm , & loge chez. l'Arnbafadeur de France. Eloge de la
famille de Ai. Chamtt. Accueil favorable que Ad. Defcartes reçoit de
la Reine, qui fon ge a le retenir auprès d'elle pour le rejîe de fa vie , (JT
4f luy faire un bon ètablijfcment. Elle difpcnfe Ai. Defcartes de tous
les affujettiffemens des Courtifans. Elle luy donne heure pour aller fen-
tretenir les înatins dans fa bibliothèque. Ad. Defcartes veut profiter de
fa faveur pour fervir la Prince ffc Elisabeth auprès d' Elle. Ce qu'il
fenfe de la faffion de la Reine pour les Hnmanitez. Il fait connoif-
fance
DES CHAPITRES.
fance Avec U Comte de Brégy venu de Pologne en Suéde. }g>
Ch A p. XIX. Edition du traité de Ai. Defcartes touchant les PaC-
Jlons de l'Ame. Hifîoire de cet ouvrage , & ce cjuil contient. Aï. Defcar-
tes efl convié de faire des vers franc où fur la Paix de Afun/Ier pour un bal
4jHe donne la Rdne de Suéde. Jaloufie des Grammairiens de U Reine con~
tre M. Defcartes. Ce qn^il fenfe de C application d'une Reine pour les bel-
les Lettres , & fur tout pour le Grec. La Reine V engage a mettre tou4 fes
écrits en ordre , & a fonger aux moyens défaire un corps complet de toute
fa Philo fophle. Inventaire des ouvrages imparfaits qui fe trouvèrent dans
fon cojf'-e , & premièrement de ceux qui furent imprimez, après ftt mort.
Son traité de l'Homme , & ce quil contient. Son traité de la Formation
du FœtHS , & ce quil contient. Eloges de M. de la Porge & de Ai»
Gutfchowen. Autres traitez, de Ai. Defcartes imparfaits. Recueil de fes
Lettres. Excellence de ce recueil. Des peines quil a, données a A4. Cler-
felier, ^ jp j
C H A P. XX. Ecrits de Ad. Defcartes qui n ont pas encore été im-
primel(^ Son traité des Régies pour conduire l'efprit dans la recherche de
la Vérité î ce quil contient \ en quoy il efi imparfait. Son traité intî^
tulé Scudium bon.-c mentis. Son Dialogue fur la Recherche de la Vérité
par la feule lumière naturelle. Son traité de l' Art d' Eferirne. Son traité
du Génie de Socrate. Inflances de la Reine de Suéde pour retenir Ai.
Defcartes auprès d'elle le rejlc de fes jours- Elle luy offre une grojfe
Seigneurie en Allemagne. Aialadie de l' Ambaffadeur Chanut. Incommo-
dfte'i^que Ai. Defcarta fouffre du climat de Stoct^holm,(^ de la rigueur ex-
traordinaire de lafaifon. La Reine veut établir che^^clle une Académie
pour les fcienccs , dont elle veut donner la direSlion à Ai. Defcartes.
Elle rengage à en drejfer les jlatuts. Il luy en porte le projet , par le-
quel il en excUid les Etrangers : & pourquoy ? 405
C H A P. XXI. Aialadie de Ai. Defcartes. Ses exercices de piété.
Eloge du Père Viogué Jon Confeffeur. EiU^ions calomnieufes de diverfes
perfonnes touchant l'origine & le fujet de fa maladie. Caufe véritable
de fa maladie. Dieu permet que l'en confe fa famé à un Aiédecin qui
était fon ennemi déclaré. Soins & inquiétudes de Ai. & de Aiadame
Chanut y & de la Reine de Suéde. Obflination de Ai. Defcartes a refu-
fer la faignée pendant fon tran/port au cerveau. Hijloire des fept pre-
miers jours de fa maladie. Il commence a connottre fon mal le hui-
tième jour , & Ce fait faigner : mais trop tard. Il fe prépare a la mort
en philofophe chrétien. Tranquillité des deux derniers jours de fa vie.
Ses dernières heures. Sa mort. a\a
C H A P. XXII. Douleur de la Reine de Suéde à la mort de Ai.
Defcartes. Elle veut le faire enterrer auprès des Rois de Suéde avec une
pompe convenable , & lity dreffer un Aianfolèe de marbre. Ai. Chanut
obtient quil fait enterré avec pli44 de fîmplicité , dans un cimetière fé-
lon l^ufage des Catholiques. Funérailles de Ai. Defcartes, Qjtalitez. des
ferfonnes qui portèrent fon corps. Inventaire de ce qu'il aviit porté eu
É iij Suéde.
TABLE
Suède. Sort des écrits de M. Defcartes. Inventaire de ce qu^îl avoît
Uijfé en Hollande. M. Chanutfait drejfer fur fon tombeau un Monument
en forme de Pyramide quarrée. Infcriptions de cette Pyramide faites par
M. Chanut. ^ 4^4
Chap. XXIII. Converfton de la Reine de Suide , <jul en attribué
la gloire après Dieu k M. Defcartes, On fait la tranjlation de fes os
en France feiz.e ou dix-fept ans après fa mort par les foins de Ai. d' A-
libert. On les dèpofe dans VEglife de Sainte Geneviève du Mont à Parisy
ûH on luy fait un fervice folemnel avec une magnificence excejfive. On
luy drejfe un monument de marbre très-fîmple & trés-modejîe , mais
orné d'une Epitaphe glorieufe a fa mémoire. 431
Lir KE HVITIE M E.
Contenant Tes qualicez corporelles Scfpirituelles. Sa maniè-
re de vivre chez luy , &: avec les autres. Ses mœurs. Ses
fentimens. Sa Religion. Ce qu'on a trouvé à redire à fa
perfbnne &: à fes écrits j & généralement , tOLit ce qui n'a
pu entrer dans la fuite des années de i'hiftoire de fa vie.
Chap. I. T)'^ corps de M. Defcartes. S a taille. Son teint. Sa voix.
Son poil. Vtilitè de laperru<jue pour la famé , & Cufage
^u^en faifoit M. Defcartes. Comment il s' accommodait aux modes. Ses
habits. Son régime de vivre. Sa fobriétè. Sa diète. Son difcerne7nent fur
les nourritures. Frugalité de fa table, Pourquoy il pré ferait les racines
& les herbes a la chair des animaux ? Ejfa de la joye & de la trijiejfe
fur le manger & le dormir. Du repos & du travail de M. Defcartes.
Ses exercices. Safantè. Son tempéra?nent. Ses infirmitez. corporelles. Sa
manière de rétablir & de conferver la fxntè. Son averfîon pour les Char-
latans & Médecins ignorans. Etude de la Médecine. Pouvoir des paf-
Jïons de l'Ame fur la fanté du corps. 44S
Chap. II. Du ménage de M. Defcartes. Son domefiicfue fort choi-
si (^ fon propre^ Sa maifon efl une école de fcience (tr de vertu pour
fes ferviteurs. Affe^ion réciproque entre le Maître & eux. Hifloire des
;plHt illuftres d'entre fes domejiiques , de M. de faille Brejfieux ^ de Gé-
rard de Gutfchovven y du jeune Gillot , du Limoufin , Cr de Henry Schlu-
ter qui eut fa dépouille. De la nourrijfe de M. Defcartes. De quelle
manière il traitait la Fortune , & comment il en fut traité. Etat de fon
hien & de fes revenus. Son indijférence pour les richejfes. Sa génércfîté
four donner , & pour refufer toutes fortes de gratifications de la part
des Particuliers. Ses foins pour ne pat lai fer périr fon patrimoine. 455
Chap. III. yie retirée de M. Defcartes, Son amour pour la fo^
lithdc
DES C H APITRES.
lltude. Sa double dev'tfe. Scnmrprù pour la gloire. Son 'md'jfcrcrjcc pour
la réputation. Son humeur particulière. Sa taeiturnité. Sa manière de
converfer. Sa lenteur a parler. Sa parcjfe a écrire, Cara^ére de [on
écriture. Il Itfoit peitÊkll avait peu de livres. Son juge?ncnt fur les
grandes le^lures. Comment on peut dire qu^il avoit lu infinimc;Tt. Son-
aff::[}ation a diffimuler fes levures & fes études. Son flile. Excellence
de ce flile. Sa latinité. Sa conformité fur fufage de la lannie fran-
çoife. Son fentiment fur C orthographe j & la prononciation. Sarnétho-
de particulière de compofer. %a clarté. Son obfcuritè ûjfèllèe. Sa ma-
nière de philofophcr agréable a fes Ad,verfaires même. Il commençait
à goûter le genre d'écrire prr dialogues pour expliquer la Philofo-
phie , dans les dernières années de fa vie. 4^3 -
C H A P. IV. De l'efprit de Ai. Defcartes. Son étendue ^ fa force^
fa pénétration , fi ji^fl<^Jf^. De fa mémoire , en cjuoy elle ctoit inférieure
a, fon efprit. Son jugement folide , finefe de fon goût , fon difcernement.
Son amour pour la Vérité > fa franchife , fa droiture. Il veut tout fa-
crifier a la Vérité. Il la cherche par tout y mais principalement dans les
fciences. Etendue & cjualité de fon fç avoir. Définition CT divifon de
la fcience. Son jugement fur la Théologie , fur l'Aflronomie , fur les Ala-
thématii^ues , fur la A4édecine , fur la Philofephie fcholafiit^ue , fur les
Humanité? ou belles Lettres. Ce quil fçavoit &' ce quil ignorait dans
toutes ces cannai jfance s. Idée d'une langue univerfelle , ou a une Gram-
maire générale & raifonnée , quil propofe au P. Aderfenne. 47^
C H A P. V. Conduite & difcernement de Aï. Defcartes pour la diffé-
rence des études qiti regardent l'entendement , l'imagination ^ & les fens.
Sa docilité a l'égard, de toutes fortes de perfonnes. Il aime à reconnaî-
tre dr a corriger fes fautes. Le peu d^ attache qu'il a pour fes opinions.
Comment il s'ed rendu fufpeEl de vanité auprès de fes envieux •■, fondement
ou prétexte de cefoupfon. Sa modeflie. Son peu d'efiifne pour foy -même.
Son averfion pour les loUanges & les titres d'honneur. Son honnêteté. Sa
douceur. Sa modération. Sa générofîté pour méprifer la calomnie ^ ^ pour
oublier les injures. Ses foins pour éviter de choquer ceux qui l'avaient mal-
traité. Sa répugnance pour remarquer ^ ou pour relever les fautes d'au-
truy. S^n amour pour la paix. Son averfion pour la diffute, 48 ^
Chat. VI. Âmitieu^ de M. Defcartes. Du nombre & de la qualité
de fes amis , Ja tendre jfe & fa fidélité pour eux. Sa confiance & fon
bon cœur. Son humeur officieufe & prévenante. Ses ennemis ^ c'eft-k-dirCs
fes envieux & fes adverfaires. CaraSlére des uns & des autres. Comment
le nombre de fes adverfaires diminué de jour en jour •■, comment celuy de
fes feBateurs augmente & fe fortifie. Différence entre fes amitiez deraifon
& fes amitiez. d'inclination. Pourquoy il aimait les perfonnes louches. En
quel cas on peut fuivre fes inclinations dans l'amour. Comment il aimait
la conver fat ion des femmes. Vertus de fon ame. j^^C
C H A p. VII. De la Religion de M. Defcartes. Son reff>eB pour la
Divinité. Sa retenue & fa circonffe^ion ponr parler de ce qui regarde
là'
TABLE
ia natitye divine. Il évite d'entrer dans les cjue fiions de Théologie, ris'ab"
flient de varier de la puijjance de Dien , avec la hardiejfe dont la plupart
des Philofophes & Mathématiciens prétendent décider ce cjuil peut , Ô'
ce (jHil ne peut poi. Sa mode flic mal reconnue fi^We point. Sa manière
d'écrire contre les Athées. Injufltce de ceux ejui prétendaient l'accufer
d'Atheifme , de Sceptlcifme , & d'ir^piéié. 505
Cmap. VIII. 'Vpigf ^«^ M. De [carte s faifoit de fa Raifon dans
les chofes <jui regardent la Religion. Sa Philofophie s'accorde mieux avec
la Théologie & la Religion, que la Phlloffjphle de l'Ecole. Ses Principes
conformes k la defcription ^ue Aioyfe a faite de la création dans la de-
néfe. Il efi accufé de Pélagianifme par les Protefians. Injuflice de ces
reproches. Ses fentimens fur la providence , la prédeflination , la liberté ^
la dépendance & l'indifférence du libre arbitre , autant que ces chofes peu-'
vent être du reffort de la Raifon humaine. Pourcjuoy il n'a jamais voulw
rien écrire de la Grâce , non pltu fue des ?nyfiéres de la Trinité & de
V^ Incarnation- 509
C H A P. TX. Sentlmens de Monfieur Defcartes fur l*Eucharlfile. Il
explicjue la Tranffubfîantiation félon fes Principes. Nouvelle explication
ejuil en a donnée au P. Mefand, fans prétendre quelle devint jamais
■publique. Les Cartéjiens la font valoir après fa mort. Les Calvinlfîes
redoutent M. Defcartes & le rejettent comme contraire a leurs dogmes.
U ne laiffe pas d^être accufé de Calvinifme par quelques Catholiques mal
informel ^ ou mal intentionné'^ Réfutation de cette calormile. Son averjion
extraordinaire pour le Calvinifme. Son defir pour le retour des Protefians
a l'EffUfe. Ses exercices de Chrétien. Son opinion ftr les vœux Afonafli^
ques. Safoumlffon à l'Egllfe. Sa déférence pour la Sorbonne. Ses livres
mis a /'Index. 5 1 8-
Ch A p. X. Du caraElére de Nouveauté qui fe trouve dans les opi-
nions de Ai. Defcartes , & fon fentlment ftr r'AntlqHué'. Différence
qu'on doit mettre entre la Nouveauté & la Fauffeté , entre l'Antiquité &
la Vérité. M. Defcartes ascufé de Nouveauté , & d'avoir pourtant pris
fes dogmes des Anciens , de Platon & des Académiciens ; de Dimocrite ;,
d'Ariflote \ d'Eplcure j de Zenon & des Stoïciens yd'Anaxagore ; de Leu-
cipe j de Lucrèce ; de Clcéron *, de Sénéqu: ; de Plutarque -, de S. Au-
guflln y de S. Ahfelme : & même parmi les Modernes , de Roger Bacon -^
du Fioravanti j de Pérelra \ de TeléJÏPU i de Tyco Brahé \ de Jordanns
Brunm ; de Vléte -, de Snellius ; du Chancelier Bacon ; de De Dominis i
de Ferrari ; de Sovéro ; de Charron \ de Harrlot i de Kepler \ de Gali-
lée \ de Gilbert \ de Harvèe \ de Hobbes ; de M. Arnaud \ & de Moyfe.
M.. Defcartes nefl plagiaire de perfonne. Une même chofe peut avoir
plufieurs inventeurs. Indifférence de AI. Defcartes pour fes propres inven-
tions. Sa générofité envers fes pUglalres. 354
F I n:
^^^
&
^^^
^^^^
^m
^^^^ft
L^^^^fe
Wm
L A VI E
D E
M^ DESCARTES
/»S /«N /»S /MS /
î ri ^r< ;-^^ î '?^ ^î'4 k*^ ^^1 V i ^î'^ jy< i^i ^?^ ^?i ^*< ^*4 ^*^ .^f^ ^ïg ^ï-^ ^*^ i?i ^^^
/»< 7m< /»< . «? /M-? /»< .'«s /«(jî /«s /«(î /«? /«? 7»^ 5«i? /«? /j»? /«(S 7i5Ç >«,<? V^ ?«< /«,< %,^/i»,^ /»5 7i^ &î Çl^ 5i^ *i?
/»v. /»?! /«< /»s /«^ /»<î /it^ /«< ?■«< ?*< J,,< /^^
1
LITRE C I N êU^ l E M E.
Contenant ce qui s*eft pafTé à Ton fujet, depuis le temps de
la connoilFance qu'il fit avec les Profelîcurs d'Utrecht,
jufqu a la publication de fès Méditations Metaphyfîques.
CHAPITRE PREMIER.
M. de Roy, ou Regms apprend la Méthode & les Principes de la Philofo-
phie de M. Defcartes par la bouche de M. Renery^ & par la levure des
Ejfais de cette ^ Philofophie. Il les enfeigne a [es Ecoliers , & il parvient
par ce moyen a une Chaire de Profejfeur en Médecine dans l'Vniverfiîé
d'Vtrecht. Obflacles furvenus durant la brigue de cette Chaire. M.Re-
gins regarde M. Defcartes comme Tu^uteur de fa fortune & de fes con-
noijfances. Il fe déclare fon Difciple , & fe dévoue a luy d'une manière
particulière. Confufion dans les Lettres imprimées de M. Defcartes.
End A NT qu'on fatiguoit M, Defcartes en
France par des Objecliions & des Problcnics,
on ne fongeoit prefquc en Hollande qu'à fe
dëpoiiiller de la vieille Philofbplîie pour
_ prendre la fienne. Plus k jaloufie\s'eiîbrçoit
— ^ de publier qu'il étoit tombé dans des erreurs
ordinaires à l'homme , plus il femble que k% nouveaux
A * S éclateurs
Mm'trawfM'imnii'm'i'Hfl
I ^3 81
2 La Vie de M. Descartes.
^^3^' Sectateurs s'étudioient à l'élever au-defîus de la condition
humaine. L'Univeriîté d'Utrecht qui fèmbloit eftre née
Cartefîcnne après qu'on eut fait venir Monfîeur Renery
pour prévenir même for éredion , Ce rempliilbit infenfible-
mentdefes Difciples fousladifcipline de cet habile ProfeC
feur. Celuy qui fe diftingua le plus fut un jeune Médecin
nommé Mcnry de Roy , dit , Regius , natif de la Ville mê-
nic. Après avoir été en divers endroits de la Frile Occi-
dentale , & de la Province particulière de Hollande , tant
pour y apprendre que pour y enfèigner pendant quel-
lettr MfT. ^^^^ années , il étoit revenu dans le lieu de fa nail lan-
de Regius. ce vers le temps auquel M, Renery avoit été appelle de
^,'*^"1 '"?,'■"'"• Deventer pour y profefTer la Philofbphie.il s'y étoit pro-
je«a. c'-^re même une efpece d etabliliement par un mariage,
qui ne l'empêcha pas de hanter M. Renery avec l'affiduité
d'un Ecolier, depuis qu'ill'eiit goûté , & qu'il eût reconnu
fbn mérite. L'amitié étroite qu'ils lièrent enfemble fut fui-
vie d'une confiance entière que M. de Roy eût en M.Re-
neri. Celuy-ci s'en fervit avantageufement pour le dégager
infènfîblement de fès Préjugez, Se il luy communiqua cette
Méthode excellente qu'il avoit reçeuë deM. Defcartes pour
conduire fà railbn dans la recherche de toutes fortes de ve-
ritez. M. de Roy, que nous appellerons dorefnâvaAit Re^îus
dans la fliite de cette Hiftoire , pour nous rendre confor-
mes au langage le plus ordinaire, ne borna point fà re-
connoiflance à M. Reneri • mais il la fît remonter jufqu'à
M. Defcartes , pour lequel il conçeut dés lors une ha ite
eftime , accompagnée d'une vénération profonde. Ce n'é-
toient encore jufques-là que les fruits de leurs converfâ-
tions. Le Livre de M. Defcartes vint enfuite à paroître.
M. Regius fut des plus ardens à le lire, & l'eftime qu'il
avoit conçeuë pour M. Defcartes fe tourna incontinent en
une vraye paiîîon. Elle luy fît oublier peu à peu les conlîde-\
rations qui Tavoient empêché jufqu'à lors de rechercher fa
connoifïance par luy-même , èc de luy prefenter Cqs refpecls
immédiatement. Il demeura encore prés d'un an dans cette
refèrve , croyant devoir s'étudier à mériter l'amitié de ce
grand homme , avant que de la luy demander. Non con-
tent de s'être imprimé dans l'efprit les principes de fà nou-
velle Philofbphie, dont il avoit trouve ks Eflàis dans fbn
livre
Livre V. Chapitre!. 3
livre conformes à ce que Monfîeur Reneri luy en avoit ap- ^ "3 "•
pris auparavant , de de les avoir adoptez à la place de
ceux qu'on luy avoir autrefois enfèignez dans les Ecoles ,
il fe mit endevoir de les digérer encore pour l'ufage des
autres. Il enfèignoit aduellement la Philofbphie , & la
Médecine à àcs particuliers dans la Ville; & pour ne point
faire diverfîon à Têtu ie particulière qu'il faifoit de la Phi- Tom. 3. Jcs
lofophie de A/Tonfieur Defcartes , il s'avifa de la mettre par ^efc^a'^^
cahiers, 6c de la débiter à fes Ecoliers fous le nom de Phy- 4 6.' ^*^'
fiologie , à mefure qu'il la comprenoit. La fimplicité de l'hy- Epiii. ad p.
pothefè , le bel enchainement des Principes &: des raifbn- Dinetum
nemens , la netteté &: la facilité avec laquelle il leur en fai- "'^^' *^*
fbit déduire les veritez , les ravit de telle forte , que fans en
demeurer aux termes d'une reconnoiflance ordinaire pour le
Maître à qui ils étoient fî redevables , ils firent une efpece
de ligue pour coopérer à fbn avancement , &; pour s'em-
ployer à le faire mettre en place , ibit dans le Confeil de
Ville , foit dans l'Univerfité. Dieu fît naître en peu de
temps une occafîon femblable à celle qu'ils cherclioient pour
exécuter leur bonne volonté.
Il n'y avoit dans la nouvelle Univerfîté qu'un Profefleur
pour toutes les parties de la Médecine. Ce Profefîèur étoit
te Sieur Guillaume de Straaten ^ ou Stratenus . qui s'étoitre- Narrât, hift..
tranché à n'enfèigner que TAnatomie 6c la Médecine Pra- P^^* ^'
tique. Le nombre des Etudians qui fè rendoient de divers
endroits à fbn Ecole augmentant de jour en jour fit bien-tôc
comprendre à Meilleurs de l'Univerfité l'obligation qu'il y
avoit de pourvoir au fbulagement du Sieur Stratenus. Ils s'afl
fèmblerent pour en délibérer , 6c ils jugèrent que pour l'a-
vantage de l'Univerfité , il feroit befoin d'un fécond Pro-
fefleur en Médecine pour enfeigner la Botanique 6c la Mé-
decine Theoretique. M. Reneri dont l'autorité étoit fort
confiderable parmi Çqs Collègues , avoit beaucoup de part à
la délibération, ^ fè fervant de fon crédit pour faire connoître
le mente de M. Regius, il fit que quelques uns jetterentles
yeux fi-ir luy, pour remplir la Chaire qu'on devoir drelîer.
M. Regius afiifté d'une fî puiflante recommandation alla voir
le Redeur derUniverfîté,qui étoit pour lors le fieur Bernard
Zcootanus^ Profefîèur en Droit 6c en Mathématiques dans la.
même Univerfîté , 6c q^u'il avoit connu afTjz particuliere-
A * ij raenf
4 ^ ^- Vie De M. Descartes.
1658. ment dans l'Univerfîté de FrancKCr , durant Ton fejour en
Frilè. Il fit aiiiîl là cour au ficur Jufte de Lire, ou Zir^us, Pro-
felFcur en Hiftoire ôc en Humaniccz , & il le pria de vou-
loir fc joindre au fîeur Schotanus pour fbliciter auprès du Sé-
nat, ou Confeil de la Ville, l'érection d'une féconde Chaire en
Médecine. La conlideration de M. Reneri qui s'interciToic
dans cette affaire fît agir ces deux M effieurs avec aflez d'ar-
deur & de bonne foy ; ôc non contens d'cxpoler au Sénat la
necelîîtc d'une leconde Chaire de Médecine , ils luy pro-
pofcrent encore M. R.egius comme le fujet le plus capable
qu'ils connuflcnt pour la remplir. Le Sénat dont les membres
particuliers n'avoient pas encore oiiy parler de M. Regius
écouta la première propofition aflcz volontiers , fur tout
après avoir eu le confèntement du Sieur Stratenus, à qui il
s'agiffoit de donner un Collègue, fans préjudice de fon hon-
neur & de fcs intérêts. A cette nouvelle , le nombre des con-
currents à la Chaire future , Ce multiplia en peu de temps.
Les autres Profeflèurs , & quelques perlbnnes qualifiées de
Ja Ville, dont M. Regius n'étoit pas connu , preiènterent
leurs amis , ou leurs créatures à l'envy pour la remplir. On
en produifit deux entre les autres qui étoient fbûtenus d'un
grand mérite perfonnel , & de trés-puiflantes recommanda-
tions • l'un excelloit dans la Botanique ^ l'autre avoit une
grande connoiiîance de la Médecine en gênerai , de la Phi-
lofophie , des Mathématiques , des Langues Orientales , &
particulièrement de l'Arabe.
L'éclat que fit cette affaire ne manqua point d'animer les
efprits des Difciplesde M. Regius. Ils étoient en petit nom-
bre , mais pour la plupart jeunes Gens de famille très-bien
élevez , & prefque tous déjà en état d'entrer en charge. Ils
crurent que l'occafion qu'ils cherchoient de le fèrvir étoit
venue, èc n'épargnèrent ni leurs parens ni leurs amis pour
obtenir les fuffrages du Sénat en fi faveur. Quoique M. Re-
gius fut Docleur en Médecine, & qu'il ne luy manquât rien
de ce qui pouvoit le faire afpirer légitimement à cette chai-
re, il étoit néanmoins en danger de le voir exclus par la
Epift. ad P. brigue des deux autres. Mais l'aprobation qu'avoit Ion écrie
Dinet.art.iî. ^^q Phy{]ologie jointe à la différence que l'on remarquoic
Hlftor.Acad. ^^1"»^ la manière de railbnner qui diftinguoit lès Difciples d'a-
vec ceux des Ecoles publiques ôc vulgaires , fit juger qu'il
avoic
Livre V. Chap. î. 5
Avoit une Philofbphie toute particulière , &: qu'il dcvoit être 1638.
un excellent Maître dans l'art ou la méthode d'erjfei^ner. ^
C'eft ce qui porta Meilleurs du Sénat à le préférer aux au-
tres dans le choix qu'ils dévoient faire. Cette difpofition fa-
vorable des efprits lèrvit beaucoup à faire éclater la jalouiie
des autres , & à fiire faire diverfes informations de la vie 6c
des fentimens de M. Regius, pour chercher quelque prétexte
.aux obftacles qu'on fbuhaitoit de former à fà promotion. On
fè mit d'abord à ièmer des bruits désavantageux à fa répu-
tation, & on s'efForça de prévenir le lîeur Stratenus Profelîèur
ordinaire en Médecine , fans le confentement duquel on ne
pouvoit rien faire. Mais comme fes mœurs avoient toujours
paru ailez irréprochables aux yeux des hommes , l'Envie le
vid obligée de fè retrancher fur les fentimens. Elle les atta-
qua tant du côté de la Philofbphie que de celuy de la Théo-
logie. On accufà d'abord fon efprit d'être trop fuigulier,
& d'avoir trop de penchant pour les Paradoxes. Mais il luy
fut aifé d'étoufFer cette calomnie , par le fècours de M.Re-
neri & par fes manières de raifbnner qui efloient toutes Car-
tefîennes , c'eft à dire, très conformes au bons fèns.Non con-
tent de s'être juftifié devant leRedeur Schotanus & le fieur
de Lire, il voulut bien leur promettre qu'il n'avanceroit ja-
mais rien dans fès leçons ou les difputes touchant la Méde-
cine , qui fût contraire aux opinions communément reçeuës
dans l'Univerfité & dans les autres Ecoles établies par autori-
té publique ^ & qu'il auroit toujours pour le fîeur Stratenus le
refpect & la déférence qui luy fercit duë.Cette batterie n'aiant
pas reiiiîî, on en drefîa une autre pour attaquer fa Religion,
& l'on tacha de le rendre fufped d' Arminianifîiie , quiétoit
alors une raifbn d'exclufion pour les emplois de la robe en
Hollande depuis le Concile de Dordrecht. On en forgea le
prétexte flir ce que quelques années auparavant demeurant
dans la ville deNaerden cù il faifoit la Médecine, & gou-
vernoit le Collège en qualité de Principal , il étoit arrivé
quelques troubles à fbn fujet parmi les vaiflèaux de la flote
Hollandoile. Cette nouvelle accufàtion fit plus d'imprcffion
furl'efpritdu fîeur Schotanus &:du fîeur de Lire que celle qui
ne regardoit que la P hilolbphie. Le fcrupule les porta à venir
décharger leur confcience , premièrement devant M. Regius
à qui ils dévoient un avis de charité fur ce point , puis devant
A * il] le
4 La Vie de M. Descartes.
^ ^3^- le fîeur Gisbert Voet^ ou Vont, dit Voetiu^ Profefleiir en Théo-
logie zelë Gomarifte, qu'ils precendoienc confulter dans cet-
te affaire comme leur (Cafuîrè-i^.
Voetius ne connoiflbit point encore Regius , 6c à peine
avoit-il oiii parler de luy jufques-là. Il en fut d'autant plus
hardi à fè charger de la connoiilance de ià caufe, qu'il n'é-
toit encore prévenu de rien à fbn égard. Il voulut même
pour l'amour de la juftice pouiTer la generofité & le def-in-
terellement jufqu'à n'avoir point d'égard aux fbllidtations
qu'on luy avoit faites en faveur des autres Compétiteurs
qui concouroient avec M. Regius pour la brigue de la
chaire. Il fè fit donc accompagner du Sieur de Lire , & ie
traniporta chez M. Regius pour tirer de luy les éclaircifïè-
mens neceflaires touchant ces bruits def^avantageux. M. Re-
gius ne iè contenta pas de luy faire une expofition de fa
créance,& de luy montrer qu'elle étoit parfaitement con-
forme à celle de la Seigneurie & de i'Univerfîté : il voulut
encore luy découvrir la Iburce de la calomnie dont Ç^s en-
vieux tachoient de le noircir. Il luy produiiit enfui te un cer-
tificat en bonne forme qu'il avoit reçeu de l'Eglifè ou Con-
fîftoire de Naerden en quittant cette ville , pour pouvoir
être admis à la Communion de l'Eglife d'Utrecht &: des au-
tres lieux des Provinces unies. M. Voetius en fut fi fàtisfait
qu'il l'embrafïa, luy demanda ïo'^. amitié , & luy promit fà
voix , en l'alTurant de la j oie qu'il auroit de le voir au nom-
bre de fès Confrères.
Sur le raport de ces deux Meffieurs, le Reéteur fit aiïem-
bler l'Univerfité. M. Regius y fut propofé 6c agréé, mais il
fdt réglé qu'on ne le confidéreroit que comme Profeiîeur
extraordinaire. Le fieurStratenus Profeiîeur ordinaire enMe-
decine aiant enfùite donne fbn conientement en pleine afl
femblée, on députa M. Reneri 6c M. Voetius vers le Sénat,
pour luy demander au nom de l'Univerfité plufieurs Profefl
fèurs extraordinaires,pour la Morale Pratique , pour la Me-
taphyfique , pour la Philologie, 6cpour la Médecine Botani-
que. M. Voetius fè chargea de parler pour la dernière Pro-
fefiîon en faveur de M. Regius, dont il fit les éloges aux
Magiftrats. Ce qui fit d'autant plus de plaifir à M. Reneri,
qu'il avoit plus d'intérêt de cacher fes inclinations ^ d'oter
tout lieu de croire q^u'on eut eu égard à autre chofe qu'au
mérite
Livre V. Chapitre I. 7
mérite du Poftuknt. Ainfi M. Regius fut receu d'une voix 1^58.
commune avec l'approbation générale de la Ville 6c de l'U- '
niverfité. Il fçcut fi bien gagner les cœurs de tous fes Col-
lègues, qu'après avoir porté pendant quelques mois la quali-
té de Profelîeur extraordinaire, il fut mis dés la même an-
née au nombre des Ordinaires.
Il crut avoir toute l'obligation du fuccés de Cette affaire
à M. Defcartes , dont la Philo/bphie avoit formé en luy
ce mérite qui l'avoit fait préférer aux autres Concurrens.
La place qu'il occupoit luy donnant un degré de hardiefle
plus qu'il n'avoit auparavant , il fe défît du fcrupule qui l'a-
voit empêché jufqucs-là de luy écrire en droiture pour luy
prefènter fes refJDeds. Afin de ne pas rendre fà modeflie ou
là timidité fufpede d'ingratitude,il prit la liberté de luy écri- Rcaïus Ms.
re le xviii. d'Aoufl pour le remercier d'un fèrvice qu'il luy
avoit rendu fans le fçavoir. Il luy demanda la grâce d'être
reçeu au nombre de îès ferviteurs, avantage qu'il avoit re-
cherché & qu'il croioit avoir mérité depuis qu'il s'étoit ren-
du fbn difciple.Etpour ne luy point faire un myftere d'une
chofe qu'il ne pouvoir rçavoir,c'efl à dire de la manière dont il
prétendoit que M. Defcartes l'avoit fait ProfefTeur dans l'U-
niverfîté,il luy fit un détail de la connoifïànce qu'il avoit ac-
quife de fa Méthode 6c de fà Philofbphie, premièrement par
, la bouche de M.Reneri, qui l'avoit amplement informé des
qualitez heroiques de fbn efprit , 6c enfliite par la lec-
ture des EfTais qu'il avoit publiez l'année précédente. Il
luy marqua enfliite comment il s'étoit heureufèment fèrvi
de cette Méthode pour enfeigner fà Philofophie à quelques
Particuliers fuivant fès principes : de il luy apprit que le
grand fuccés de cette entreprife avoit porté les Magiflrats
de la Ville, & les ProfefTeurs de l'Univerfité à lechoifîr pour
remplir la chaire de nouvelle eredion. Il le conjura de ne
point abandonner fon fropre ouvrage , 6c de ne point luy
refufèr les alTiftances necefTIiires pour icutenir cette premiè-
re réputation. Il luy protefla que de (on côté il feroit tout .
ce qui dependroit de luy pour ne rien faire qui fut indigne
de la qualité de fbn difciple qu'il preferoit à tous les autres
avantages de fa vie : & qu'il fuivroit les pas de M. Reneri le
plus prés qu'il luy fèroit pofTible.
Pour fe mettre d'abord en poUèiTion des droits attachez
a
s La Vie De M. Descartes.
I ^3 S. à cette qualité, il prit la liberté de luy envoyer fcs ^EJÏais de
Médecine , qui n'étoient autre cliofè que des Notes aflez
courtes fur Trincavel , & le pria de \qs examiner avec tou-
te la feventé d'un Maître. Il palTa même, appuie fur Tex-
perience que M. Reneri luy avoit donnée de fes bontez ,
jufqu'à luy demander les objections qui luy avoient été flû-
tes depuis peu contre /^z Circulation au fan^^ avec les Répon-
{qs qu'il y avoit données. Et pour luy foire voir jufqu'où;
pourroit aller la confiance avec laquelle il vouloit luy aban-
donner ion efprit comme fbn cœur , il luy dit nettement
qu'il ne luy viendroit aucune difficulté qu'il ne luy propo-
sât, &: dont il n^efperât de luy les folutions, comme d'un
homme à qui il pretendoit tout devoir , & qu'il regardoit
comme extraordinairement fufcité pour conduire la raifbiî
des autres hommes , oc \qs tirer de leurs anciennes erreurs.
M. Defcartes reçeut dés le xx. du mois la lettre de cet
inconnu dans le pacquet de M. Reneri, qui luy fèrvoit d'iii-
trodudeur pour cette première entrée. Le plailîr que luy
donnèrent ces beaux effets de Ça Philofbphie ne luy permit
pas de différer de répondre à {qs civilitez , & de luy accorder
îbn amitié avec tous \qs fruits qu'elle pourroit produire. lî
récrivit en même temps à M. Reneri pour fe rejouir avec
luy du fùccés avec lequel il introduifoit fi Philofbphie dans
rUniverfîté, &pour luy permettre d'amener M. Regiusavec
luy, lorfqu'il luy feroit l'honneur de le venir voir. C'étoic
répondre à la demande que M. Regius luy avoit fait faire
par M. Reneri. Mais les occupations de fbn nouvel employ
ik les incommoditez de M. Reneri le privèrent de cette fà-
tisfadion pendant plus de fîx ou fept mois , au bout defquels
il pritfujet de remercier M. Defcartes de toutes fès bontez
pour luy demander permifTion de l'aller voir feul. Sa lettre
eft dattée du ix. de Mars 1639. &: ne pouvant y renvoyer le
Ledeur, parce qu'elle n'efl: pas encore publique, il elt à pro-
pos de luy en reprefènter le fens en abrégé pour des raifons
dont on luy laifTera enfuite l'examen. Je n'ay point de ter-
^ mes, ( dit M. Regius à M. Defcartes ) pour exprimer la joie
» que m'a donnée la lettre admirable que vous me fîtes l'hon-
», neui* de mécnre au mois d'Août dernier. Elle a tellement
^ augmenté le peu de réputation dont j'étois redevable d^ail-
^ leurs ôc cà vous ôcà M. Reneri , qu'elle a attire à mon école
non
Livre V. CnAprrp.E I. 9
non feulement pluficurs écudians en Mi lecine : mais même « .z^,»
des Philofophes, desjarifconfiiltes, des Théologiens &. d'au- u '^
tre Auditeurs étrangers, pour écouter les léchons publiques §c es
particulières que je fais delà Médecine liiivant les pruicipes «
de vôtre Philofophic^que j'ay puifez dans vos excellens ouvra- «
î^es , ou appris de la bouche de M. Reneri.... Celapoiivoit «
fuffire ce fembie pour me réhaulTjr le courage , & pour me et
facihter de plus en plus \qs voyes de la Nature. Cependant ce
vôtre bonté vous fait faire encore bien d'autres démarches a
en ma faveur, & au lieu que vous m'aviez accordé la grâce «
de vouloir bien mefouffrir à la compagnie de M. Reneri ton- et
tes les fois qu'il vous rendroit vilitc, vous me permettez main- et
tenant de vous aller voir feula cauie de les fréquentes indif. c<
pofitions J'efpére profiter de ma permi/fion dans cette fé- et
maine qui finira no5 vacances: & fî je ne vous fuis point à char- ce
ge, je paiîèray deux ou trois jours prés de vous,afin de pouvoir ce
vous confulter fur divers delTèins que je me fuis propofèz, &:c. ce
Vers le commencement du mois d'Août de l'an 1638, M.
Reneri avoit fiit le voyage d'Egmond , &: avoit rendu à M.
Defcartesuneafîez longue viiite qu: fut la dernière qu'il pût "^""i- * <îes
lui rendre de fi vie. Il luy avoit apporté la hauteur de la tour ^"'" ^' ^°^'
d'Utrecht , ( qui étoit de 350 pieds de Roy * , ) très exactement j^^ ^" contant
méfurée dans la réfolution de l'envoyer enfiiite au Père Mer- la gux)ucue.
fèn;ie , à qui toutes ces curiolitez étoient bonnes. Mais le laquelle avec
fujet principal de fa vifiteètoit l'affaire de l'Univerfité d'U- iaTuSf
trecht, dont il avoit été bien aifè de l'informer de vive voix, etoit haute de
Ce fat en cett ? occafion que M. D jfcartes entendit parler de '^ P'^^" ^ ?'.
M. Regius pour la première fois -oc après tout le bien que M.
Reneri luy en dit, il ne pur pas ne fe laifTer pas prévenir en
ià faveur. M. Deicartes ne crût point pouvoir mieux payer la
peinedeM. Reneri, qu'en luy faifànt part des queftionsdans
Texamen defquelles celuv-cyl'avoit trouvé occupé lorsqu'il
J'étoit venu vifiter. Il luy fit voir la derniéreexpUcation qu'il v. le livre
venoit de donner pour la dèmonftration de la Roulette au fû- prt'cédcnt.
jet de M. deRoberval- &la rèponfe qu'il avoit faite peu de
jours auparavant aux objedions de M. Morin fur la lumière. Il j^*^^^' ^- ^^^
luy montra auffi l'examen qu'il venoit de faire de la Géoftati- ^ragioi,
que de M. de Beaugrand, pour fçivoir fi un corps pèfe plus ou ibid. p. ji^
moins étant proche du centre dç la terre , que lors qu'il en eft
//, Part, B * éloigné.
i6 La Vie d e M. Descaktes.
1 (^^^. éloigné. M. Reneri qui ne quittoit jamais M. Defcartes fans
Tom. 5. Let- ^^^^^ ^'^^^ cVampIcs provifions , s'en retourna comblé de toutes
tr. Lxiii. & fortes de fàtisfactions , & ravi iur tout d'avoir vu les elo-
ixiv. rieux témoignages de l'amitié de M. de Fermât , èc de plu-
iîeurs Sçavansillaftres de France.
A ion retour il alîIiraM. Regius, qu'il feroit le trés-bien
venu chez M. Defcartes , & qu'il le trouveroit préparé à touc
* Aux mois ce qu'on pou voit attendre de fa bonté. M. Régius qui n'avoic
de Mars & poiiit d'autre têmsp:^ur voyager, que celuy des vacances de
^ Aou . rUniverfîté qui fe donnoientdeux fois l'an ^ à l'occadon des
'. ^tom!''^des <^^^^ foires de la ville, voyant expirer celles du mois d'Août^-
lettr. ne pût faire autre chofe que d'écrire à M. Defcartes la let-
JPag.4o^ibi- tre du XVIII de ce mois dontnous avons parlé. M. Defcartes
<lc"i- ayant répondu civilementà cette lettre, récrivit au P. Mer-
^iis'entrou' fennc le XXIII du même mois pour luy envoyer la méfure la
'flïs Teux"èu Tour d'Ucrecht que M. Reneri luy avoit lailîee. Cette lettre
trois coufues imprimée par M. Clerfélier, marque d'une manière un peu
fidul'n-e»/^. ^^^P décifive,que cétoitM.Ie Roy ^ ou Régius qui la luy avoic
foient qu'une, portée, & que ce n'étoit pas même la première vifîte qu'il
qucyqueU fin J^y ^yoit rcnduë à Edmond. - Mais il y a de quoy s'étonner
antérieure au q^ic là luite de là lottrc n ait pu détromper M. Clerielier,
commencement y ay récù ccttc fémaine , dit M. Defcartes au P. Merfenne , 3 des
tour le têms j '/ ,1^ ' » r^^7 • , • »
quelques fois lettre S d îŒ Docteur que je n ay jarn,tts vu , m connu ^ qui me re-
un morceau mercie de ce que je fay fait Profcjfèur en Médecine dans une
pti dai eurs rjj^i^^yC^^ ^^ ilv^cut lamais o[é prétendre fans moy. Ce qui luy
ou même «we J ^ ^ J /., ■ i- • -^ i ^t r i
lettre sntiére cjt amve^ farce qu ayant enjeigne en particulier quelque cbojc de
de fuj/ei tout ^^ philofophie à des Etudians de ce lieu-là , ils y ont pris un tel
dînèrent Je , ,.',•' • / / , ^ • /7 ; / ; -^ r rr /^
trouve inférée gout qu US ont prie Le Mdfiijtrat de leur donner ce Profejjeur. Ce
dans le milieu Dodcur inconnu n'eft autre que M. Régius 3 & Terreur
treTZement S^i ^ fait glilFcr fon nom à. la place de celuy de M. Reneri,
y tnuve 1-on ne peut être venue que de la liberté que M. Clerfélier a
les dettes ; é- ^^-^{q d'achcvcr le mot que M, Defcartes n'avoit exprimé
les noms pro- ', ^ ■ i in» 'v i •
près des Per- dans u miiuîte que par la capitale K., n ayant pu obtenir
fonnes & des ^q M. dc Roberval l'original de la lettre tombé -entre fes
ven't ^ ^preppie Hiains aprés la mort du p. Merfenne. 4- L'inflexibilité de M,
fupprimez par de Robcrval à donné liju encore à quelques défbrdres '.^ans
'"■"^'..f !/ r!' l'édition de ces lettres : mais le Public aura bien-tôt la fi-
n a pas donne _ _
peu d'exercice tisfadion d'y voir toutes chofes redinees dans un nouvelle
àihfjiontn de ^(^^^^ qu'on luy cn prépare.
ClIAF,
Livre V. Chapitre. IL ii
ai-
1^3?.
CHAPITRE II.
2^. I^efcartes fait un ahe^é de Médecine , ^ s' apercevant qu'il
vieillijjoit il fon^e aux moyens de confcrver fa famé. Succès de
jVf". René ri dans la frofeljîon de la philofophie. Prudence avec
laquelle il enfcigne la Méthode de M. De [cartes. Il cfl foulage
dans fes exercices ^ Remploie le temps de fon repos à. méditer fur
la Géométrie de M. Tiefcartes & fur fa Phyfîque .DuLivre de la
Vérité, traduit en Fram^ois. Jugement qu'en fait M. Defcartes.
Amitié étroite de M. Bannius ^ de M. Bloemaert Prêtres
Catholiques de Hollande avec M. De fartes. Leur éloge ^ leur
défenfe. Ju^ment de la Mufque de M. Banniits.
MR Defcârtes n*eut aucune violence à fe faire pour
donner à M. Regius la fatisfadion qu'il fouhaicoic de
luy/ur tout en ce qui concernoic la Médecine. Outre qu'il
comprit l'importance qu'il y avoit de ménager fagement le
zélé d'un nouveau Dilciple fî bien intentionné , il fe trou-
voit adueliement appliqué à des études de Médecine lorf-
qu'il reçeut fa première lettre. C'eft ce que nous pouvons
juger par la manière dont il en écrivit à Monfî-eur de Zuyt-
lichem qui avoit eu la curiofité de fçavoir ce qu'il faifbit
pour lors. i»Je veus fàtisfaire, luy dit-il, au dernier point de
vôtre lettre, en vous difant à quoi je m'occupe. Je n'ay ja- " desLctt. p
mais eu tant de foin de me confèrver que mainte aant : & au "374.
I- . r ■ c ■ I AA« Voyez aul-
lieu que je peniois autrsrois que la mort ne me put ater niapag.
c]ue trente ou quarante ans tout au plus, elle ne fçauroitdé- '-^9- du t:
formais me furprendre qu'elle ne m'ôte l'efperance de plus Jérnoi^nc'
d'un fîecle. Car il me femble voir tres-évidemment que fi " erpcrc^dc
nous nous gardions feulement de certaines fautes que nous
avons coutume de commettre au régime de nôtre vie ,
nous pourrions fans autre invention parvenir à une vieil-
lefle beaucoup plus longue & plus heureufe que nous ne
faifbns. Mais parce que j'ay befoinde beaucoup de temps &
d'expériences pour examiner tout ce qui fert à ce fujet , je
travaille maintenant à compolér un Abrégé de Médecine que
je cire en partie des livres , ôc en partie de mes raifonne-
B * ij mens.
i^ Tom. t."
vivre cnco-
« rc plus dî
. trente ans.
3>
M
Pag. 5 ^7.
>»
î»
Son Traité »
de Phyli- „
li La Vie de M. Descartes.
^3 ^« " mens. J'efpere pouvoir me fervir par provifîoii de ce travail
" '" pour obtenir quelque delay delà Nature , & par ce moien
pouriùivre mieux mon delFein dans la fuite dés temps. Il
fèmble qu'il en avoir fait le fiijet principal de les Méditations
depuis qu'il s'étoit vu débaraiîe de la diilribution de Ion
Livre,& qu'il s'étoit retiré à Egmond. La néceffité facheuie
où il s'étoit trouvé depuis, de répondre à une lé:;ende acca-
blante d'Objeâiions & de Problèmes luy avoir encore mieux
lu^i.^tom. " ^^^^ fentir Futilité de ce travail. Les poils blancs qui commen-
'des Lcta. " cent à me venir , dit-il dans une lettre de la même année au
nfême M. de Zuytlichern ^ nf avertiflent que je ne dois plus
étudiQT en Phyllqueàautre choie qu'aux moyens de les re-
tarder. C'eil maintenant a quoi je m'occupe, & je tâche de
fiTppléer par indiiftrie au défaut djs expériences qui me man-
quent. En quoi j'ay tellement beftiin de tout mon temps,que
" j'ay pris refblution de l'y employer tout entier , & que j'ay
" même relégué mon Monde bien loin d'icy , afin de n'être
'' point tenté d^y mettre la dernière main.
Depuis Péredion du Collège d'Utrecht en Univerfîté, M.
Reneri s'étoit trouvé comme accablé ibas le poids de la
ProfelTion, tant à caufè de la multitude de fes EcoHers, que
de la îon2;ueur de lès exercices. Les Magiftrats voyoientavec
. plaifir les granc^s iliccés de là manière d'enieigner, qui iVé-
ri au p. Mer- toit autrc quc la Méthode de M. Delcartes, mais débitée
încdesVc/tn ^^^^ "^^ difcrétion merveilleule. Rien n'étoit plus propre
adieilaccP. pour acqucrir la réputation qui étoit ncceflaire à une Uni-
verfîté nailîante : de Von peut dire qu'elle commenc^oit déjà
à efFacer la gloire des autres Umveriîtez des Provinces,
Onics par cette noble liberté de philafopher, & de rejetter
les erreurs de la Philoibphie vulgaire , pour faire place à
quelque chofe de plus folide. Mais ils jugèrent fagemenc
qu'il étoit de Fintcrêt de l'UniverlIté de conlèrver long-
temps cet incomparable ProfelTeur , dont la lanté ne Ce trou-
îbidcm. voit déjà que trop altérée par les fatigues d'un employ fî
onéreux. Car il faifoit fix leçons publiques par femaine , ôc
douze particulières dans la chambre devant & après là clalîe :
de forte qu'il ne luy reftoit pour fes études que le temps qu'il
dev.'^it à fon repos. C'eft ce qui l'avoir porté à renoncer au
commerce des lettres 5c des nouyellcs ^ êc à prendre congé de
Icttr. Lat
MS. fie René
Livre V. Chapitre II. 13
la plupart de les amis , s'étant réduit à l'unique M. Defcar- i <> 3 ^•
tes qu'il ne croioit pas moins neceflàirc à fon ame, que Ton ~"
ame i'ctoit à ihn corps. LcsMagi/lrats /c crurent donc obli-
gez de le ibulager, ôcils re.iuifîrent fès obligations à quatre
U^çons par ièmames, en le conjurant de ménager fès forces
avec plus d'indulgence qu'auparavant,^ &: de retrancher au-
tant qu'il pourroit de léchons particulières de û chambre.
La mauvaifè fànte de M. Renerine lay permit pas dere-
fufer ces agréracns j & dés que la bonté des Magiftrats l'eut
rnis en état de refpirer plus à ion aijfè, il fèfervit de cet avan-
tage pour renouer Ces anciennes habitudes avec les S(^avans
de fa forte. Il écrivit au P. Merfenne pour le prier de le fé-
conder en commençant par luy même & par M.GafTendi,
dont il efpéroitque ramitié ne fèroit point rompuë,quoique
leur commerce eut foufFert une longue interruption. Il fê
contenta néanmoins pour cette fois d'avertir ces deux an^
.ciens amis qu'il étoit encore au monde, àc il leur demanda
quartier pour tiois mois avant que de reprendre fà coutume
de leur écrire & de leur répondre, parce qu'il étoit aélueL
jement fur la Géométrie de M. Delcartes,à Tétude de la-
,quelle il ficrifîoit ces trois mois. Il ne laiflà pas d'informer
par avance le P. Merfenne de ce qui faifbit alors la matière
de fes occupations particulières après celles de fa clafîe.
Les momens que la Géométrie de M. Defcartes luy laifToit
jde relie étoient emploiez à l'Optique de à diverfès obferva-
tions qu'il failbitfur les plantes & les animaux , au fujet defl
quels il examinoit ce qu'on avoit ignore avant luy, & ce que
les Anciens n'avoient pu découvrir faute de Microfcope.Mais
le principal objet de fès Méditations , fi nous l'en croions
étoit Tefprit de M. Defcartes qu'il obfèrvoit jour & nuit en
fon abfence, en fa prefence , dans fès livres, dans fès conver-
fations,qui étoient devenues moins fréquentes depuis que l'un
étoit à Utrecht, ôcTautre à Egmond. Il y avoit prés de dix
ans qu'il l'avoit clioifi pour ion Guide dans la Recherche de '^ '^ ""'* ^"^'
la Vérité i & il ne reconnoifToit point d'autre Etoile qui pût 7eZfh,}em-
luy faire découvrir la vraye fcience. En un mot deDifciple /"!" De»s,èic,
fîdelle & affidu, il étoit devenu fon Adorateur 2c fon Secla- ^^^'^'
Xexxr perpétuel.
iyi. de Zuyclichçm qui faifoitprofeirion d'aimer les amis
B * lij dg.
Tcttr. cTe M.
Rcneri au ?.
McU",
1639.
Ibid. tom, j.
<Ies Lettres à
Jylcxfcnn.
Tom. 1. des
Lettr, de Dcf.
M. Rencfi ^
étoit mort
durant le *
Carême de »
ccttcannce.
Pag. 17 g.
tom. z.
t»
t>
M
Son abrégé „
<lc Médeci-
ne pour le- **
«quel il a- »
■voit eu be-
foin de Li-
vres ctolt •*
achevé dés
l'année
précédente . »»
14 La Vie de M. DEscARtEs.
de M. De/car tes, &: qui eftimoit M. Reneri très particulière.^
ment,fe trouvant à. Utrechtpour les afïaires du ^Prince d'O:-
range & du Brabant HollanJois luy avoit appris que ce Pè-
re venoit d'imprimer un excellent Livre fous le titre de la
Vérité. Je ne içai s'il avoit voulu luy donner à entendre fon
Livre de la T^eritè des Sciences^oii ce Père tâchoit de réfuter
les opmions des Sceptiques ou Pyrrhoniens, Quoi qu'il eil
ibit,il prit la mêmeoccafîon en luy recommandant un de Ces
Ecoliers qui alloit à Paris, pour le prier de faire envoier des
exemplaires de ion Livre de la T^erité , aux Libraires de Hol-
lande, afin qu'il piit s'en pourvoir & qu'il eût la fatisfaclion
' de le lire. Dans le même temps le P. Merfenne envoia à M.
Defcartes un Livre écrit en François portant le même titre
de la Vérité ^ fans que nous puiflions juger fi c'étoit le livre
que M. de Zuytîichem avoit indiqué à M. Reneri. Ce qui
nous détourne de le croire effc la réponfè que fît M. Defcar-
tes au P. Merfenne avant que de l'avoir reçeu , en luy mar-
quant qu'il avoit lu ce Livre en Latin il y avoit plus d'un an,^
qu* il en avoit écrit fon jugement pour lors à JW.HeJdin{onE{'dmg)
qui le luy avoit envoyé. Ces termes ne font pas propres à nous
faire comprendre que ce Livre fût de la conîpofîtion du P,
Merfenne. Il nous éloigne encore d'avantage de cette pen-
fée par la manière dont il répondit au même Père l'année
fuivante après l'avoir reçeu. »J'ay enfin reçeu,dit-il, les deux
exemplaires du Livre de p^eritate que vous m' SLvez fait la fa-
veur de m'envoier. J'en donnerai un à M. Bannius en vôtre
nom à la première commodité , parce que c'a été ce mefèm^
ble vôtre intention. Je n'ay maintenant aucun loiiîr de le
lire. C'efl pourquoi je ne puis vous en dire autre chofe fînon
que lorfque je l'ay vu cy-devant en Latin , je trouvay au
commencement plulîeurs chofes que je jugeois fort bonnes,
& où l'Auteur témoigne fçavoir'plus de Métaphyfique que
le commun. Mais parce qu'il me fèmbloit enfuite qu'il mc-
loit la Religion avec la Philofophie , ce qui eft entièrement
contre mon fens , je ne le lus pas jufqu'à la fin : & ce fut tout
ce que j'en écrivis à M. Ef:liag qui me l'avoit envoie, J'ay
dellèin de le relire dés que j'auray le loifir de voir quelques
Livres , je liray auiTi le Pnilolaiis ( touchant le mouvement de
la Terre) de M. Bouillaud en ce tcmps-là: mais maintenant
j'étudie fans aucun Livre. On
Livre V. Chapitre IL 15
On pourroit conjecflurcr qu'il n'auroit été queflion que d'u- ^ ^ 3 ^•
ne Traduction Françoifè du Livre Latin de la Vérité compofé ^"3 9-
par le Baron Herbert de Cherbury , qui faifbit alors du bruit ~"
parmi le Monde fçavant. Le jugement que M. Defcartes en
avoit fait d'abord s'étoit trouvé adez conforme avec celuy
à.Qs habiles Gens de Paris,quoiqu'il iè fût donné moins de li-
berté qu'eux pour le déclarer. Sur ce que le P. Merfènne lui
récrivit quelque temps après, il luy répondit qu'il avoit bien
remarqué que M. Herbert prenoit beaucoup de chofèspour ** ^^g-'^^- ^^^
éQs Notions communes qui ne 1 etoient point : étant certain Letc.
qu'on ne devoit recevoir pour N otion,que jce qui ne peut être **
nié de perfbnne. "
Quoiqu'il en fbit, ilparoit que le Père Merfènne fè mêloit
de la diftnbution de ce Livre tra luit en François , comme un
homme qui auroïc eu part du moins àfbnédition • &M.Def.
cartes ne manqua point de s'acquiter de la commiflion que
ce Père luy avoit connée d'en faire tenir un exemplaire à M.
Bannius leur amy commun. C'étoit le CiQwr: Jean Albert Ban-
tiiris Prêtre de l'Eglife Cathohque en Hollande , demeurant à,
Harlem, oùM.Defc. avait encore un autre ami intime nômc
Augujiin Alfienitis Bloemaert ou. Bloumart^ qui étoit auilî Ca-
tholique & Prêtre de la même Egliiè ,tres riche de fon patri- ^°îous dlV*
moine,& de plus fbn correfpondant pour les lettres oc les pac- i cttr. de m.
quets qu'on luy adrelToitJls étoient tous deux Mathemati- ^^^'^'
ciens, amateurs de la paix & des fciences , vertueux Se menant ^^g- 381- <Ju
une vie frugale & exemplaire au milieudes Proteftans , dont y. micLmr
ils s'étoient prefque généralement acquis l'eftime & TafFe- Mff. de Ban-*
dion. M. Defcartes quittoit de temps entemps la iblitude "ïusàBofwei
d'Egmond pour les aller voir : &: comme ils n'étoient guéres Mcrfenncau
plusgrands beuveurs ni plusgrandsjoueursquelui,lac[ébau- 3 tom. des
che ordinaire qu'ils faifoient enfemble étoit quelque concert ]^^"r\^^^' ^
de Mulîque dont M. Bannius avoit coutume de les régaler.
Je ne puis faire une peinture plus (impie ôc plus fidelle de
ces deux excellents honmes qu'en rapportant une) lettre de
recommandation que M. Defcartes écrivit, quelque-temps
après en leur faveur à M.deZ-uytlichem Confeiller ôc Secre- 7°"^' '* ^"
rtaire du Prince d Orange. isi & Cuw
Si vous n'aviez jamais dit aucun bien de moy, je n'aurois «, *ii entend
peut-être jamais eu de familiarité avec aucun Prêtre de ces ^'"^'Jifci-
f- '' ' . " non de f
«quartiers
" tiou de ziu
lé La Vie de M. Descarte ^.
1638. quartiers. Car je n'en ay qu'avec deux, donc l'un cftM.Ban-
^"39- niiis, de qui j'ay acquis la connoiiTance par l'eilime qu'il vous
tains Mif. avoit oui Elire du petit Traité de Murique qui eft autrefois
fioiinaires " échappé de mes mains. L'autre ed fou intime amy M. Bloe-
ctourdis n macrt que j'ay auffi connu par la même occafion. Ce que je
îcsaifaiics * n ecHs pas adelieinde vois en faire des reproches. Au con--
dc3 Citho- » traire je les ay trouvé il braves-gens , il vertueux , & (1 exemts
Hoibnde " ^^^ qualitez pour lefquclles j'ay coutume d'éviter en ce pais
par leur ** la fréquentation de ceux de leur robe, ^ que je conte leur
Ignorance , » connoifîlmce entre les obhî^ations que je vous ay. Mais je fuis
doicnt !e ** bien aiie a avoir ce prétexte pour excuier un peu i importu--
Pape o- «• nitéde la prière que j'ay à vous faire en leur faveur. Ils defi-
kur mau- " ^^^'^^ ^^^^ 2;race de fon Altefle , & ils croient la pouvoir ob-
vaife cou- « tenir de fa clémence par vôtre interceiîîon. Je ne fçay point
^"'n!. ** le particulier de leur afEiire: mais fi vous permettez à M.
d'Orange '* Bloemaert de vous en entretenir,je m allure qu il vous 1 expo-
êtoit traite' f» f^ra dc telle ibrte que vous ne trouverez rien d'incivil dans
Je ,^J5 pçy » fà Requête, & que vous ne remarquerez pas moins de pru-
par le moié »' dciicc & dc railou dans fès difcours , qu'il y a d'art ôc de beau-
^V^'^^"^" ** té dans les airs que compofefon Amy.
baliadcur t i- ri • • • l ■ rr r '
de France, " Jc' Qiray ieulement icy, que je crois les avoir allez rre-
Hcrc. Ba- » quentez,pour connoître qu'ils ne font pas de ces personnes
cLrnafle, ** fimplcs qui fe perfliadent qu'on ne peut être bon Catholi-
P^ »» que , qu'en favorifant le party du Roy, qu'on nomme Catho-
gnoisenne-" Hque 3 ny de ces feditieux qui le perfuadent aux fimples.
mis des M Ils font troD dans le bon fens , & dans les maximes de la
^Qis^"^' " bonne Morale, pour tomber dans des excès de cette nature,
" A quoy j'ajoute, qu'ils font icy trop accommodez , & trop
» à leur aile dans la médiocrité de leur condition Ecclefiafti-
>» que, & qu'ils chériflent trop leur liberté pour n'être pas
" bien affectionnez à l'état dans lequel ils vivent. Si l'on pré-
»> tendoit leur faire un crime d'être Papilles, je veux dire de
« recevoir leur Million du Pape , & de le reconnoîtrc de la
»» même manière que font les Catholiques de France ,v& de
« tous les autres Pais où il y en a, fjns que cela donne de la
" jaloufie a,ux Souverains q.ù y commandent: c'eft un crime fi.
» commun , & fi efîentiel à ceux de leur Profedîon , que je
» ne me icaurois perfuader qu'on voulût le punir à la rigueur
w dans cous ceux q^ui en font coupables. Et fi quel'ques-un5;
peuvent
^7
ce
«
Livre V. Chapitre ÎI,
peuvent en être exceptez, je fuis perfiiadé qu'il n'y en a " ^ ^3 <^-
point qui le méritent mieux que ces deux MelTieurs, ny pour " i ^ 3 9-
qui vous pjiiîicz vous employer plus utilement auprès de ;;
(on AltciTe. J'ofe dire môme , que ce feroit un grand bien
pour le Pais , que tous ceux de leur profe/Iîon leur relFem-
blaflent. Vous trouverez peut-être étrancrc que je vous
écrive en ces termes de cette affaire, principalement il vous
içavez que je le fais de mon mouvement, flms qu'ils m'en
ayent requis. Je ne doute point d'ailleurs qu'ils n'ayent plu-
sieurs autres Amis, dont ils pourroient cr£>ire que les prières
auroient plus de force envers vous que les miennes : & je
fçay que l'un d'eux vous efl très connu par luy-inême. Mais
pour ne vous rien diliîmuler , je vous avoucray , qu'outre
l'eftime tres-particuliere que je fais d'eux , & le defîr que
j'ay de les fèrvir , je conlîdcre aufîî mon propre inte'rêt en
cette occafion. Car il y a en France, entre mes Faifeurs
d'Objedions, des gens qui me reprochent la demeure de ce
Pais, à cauiè que Téxercice de ma Religion n'y eft pas li-
bre. Ils prétendent même que je ne fuis point (î excufibîe
que ceux qui portent les armes pour la défenlè de cet Etat,
parce que les intérêts en font joints à ceux de la France, $c
.que je pourrois fiire par tout ailleurs la même cliofe que je
fais icy. A quov je n'ay rien de meilleur cà répondre , fînon
qu^ayant icy la libre fréquentation & l'anlitié de quelques
Eccléfiafliques , je ne fèns point que ma confcience y fbit
contrainte. Mais fi ces Ecclélîafliques étoient eflimez cou-
pables, je n'efpére pas en trouver d'autres plus iiinocens en
ce Païs, ny dont la fréquentation foit plus permife à un
homme qui aime fî pafîionnément le repos , qu'il veut éviter
même les ombres de tout ce qui pourroit le troubler. «
M. Bannius excelloit dans la pratique de la Mufique, où Tom.j.cîcs'
il étoit fort fcavant au iusrement de M. Defairtes. Pour la ^^"'^"-
Théorie, peut-être fè laifîoit-il égaler ou vaincre même ^'
par le Père Meriènne , avec lequel il entretenoit une étroite
amitié, que M. Dcfcartes & M. de Zuytlichem avoientliée.
Ils s'entre-communiquoient leurs lumiéres,&: ils s'envoyoient ^^'f« jubente
leurs écrits fur la parole de M. Defcaftes,qui étoit la eau- c/^ZT." ^'~
tion mutuelle de l'un à l'autre , & qui étoit ordinairement J.Aib. Bann.
chargé de revoir ieujrs pièces. 11 leur donnoit tantôt des no- ^ "^ch:^-
C *• tes Apnl.
M
Ci
i8 La Vie de M. Descailtes.
^ " 3 ^- tes ou des corredions , & tantôt de nouveaux defleins. Mais
I " 3 9- cela regardoit plus particulièrement M. Bannius, à caufe de
I ~ la commodité du voifînaee qui leur procuroit de fréquentes
Sur tout de- -, (P 1 o 1 , •• /
puis Janvier confcrenccs. Mais au reite toutes les vertus ce toute 1 amitie
jufqu'cn De Je M. Bannius n'étoient pas capables d'aveugler M. Defl
ccm rc i6iS. ^^j.j.ç^ ^ julqu'au point de luy ôter le jugement lorfqu'il s'a-
giiîbit de mefurer l'eftime qu'il falloit faire de fbn habileté
dans cette /cience. C'eft ce qui paroît par la manière dont
Pag. 171. il en écrivit plus d'un an après au P. Merfcmie qui luy en
X. desTct- avoit demandé fbn fentiment. »» Pour la Mufique de M. Ban-
trcs. " nius, dit-il, je crois qu'elle diffère de l'air de Boflet, comme
" la Chric d'un Ecolier qui a voulu pratiquer toutes les règles
■ de /à Rhétorique diffère d'une Oraiibn de Ciceron où il efl
" malaife de les reconnoître. Je luy en ay dit la même chofe,
^' Se je fuis perfuadé qu'il le reconnoît maintenant. Mais cela
" n'empêche pas qu'il ne ibit trés-bon Muficien , & d'ailleurs
*' fort honnête homme , & mon bon Amy -, ny auiîî que les
• Règles ne fbient bonnes aulîi-bien en Mufique qu'en Rhé-
** torique. Ce n'étoit pas l'ignorance de cette fcience , mais la
contrainte , &; la trop grande attache à fes Régies qu'il re-
marquoit dans les comportions de M. Bannius.
CHAPITRE III.
Mort de M. Reneri Profeffeur à 'Vlrecht le frèhnicr des Se&a^
ieurs de M. Defcartes , qui ait cnfeigné fes Principes publique-
ment. Panégyrique de M. Defcartes fait par ordre des Ma-
Qiprats dans l' Oraifon funèbre que M. EmilitM prononça à l'hon-
neur de M. Reneri. M. Rcgius devient le premier des Difci-
pies de M. Defcartes. Amitié de M. Emilius avec M. Def-
cartes. Modcflie de M. Defcartes quand il s'agu de fouffrir ou
de rejetter les louanges. On augmente les appointemens de M".
Régi us , qui efi fait Prof ejfcitr extraordinaire des Problèmes ^ ^
des nouveautex^ de Phyjique , d^c.
IL ne plût point à Dieu de laiffer lo«g-tems à M. Def-
cartes le double plaifir de voir enfeigner pubhquemenc
ies Principes dans les Ecoles de Philofbphie ôcde Médecine
L I V. V. Chapitre III. 19
^ Ucrecht, par les deux plus habiles Profeifeurs de l'Uaiver- 1639.
iîté. Il femble que la Providence n'avoit attendu qu'après —
rafFermifTement qui ëtoit nécelîaire au nouvel ëtabliirement
&c à la réputation de M. Regius , pour ôter M. Reneri du
pofte qu'elle luy avoit fait occuper. A peine M. Regius pou-
voit-il fe vanter de n'avoir plus befbin de luy, qu'Ellele re-
tira de ce monde d'une manière à nous faire comprendre
que les jugemens de Dieu ne nous font pas moins impéné-
ti-ables que fcs defleins.
M. Reneri avoit beaucoup dimmué , pour ne pas dire
entièrement ruiné ià fanté par fes longues veilles en un
temps où l'âge d'homme a coutume de fè montrer dans là
plus grande vigueur. Il n'avoit guéres plus de quarante-
cinq ans lors qu'il tomba dans des infirmitez qui le condui-
firent à la mort par une longue Se cruelle maladie. Tant
qu'il avoit pu jouir d'une iànté parfaite , il étoit demeu-
ré renfermé dans l'état du célibat , pour être plus li-
bre dans fes études : & l'amour de la Philofophie avoit tenu
en luy les autres paiTions alToûpies & mortifiées. Mviis ennuyé Ant. ^Emiiii
des longueurs d'une fièvre maligne qui le tint pendant l'eC Orat.;.
pace de plus de fix mois, il s'étoit laifTé aller aux perfuaiions
de ceux qui luy firent accroire qu'un mariage pourroit non
ieulement le rétablir dans la première fànté ; mais encore le
décharger des foins particuliers de fa, perfonne, dont une
compagne fidelle fe chargeroit avec affedion. Il avoit diC
pofé fes affaires pour être terminées durant les vacances de
Mars de l'an 1639. & le jour de la célébration de fes no-
ces qui fut le 15. ou 16. de ce mois s'étantmis à table avec
les conviez,il fut furpris de fon mal ordinaire avec une ohftruc-
tion d'hypocondres , qui l'obligea de fe faire porter fur le lie, Ant. iEmy.
où il mourut quelques heures après entre les bras du fieur °"'" ^" .
Bernard Bulfcbovius fon amy , qui l'adifta & l'entretint de Epi^°' ^^^-
ij 1 r -^ , ^ f^, n > /- \ fend. tom. VX*
1 autre Vie dans cette extrémité. C elt ce qu on a fçeu a «^a. ji.
Paris de la bouche du fîeur Bornius qui venoit d'achever
fon cours de Philofophie fous luy , quoyque nous ne trou-
vions rien de cette funefte circonilance dans les relations
des autres.
Cet accident fit perdre à la Sede des Cartéfiens fon pre-
mier Dodeur, & à rUniveriîtè d'Utrecht le premier de fès
C ij Profefleurs.
20 La Vie de M. Descartes.
,/■ , ProfjiTeurs depuis fon éreclion. Ceile-cy l'avoic confidëré
• comme ion principal aopuy , &: Ion plus bel ornement : &
elle fit voir combien ià perte luy ctoit fenfibie , & combien
elle croyoit luy être redevable par la magnificence &Pëclat
des derniers devoirs qu'elle luy rendit. On luy fît dans la
grande Egliie de la Ville deiplendides fanéraiiles^aufquelles
le Sénat ouïes MagiflratsalFiiliérent en corps avec TUniver-
Le 18. joui lîté environnée d'une grande multitude de peuple. Le lende-
dsMars. niaui Ton fè rafîembla pour entendre l'Oraifbn funèbre du
défunt. Elle fut prononcée au nom de l'Univerfîté par le
ileiir Antoine Emilius , ProfciEcur en éloquence & en hi£
roire. Oa admira la beauté du dilcours ^ ôc on fjt touché
des réflexions de TOrateur. Mais on s'apper(^eut bien-tôt
que ce n'étoit pas moins le Panégyrique de M. Dcfcartes
vivant, que l'Oraifbn funèbre de feu M. Reneri. La principa-
le loiiange que M. Emilias avoltà donner à l'iUuftre défunt,
étoitd'avoir eu aflez de courage pour fe défaire de l'autorité
des Anciens 6c des Modernes qui i'avoient précédé , afin de
rentrer dans la liberté que Dieu a donnée à nôtre raifbn pour
fe conduire dans la recherche de la Vérité , qui eft la feule
MaîtrefTe dont nous foyons obligez de nous rendre Secta-
teurs. C'étoit une réfolution véritablement héroïque qn
ne pouvoir convenir qu'à des efprits du premier ordre. Mais
il falioic que M. Defcartes qui la luy avoit infpirée comme
à quelques autres perfonnes qui s'étoient attachées à luy des
le commencement de fa retraite en Hollande, fut le Direc^
.ç.îo;. 114. & teur de cette entreprife. M. Emilius fît valoir avec beau-
à'E.mil° coup d'éloquence les grands progrés que M. Reneri avoir
faits dans la connoiïlance de la Nature fous un Chef de cette
qualité. Il rehauiîci de couleurs fort vives l'honneur àc l'a-
vantage que la Ville & l'Univerfîté avoient reçue de la difZ
pofition 011 s'étoit trouvé M. Reneri de pouvoir y enfèigner
lesprincipes delà véritable Philofophie, qu'il prétendoit être
demeurée inconnue au genre humain jufqu'à M. Defcartes,
L'Auditoire en parut perfuadé, 6c les Ma2;iflrats après avoir
deRco.usà honore ce dilcours de leur approbation, ordonnèrent qu il
Defcartes. feroit imprimé 6c publiquement diilribué fous leur autorité,
tant pour honorer b mémoire de leur ProfefTeur , que pour
donner des marques éclatantes de la reconnoiflance qu'ils
avoient
Livre V. Chapitre IIÏ.
IT
a-voient du fervice important que leur avoit rendu M. DcC i ^3 9>
cartes en formant un tel Difciple. —
Tout cela fe palFa fans la participation de M. Defcartes,
qui n'apprit la mort de M. Renen que par une lettre que
M.Rcgiusluy en écrivit le lendemain. Il parut même qu'il
n'en re<^ût la nouvelle que plufieurs jours après, lorfque M.
Retins s'étant douté que la lettre c.'avis avoit été perdue, luy
.récrivit le xvii. de May 1(139. Il luy manda de nouveau une Lettr. 3. Mf.
partie de ce qui le regardoit dans Poraifbn de Monfîeur rfcRegiusà
Bmilius. Il luy demanda en même tems lapermiiTion de l'ai- ^^^"^^^'''
1er voir à Egmond aux Fêtes de la Pentecôte pour l'informer
ide ce qui s'étoit pallé , èc pour le faire inflruire de diverfes '-
i:hofes dont il avoit belbin. Enfin il le conjura de vouloir luy
donner auprès de luy la place de feu M. Reneri , ajoutant que
^'il la luy accordoit, ils'efiimeroit aufjîhcumix que s'il éioic élevé
jufquau troiféme Ciel.
Il eft certain qu'après M. Reneri , pcrfbnne ne pouvoit
^lors fe vanter de mériter mieux que M. Regius la qualité
(de premier Difciple de M. Defcartes. Il avoit du côté de TeC
|)rit les talens les plus propres à ioutenir ce rang avec la di-
gnité & la fuffifance nécefîaireXa profeffion qu'il faifoit de la
Médecine avec la Phyfique luy donnoit encore une commo-
dité pour cela,&: un avantage quen'avoient pas les autres Car-
téfiens de Hollande &; de France qui n'en/èignoient pas pu-
bliquement, & qui n'étoient Philolbphes que pour eux-mê-
mes. Mais il auroit été à foiihaiter pour fà réputation parti-
culière que M. Reneri en luy apprenant la Méthode &; les
Principes de M. Defcartes ent {ç^m luy mipirer en même
tems là modeftie &: fa prudence : ou qu'il luy eût au moins
donné quelque remède pour le guérir de la préfomption qui
penfa le perdre dans la mite, lorsqu'il voulut eflaïer de mar-
cher feul , & quitter fon Maître de vue.
Il y avoit iong-tems que M. Emilius cherchoit à s'intro-
duire dans la connoiflànce & la familiarité de M. Defcartes.
Les habitudes qu'il avoit eues autrefois avec M. BeecKman Lettr. Mf.
Principal du Collège de Dort lui avoient découvert une ^'Emii. à
partie de fon mérite , & cet homme lui avoit infpiré une fx^"parmy
vénération profonde pour lui. Depuis la mort de M.BeecK- «ii« de
pan ^ s'étant hé très étroitement avec M. Reneri qu'il confi- ^'S'"''
dérojc
22 La Vie d e M. D e s c A r f E s.
1 639. dcroit non feulement comme fon Collègue , mais encore com-
" me fon Compatriote à caufè du païsde Liège qui leur avoit
donné la nailîance , il fèntit augmenter extraordinairement
la palfion qu'il avoit conçue à Dort pour fon efprit. La
ieuJe conver/àtion de M. Reneri l'avoit rendu fèdateur de
fès opmions & fèrviteur de fa perfbnne , jufqu'à ce que fa
lecture des ouvra-r^es même de M. Defcartes acheva de faire
cette conquête pour la feélc de la nouvelle Philofophie. A
la mort de cet intime ami , il s'étoit trouvé d'autant plus lio-
V. les Lettr. noré de la commiiîîon qu'il avoit reçue d'en faire l'oraifon
d-^Em^u t f^^nébre qu'on avoit mieux fécondé fon inclination fans qu'il
Defcart. €Ût été obligé de la faire paroître , & fans fè rendre par con-
féquent fufped de flaterie. Mais il benit fur tout la Provi-
dence, lors que le premier Magiftrat de la Ville luy envoya
Les termes de ordre cxprés de faire les éloges de M. Tkfcartes^ delà nouvelle
i'»mue Ar-^ phtlofophie d^ns l'Oraifon funèbre de M. Reneri. Ce qu'il
tre fiécit , de confidcra comme une raveur du Ciel , qu 11 n auroit jamais
V unique Atlas ofë cfpérer quand il auroiteu la penlée de la fblliciter. Il
tlnfident'dé la n'abufà point d'une occafion fi favorable que Dieu luy pré-
Nature , de fentoit pout fè produire à M. Defcartes , dont on peut dire
luif'T'vIi'irê ^^^'^^ mérita Tamitiè en s'acquittant fimplement d'une obli-
(^ de Dédale', gation qui luy étoit devenue indïfpenfable par la nèceffitè
& piuficurs d'obéir à fes Maîtres légitimes. Auffi n'eût-il pas plutôt
fionTfigu-^ " prononcé TOraifon funèbre que non content de luy en faire
técs . dont il donner avis par M. Regius , il luy en envoya une copie ma-
dans fon k nufcrite , avcc des lettres pleines de refpect & d'eftime ,
tin, ne luy fous prétexte que ce difcours le regardant perfbnnelle-
font venues ment , & qu'âyant reçu ordre du Magiftrat de le donner
de « qu'ir"^ à l'Imprimeur de l'Uni verfî té pour le rendre public , il
Touloif duc. étoit à propos qu'il vît ce qu'il y avoit à changer avant l'im-
preffion. La modeftie de M. Defcartes eût quelque chofè à
foufïl-ir à la ledure de tant d'éloges. Mais ne luy apparte-
nant pas de trouver à redire au jugement, & à la conduite
du premier Magiftrat de la Seigneurie d'Utrecht, qui l'a-
voit ainfî ordonné, il ne crût pas devoir y toucher. Il fè
contenta de remercier fon Auteur , & de le recevoir au nom-
bre de fès amis.
Mais il fit connoître peu de jours après qull n'avoit fbuf-
fert tous ces éloges que parce qu'il n'avoit pas été en fon
pouvoir
Livre V. ChapitreIII. 23
pouvoir de les fiipprimer. Car M.Emilius luy ayant envové i Cy 9.
avec un peu trop de confiance des vers qu'il avoir laits fur •
le mcme iujct pour les voir , ôc les luy ayant enfuite re.îc-
mandez parce qu'il n'en avoir point retenu de copie, £c qu'il
defiroit de les faire imprimer, M. Defcartes chercha un cx-
cufe pour ne les luy pas renvoyer: 6c il vengea le mieux qu'il
pût par cette luppreffion fà pudeur &; fà modeftie oiFenfée
dans l'Oraifon funèbre de M. Reneri. Ce n'étoit pas dit «Tom.j.dcc
M. Defcartes aux Magiftrats d'Utrecht, que les louanges «« ^"" P^S-
qui venoKnt a'une perlonne du mérite de M. Emihus duiîent «
luy déplaire. Mais fçachant qu'il feroit impo(îîble d'être »
loué un peu extraordinairement par ceux qui font très loua- „
blés eux-mêmes , que ceux qui prétendroient l'être , 6c ne •»
le feroient pas, ne s'en offençaiîent : il luy luffifbit de fça- „
voir la bonne opinion que M. Emiliusavoitdeluy , fans de- «
firer qu'il la publiât. «
La perte que M. Regius avoit faite en particulier d'un fî
excellent diredeur de fès études dans la mort de M. Rene-
ri , ne luy fit pourtant pas perdre entièrement le courage.
Après s'être afTûrè des bontez de M. Defcartes, il conti-
nua le deiTein qu'il avoit entrepris de renfermer dans des
proportions courtes tout ce qu'il croyoit fçavoir touchant
laPlivrioloeie. Il ètoitprefque fur la fin de cétouvrac^e lors , ,j
qu il en écrivit a M. Deicartes pour luy communiquer les 1^3^.
diiîîcultcz qu'il y trouvoit : ayant pris un chemin qui luy
paroifîbit nouveau , 6c qui pouvoit être dangereux à un hom-
me qui n'étoit pas encore allez expérimenté dans les voves
de la Nature. Il le pria par avance de prendre la peine de Lcttr. 5. de
le revoir quand il l'auroic achevé , & d'ufer de fon droit en ^"S- ^DcLc.
y réformant tout ce qu'il jugeroit avoir befbin de réforme.
Nous avons remarqué que dés la première année de fà
Profelîion pubhque il avoit été reçu au rang des Profefl
feurs ordinaires. Il n'y eut pas un de fi^s Collègues qui ne
témoignât en être fàtisfait , 6c qui ne reconnût même que
c'étoit une juflice que l'on rendoit à fbn mérite. Plulîeurs
pouffèrent la bien-veillance 6c l'honnêteté jufqu'à dire pu-
bliquement qu'il ne fufîîfoit pas d'augmenter les honneurs
de fà charge : mais qu'il en falloit augmenter aufîîles appoint
temens. M. Reneri vint à mourir fur ces entre£iites, M. Re-
eius
24 La Vie de m. Descar.tes.
16^9. S^'-^^ ^ voyant privé d'un excellent foîlicireLir en ù, perfonne'^
crut pouvoir fans honte fè charger d'un foin de fes propres
intérêts , & pourfuivre cette aftaire , pour ne pas rendre inu-.
tile toute la bonne volonté que fès Collègues luy témoi-
Narrat Hift. gnoient. Ils allemblérent leur Univerfité .- & fiir la propo-
^it'^^J^^' Rcion favorable du Rec1:eur Schotanus il futréfolu qu'on eri
°' ' feroit la demande aux Magiftrats. Le Redeur luy-même
fut député au Sénat pour cet effet, avec le fieur Arnold
Senguerdius Profefleur en Philofophie. Les Magift'-ats n'eu-
rent aucune peine à l'accorder, tant à caufe de la fàtisfac-
tion que M. Regius avoit donnée à tout le monde jufques-
là, que parce que le fleur Stratenus fon Ancien , qui avoit le
plus d'intérêt de s'y oppofer , & de demander cqs augmen-
Letrr. xr. Mf. tations de gages pour luy , étoit des premiers de des phis ar-
deReg.àûefc, dcns à foUiciter pour fbn nouveau Collègue, Amfi les ap-
pointemens de M. Regius quin'avoientété quede 4:001. Flo-
rins jufqu'à lors , furent rehaitfTez de la moitié : mais il ne'
commença que Tannée lliivante à toucher les 600. Florins.
Encore y attacha t'on un nouvel employ qui confiftoit à ex-
pliquer les Problêmes dePhyfique, lors qu'il ne fèroit pas
occupé de fa Botanique , c'eîl-à-dire, de l'explication des
Plantes 6c des Simples. Il fît part à M. Defcartes de la joye
qu'il avoit reçue de cette commifîion, parce qu'elle luy pré-
fentoit de nouvelles occafions d'enfeigner , de d'étendre fà'
nouvelle Philofophie. Il ne fiut pas di/îîmuler qu'il avoiC
adroitement brigué cet employ qui étoit de furérogation dans-
TUniverfité , & qu'il avoit été fervi dans fa pourfuite par
Voetius Profclîeur en Théologie, qui étoit encore alors dans
ies intérêts. Mais ce qu'il avoit envi(àgé comme un avan-
tage confidérable pour fiire valoir fès talens , & pour dé-
biter avec éclat toutes les opinions nouvelles de Phyfique Se
de Médecine , que les vieux Péripaticiens & Galéniftes ne*
fouffroient pas volontiers qu'on enfeignât dans les Ecoles
où ils régnoient, fut un prétexte enfuite au même Voetius
pour luy fufciter des affaires. Son peu de conduite fut caufe'
que l'embarras retomba fur M. Defcartes , & que l'affaire
dégénéra enfuite en un long 6c fci:cheux procez , qu'il fut
obligé de fbûtenir au préjudice de fa fblitude , 6c de la tran-
quillité de fa YiÇr
Chap,
Livre V. Chapitre IV, 25
1^39,
CHAPITRE IV.
'Mort âîi Mathématicien Hortenfus y avec une remarque de M.
Defcartes fur [on Horofcope. Mort <£ Elichynan^^ du Philo-
fophe Campaneik. Jugement que M. Defcartes f ai fait des écrits
^ de l'cfprit de ce dernier. Origine des troubles excitez^ dans
l^jy^niverfité d'Vîrecht , au fujet de la Philo fophie de M. Def-
cartes j par Gisbert Voctius. Hifioirede cet homme , fon portrait,
Jugemens des S^avans fur fon efprit , ^ [es écrits. Moyens
dont ilfé'fert pour attaquer la Philofophie de M. Defcartes. Ses
Théfes touchant l'Athéïfme,
MR Reneri ne fut pas le fèiil ^q^ Philosophes & des
Mathématiciens de la connoiflance de M. Defcartes
que la République des Lettres perdit la même année. S^
mort fut fuivie de celle de Hortenfius&d'Elichman enHoL
lande j & de Campanelle en France ; fans parler de celle dc-
Meurlîus Hollandois en DanemarCK , grand Humanifte, &:
Hiftorien, qui n'avoit pomt de relation d'études ny aucunes
habitudes avec M. Defcartes. Les deux premiers en étoient
connus allez particuhérement, mais il n'avoit jamais entre-
tenu grand commerce avec eux. Auffi ne voyons-nous pas
que hors l'occafion qu'il eut de mander leur mort au P . Mer- l^'J^^'*'^^ ^^
fenne , qui fembloit avoir plus de liaifbn avec eux , il fè ,78. " ^^^*
fut avifé de faire mention d'eux dans fes Lettres , bien loin
de leur en écrire, ou à^zw recevoir d'eux.
Il nous parok qu'il en étoit ainfî d'EIichman au pied de la
Lettre. Il eft vray que M. Defcartes a parlé une fois de Hor- xom. 3. des
tenfius dans les trois volumes de les Lettres, ( outre les deux Lettt. pag.
rencontres où il s'étoit Ibuvenu de fa mort ) : mais c'étoit ^^^'
pour dire au P. Merienne qu'il ne Icavoit pas alTez de Ma-
thématiques pour entendre la Géométrie, Il s'appelloit Mar-
tin , étoit natif de la Ville de Delft en Hollande , & étoit
Profefleur des Mathématiques à Amflerdam. Comme il fs
mêloit plus particulièrement d' A ftronomie, cette inclination
l'avoit uni plus étroitement à M. GalTendi avec qui il faifoit
commerce de lettres ^d'obfervations. Il mourut dans la plus
D * grande'
î63 9-
pag. io8. du
ï. tom. «des
Lcttr. „
M
t»
»i
»i
«(
M
Fils de Da- ^
niel , fieie
ieNicolas. '*
121
îpift. Lat.
Schuim.
|>ag. i^'i.
\_
On ne fçavoit
fj M. Dcfcar-
tcs étoit alors
à Egmond,ou
à Hardcr-
vviCK.
16 L A V I ï D E M. D E S C A R T E S.
ojrande vigueur de fbii âge , n'ayant pu rcTifler i l'apprélien-
ïion de mourir au têms que ion imagination luy avoit mar-
qué enfuite d'une opération d'AftroIogie , par laquelle il
avoit aufTi prédit la mort à deux autres personnes pour la
même année. C'eft ce que M. Defcartes fît fçavoir quelques
mois après au P. Merfenne en ces termes. Hortenfius étant
en Italie il y a quelques années, fè voulut mêler de faire ion
Horofcope , 6c dit à deux jeunes hommes de ce Païs ( de
'Hollande ) qui étoient avec luy , qu'il mourroit en l'an 1630) :
&; que pour eux ils ne vivroient pas long-tems après. Etant
mort en efFet cet Eté , comme vous le içavez, ces deux jeu-
nes hommes en ont eu une telle appréhenfion, que l'un d'eux
eil déjà mort j 6c l'autre, qui eft le fils de Heiniîus,eft iî
languiiTant & fi trifte , qu'il femble faire tout fon poiîîble
afin que l'Aflrologie n'ait pas menti. Voilà une belle fcien-
ce , qui fert à faire mourir des perfonnes qui n'eufTent peut-
être pas été malades iàns elle.
Quant à ce qui regarde Jean Elichman que M. Defcar-
tes appelle Heylichman , c'étoit un Sçavant venu du fonds de
la Siléfie pour s'habituer en Hollande, où on l'avoit étably
dans une chaire de Profciïeur pour luy donner de l'emploi.
Il avoit l'eiprit d'un caradére aiïez iemblable à celuy de
Golius. Il n'étoit pas ignorant dans les Mathématiques^ mais
il éxcelloit plus particulièrement dans la connoiilànce des
langues Orientales , &: fur tout de l'Arabe.
Pour Campanelle , nous ne trouvons rien qui nous per-
fuade qu'il ait été connu de M. Defcartes , autrement que
par la leélure de quelques uns de fes livres. 11 eft vray qu'il
avoit fait un voyage l'année précédente en Hollande dans
le deiTein d'y viiiter les Sçavans ^ & que M. Defcartes étoit
celuy qu'il y devoit chercher le premier, autant qu'on en
peut juger par \q^ inclinations de ion génie, ôc par la pro-
feiTion qu'il faifoit de travailler à une Philofophie nouvelle.
Mais il faut que M. Defcartes ait été trop bien caché pour
Campanelle , ou qu'il ne nous fbit point refté de preu-
ves de leur entre-vûë. Monfieur Defcartes ne portoit au-
cune envie à la réputation de Campanelle, ni aux décou-
vertes qu'il croyoit avoir faites dans la Nature. Sur ce que
Je Père Merfenne avoit voulu luy envoyer un à^^ ouvrages
de
Livre V. Chapitre IV. 27
de ce Dominicain en 1638, il l'avoit remercié de fa bonne 1^39.
volonté : 5^ luy avoit marqué , qu'il n'avoir aucune envie
de le voir , ajoutant, que ce qu'il avoit vu autrefois de Pag. 41s. 41$.
Campanelle ne kiy permcttoit pas de rien efpérer de bon de lTicV '^"'
ion livre. Le P. Merfènne n'ctoit plus en état de rappeller
Je livre qui étoit parti peu de jours après fa lettre d'avis»
De forte que M. Dcicartes pour ne pas rendre fà peine inu-
tile ic mit en devoir de le lire,jufqu'à ce que le mauvais-
flilc de l'Auteur l'^iyant dégoûte , il le contenta de parcourir
le rell:e , ne s'attachant qu'à voir s'il y avoit quelque opi-
nion nouvelle , 3c différente de celles qu'il avoit autrefois re-
marquées dans les autres ouvrages de ce Philofophe. Il le
renvoya au/Tï-tot à ce Père, 6c il luy manda ce qu'il penfbic
du livre & de fon Auteur en ces termes. Vôtre Campanelle •« Tom; if
m'ayant trouvé occupé à répondre à quelques Objedions « ^^^"!5*
qui m'étoient venues de divers endroits , j'avoue que fon «
langage &: celuy de l'Allemand quia fait fa longue Préface, a
ont fait que je n'ay ofé converler avec eux , avant que j'eufle <c
achevé les dépêches que j'avois à faire, crainte de prendre m
quelque cho/è de leur ftile. Pour la Dodrine, il y a quinze
ans que j'ay lu. le livre De Senfu Rerum du même Auteur, avec
quelques autres Traitez , & peut-être que celuy-cy en étoit
du nombre. Mais j'avois trouvé dés-lors iî peu de fblidité <«
dans fes écrits, que je n'en avois rien gardé dans ma mémoire. «
Je ne fçaurois maintenant en dire autre choie , iînon que ceux «
qui s'égarent en afFedant de fuivre des chemins extraordi- «
naires , me paroiflent beaucoup moins excuiables que ceux »
qui ne s'égarent qu'en compagnie & en iuivant les traces de «
beaucoup d'autres. »
Les affaires de M. Defcartes nous rappellent à Utrecht,
où nous avons lailTé les Magiftrats fort iàtisfaits de lajuftice
qu'ils avoient fait rendre publiquement à fon mérite par M.
Emilius. L'uniformité n'étoit pas iî grande parmy les Profef-
ièurs de l'Univerfité. Tous gardoient, à la vérité, un exté-
rieur égal dans les applaudilîemens qu'ils donnaient à l'O-
raifon funèbre de leur Collègue. Tous rendoient même a
M. Defcartes des louanges femblables d celles qu^ils avoient
entendues dans ce difcours. Mais tous n'étoient pas fîncéres :
& nous venons dans peu de tems que ceux qui fjlon leur
D ij * rang
a
ti
iS La Vie de M. D e s c a r t e s.
[y^, rang & leur miniftcre fèmbloient devoir donner aux autres
des exemples d'équité, ié font trouvez les plus foi'oles contre
les follicitations de l'envie. Peribnne n'étoit plus élevé ny
plus conlidéré dans l'Univeriité que le (leur Gilbert Voetius,
Il étoit le principal Miniflre du Temple , & le premier des
ProferTcurs en Théologie. Il portoit paj tout cet air triom^
pliant qu'il avoit rapporté du Synode de Dort où il s'étoïc
trouvé du côté des vidorieux, c'eft à dire de ceux, qui aflifl
tez de répée de du crédit du Prince d'Orange, étoient venus
à bout de condamner le parti des Remontrans : de il s'étoic
acquis par la Ville une efpécQ d'autorité fur les eiprits par
je ne Icay quelle réputation de gravité & de fliffiHuTLce. Tou-
tes fès qualitcz étoient Ibûtenues par un peu d'amour pro-
pre pour fâ peribnne , accompagné d'un mépris intérieur
pour toutes celles qu'il n'avoitpas. De forte ques'étantac-
coiitumé de longue habitude à ne pas eftimer ce qu'il igno-
roit, & ignorant en Philofophie tout ce qui n'étoit pas ren-
fermé dans les bornes de ia Scholallique triviale , on auroit
pu iuy pardonner le peu de goût &l Téloignement qu'il avoit eu
d*abord par les ouvrages de M. Defcartes , s'il n'en avoit pri$
l'alarme comme d*une nouveauté pernicieufe qu'il eût fallu
exterminer.
La confidéri^tion qui étoit due au mérite de M. Reneri
Tavoit retenu dans le filencejuiqu'àfàmort. Mais étant allé
à Ion Oraifon funèbre avecfà prévention , les éloges inelpé-
rez qu'il y entendit de M. Delcartcs Iuy donnèrent tant de
jiiloufie , qu'il en fbrtit avec la réfblution de mettre en œu-.
vre tout ce que ibn induftrie pourroit Iuy fournir pour dé-
truire cette nouveauté. Mais l'approbation que le MagiC
trat avoit donné à ces éloa;es l'oblis^ea d^iller bride en main,
pour ne pas ie commettre mal à propos avec les Supérieurs.
C'e([ pourquoy abandonnant ce q^ui étoit du refibrt de la
Philofophie , contre quoy il ne Iuy étoit ny leur ny honnête
de s'élever , il fe réduiiît à ramailèr ce qui pourroitfe rap,
porter à la Théologie dans le difcours de la Méthode de
M. Defcartes, pour en faire la matière de fes cenflires : 6c
faire bannir de l'Univeriité par ce moyen faPhilofbphie,com-
me pernicieufe à la Religion Proteftante, èc au repos des
Etacs des Provinces Unies, Si Voetius n'cntreprenoïc rien
au
Livre V. Chapitre. IV. i^
au dcfllis de les forces en Te chargeant d'une éxecution (l i6xq
difficile, il devoit certainement être un homme d'une capa- -,
cité plus qu'ordinaire. Il fera aifc d'en juger par la connoi-
{àncc que les perlbnnes de Ton teins èc de fa Religion nous
ont donnée de luy , en nous dépeignant les qualitez de (on.
ame , & les caractères de ion elprit.
Il étoit né dans la petite ville de Heufcicn , fiir les con- o'autres ont
fins de la Hollande & du Brabant, fîx ou ièpt ans avant ?iutKeht^°"
M. Dcfcartes : ôcil fut honoré d'une longue vie , s'il e(t vray lïvême,
(Qu'elle fut de S'y. ans, pnifqu'ilne mourut qu'en 1676.
Il avoit été Miniftre dans un village voiiin de Bofle-
due pendant hx ans , puis dans fa ville de Heufden pen-
dant dix-fept avant ion établiiîement à Utrechf , où il étoit
Profe/Teur en Théologie èc Pailcur du Peuple. L'inclina-
tion qu'il avoit naturellement pour la conteilation le rendit
plus habile dans la Ti éologie contentieufe que dans les au-
tres connoiiîances : & l'on peut dire qu'il n'auroit point mal
fervi fon parti, fî Dieu n' avoit eu la bonté de luy oppofer
Janfenius, puis Fromond, Dodeurs de Louvain pour la def-
fenfè de TEglife Catholique. Si le témoignage de M. Def- Epi^. ad celc
cartes eft recevable, lors qu'il s'eft mis en devoir de rendre berr. voet.
bénédiction pour malédiction à fon ennemy , Voetius fai- P^"' ^- ^^-^
foit honneur à fon miniftére dans le Temple, &; à fà pro- 114.
ieiîîon dans l'Ecole par fon afîîduité & fon zele 5 préchoit
plus fouvent que fes Collègues ^ dilputoit en toute ren-
contre -, aiFedoit une gravité continuelle ^ faifoit le dévôc
dans Ion gcfte, dans le mouvement de fes yeux , dans le ton
de fà voix j débitoit la Morale iévére aux autres • gourman-
doit hautement le vice j &c pour faire voir qu'il ne faïibit point
acceptation des perfonnes , il attaquoit plus volontiers les
grands que les petits , & reprenoit même en eux des chofes
aiTez indifférentes, de peur de fe rendre fufpect de lâcheté.
Enfin fon extérieur étoit toujours fort ccmpofé. C'étoit un
bel homme de dehors. La leàiire des compilateurs de Lieux Pjg. 51. part,
communs , des Commentateurs , &: des Didionnaires 5 faifoit '^' ^P'^- ^'^
prefque toute fon érudition. Ses écrits ont fait juger que fa Bofius N^[it.
dodrine étoit toute locale , & que rarement fo'donnoit-il Ecci.fcnpt.
la peine d'aller puifer aux fources. Si l'on en croid le fieur safjen^'.jenj,
jBofius Proteftant , ils font remplis de fautes honteufes é^ grof p. '31//
D * lij Jïêre$.
30 La Vie de M. Descartes.
1639. (iéres. II citoit prefque toujours les Auteurs fans les avoir
-^___-. liis , ou fans \qs avoir compris. Il s'étoit gâté Pefprit dans les
livres des Controverliftes , à^s Athées, Aq^ Impies , ôc des
Bjouffons qu'il avoit lus dan^ le delTein de les combattre. II
n'avoit aucune élévation , & la baffelTe de Tes penfées étoic
la marque de la médiocrité de ion génie. Il avoit peu de dif^
cernement , &: il étoit fort rare de trouver de la liaifon dans
i^s raifonnemens.
Toutes ces qualitez étoient plus que TufElantes pour for*'
mer un Ennemy dangereux à M. Defcartes, fi cet ennemy
avoit été allez heureux pour faire entrer le Jugement &; la
Raifon dans fon parti. Mais on peut dire de la bonne for-
tune de M. Defcartes qu'elle ne luy a fait rencontrer dans
Voetius qu'un homme de petit jugement & de peu de raifon,
i^7v°^a^^'' ^'^^^^^ '-^^^ efprit bouru & volage félon M. de Sorbiére, qui
6%-j. ' étoit de fa communion lors qu'il le reconnut tel ^ fî étour-
. , dy &: fî indifcret, qu'il ne fiifoit point difEculté de médire
M?'i9Î"ad ^ ^^ calomnier grolîîérement dans fes Sermons. Ce qui obli-
Cart. gea un jour le Miniflre M. Heydanus de le faire defcendre
Poiy-iiiftor. de chaire, & de l'interdire pour cette raifon. Il étoit vain ôc
Tom. z.àtl ambitieux ^ outre cela, grand ignorant félon M. Morhofius y
Ltt. dcDefc. Se par une conféquence de fon humeur , hardy, téméraire,
f-^^^- ^ déciûf - faiiànt le Prélat &: le petit Tyran dans Utrechf
t%jo'%\^^' ^^vant les peuples , au rapport de Loiiis du Moulin, &; le
ex Mol. " Pédant devant les perfonnes d'efprit Se les gens de lettres,.
EccUjîamm Mds fiir tout ïl fe faifoit confidérer comme la doire é^ Por^
dectis é'or- ncment des EgUJes Bclpques, ccnon content de prendre ce ti-
nttmmam. tre magnifique dans fès écrits, il fe le faifoit encore donner
par les autres. Ses Idolâtres le regardoient comme le Jean
Baptifle de la nouvelle Réforme des Proteftans à caufe de la
3.^Vol^ d/" liberté qu'il prenoit d'attaquer les perfonnes qualifiées , & de
Lectr., traiter ceux qui ne luy plaifbient pas de Juifs Se d' engeance ds
vipères.
Voilà l'ébauche du tableau qu'on peut faire de l'efpritdc
Tom. î.dc5 ce Monfîeur Voetius ^ & pour le rendre fîny, il fufîîroif
a6o.'^^^ d'ajouter les traits qui fè trouvent dans un livre latin fait:
SaîTiuëidcs contre luy, par un célèbre Se fçavant Miniftre de la vil-
^^^^^* le de Groningue en Frifè, fous le titre d^Vltima fatientia.
Mais nous nous contenterons d'an trait de fon liiftoire, qu^
nou
LrvnE V. Chapitre IV. 3r
ttous paroît nécelTaire pour donner des éclairdflèm:?ns à ce
que nous ferons obligez de rapporter dans la fuite touchant
Jes afFan-es qu'il aiufcitées à M. Defcartcs. C'eft ce que nous
ferons dans les termes aufquels M. de Sorbiére nous a dé-
crit une vifite qu'il luy avoit rendue. Nous ne voulûmes point
partir d'Utrecht fans y voir ce Gifbert Voetius Miniftre &c
Profefleur en Théologie, qui a tant fait parler de luy dans
ces Provinces par ion efprit de contradiction . Il a toujours
cté le contre-tenant de quelqu'un de fès Collègues , ou de
quelque autre f(^avant liommcJeTay vu acharné, tantôt con-
tre Vedelius, 6c Definarêts^ tantôt contre Regius, 6c De/car-
tes j puis contreBorel, Courcelles, 6c une infinité d'autres avec
qui il a pris plaifîr d'entrer en querelle. Il s'étoit mis en tête
de faire donner à fbn Confifloire l'adminiftration de tous les
anciens revenus Eccléfîaftiques d'Utrecht , pour être em-
ployez en partie à des œuvres de charité , & en partie au
Î)ayement de fes gages. Lors qu'on changea la Rehgion dans
a Ville , il y avoit cinq Collèges, ou Chapitres de Chanoi-
nes , dont les Prébendes furent confèrvées à ceux qui les te-
noient. Mais le Service eilant ruïné on ne fubftitua point d'au-
tres Eccléfiafliques à leur place : on y mit des Laïcs de la nou-
velle Réforme, qui furent regardez comme des Bénéficiers
de l'Eftat. Voetius voyant ainfi le bien de l'Eglife entre les
mains de gens qu'il eftimoit profuies, déclama contre le mau-
vais .ufàge qu'on en faifoit : 6c comme il étoit fort écouté du
Peuple, il ie hazarda de prêcher contre le Magiftrat , de de
faire des alïcmblées pour avilér aux moyens de mettre tout
le revenu des Prébendes entre les mains de fon Confiftoire.
Le Magiftrat qui avoit coutume d'en.di{pofer en faveur des
familles qu'il vouloit gratifier, en prit l'alarme, 6c fit afiem-
bler leConfèildelaVille, d'où on envoya fignifier à Voetius
ôc à fon Confiftoire, que dorénavant deux Députez du Ma-
giftrat affifteroient à toutes leurs afTemblées : 6c qu'on eût à
leur préparer deux chaifès au haut bout. Les CommifTaires
fè mirent en devoir d'y venir depuis ces délibérations : mais
à mefure qu'ils y entroient par une porte , les Miniftres 6c les
Anciens fe retiroient par une autre , 6c demeurèrent ainfi
quelques mois fans faire aucune aflemblée publique. Le Con-
feil jugea à propos d'ufer de toute fon autorité pour les obli-
«1639.
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et
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•» Rclar. ia
« viii°pag.
181. 183,
" 184.
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Voetius é-
'* crivit & fît
c4 imprimer
contre ces
Chanoines.
« &c. tom. }.
„ des Lett.de
Defc. pag.
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ger
32 La Vie de M. Descartes.
I 6 3 9. » gerde s'afTcmbler. Mais il n'en eue point aifez pour changer
- » refpricde Voetius , qui s'étoic cndurcy le cœur contre tout
*» refj3câ: humain depuis pkifîeurs années. Comme ce Gladia-
»> tcur s'étoit exercé toute fa vie , continue M. de Sorbiére,
M a battre ie fer, nous remarquions qu'il fè tenoit toujours fur
a» fes gardes en pofture de parer ou de porter quelque coup.
Un ennemy de ce caractère n'étoitguéres en étit de nuire
â la réputation de M. D:fcart:s, mais il pouvoit contribuer
à rehaulîèr Téclat de fa Philofophie, & à préparer ion Au--
teur à fbutenir les attaques de quelques Adveriaires plus
formidables. Il commençi fès hoftilitez par des Théfes qu'il
iit au mois de Juin de l'an 1^39. touchant l'Athéïfoe 3 8C
Tom. j. des ^o\u garder quelque ordre dans les produdions de fa mau-
Letcr. pag.3. vaiiè voloncé , il s'abflint d'y nommer d'abord celui à qui il
en vouloir, & fe contenta d'y jetter les fondemens de la ca-
lomnie dont il croyoit devoir le charger pour venir à bout
de le ruiner. Cette calomnie, dans laquelle il a toujours per-
fîfté depuis , confiftoit à faire pafTer M. Defcartes pour un
Athée : êc afin qu'on ne pût s'y tromper , en prenant quel-
que autre pour lui, il mêla dans fès Théfes parmi les mar-
ques de l'Athéïfme , toutes les chofes qu'il fçavoit être attri-
buées à M. Defcartes par le bruit commun, quoi qu'il n'y
en eût aucune cjui ne lût bonne.
CHAP.
Livre V. Chapitre V. 33
T(?3 9.
CHAPITRE V.
JVf. Rcgius prend des précautions contre Ut mauvaife humeur de
Voetius qiiil avait k ménager. Préjudice qu il fait à fa perfon-
ne ^^ h la Philo fophie Carte penne dans fes Lci^ons problémati-
ques de Phyfique. Son indifcrétion à une Théfe des Péripatéti^^
ciens. Amis que M. De [carte s avoit a 'Vtrecht. Il inftruit Re*
gius fur divers points de Phyfque. Son fentimcnt fur la circula-
tion du fang. Ingratitude (jr malhonnêteté de Plempius h l'égard
de M. jbefcartes , qui la fouffre plus patiemment que Kcgiti^. Il
tache de fe retrancher touchant le commerce des lettre s ^ pour fe pro-
curer plus de retraite ^ de repos 3 mais ce fut en Vi lin. Le P.Mer-
fennc lui envoyé le Traité des Coniques de M. Pafcal le jeune.
Jugement quil en fit.
MR Regius etoit du nombre de ceux qui connoifîbient
un peu le foible de Voecius, &: qui lui témoignoicnt
par conféquent Je plus de foumiflion pour fes volontez , &
le plus de confiance en fa conduite. Ayant fcii l'art de le ga-
2;ner&; de l'engager dans fès intérêts, lors qu'il étoit queftion
d'obtenir une chaire de Profefîcur , il comprit la peine qu'il
auroit à fe confèrver auprès de lui^s'il n'uloit de quelque diC
fimulation. Il s'étoit apperçûque le zcle qu'il avoit fliit pa-
roître pour la Philofophie de M. Deicartes,au delà même
de ce qu'avoit fait M. Reneri , ne lui avoit point plu : bc
que le grand fuccés de ies Leçons lui avoit fliit peine, C'eft
ce qui lui avoit donné la penfée^de fè précautionner davan-
tage dans fa chaire de Médecine: & de réfèrver le principal
de la nouvelle Philofophie pour les Problêmes qu'il enfei-
gnoit certains jours de la femaine hors des heures des Le-
çons publiques. En quoi il lémbloit fe repofer fur le con-
f entement des ProfcfTeurs^fins en excepter Voctius, qui l'avoic
même fervi une féconde fois dans la demande de cette nou-
velle commifîion. Mais quelque liberté qu'il laifsat à fes Au-
diteurs pour la créance des Problêmes , il ne rejettoit pa^
les occafions de faire voir le ridicule ou le foibîe des ancicii-
;ies opinions. E,t l'on peut dire que cccte manière artiticieu-.
E * fc
34 La Vie de M. Descautes.
i^-, (. ie de détruire infenribleincnt les principes de la Philofophie
. vulgaire quieft receuë dans les Ecoles , étoit encore plus dan-
eereufe pour elle que fa manière ouverte & fîncëre d'enfei»
gner les principes de M. Defcartes dans Tes Léchons de Me.,
decine. C'eft ce qui fit peine à ceux de fes Collègues qui
confèrvoient quelque eftime pour la Philofophie qu'on leur
avoir appnfe, ài qui croy oient avoir beaucoup accordé à M.
Regius en luy permettant d'cnfeigner les nouvelles opinions
avec les anciennes. M. Regius ne s'afTujettifïïint pas afTez
( hors de fes Ecrits & de fès Le<^ons ) à prendre Fefprit de M,
Defcartes, qui étoit un efprit de douceur &; de modération,
donna encore à fès Collègues un nouveau fujet de mécon-,
tentement par un trait de légèreté qu'il fît paroître à une
Thèfè de Philofophie foûtenuë le neuvième de Juillet 1639
par le fîeur Florent Schuyl,fbas le Profefîeur Senguerdius,
L'Aggrefleur qui difputoir, avoit compofè fès argumens félon
les opinions de la Philofophie nouvelle: de avoit choifî lana^
tare & les propriètez de l'aiman pour en faire le flijet. Le
Répondant, quoi que fort bien exercé fur les cahiers de fbn
Maître , parut un peu embarafTé : mais le ProfefFeur ayant
ft!fric^ Acad. P^^^ ^^ parole pour le dégager, M. Regius fe leva, &: fans ref-
uit1-.pag.14. pecler ni rAlfemblèe m la ProfefTion l'interrompit, luy in-
uilta mal-à-propos, 6c voulut ajuger cà l' AggrefFeur une vic-
toire que l'honnçteté 6c la coutume l'obligeoient de laifîèr
au Répondant. Cette action que nous n'avons apprifè que
par le canal de Voetius choqua généralement tous les Pro-
Felfeurs de FUniverfitè, ôc les diipofà la. plupart à écouter
ce que Voetius vouloir leur infînuer contre les nouveautez.
Les exercices finirent peu de jours après cette Théfè: 6c M,
Regius écrivant à M. Defcartes le quatorzième de Juillet
Lettre 4. Mf. <]ui comincncoit les vacances , fè garda bien de luy mander
dcKcr.iDek. ^q ^y'^} ^yoit tait à ïaThèfe. Il fè contenta de luy fiire fca,
voir qu'il avoit achevé fon Cours public de Médecine cette
année ^ qu'il étoit toujours demeuré fortement attaché à fes
» principes oc à fa métode ^ ôc qu'il fbuhaitoit avec pafîîon de
t» conférer avec luy fur la meilleure manière de faire un nou-
M veau Cours l'année fliivante , qui commençoit après la foi-
re du mois d' Aouft , félon le règlement de l'Univerfitè.
M. Defcartes lui avoit fait efpèrer de l'aller voir en un
voyage
L I V R E V. C H A P I T R E V. 35
voyage qu'il fcmbloic avoir promis de faire à Ucrccht au i 635).
temps de la foire. Il avoit plufieurs amis tant à h Ville que
dans le voifînage, aufquels il n'avoit point rendu vifite de-
puis fâ retraite c-'ans la folitude d'Egmond. Les principaux,
outre Meilleurs W'alîènaer , Parmentier , Van-Dam , Van-
Leevv , Van-SurecK dont nous parlerons ailleurs , étoient le
fienr Godcfroy de Haefirccht Gentilhomme du pays de Liéi^e,
qui étoit venu s'habituera Utrecht, & qui dcmeuroit ac^
tuellement au château deRenoude, village à la diftance d'u-
ne demi-lieuë de la ville, où il cultivoit la Philofbphie de
M. Defcartes au milieu du repos & des commoditez de la
vie. Le Çi-^ivir ^can Alfbonfe Omcier dans les armées, qui de-
meuroit à Utrecht dans les intervalles du fèrvice , &; qui fè
faifoit un plaifir de joindre les exercices de la Philofophie
avec ceux de la Guerre. Monfîeur Vander-Hookk l'un àç,s Lettr. 3. MT,
principaux Magiftrats de la ville , avec qui M. Delcartes de Rcgius à
avoit de grandes habitudes, & qui protégéoit M. Regius ^^^*^' .
pour l'amour de lui dans les relations que rUniverfité pou-
voit avoir avec le Sénat ou le Confeil de la Ville,
M. Regius vid paiîèr la foire, & finir le tems de ies va-
ca'Tces làns avoir eu l'avantage qu'il avoit efpéré. Il fallut
reprendre les Leçons publiques avant que de pouvoir répa-
rer la chofe par un voyage qu'il auroit fbuhaicé de faire à
Egmond. Et comme il lui falloit au moins deux jours hbres
pour cette courie,il ne les pût trouver que vers le milieu de Lcttr.î.Mr.f^p
Septembre, auquel fa femme ne permit point qu'il s'éloi- Rcg. àDcfc*
gnât d'elle à caufe d'une grolTeiîè de huit mois & demi où
^ViQ. avoit befoin de lui.
Le tems de M. Defcartes n'en fut pas plus épargné. Il ne
fut prefque occupé que eie fes réponfes aux confultations de
M. Regius pendant les mois de Septembre ôc d^'Odobre.
Quelques longues, quelques fréquentes que fufîent les let-
tres d'un diiciple fi zélé, il ne plaignoit point pour Pinflrui-
re un tems qu'il ne croyoit pas devoir jamais regretter. L'im-
portance des quedions & des dillicultez qu'il lui propofoit,
Tempêchoit de nen négliger pour le mettre en état d'établir
fès principes. Elles rouloien: la plupart fur la nature à^^^
Anges , fur celle de l'Ame de l'homme , fur fon union avec le
corps j fur l'ame des bêtes Se à^^ plantes, fur la vie ^ fur le
E ij '^^ niouveraent
3(j La Vie DE M. D ESCARTES.
mouvement da cœur, de fur la circulation du fang.
^ ^ ^' L'opinion de M. Defcartes iLir cette dernière queftion,
l'avoit mifè en grand crédit parmi les Scavans: & elle avoïc
mcrvcilleufèment contribué à rétablir fur ce fujet la répu^
tation de Guillaume Harvée, qui s'éroit trouvé ïp al- traitée
par les fatyres & le décri de divers Médecins des Pays-Bas,
la plupart ignorans ou entêtez des ancieniics maximes de
leurs Facultez. C'eil: ce qui fit que le Public reçûcaiiez mal ce
Lcttr. 6. Mf. qi-icdeux Médecins nommez Pariiànus &c Priiî^erofius firent
dcReg.àDeic. imprimer i Leyde chez le Maire vers le mois de Septembre
de cette année touchant la circulation du ûng, contre le
ièntiment de Harvée. Ce n'eft pas qu'on ne put former des
objedions plaufiblcs contre ce ièntiment • &c M. Defcartes
dés le commencement de l'an 1638 avoit mis celles que
M. Plempius Médecin de Louvain ion ami luy avoit faites,
au nombre des meilleures diScultez que Ton pût fufci-
ter à cezte opinion. Il y avoit répondu avec toute l'éxacli-
Eude que méritoit l'importance du fùjet, & la eonfidération
Ces objcc- de la perfonne. M, Plempius n'ayant pas été plénement fa^
lions dePiem- tisfiit d'une première réponfè, tant iiir ce qui regardoit le
P'^^ ^^rJ^L mouvement du cœur, touchant lequel M. Defcartes n'étoic
Dcicartes fe o'accord ni avec Harvée ni avec Ariltote, que fur ce qui
tiouvcntau i. coiicemoit la circulation du fang , luy avoit fait de iècon-.
At Dde. de-* des objeélions, aufquelles il avoit répondu de nouveau. Mais
puis la page quoiqu'il eût paru content dans le tems, il fit enfuite une
5j8.;ufqu'a li chofè tout-a-fiit indi2;ne de leur amitié, & même de l'hon-
3*3f r. r ■ r • J' Tl- ^
netete qui le pratique entre des étrangers. Il jugea a propos
pour augmenter l'éclat de fà propre réputation, de parler dans
un livre qu'il devoir bien-tôt rendre public, de ce qui s'étoit
palTé entre M. Defcartes êcluy, touchant les deux queflions
du mouvement du cœur & de la circulation du fmg. Il
donna pour cet éfet tout le luftre néceflaire aux Objedions
qu'il luy avoit faites. Mais lorsqu'il fut question des Répon-
fes qu'il en avoit reçues, loin de traiter M. Defcartes com~
me un ami qui méritoit d'être confidéré , il n'eut pas même
pour iès Réponfes la fidélité qui s'exige entre des Adver-
ïâires qui fe réfutent & qui le regardent comme ennemis,
M. Re^ius fut outré d'une conduite fi malhonnête , &
^c RcgL°s^''' ayant confronté fon livre avec Içs Rçponfes que M. Defcar-
tes
L I V R E V. C H A P T T R E V. 37
tes avoit faites prés de deux ans auparavant à fes Objeclions, i ^3 ^.
iJ ne pût retenir l'indignation qui Juy fit prendre la pkime j 6 ^ o.
pour en marquer ihs reiîentimens à M. Defcartcs. Les cou- ;
leurs qu'il donne dans là lettre à l'ingratitude & à la mau-
vailc foy de M. Plempius ibnt Ci vives , qu'on ne peut les ex-
primer de fa langue en la nôtre fans entrer dans de fcmbla-
bles tranfports de colère contre une conduite fi Liche. Il dit
qu'à l'égard des endroits où M. Defcartes dccouvroit les fe-
crets Iqs plus cachez de la Nature , & où confifloit la prin-
cipale force de fes Réponfes , Plempius a eu la malice de
faire le muet , ou d'en omettre au moins la plus grande
partie. Et que pour ceux qu'il rapporte , il les eftropie & les
mutile de telle manière qu'il en corromp entièrement le fcns.
Qu'à ren;!roit où il traite de la circulation du fàng , il fe
contente de rapporter fîmplement les difîîcultez , comme fl
on n'y avoit pas encore £iit de réponfes , quoique celles que
M. Defcartes y avoit données fufîent trés-convaincantes.
Qu'à l'endroit où M. Defcartes rapporte plufieurs caufes qui
jointes enfèmble produifént le battement du cœur, Plempius
n'en rapporte qu'une qui eft la chaleur. Si M. Defcartes
après avoir allégué les raifbns nèceflaires pour la convidioii
d'une chofe , y en ajoute quelque autre moins nècefîaire
fervant feulement à un plus grand èclaircifïèment de la cho.-
fè : Plempius eftafTez de mauvaife foy pour ne s'attacher qu'à
cette dernière raifbn , comme fî elle avoit été donnée pour
fondamentale ou efTentielle : èc laifîant à fuppofèr que ce
icroit l'unique qui auroit été alléguée par M. Defcartes, U
s'étudie à la rendre ridicule : ce qu'il fait ordinairement dans
les endroits qu'il ne comprend pas.
Plempius ne fe fbuvenoit point dansce livre, d'avoir écrit
autrefois qu'il ne eroyoit pas que l'on pût convaincre
Monfîeur Defcartes d'avoir jamais avancé une fattjfcté , ou v. la Préface
-même une baq-atelie. Eton l'a fbupçonné de ne s'être jette dans 1" livre de
j r ^^ r r ^ 1 1 Plempius ats
des excès oppolez, que pour fe raccommoder avec quelques- rréfidcnt de
uns de fès Collègues, qui fèmbloient vouloir Taccufèr d'hé- la Refc.
réfîe fur d'autres points traitez dans quelques-uns de (es ou-
vrages précèdens, où il avoit afTez mal réûfîî,
plempius pouvoit avoir des prétextes que nous ne fçavons
pas pour révoguer les éloges qu'il avoit donnez , ou lesfèn-
E iij * tinien§
3§- La Vie de M. Des cartes.
1639. timens d'eftime qu'il avoic eus autrefois pour M. Defcartcs.
1640. Mais c'efb une pitoyable rétraclation que d'éfacer des louaii-
p— ges avec des injures, comme a fait Plempius , qui a eu la for .
ce d'ctoufFer dans fbn cœur les mouvemens de reconnoiil
jfance, qu'il avoit témoignée auparavant pour les bien-faits de
M.Defcartes, par une in2;ratitude que M. Regius traite de
perfidie atroce de punifllibie.
M. Defcartes ne parut pas fort émii d^une conduite fî ex-
traordinaire ^ &: il auroit été d'avis de n'y oppofer que le fî-
Let.î7-Mr.ac lence. M. Reeius n'en iu2:ea pas de même. Il vene-ea fbn
1 ni Maître d une manière qui ht apparemment ouvrir [qs yeux x
Plempius :, puifqu'il changea fbn ientiment fur la circulation
du fàng pour embrailer celuy de M. Defcartes. Mais fi fon
cœur en fut changé à l'égard de M. Defcartes , il paroît qu'il
eft demeuré toujours dans un grand endurcifîement pour
M. Re^nus.
M. Defcartes s^étoit renfermé plus étroitement qu'^a fort
ordinaire fur la fia de cette année pour mettre fes Médita-
tions Métaphyfiques en état de voir le jour l'année fuivante»
Vie du Pérc L'abfènce du P. Merf. hors de Paris luy avoit paru, favora-
Meri.pag.i8. j^j^ ^^^ fîlence qu'il vouloit garder pour quelque tems avec
les perfbnnes avec qui il étoit en commerce de lettres. Mais
cette réfblution fît gronder plufîcurs de fès amis de Pans : 6c
le P. Merfènne qui s'é toit chargé de leurs plaintes au retour
des voyages qu'il avoit faits durant i'IBré & l'Automne en
Tom. 1. des diverfès Provinces du Royaume , luy récrivit pour luy faire
lettr. pag. conuoitre Tinquiétude qu'il caufoit à des perfonnes de trés-
^3^ ^ 443. grand mérite êc à fes amis , lors qu'on etoit plus de quinze
jours fans recevoir de les lettres. Il ajouta , que Fintérêt que
^ ces Mefîîeurs prenoient à fafànté leur feroit croire qu'il fè-
roit malade lorfquïl pafTeroit ce terme , èc qu'il devoit leur
épargner ce chagrin..
M. Defcartes pour correfpondre à la bonté & aux foins
de [qs amis,manda au P, Merfènne qu'il veiiïeroit à fa propre
confervation : mais après leur en avoir témoigné fà recon-
noifTance , & avoir donné à ce Père l'exphcation qu'il
fouhaitoit aux difhcultez qu'il luy avoit envoyées , il finit par
une prière réitérée qu'on le laifsât en repos , c'eft-à-dire ,
qu'on n'exigeât point de réponfes de luy »Je me fuis pro-
poféy
3^
'yvcr
vous
r ^3 9-
'I 640.
Livre V. Chapitre. V.
pofë, dit-il au Père , une étude pour le rcfle de cet Hy^
qui ne fbuftre aucune diRraction. C'cft pourquoy je vc
fupplie trës-humblemcnt de me permettre de ne vous plus ••
écrire jufques à Pdques, s'il ne fur vient quelque choie de •«
prefle. Vous ne lailîercz pas cependant de m'envoyer les let- «
très qui me feront adreilccs : & celles qu'il vous plaira de •«
m'ccnre feront toujours les trës-bien venues. Pour vous mon- »
trer le cas que je fais de la chanté que vous me témoignez «
en craignant que je ne fois malade lorfque vous êtes long- «
tems fins recevoir de mes lettres , je vous promets que s'il «
m'arrive en cela quelque chofe à'humain , j'auray foin que «
vous en Ibyez averty incontinent. Et ainfi tandis que vous "
n'aurez point de mes nouvelles, vous croirez toujours, s'il «
vous plaît, que je vis , que je fins fam , & que je philofbphe. ««
Le Père Mcrfenne ne s'épouvanta point de ccttQ réfb-
Jution, 6c continuant fon commerce ordinaire, il luy étoit
facile de fiire naître àcs fùjets aufquels M. Defcartes ne
pourroit fe défendre de répondre. Un de ces fujets \qs plus
propres à le faire parler fut le prodige qui parut vers le mê-
me tems parmy les Mathématiciens de Paris, & dont il luy
donna avis par une lettre dattée du xii. de Novembre 1(539. Le
prodige étoit qu'un jeune gar(^onde feize ans avoit compofe
un Traité des Coniques , qui faifbit le fujet de l'étonnemenc
de tous les vieux MathéiPiaticiens à qui on l'avoit fait voir.
Ce jeune Auteur étoit le fils de M. Pafcal , que le Roy
Loiiis XI IL avoit fait depuis peu Intendant de Juflice à BlaifePafcai
Roiien : & l'on ne croyoit point le fîater en publiant qu'il «é en 1613.
avoit pafTé fur le ventre à tous ceux qui avoient traité ce
fùjet avant luy, pour aller joindre Apollonius, qui fèmbloit
même avoir été moins heureux que luy en quelques points.
M. Defcartes qui n'admiroit prefque rien, dilîîmula comme il
put la Ihrpnfè que luy caufà cette merveille. Il répondit
affez froidement au P.Merfènne, qu'il ne luy paroilloit pas «< Tom.t.des
étrange qu'il fc trouvât des gens qui puilent démontrer \qs c< Lettr. pag.
Coniques plus aifément qu'Apollonius, parceque cet An- ce '"
cien efl: extrêmement long &: embarralTé , & que tout ce qu'il ce
a démontré efl de fby alFcz facile. Mais qu'on pouvoit bien et
propofer d'autres choies touchant les Coniques quun enfant et
de [ciz^ ans auroïc de la peine à démêler, et
C'efl
194.
40 La Vie DE M. Descartes.
ï "3 9- C'cfl ainfi qu'il fe préparoità croire ce fait, au cas qu'il Ce
1640. trouvât véritable. Mais il voulut s'en rapporter au tëmoigna-
*"" ^ ge de les yeux: & il fallut que le P. Merfenne fit tirer une
ZI4. ^^^' copie du Traité , & qu'il le iuy envoyât. M. Defcarres ne le re-
çût qu^au mois de Février de l'année fiuvante. Mais avant
que d'en avoir lii la moitié il jugea que fon jeune Auteur a;-
voit appris de Monfieur des Argues. Il le manda ainfîauPé-
» re Merîènne , ajoutant, qu'/7 avoit été confirmé incontinent après
Pag. 117. ,, ^^^^j- ççfff, pcnféc par la confcfjion que l'Auteur même en avoit faite.
defesLettr. M. dcRoberval, M. lePaiIleur, & les autres amis de Mef-
iieurs Pafcal fe récrièrent contre une opinion qui ne leur pa-
roilîbit pas afTez obligeante pour un enfant d'un fi rare mé-
rite : En quoy ils furent fuivis de Meilleurs de Port-Royal, qui
firent donner fiir ce point un avis à M. Clercelier , après qu'il
eût rendu public ce témoignage de M. Defcartes par la pre-
mière édition de iés lettres. M. Defcartes dont toutes les vues,
toutes \qs penfées , ôc toutes les études ne tendoientqu'à la re-
cherche de la vérité , 6c qui aimoit mieux s'interdire la parole
que d'y employer la difiimulation ou la faulTe complaiiànce, a-
voit mandé fans artifice la chofè comme il la croyoit. Il étoit
fort glorieuxpour cet Enfant, que M. Defcartes n'ayant rien
à contefter fur l'excellence de cet ouvrage , eiit mieux aimé
luychercher un Auteur parmi les plus confommez d'entre les
Mathématiciens,quede s'expofer à perdre pour d'autres occa-
fions la créance qu'il avoit acquife fiir les efprits qui le con-
noifîbient fincére, par la facilité qu'il auroit eue à croire une
chofe qu'il n'auroit pas été en état de fiiire croire aux au-
tres fur fà fimple parole, C'eft pourquov lorfqu'enfuite de
quelques éclairciiîèmens il vid qu'il étoit hors d'apparence
de rien attribuer de cet ouvra2;e à fon amy M. des Àr^ucî-
rEqmil " ^^ ^^'^'^^ mieux croire que M. Pafcal le Père en étoit le véri-
aes H- »* table Auteur^ que àQ^Q perfaader qu'un Enfant de cet âge
queuK. w £:^j. capable d'un ouvrage de cette force. Son exemple peut
lèrvir à nous faire voir que hors àt^ matières de révélation
êc de foy , il ne fuffit pas qu'un fait foit véritable pour ctrie
crû, mais qu'il doit être encore vray-fembkible. C'ctoit fe
retrancher dans les termes du Vray-femblablc, de croire que
l'Intendant Pafcal auroit voulu par une tendrelîe de Père
fe dépouiller de la gloire d'avoir f yc ce Traite pour en re-
~ ' ' vécir
Ll V RE V. Ch API T RE V I. 41
vécir un fils qu'il etoit queftion de mettre dans une réputa-
tion où il fc voyoit déjà lùffifamment établi luy même.
1(^39.
CHAPITRE VI.
Traité de M. des Argues touchant les Se Fiions Coniques. Avis que
luy donne M. Defcartcs touchant fon dcjjein. Différence de la
manière d'écrire -pour les Curieux d'avec celle d'écrire pour les
Scavans , ou pour les gens de la Profe.fjîon. Ouvrage de M.
jifydorge fur les Seclions Coniques. Continuation de cet ouvrage.
Oofervations de JS/[. de Be aune fur les lignes courbes :, ^ autres
que fiions qu'il propofe à M. Defcartcs. Infiances qu'il luy fait y
mais en vain 3 pour publier fon J\4onde. Sauvai fe fanté de
J\-/. de Beaune. il travaille aux Lunettes fur les infiru fiions
de M. Defcartcs ? qui efp ère plus de luy que de M. du Maurier,
C'Efl: auffî le Vray-fêmblable qui avoitpû engager Mon-
fieur Defcartes dans cette erreur de fait, lorfque fè fou-
venant de la liaifbn de M. des Argues avec Meffieurs Pafcal, 6c
voyant dans le Traité du jeune Auteur de feize ans des choies
qu'il croyoit avoir vues peu de têms auparavant dans l'écrit
de M. des Argues , il jugea que celuy-cy pouvoit avoir eu
part à ce Traité, d'autant plus volontiers que le jeune PaC
cal y alléguoit M. des Argues. Il efl: certain que M, àQs Tom. a. de»
Argues écrivit vers le même têms quelque chofe fur les ÇqC'^ Lcttr. pag..
tions Coniques. Mais avant qu'on parlât encore du Traité
Aq] m. Pafcal, il avoit drefle un projet de Ion defTein qu'il
avoit fait envoyer à M. Defcartespar le Père Merfenne, afin
d'avoir fon fèntiment fur la manière de traiter cette matière
qu'il jugeroit la plus convenable, 11 faut avouer que M. des
Argues écrivoit le mieux en nôtre langue de tous les Mathé-
maticiens François après M. Defcartes , & qu'il avoit un ta-
lent merveilleux pour exprimer agréablement & au goût mê-
me des plus délicats les chofès les plus flérilcs 6c les plus ab-
flraites. M. Defcartes ne voulant point fàtisfàire à demi un
homme à qui il fe croyoit redevable de beaucoup de fervices,.
luy récrivit en ces termes. >» Sur ce quej'ay pûconjeéturer du ç^Tom.i.de»
Traité des SeUions Coniques , dont le Père Merfenne m'a en- «^ i^^.'i/o..
F "*: voyé
M
$»
41 La ViedeM. Descartes.
639. » voyé le projet, j'ay jugé que vous pouviez avoir deux deC
feins qui feroient fort bons êc fort loiiablcs • mais qui ne de-
manderoient pas tous deux la même manière d'y procéder.
L'un feroit d'écrire pou.' les Dodes, & de leur enfeigner
quelques nouvelles propriétez de ces fedions qui ne leur
fuient pas connues. L'autre ieroit d'écrire pour les Curieux
^ qui ne font pas doétes , ôc de faire que cette matière qui n'a
„ pu être entendue jufqu'icy que de fort peu de perfbnnes, ^
„ qui eft néanmoins fort utile pour la Perfpective , la Peinture,
„ l'Architeclure , &c. devienne vulgaire èc facile à tous ceux
„ qui la voudront étudier dans vôtre livre.
^ Si vous êtes dans le premier defïein , il ne me paroît pas
„ nécefîaire d'y employer aucuns nouveaux Termes. Car les
„ Dodes étant déjà accoutumez à ceux d'Apollonius ne hs
„ changeront pas aifément pour d'autres quoique meilleurs :
» èc ainli les vôtres ne ferviroient qu'à leur rendre vos démonf-
c'efraufTi » ti'ations plus difficiles, 6c à les détourner de les lire. Si vous
ce que M. „ prcHCZ le fccond , il eft certain que vos Termes qui font
de Fermât ^^ Fran<^ois, & dans l'iiivention dcfquels on remarque de l'ef-
connu dans m prit éc de la gracc , feront bien mieux reçus par des perfon-
kriiedc „ nés non préoccupées, que ceux des Anciens • &; même ils
M desAr- ^ r ■ i> • ^ i r 1 r • i-
pourront lervir d attrait a plulieurs pour leur raire lire vos
écrits , comme ils lifènt ceux qui traitent des Armoiries, de
la Chailè, de l'Architedure, &c. fans vouloir être ny Hé-
raults, ny ChalTeurs, ny Architedes, mais feulement pour
en fcavoir parler en mots propres. Mais fi vous avez cette
intention , il faut vous réfoudre à compofor un gros livre , àc
à y expliquer toutes chofès fi amplement , fi clairement , &
fi diftindement, que ces Meffieurs qui n'étudient qu'en baail-
lant, & qui ne peuvent fe peiner l'imagination pour entendre
une propofition de Géométrie, ny tourner les feuillets pour
0 regarder les Lettres d'une Figure , ne trouvent rien dans vô-
», tre difoours qui foit plus mal-aifé à comprendre, que la def-
„ cription d'un Palais enchanté dans un Roman. Pour cet éfet^
„ il me fèmble qu'afin de rendre vos Démonfirations plus tri-
« viales , il ne feroit pas hors de propos d'ufer des termes & du
„ calcul de l'Arithmétique, comme j^ay fait dans ma Géomé-
„ rrie. Car il y a bien plus de gens qui fçavent ce que c'efl
« que Maltiplicationy qu'il n'y en a qui fçaventce que c'efi; que
« Comjjojttion de Raifons , é^c. Au
gués. »•
A Paris eu
1619.
Livre V. Chapitre V L 45
Au refte ce fut une chofêaflez digne de la remarque des i ^ } 9.
Curieux de voir la fécondité de cette année en produc-
tions d'efprit fur un môme fujet, & dans une. même ville.
Outre ce que nous avons rapporté de M. Pafcal & de M.
des Argues , Ton vid paroi tre les quatre livres Latins des
Sciions Coniques de Mon (leur Mydorge , le plus prudent
des Amis de M. Defcartes. La compofltion en étoit achevée
avant que ny M. Pafcal, ny M. des Argues, euiTentcommen-
<^é leurs Traitez. Le Père Merfènne eftimoit l'ouvrage de M. voff.aefdcnt.
Mydorge préférable à celuy d'Apollonius : & il nous a don- Mathcm.
né l'un &: l'autre avec les meilleurs Traitez de Mathémati-
ques qui ayent jamais été faits par \cs Anciens & les Moder-
nes dans fbn gros recueil qui a pour titre, abrégé de la Géo-
métrie univerfeile , d^ des Mathématiques Mixtes. Mon fleur
Mydorge avoit déjà écrit des Coniques plufîeurs années Lcttr.deDefc.
auparavant, & M. Defcartes en avoit fait mention dés l'an p^g- 345-
1633 au fujet de la Propofition de Pappus,pour détromper
ceux qui s'étoient perfiiadé que M. Mydorge l'avoit mife dans
ks Coniques. Le fujet ne luy parut pas encore épuifé par le
grand volume in folio qu'il en publia cette année. Il y tra-
vailla depuis , &: il en compoia quatre autres livres pour fer-
vir de continuation aux precédens. Mais il les garda dans fbn Rdat. de
cabinet jufqu'à fa mort, &: ils font demeurez manufcritsjuf^ j^^'^^r^'^^r
, , /^ 1 ' ■' dorgc lonhls.
qu a prefent.
M. de Beaune qui s'étoit acquis fur l'efprit de M. Defl ^
cartes le même crédit que M. des Argues, avoit paru fi fà- v.cy-dclTus
tisfait des folutions qu'il avoit données à fès Difficultez '[l] **' ^ ^^'
concernant les lignes courbeS:, que fous prétexte de l'en remer-
cier il prit la liberté pendant tout le cours de cette année de
luy en propofer encore d'autres , ou de l'entretenir de fès def^
feins, en luy demandant la communication desfîens. M. Defl
cartes ayant remarqué d'abord une différence <:onfidérable
entre les obfervations qu'il luy envoyoit , & ce qui luy venoit
de la part de plufîeurs autres , y trouva d'autant plus de plai-
fir, qu'il y avoit plus d'utilité à retirer pour luy que dans les
écrits des autres. Il étoit de fbn aveu trés-folide dans les Tom. i. des
Queflions qu'il formoit- trés-ineénieux, & trés-méthodique '-""• T^' •
dans la manière de ics propofer- & fes folutions etoient tou- '
jours véritables , ou les plus vray-femblables. Dans une des
F ij * Réponfes
ï
44 La Vie de M. Descar^tes.
659. Rëponfès qu'il luy fît fur quelques queflions de MéchânL
1640. que , il luy écoit échappé de dire que toute fa Phyfque n'é^
- toit autre chpfe que Méchanime , èc qu'il luy avoit déclaré com-
me à un confident des chofes qu'il ri avoit point voulu Aire
ailleurs , a, caufe que la 'preuve en dèpendoit de fon Monde. M. de
Beaune ne laifla point périr cet avertilTement. A la pre-
mière occafion qu'il eut de luy écrire, il luy fît des inftances
trés-fortes pour le porter à la publication de c-e Traité de fbn
Monde, que la peur des Inquifiteurs & des Zélez luy avoic
fait refïerrer lorfqu'il apprit la condamnation de Galilée. Ce
-fut la première fois qu'il reçût un refus de M. Defcartes, qui
tâcha de le colorer par ces termes aufquels il luy récrivit fur
" la fin de l'an 1639. Vous avez, dit41 , un extrême pouvoir
•» fur moy , & j'ay grande honte de ne pas faire ce que vous té-
« moignez deiirer. Mais il faut, s'il vous plaît, que vous excu-
* fiez ma des-obéïfîance , puifque c'eft l'eflime que je fais de
» vous qui la caufe. Il faut aufîî que vous me permettiez de
»• vous dire, qu'encore que les raifbns pour lefquelles vous me
w mandez que je dois publier mes Rêveries fbient trés-fortes,
»* pour l'intérêt de mes Rêveries mêmes , c'eft-à-dire , pour
w faire que mes Rêveries fbient plus aifement reçiës & mieux
« entendues, je n'examineray point celles que vous apportez.
» Car vôtre autorité eft fufiîfante pour me faire croire qu'elles
» font trés-fortes. Mais je diray feulement que les raifbns qui
» m'ont cy-devant empêché de faire ce que vous voulez me
»» perfuader maintenant, n'étant point changées, je ne puis auiîî
^ »» changer de réfblution fans témoigner une inconftance qui
»> ne doit pas entrer dans l'ame d'un Philofbphe. Cependant
». je n'ay pas juré de ne permettre point que mon Monde voye
» le jour pendant ma vie ^ comme je n'ay pas juré aufîî de
» faire en fbrte qu'il le voye après ma mort. Mais j'ay à^Ç-
» fcin tant en cela qu'en toute autre chofe , de me régler le-
»> Ion les occurrences , &: de fiiivre autant que je pourrrai les
j» confeils les plus feurs &; les plus tranquilles Comme
»» on laifîe les fruits fur les arbres aufîî long-tems qu'ils y peu-
M vent devenir meilleurs, quoiqu'on n'ignore pas que les vents,
» la grêle, 6c plufîeurs autres hazards peuvent les perdre à cha-
w que moment: ainfl je croy que mon Monde efl de ces fruits
» qu*on
Livre V. Chapitre VI. 45
•qu^oii doit lailTer meurir fur l'arbre , 6c qui ne peuv.^nt trop « r ^3 9.
tard être cueillis. «1640.
Voilà ce que M. Defcartes jugea à propos de répondre
en droiture à M. de Beaune : &: lorfqu'il alTûra le Père Mer- xom. t. des
fenne qu'il rî avait rien à repondre a Âf. de Beaune touchant la Lettres.
•publication de [on Monde-, il prétendoit faire voir la diftinclion ^^^' '^'°
qu'il faifoit de cet ami d'avec plufieurs autres , en marquant
que tout ce qu'il pourroit luy répondre fins luy donner fà-
tisfadion ,ne méntoit point le nom deRéponfè.
On fçûtàParis ce que M. Defcartes avoit envoyé à M.
de Beaune touchant les lignes courbes : &; CQttQ nouvelle
excita la curiofîté des Mathématiciens, qui témoignèrent à M.
de Beaune le dcfir de le voir. Mais il ne crut pas devoir pro-
diguer un bien qui n'étoit que pour luy , 6c il fê contenta
de s'en expliquer au P. Merfènne , pour faire trouver bon à
lA. Defcartes qu'il en eîit uféainfi , fur tout à l'égard de cer-
taines gens qui ne cherchoient qu'à profiter àQs lumières d'au-
truy , fans fe mettre en peine de \qs reconnoître. M. Defcar-
tes manda au P. Merfènne , qu'il étoit fort aife que M. de Tom. 1. des
Beaune eût refufé de faire voir à M. de Roberval ^ aux au- '*^"'^' ^^''
très , ce qu'il luy auoit envoyé touchant la Ligne courbe,
croyant qu'il fèroit allez têms de le leur montrer , lorfl
qu'ils avoûeroient qu'ils ne la pouvoient trouver. Il le pria
en même têms de ne luy pas envoyer ce que M.Petitavoit
£iit fur fa Dioptrique, fans que M. de Beaune l'eût vu , au
cas qu'il luy plût en prendre la peine, de fans qu'il iu^eât
qu elle méritât de luy être envoyée, hn un mot il ne man-
quoit rien à l'eftime qu'il faifbit de l'habileté de M. de Beau-
ne, ni à la confiance qu'il ^voit en fbn amitié, -tj J'ay, dit-il au
P. Merfènne, un puifîant défenfèur en M. de Beaune. Sa " ^^'<^- P-'^g-
voix eftplus croyable que celles de mille de mes Adverfàires. « ^'^^' '''"'
Car il ne juge que de ce qu'il entend fort bien ^ de eux de ce "
qu'ils n'entendent point. Un homme de ce mérite auroit fiit «^
fans doute un uflige excellent de la fànté. Mais il ne plut
point à Dieu de luy en donner une qui fût parfaite. Il per-
mit que fà patience fût exercée par diverfès efpéces de maux,
dont il fut tourmenté iufqu'à la fin de fes jours. On peut dire
qu'il n'étoit encore alors que dans les préludes de Ces fbuf-
/rances. Il étoit principalement fujet a la goutte , mais il
F iij * avoit
1639.
1640.
Pag. 166. du
1. Tom.
Item. pag.
&04.
^6 LaVie DE M. Descartes.
avoic fait avec elle des compoficions qui ne prëjudicioient
point à fes opérations de Mathématiques. M. Defcartes le
ilippofoit ainfi, lorfqu'il luy manda qu'il auroit appréfiendé
que fon indifpofition ne k détournât du travail des Lunet-
tes , lî elle étoit autre que la goutte : mais que ce mal ne
pouvoit à fon avis être mieux lurmonté que par exercice.
Le fuccés des lunettes 6c de la taille des verres luy tenoit
toujours fort à cœur. Il en avoit écrit quelque têms aupa-
ravant à fon ancienne créature le lîeur Ferrier , quoiqull
eut beaucoup perdu de fes premières efpérances. Il en entre-
tenoit encore de têms en têms M. Pollot &; M. de Zuytli-
chem, qui y occupoient les meilleurs ouvriers d' Amfterdam
fur fès inftrudions. Il avoit pratiqué depuis peu une corref-
pondance avec M. du Maurier dans les mêmes vues : non
pas qu'il le crût plus capable de réiiffir que les autres , mais
parcequ'ilfe croy oit obligé d'encourager ceux qui fepréfèn-
Pag. \i6. ,> toient d'eux-mêmes à faire des dépenfes pour ce travail. Je
° ' " fuis bien aife , dit-il, de ce que M. du Maurier travaille aux
" lunettes. Car foit qu'il y réuffî lie, foit qu'il n'y réûffifle pas,
'> cela me vangera du mauvais écrit de fon impertinent Parent.
Pag. ip8. da j| témoigna au P. Merfenne peu de jours après , c'eft-à-dire,
à la veille du départ de ce Père pour fon voyage d'Italie, qu'il
étoit ravi que M. du Maurier eût bonne e^érance de fon
Pag. 104. du travail à^î, lunettes, quoique dans le fonds il n'en attendît
pa^^iTs.^ point de grands éfets , 6c qu'il n'eût d'efpèrance pour ce
point qu'au fèul M. de Beaune. Sa défiance fè trouva confir-
mée par une Lettre que luy écrivit M. du Maurier , où il
promettoit trop pour pouvoir exécuter. C'efl: ce qui aug-
menta f^s efpérances du côté de M. de Beaune.
«•sa*
Chap,
Livre V. Chapitre VI-I. 47
1639.
1640.
CHAPITRE VII.
M. Defcartes fe rapproche de fes amis d'Vtrecht 3 ^ vient demeu»
rerprés de cette ville ^ puis à Lcyde. Efiime qu*onfaifoit de liiy
dans l'V^niver(îté de Zeydc. Son amitié avec Heydamis ^ Ri-
• vet. £loge du premier qui prêche à la Cartéfienne. CaraHére de
Vefprit du fécond. Imprcfjîon d'un Livre anonyme contre Jlf,
Defcartes faite fans fuccés. Accidens arrivez^ en TîoJlande au
Commen(^ement de l^ année x6^o. Mi/Joire dune fameufe gageure
de Mathématique entre Stampion ^^^affenaer^ oh J^. Def-
cartes fe trouve mêlé. CaraBére de i^efprit de Stampion qui perd
la gageure. Deffein dun voyage en France différé .^ puis rompu,
MR Defcartes avoit quitté le fëjour d'E gmond depuis
quelque tems , &: il s'étoit retiré à HardervvicK, peut-
être dans Je deflein de fè dérober à ceux qui s'accoutumoient
à l'importuner. M. Regius fê trouvant encore trop éloigné
de luy , crut qu'étant une fois hors de fà chère fblitude de
Nort-Hollande, toute autre demeure luy fèroit aflez indiffé-
rente. C'cfbce qui le porta à luy en écrire au commence- ^^^^' *^^^
ment du mois de Décembre, pour le conjurer de vouloir fe
rapprocher d'Utrecht, tant pour Ton intérêt particulier qui
luy faifbit confidérer la commodité qu'il auroit de conférer
avec luy plus fbuvent, que pour la fatisfaélion de quantité
d'amisqu'il avoit dans la ville, & fiirtout de M. le Colonel
Alphorfc, quil'avoit chargé de luy marquer fà pafîion là-def^
fus. Il prit cette occafion pour luy faire le récit de ce qui •
s'étoit paile à fbn fiijet en une célèbre compagnie , où' il s'é-
toit trouvé dans la ville de Leyde. Il y étoit allé au mois de
Novembre, après que fà femme fut relevée de fès couches qui
luy avoient produit un fils qui ne vécut que trois jours, pour
être préfènt à la réception d'un de fes parens au ran^ des
Dodeurs en Droit. Durant le Feftin que le nouveau Dodeur
donna aux Profefïeurs ôcà plufîeurs autres perfbnnes, la plufl
Eart gens de lettres , le difcours ne manqua pas de tom-
erfur M. Defcartes, dont plufîeurs des conviez fèdifoient
amis. Il en fut parlé comme du plus rare génie du fiécle, ci
comme
1640.
Lettr. &
Rcl. in
VIII. pag.
137.
La Vie de M. Descartes,
comme d'un homme cxtraoroinairement rufcicé pour nouç
ouvrir les voyes delà véritable Philofbphie. Les plus ardc.as
à publier fbn mérite furent M. Golns Profelîeur des Mathé-
matiques & des langues Orientales, & le fîeur Abraham
Mcida?2us Miniftre , & célèbre Prédicateur de la ville. Ce.
dernier dont nous n'avons pas encore eu occaiion de parler
étoit en très-grande conii dération dans le pais. Si nous en
croyons M. de Sorbiére, il avoit Içû joindre à la gravité de
fà Profe/Iion une douceur qui rendoit aimables en luy tou-
tes \qs belles qualitez de l'elprit qu'on fè contente d'eitmier
ou d'admirer dans les autres : & l'Ecole Cartéfienne qui ne
faifoit encore que de naître le révéroit déjà comme fbn prin-
cipal Protecteur. Ces deux Meffieurs ne fè laiîbient pas de
faire admirer à la Compagnie la grandeur de TefpritdeM.
Delcartes ôcla beauté de iès découvertes. Mais fiir ce que
M. Regius les interrompit^pour dire qu'il n'y avoit point eu
de Philofbphes dans toute l'Antiquité , ny dans les têms poL
térieurs, que M. Defcartes ne furpalTat infiniment , M. Hei-"
danus kiy demanda ce qu'il penfbit des Pythagoriciens & de
leur Philofbphie. A quoy M. Regius répondit que le fort de la
Philofbphie Pythagoricienne condftoit principalement dans
la fcience des Nombres, mais que (1 le plus habile d'entre,
eux pouvoit revenir dans le monde ,^ il ne paroîtroit rien au-;
prés de M. Defcartes.
Il falloit au refte que M. Heidanus n'eût guéres des dé-
fauts ordinaires aux Miniftres Proteftans , pour avoir pu ac-
quérir l'amitié de M. Defcartes avec fon eftime. Ow peut
dire auiTi qu'il étoit le fèul de cette Profcifion, fur tout par-
Outre îc /îeiv Hii \qs Calviniftes^qui put fè vanter d'être de fès amis, fi on en
Dcfmarêts, cxcepte le ficur André Rivet , natif de Saint Maixant en Poi-
parié dans la ^^u , qui par la confidératioiiduPaïs , 6c par quelque aver-
fuire. /ion qu'il avoit pour le Miniftre Voetius, avoit recherché l'a-
mitié de M. Defcartes, & tâchoit de l'entretenir par le moyen
de M. de Zuytlichem qu'il voyoitfouvent à la Cour du Prin-
ce d'Orange. Mais quelque confidération que M. Defcartes
eût pour le fîeur Rivet , il ne fut jamais trompé dans le ju-
gement qu'il fît de fon amitié. Rivet étoit aiTez habile Théo-
logien dans fa Sede, mais fort chétif Philofbphe, & il fut
cbligé d'avouer quelques années après , qu'il n'a voit pas afîèz
de
j^
Livre V. Chapitre VIL 49
de génie pour comprendre les ccrits de M. De/carces. Mais
il afïècloit de fe dire l'ami de M. Defcartcs, parccqiic l'en-
vie de devenir célèbre luy failbit rechercher l'amitié des
hommes célèbres. Par cette confîdération il s'étoitaulh ren-
du ami de M. GalTcndi, & du P. Merfènne , quoique l'un
fut Prêtre , & l'autre Religieux : mais il n'avoit pas toujours
la difcrétion nécelîàire à ceux qui entreprennent de dire ce
qu'ils penfent quand ils écrivent à des amis communs. Dans
une lettre qu'il avoit écrite au P. Merfènne le 29 d'A-
vril de l'an kjjS, il luy avoit parlé de M.Defcartesen ces ter-
mes, ctjen'ay pas vu M. Deicartes depuis la publication de
jfbn livre, dont l'attente a fait fhis d'éclat que la publication.
J'entens que Fromond de Louvain luy a envoyé fès objec-
tions aufquelles il a répondu. Mais jufqu'à ce qu'il donne
la clef de fes fècrets , ils feront lettres cioiès à plufîeurs. M.
Rivet ne croyoit point parler à M. Defcartes en écrivant de
la forte au P. Merfènne, parce qu'il ignoroit peut être leurs
conventions. Ilparoîtque ce fut fur l'avis que ce Père luy en
donna , ou à quelque autre de même nature qu'il luy avoit
donné au mois de Février précédent, qu'il luy répondit en
ces termes. Je vous remercie de l'avis que vous me donnez du
fîeur Rivet. Je connois ion cœur il y a longtêms, & celuy
de tous les Miniftres de ce Païs-cy , dont pas un ne m'efi ami.
Mais neantmoins ils fè taifent, Se font muets comme des poifl
{o':\s. Ces dernières paroles fervent d'explication à ce qu'a .
voit dit M. Rivet, que l'attente de fon livre avoit fait plus d'é-
clat que fa publication. En èfet cette attente avoit fait crier les
Miniftres , &; la pubhcation les fît taire. Ce qui leur fît appli-
quer lepremier vers du fécond de l'Enéide par M. Reneri
ProfefFeur d'Utrecht dans une de fès lettres au P. Merfènne,
& par M. Defcartes même. M. Rivet n'a pas laifTé de fentir
toujours depuis une demangeaifon merveilleufè de s'entrete-
nir de M. Defcartes dans fès lettres au Père Merfènne. Les
moindres bagatelles étoient des fiijets fuffifàns de luy écrire,
pourvu qu'il pût y faire entrer M. Defcartes.
Ce n'étoit point le caradére de M. Heidanus qui ne fut
point long têms fans mériter d'être excepté par M. Defcartes
mcme, du nombre des Miniflres dont il n'étoit pas ami. Il
fe mit il bien à l'étude du livre de M. Defcartes, qu'il le com-
G * prie
1639.
1640.
Rivet écrivoit
àM.GaflenrJi
& au P. Mer-
fcnne, mais
non à M.
Defcartes.
Lettr.MfT.à
MeiTena.
tom. 5. p.
ISS.
et Pag.191.du
3. vol. des
Lettr.de
ce Dcfcart.
C(
Conticuen
omnes, &c.
Tom. 1 des
Lettr. p.
loo.
50 LaViedeM. Descartes.
I (? 4 o. pfic , le goûta , &;en adopta les fèntimens jufqu'àfè déclarer
, hautement Sectateur de cette nouvelle Philofbphie. Mais au
lieu défaire parade de Tamitié qu'il con<^iit pour M. De/car-
tes , ou de la rendre flérile comme M. Rivet , il s'étudia â
s'en rendre de plus en plus digne , en faifant ufage de cette
nouvelle Philolbphie par tout , même dans fes Prédications
morales. C'cft ce que nous apprenons de M.Defcartes, qui fè
fervit de ion exemple pour l'oppofèr aux Prédicateurs Ca-
tholiques qui fè plaignoient que fa Philofbphie leur faifbit
Tom.j. des perdre leurs belles comparaifons touchant la lumière. » 11 y a , dit-il,
^^cttr. pag. ^^ ^^ jviiniftre à Leyde qui eft eflimé le plus éloquent de ce
" Pais , 6c qui eft le plus honnête homme de fà Profeiîîon que
" je connoiiîè. Il fe nomme Heide (ou Heidanus.) Il fe fert
" de ma Philofophie en chaire ^ & il en tire des comparaifbns
" Se des exphcations qui font fort bien recrues. Mais c'eft parce
" qu'il l'a bien étudiée : ce que n'ont peut-être pas fait ceux
" qui fe plaignent qu'elle leur ôte leurs vieilles comparaifbns,
" au lieu qu'ils dévoient fe réjouir de ce qu'elle leur en four-
" nira de nouvelles.
Cependant on imprimoit ?. la Haye un Livre contre M.
Defcartes. C'étoit le premier des ouvrages qu'on devoir pu-
blier pour combattre &: ruiner fà Philofophie: ôcil étoit de
la dernière conféquence que l'Auteur yréiifîît, afin que les
autres Adverfaires qui viendroient après puflent en tirer
d'heureux augures. L'Auteur rifquoit beaucoup en fè pré-
fèntant le premier dans le combat, mais il eut la difcrétioii
de fupprimerfon nom, pour ne pas l'expofer à la flétrifTiire,
Epift. Lat. en cas de mauvais fuccés. L'événement juftifia fa prudence.
Voef p^t^% ^^ ^^^^^ parut pour les Etreines de l'an 1640. Le grand nom
de celuy qu'il attaquoit excita la curiofîté de le voir , & en
peu de têms ilfe trouva entre les mains des Curieux de Fran-
ce ôc d'Angleterre. La chofè tourna toute à la gloire de M.
Defcartes. On difpenfà l'Auteur defè nommer, & l'on fut
indigné feulement de voir que l'Anonyme eut 'abufé defl'at-
tente de ceux qui .demandoient autre chofc que des fbttifès,
contre les Principes d'une Philofophie qu'il étoit queftionde
réfuter férieufèment. M. Defcartes n'en parut ny plus hu-
mihé ny plus élevé, Se il laifla ce petit nuage fè difîîper de
Tom^i.dcs iuy-même. Il écrivit quelques jours après au P. Merfènne
Leur. pour
LivreV. ChapitreVII. ^
pour luy mander que la nuit d'après le jour des Ro^s , il s'é- i (^4 o.
toit levé dans le Païs où il étoit un vent fi étrange , qu'il a- ■
voit arraché plufieurs arbres, quoiqu'ils n'euilent alors au-
cunes feuilles. C'auroit été toute autre chofê fi l'accident
fut arrivé en Eté , où les arbres font couverts de feiuUes.
M. Defcartes avoit quitté le fëjour de HarderwicK pour
fè loger dans une maifbn de campagne prés de la ville d'U-
trecht, par complaifànce pour M. Regius ôc les autres amis
qu'il avoir en cette ville. Mais foit que l'Hyver luy parût
trop violent dans cette contrée , fbit qu'il ne voulût pas être
fi prés de Voetius qui auroit pu luy caufèr quelque chagrin
par Tes pratiques, foit enfin que l'afFaire de \i^aefi!enaer * con- ^ , .
tre Stampioen requît fa préfence au lieu où elle fè devoit ju- waejpnTer sc
ger, il quitta le voifinage d'Utrecht, & s'^en alla demeurer sum^ieen,
à Ley^de. M. de Zuytlichem quitta la Cour pour l'y venir ^^onl^wInT
viCiter en ce commencement d^année. Il luy apprit qu'il ne n^r & stam^
s'étoit élevé aucun orage fiir la Mer dans le têms que la Terre P'"^" °^
avoir été battue de fi grands vents. Il luy rapporta encore ^"'"P'^"-
une autre nouvelle, dont il crut devoir faire part au Père Mer-
fenne. La ville de Terveer en Zélande avoir fbufFert ]iiC- Pag. 20g.
qu'à lors beaucoup d'incommoditez de la Mer , qui en avoir ibidem,
emporté ou fait abyfiiier plufieurs maifbns en diveriès ren-
contres. La caufe de ce défàfiire étoit un Banc de làble qui
étoit au-devant, & qui fâifbit que l'eaudelaMerprenoit Ton
cours vers la ville. Mais depuis quelques jours , ce Banc a-
voit difparu fubitement : de forte que la Mer fe trouvoit
très-profonde à l'endroit où il avoir été , 6c la ville délivrée
de fçs fréquentes infultes.
Ce n'efi: pas encore tout ce que M. Defcartes mandoit au
P. Merfènne. Le Minillre Rivet qui ne pouvoit s'abftenir de Tom.i, des
parler de M. Defcartes dans les lettres qu'il écrivoit à ce ,^J^''^P; ^°'^-
Père, luy avoir mandé une choie dont M. Defcartes n'a voit ùcm.ioi,
pas jugé à propos de l'informer , ne la regardant que com-
me une bagatelle. Le P. Mérfenne conçut par les expreC
fions de M. Rivet, que la chofè mèritoit d'autant plus d'être
fçûë, qu'elle regardoit M. Defcartes trés-particuliérement,
6c il luy en avoit écrit pour la féconde fois le dernier jour de
Décembrei639, pour apprendre de fâ propre bouche ce qui
^ïx étoit. Il s'agillbit d'une gageure fameufè de Mathéma-^
G ij * tique
/
52 La Vie de m. Descartes.
^"40. tique entre deux Hollandois , dont l'un étoit Jean Stampioen,
■ èc l'autre , Jacques \(^ aejfenaer \q ]Q\jinQ ^ dont le Përe ëtoit
Profefleur des Mathématiques à Utrecht, & ami intime de
M. Defcartes. Stampioen qui étoic auffi fils d'uu Mathëmati-
Re" Mf. * ^^^^"^ à Amfterdam , avoit publié àés l'an 1(359 ^^^'^ ^flez gros
livre d'Algèbre en langue vulgaire du Païs, après avoir fa-
tigué le public pendant pluiîeurs années par de magnifiques
promeiîes, ôc par des fanfaronnades qui n'avoient produit
jufques-là que des Affiches, des Programmes, & des Pla-
cards pleins de vanitez extravagantes,pour préparer le monde
à recevoir fon grand ouvrage d'Algèbre avec le refpect 6c
l'eftime qu'il en attendoit. Avant que de donner le livre
même, il en avoit fait imprimer le titre avec ion portrait
qu'il avoit fait diftribuer. Tous ces préparatifs formèrent un
préjugé légitime contre fon livre. On le fit voir à M. Def-
cartes, &:on luy apprit en même têms que le jeune 'W^aefTe-
naer fbngeoit à le réfuter. C'étoit une chofe allez facile,
mais afin qu'il pût s'en acquiter au gré des S^avans , Mon-
fîeur Defcartes luy donna les avis qui lui étoientnèceflaires,
tant pour la méthode qu'il de voit garder dans fa Réfutation,
que pour le choix des remarques qu'il luy envoya pour ren-
dre fon livre folide.
Le jeune Waeflènaer publia fon livre peu de têms après,
oc il rendit celui de Stampioen méprifàble par la multitude
àQs fautes qu'il y remarqua. Stampioen qui n'avoit pas d'au-
tres moyens d'oppofition contre ceux qui le contredifoient,
que de vouloir gager contr'eux , 6c qui rèuiîifToit fouvent à
Rélat. hift. de les épouvanter par fa hardielle , ne répondit point à Waefle-
la Gageure de naer autrement qu'en luy propofant une gageure j 6c il luy
Vv^ffenacr ciivoya le Cartel du défi, par divers billets imprimez qu'il
Mf. luy fit déhvrer par les Sergens ou Huiffiers , 6c qu'il fît diilri-
buer en même têms à la plupart des Sc^avans 6c autres curieux
du Pais. Waeflenaer étoit fbmmé par ces billets de maintenir
Rcg.utfupr. 5^ démontrer ce qu'il avoit écrit contre Stampioen : mais il
Liftorp. dé ^'^^ ^1*"^ P^s devoir s'engager à rien avant que de confulter
cemtud.Phii. M. Defcartes , dont ilfuivoit la Méthode 6c l'AnalyfeGéo-
Cart.p. II. & lyie'trique, comme nous l'apprenons de Regius 6c de Lip-
ftorpius. Mais il efl plus à propos d'entendre faire le récit
de cette hiftoire à M. Defcartes, qui la décrivit en ces termes
au P. Merfènne qui la luy avoit demandée. Il
n
\
L I V R E V. C H A P I T R E. V I I., 53
Il faut , dit-il , que je commence ma lettre par la badine- " "^^^
rie que le fieur Rivet vous avoit écrite , puifque c'efl par elle " 'lo.n.i.dcs
que vous avez commence la votre du dernier Décembre 1639 j " zolio^.
éc que je vous dife qu'il s'eft trouvé un homme de ce Pais «*JJScam-
* fi habile dans l'Art des Charlatans , que fans rien fcavoir " ^^°^"'
en Mathématiques , il n'a pas lailTé de faire profcffion de les "
enfeigner , 6c de palier pour le pkis Sçavant de tous ceux qui "
s'en mêlent. Il n'avoit point d'autres quahtez pour cela que "
la hardielîe de le vanter qu'il fçavoit tout ce qu'il avoit oiiy «
dire être ignoré par les autres 3 de faire des livres qui pro_ "
mettoient des merveilles dans le titre , mais qui ne conte- "
noient au dedans que des fautes , ou des pièces dérobées j "
de réphquer fans raifon tout ce qui luy venoit en penfée â "
ceux qui le contredifbient j 6c de les provoquer par gageures. "
De forte qu'il ne fc rencontroit perfonne qui ofât luy redfter, "
jufqu'à ce qu'enfin ayant fait imprimer un allez gros livre "
qu'il avoit continuellement promis depuis fix ou feptans, un "
jeune homme d'Utrecht en a fiit un autre, où il a remarqué " ^^^f%
r r n ^ ' r r m t>. \ "^^r le fils.
toutes les mutes , & découvert toutes les nnefies. Pour luy "
ôter fi vieille pratique de vouloir gager , il luy a donné avis "
de ne point parler de gager, qu'il ne dépofàt auparavant l'ar- "
gent entre les mains de quelque ProfelTeur en Mathémati- "
que 3 ôc qu'il ne confentît que l'argent fcroit pour les Pau- "
vres au cas qu'il perdît : autrement , qu'on fe mocqueroit de "
{qs bravades, & qu'v>n verroit par là qu'il ne vouloit o-ao-er "
que de paroles. Nonobftant cela ce MaLavifé n'ayant point
d'autres armes pour fe défendre, n'a pas faille de provoquer
celuy d'Utrecht cà gager, par un Écrit imprimé. A quoy l'au-
tre répondit^ qu'il devoit donc dépofer fon argent, & dire "
touchant quoy il vouloit gager, & à quels Juges il vouloit "
s'en rapporter. Car le Charlatan n'avoit rien déterminé de '^
tout cela. Après ce fécond avertilTement il fut afïèz impru- "
dent pour mettre /a: cens livres entre les mains du Redeur "
de l'Ùniverfité de Leyde j ôc de faire un fécond défi , fans dire "
encore fur quoy il vouloit gager, ny quels Juges il vouloit "
choifir. L'autre dépofa auifi fon argent , & il le fit fômmer "
par un Notaire de fpécifier f ir quoy il vouloit gager , & quels "
Juges il vouloit croire. A quoy le Charlatan ne voulut rien ré- "
pondre fur le champ. Mais à cinq ou fix jours de là, il fit "
G iij * «imprimer
ce
C(
ce
54 La Vie de M. D e s c a r t e s.
^^4-^' ^^ imprimer un troifiéme défi , où il Ipécifîa une chofè pour k-
« quelle il vouloir gager, fans nommer encore les Juges, Et
53 parce qu'il avoir appris que celuy d'Utrecht s'étoïc fervi de
55 mon confeil en tout ce qu'il avoit fait , il me nomma dans ce
>3 troifîéme défi. C'efl: ce qui a donné fujet à M. Rivet de vous
>5 faire fon conte à mon fujet. Depuis ce têms-là, on a fait tout
" ce qu'on a pu pour faire qull fè fbûmît à quelques Juges,
M &; on Ta tellement engagé peu à peu qu'il ne peut éviter d'ê-
Liftorp. ut " tre condamné, ( depuis qu'il a enfin nommé les Profefîeurs
fup.&Rci. u en Mathématique de TUniverfité deLeyde pour juger l'af-
^^' » Élire. ) Comme on avoit vu. clairement par {es fubterfuges
ï> qu'il ne vouloit gager que de paroles , les Curateurs des Pau-
>5 vres ont fait arrêter fon argent, parceque c'étoit pour eux
« qu'il étoit configné. Mais parce qu'on luy a donné un mois
» pour écrire {es défeniès, & un mois aux Arbitres pour don-
>5 ner leur Sentence, il ne peut être tout-a-fait condamné que
" vers la fin du mois de Mars.
M.Defcartes ne trouvoit rien à redire à l'Ecrit du fîeur
Tom. j. des Waeflenaer, fînoii qu'il avoit été trop indulgent à l'égard
Dcfc"'^^ du fîeur Stampioen, parceque fans s'arrêter uniquement à
41?. 410. 4x1. reprendre fès fautes , il avoit bien voulu recevoir pour bon
411. 415. tout ce qull avoit dit, & s'étoit contenté d'ajouter ce qu'il
Géométrie de avoit omis. C'cfl de quoy il s'étoit fort bien acquité , en fui-
M. i^c^^^it- vant exactement les régies de la Géométrie de M. Defcartes,
jSi. ^ * ' '' &c en {e fervant même de fès Notes. Auffi ne fit-il point diffi-
culté de fè rendre refponfàble de cet Ecrit.
Cependant il étoit arrivé un fâcheux contre-têms au fîeur
Waeflenaer lorfqu'il fut queflion de fè rendre à Leyde , où
Lettre g. de l'on avoit tranfporté le bureau de cette affaire. Il étoit tom-
».eg.MC jj^ dangereufèment malade flir la fin d'Ocbobre d'une faufTe
pleuréfîe, accompagnée d'une très-grande difficulté de refl
pirer. Le mal le réduifît fort bas , de le conduifit fort avant
dans le mois de Novembre. De forte que M. Regius qui
étoit fon Médecin fè crut obhgé d'en écrire à M. Defcartes,.
& d'en informer même Meilleurs de Leyde , afin qu'on ne
crût pas qu'il eût pris ce prétexte pour ne pas fe trouver à
l'afîîgnation donnée de fa part au fîeur Stampioen , 6c qu'il fè
fût défié de la bonté de fa caufe. Il ne luy fut pas auffi aifé
de confoler fou Malade que ce contre-têms chagrinoit pins
cj,ue
Livre V. Chapitre VII. 55
que la douleur du mal. Il n'en put venir à bout qu'en lui re- 16 4.0
préfentant que M.WaefTenaer Ton Père pourroit aller à Léy- '^
de s'il en étoit befbin pour la confignation de fbn argent,
^pour y tenir toutes chofèsen bon état devant les Juges àc
la Partie jufqu'à ce qu'il fût rétabli.
L'affaire fut prolongée jufqu'au mois de May, parce que
les Juges voyant la caufe de Stampioen défèfpérée crurent de- ,j.^^ ^ ^^^
voir lui accorder le délay néceflaire pour faire imprimer fès icttr. p. zi4,
Défenfès,qui ne fervirent qu'à les convaincre encore d'avan- ^ ^^î-
tagede fonignorance.Ils jugèrent en faveur de W^aeflenaer,
& adjugèrent les fix cens livres de Stampioenau pauvres. M.
Defcartes envoia auffi tôt une copie de la Sentence à M. Rè-
gius en lui marquant l'indulgence des Juges , mais qui no- Tom. i. des
nobftant la douceur des termes qu'ils y avoient emploiez , ^""- P- 38*-
n*avoient pas laiiTé de faire connoitre qu'il approuvoient tout t"^"^"»."* *^*
dans W^aefTenaer , 6c condamnoient tout dans Stampioen. ^^'
Cependant on eut avis que ce Stampioen par une fuper-
clierie digne de Ion génie ,vouloit envoyer un écrit en Fran-
ce pour en demander le iuo-ement aux Mathématiciens du „ , ,, .
T» * /^ • • » 1 1 A r» ' RcIat.Ms.de
Royaume. On craignit qu il ne leur envoyât une autre Re- ]a gacrcurc.
gle, afin que s'ils jugeoient qu'elle fût bonne,il pût emploier pag. j.
leur témoignage contre le jugement de ceux de Leyde, pour
faire croire que ceux de France auroient approuvé la Règle
que l'on condamnoit à Leyde. On jugea donc à propos de
les prévenir fur ce fujet, afin qu'ils ne s'y laiflalîent point fur-
prendre j de on leur envoya une Règle fervant au même fu-
jet que la précédente, laquelle avoit été trouvée par le jeu'
ne 'W'aeflrenaer dés le commencement de la gageure , & corn*-
muniquée dés lors aux Mathématiciens, tant de Léyde que racine cTbJ*
d'Utrecht de d'Amfterdam. Ainiî Stampioen fè trouva aban- <i^sBinoni^
donné de tout le monde. ^^'
Le P. Merfènne étoit parti de France pour fon voyage
d.'ltalie dans l'impatience de fçavoir lefuccez de cette afFai- j^®"'* *• ^"
re. Il avoit fubftitué le frère Valentin à fa place , pour rece- & n^* ^^ '
voir en fbn abfence toutes les lettres de M. Defcartes , ôc
lui faire tenir de France tout ce qu'on auroit à lui envoier.
M. Defcartes agréa le frère Valentin pour les lettres feule-
ment qu'il devoit écrire au P. Merfènne , &: le déchargea
du foin de toutes les autres , dont il donna la commiiTion à
Monfieur
5(5 LaViede M. Descartes.
. Monfieur de Maniyny l'un de Tes amis , & de ceux de l'Abbé
^ Picot, jufqu'au retour du Pvîre en France. Ce fut donc par
le frère Valentin qu'il informa ce Pire de toute la procé-
Pag. II y. ini- ^"^^ ^^^^^ entre WaejGTenaLr & Stampioen : mais il ne put lui
tio. tom. X. envoler un exemplaire de la gageure, qu'on fit imprimer de-
puis, parce que cePëre n'entendoit point le Flamand.
Ce n'étoit pas afîez que M. Dcicartes eût conduit le fîeur
WaeiTenaer dans toute Ton affaire , on l'engagea encore à fè
charger de l'impreifion qu'il fallut faire de l'bifloire de cette
De Leydc g^gcure. Ce fut ce qui retarda ou qui lit rompre même un
kttr. Ms. de voyagc qu'il méditoit de faire cette année en France pour
Peïe^'du fg" ^^^ affaires de famille , & pour aller confoler M. fon Père
oaob. 1640. dans /on grand âge ôc les infirinitez. >5 Mes affaires dome-
Tom.î.dcs" ftiques m'appellent en France, dit-il , à M. de Zuytlichem,
Jc:rr.p.;6}.î3 ôc îî je puis trouver commodité pour y aller dans cinq ou
« fix femaines , je me propofe a'en faire le voyage. Mais W^aef-
>3 iènaer ne délire pas que je parte avant rimprelTion de ce que
53 l'opiniâtreté de ion adverfàire l'a contraint d'écrire. Quoi-
5î que ce foit une drogue dont je fuis fort las , l'honneur tou-«
55 tesfois ne me permet pas de in'éxempter d'en voir la fin , ni
î5 le fervice que je dois à ce pays, d'en diffimuler la vérité. Vous
55 la trouverez dans fa préface, dont je lui feray encore diffé-
55 rer l'impreffion quinze jours ou plus s'il eft befoin, afin d'en
53 attendre vôtre jugement , fî vous me faites la faveur de me
33 l'écrire, ^'A nous fèrvira de loi inviolable. Cependant fon
53 adverfàire a fort bien fçeu que tout fon livre ne valoit rien,
53 avant même que de le publier , comme les fubterfuges de
33 fa gageure l'ont afïez montré , & qu'il a eu la fcience de
33 Socrate , en ce qu'il a fçii qu'il ne fçavoit rien. Mais avec
33 cela il a une impudence incroyable à calomnier , 6c à fe van-
35 ter de f^avoir des chofês impoffibles & extravagantes 3 ce
53 qui efl à mon jugement la qualité la plus dangereufe ôc la
33 plus nuifible qu'un homme de fa condition puifïe avoir.
Chap.
Livre V. Chapitre VIII. 57
r <3 4 o.
CHAPITRE VIII.
'X'eJ}>nt de Voctiris s' aigris contre M. Dcfcarîes ^ M. RcgiuSi
au fujet des Théfes de ce dernier touchant le mouvement du cœur
^ la circulation du fang. M. Defcartes corrige ces Théfes , c!j^
veut bien y alji(ler , pourvu que ce foit dans l' Ecoute de JX/fade^
moifelle de Schurmans. Eloge de cette Demoifeile ^ dont le cœur
€ fi gâté far Ldbadie , ^ l' e [prit far Koetiîis j par le fré'mcr,
fous prétexte d'une plus grande réforïïiation j par le fécond ^ fous
f rétexte de s'enfoncer dans les controverfes de It Théologie. Pri~
merofe ^ Silvius réfutent les Théfes de M. Regius , qui fe dé-
fend. Ordonnance des Curateurs de l'^niverfté d'iJtrecht a la-
quelle M. Defcartes fait une explication en forme de Réponfe,
PEndant que plufieurs de Meflieurs de la Ville 6c de TU-
niverfité d'Utrecht faifoieiit paroître leur emprelFe-
ment pour pofleder Monfieur Defcartes dans leur voifînage,
le Miniftre Voetius prenoit iks mefures pour rëiiiîir dans le
defTcin de le perdre de réputation, &: de le faire déclarer
ennemi de la Religion en général, & ^Qs EgUlès Proteftan-
tes en particulier j par ceux même qui l'honoroient le plus
de leur eftime & de leur bien-veillance. Il avoit fait foute-
nir de iècondes & de troifiémes Théfes, où il avoit renou-
velle la calomnie de l'Athéïime contre luy , afin de préparer Lettr.&Difc^
peu à peu l'efprit du Peuple, &: de faire changer enfuite çJeSoibiére
les bonnes difpofîtions des Magiftrats. L'impreffion de TO- '"7 *^^^
raiibn funèbre de Monfieur Reneri faire pour le commence-
ment de l'année i64o,par l'ordre dQs mêmes Magiftrats, avoit
encore aigri {on efprit de nouveau , mais elle ne l'avoit pas
découragé. Il avoit crû au contraire , que fous les acclama-
tions pubhques que Tondonnoit à M. Defcartes, il pourroit
agir plus fburdement, & avec moins de fbupçons contre Lcttr.Mlf de
luy. Mais pour venir à bout de cette entreprife, il falloir R-<^g-s & 10.
ruiner M. Reo-ms. C'eft à quoy il travailla de toutes fes J'^l/l?'^'
rorces , s étudiant a rechercher dans les levons &; les écrits
de quoy lui fufciter un procès.
Il commeni^a par l'examen àQs opinions nouvelles que
H* Monfii^ur
BM— MM » ■ ^1 ■ IP. .1 III
Lettr. de Rc-
Ecrnatdus
Scîiotanus
Profeff. en
Droit & en
Mathémac.
Narrât, hift,
AcaJ.Ulu-j.
^8 L ^ y ï E p H M, D E s C A R T E s.
M. Regius debitoit dans la chaire de Médecine , & il îuy
fit un crime devant les collègues de tout ce qui ne s'y trou^
voit pas confornie aux maximes (\qs anciens Médecins &
Philofbphes, établies de reçues dans les Univerfitez de Hol-
lande. Ses plaintes n'étoient que leçrétes durant les premier^
mois. Mais las de ie plaindre en particulier, il les fit éclater
au fjjct d'une Théfe ou Diipute publique, que M. Regius
devait faire le dixième jour de Juin 1640 , touchant la Cir^
culution du Sanf^ qu'il enfcignoit comme M. Defcartes 6c
Harvée , mais qui paflbic encore pour une héréfie parmi les
ignorans H- les entêtez. Voetius parvint par iès intrigues
a faire révolter la plupart des ProfciTeurs de l'Univerfite
contre ce ièntiment. De forte que le Recl:eur de TUniver-
iîcé, qui dvjlleurs étoit des amis de M. Defcartes , & qui
favoriibit même M. Regius, ne put réfifter aux inftances que
Iuy firent les autres Profeileurs de Médecine & de Philofb-r
phie, pour empécherMp Regius d'enfeigner de pareilles nou-
veautez. Il 1 ly propofa la chofe de telle manière qvi'ilfemr
bloit vouloir l'èxliorter à prendre à^% mefiires pour préve-c
nir \qs murmures de fes collègues, ^ ne pas tiroubler la
paix de l'Univerfité. Monileur Regius Iuy ayant repré-
ienté i'importance qu'il y a de ne pas rejetter ou trahir
une vérité fous le prétexte feul qu'elle auroit le caractère
de la nouveauté , 6^ de ne pas adopter \^s erreurs fous le
^oiie d^ine vénérable antiquité : il fallut affembler l'Univer-
iité , pour délibérer fur le refus qu'il fembloit faire d'ac-
quiefcer au deflr de fes confrères, il y fut réfblu que M, Re-
gius prendroic quelque autre fujet qui feroit moins éloigné
des opinions reçues dans la Médecine vulgaire ,: ou que s'il
étoit ièrme à vouloir retenir çeluy de la Circulation', du Sang
au fens de Harvée, il le feroit au moins par manière de Co-
vûUaire ou d'addition à {&^ Thefès, avec le formule ordinaire
Bxcrcitii cdufa défende mm. Voetius dans le manifefte qu'il en.
fit imprimer au nom de l'Univerfité prétend que Regius pro-
mit d'acquiefcer à cet expédient qui Iuy avoit été propofe ^
& qu'il n'en fit rien. Il ajoute, que fins attendre une féconde
délibération de l'Univerfité il fit imprimer fes Thé^s , s'étant
(Contenté de changer quelques mots dans la première, qui
m fervoit que 4*entré^>a,uA ^iicrcsi Çet|ç lilpertg^faj: prife
T 6^0.
Livre V. Chapitre VÎII. 59
pour un attentat contre l'honneur & l'autorité de TUni-
verfité , à qui il appartenoit de droit d'ordonner l'impreffion
ou la fîipprefîîon des Théfes. On députa vers le Magiftrat
pour s'en plaindre : & il fut répondu , qu'on pafTeroit les
Théfes à M. Rcgius , puifqu'elles étoient imprimées ^ mais
qu'à l'avenir il ne s'en imprimeroitplus lans Tordre du Rec-
teur de TUniverlîté, ^
M. Regius avoir eu jfbin auparavant de prendre avec M. En May 1^40.
Defcartes des meflires nécefîaires pour mettre ies Théfjs
hors d'atteinte, & il luy avoit fait croire en luy propofàntla
ehofê, qu'il n'avoit dans ces Théfes point d'autre deflein que
d'étendre fà Philofbphie, & de luy donner de l'éclat. Ses , ,
Ecoliers le preflbient^ dit-il, inceflamment de faire imprimer Regms, MC
ià Phyfique , afin d'expofèr aux yeux de tout l'Univers une
Philofbphie qui ne fiifoit encore bruit que dans quelques
Provinces, Il y fit réflexion, & ayant crû qu'il fèroit à pra-
pos de fonder les efprits par quelque efîày ^ il avoit eu. la
penfée de la réduire auparavant en queflions, &dc la pro-
pofer dans des difputes pubhques. Mais quelques-uns de fes
Collègues appréhendant que les nouvelles opinions dont elle
ëtoit remplie ne fiffent quelque tort à leur Univerfité, à caufè
que fbn établillement étoit encore afïez récent , crurent
qu'il valoit mieux la faire imprimer comme l'Ecrit d'unfîm^
pie Particulier, M. Regius eflima néanmoins qullferoit bon
de la faire précéder d'une difpute publique pour en être
le prélude , & il choifit fes opinions concernant le mouve-
ment du Cœur, des Artères, & du Sang , pour en former fes
Théfes, qu^ilenvoyaenfuiteàM Defcartes pour les corrio-er,
M. Defcartes étoit encore à Leyde où il fbngeoit à met-
tre fes Méditations en ordre pour les envoyer a Paris. Mais
il quitta toute autre chofe pour fervir fon ami , & ayant re-
vu èc corrigé fes Théfes il les luy renvoya accompagnées de ^'^^ I*
fes corredions, avec une dihgence qui furprit &: qui ravit duT'vl?d*l<^
M. Regius. Il réforma fes Théiès fur tes remarques qu'il luy n'cftpoint '
avoir envoyées, & n'oublia pas fur tout d'ôter le nom foro-é '"^"''<=-
de CancpîM ^ pour y remettre celuy de Defcartes ^ comme il PageiSzdB
Tavoit fouhaité. Il luy récrivit le xx. c'eità-,dire , le xxx. *' ^'°^'
de May pour l'en remercier, ^ le prier inflam'mcnt de vou-
loir honorer ks Théfes de fapréfence. Ce qu'il croyoïtluy
H ij * devoiir
I<3 4^-
Pag. 38P ini-
tio ibid.
* Anne Marie
Lcttr. II. de
Reg. Mf.
EHe étoit née
sa 16 ij.,
Salmarf. in
Pi.rfat. ad
Mifc. Defin.
Le Laboureur
voyage de la
Reine de Po-
Icigne.
Gafleiid. E-
pift. p. 198,
& ii6.
Rivet. & alii
paflim.
éb La Vie de M. Descartes.
devoir être d'autant moins onéreux, qu'il le voyoit fur le
point de quitter le iëjour de Leyde pour aller demeurer à
Amcrsfort à trois petites lieues. d'Utrecht. M. Defcartes s'é-
toit offert le premier à ce voyage d'Utrecht, pour l'aiîîfterde
plus prés , s'il en étoit beibin • Ôcpour entendre même la diC
pute de fes Théfes , pourvu que l'on n'en fi^ût rien , & qu'il
put demeurer caché dans l'Ecoute ou la Tribune de Ma^
demoifelle àc* Schurmans. M. Kegius luy promit d'accomplir
exactement ces conditions , 6c le fupplia de vouloir être [on
hôte pendant le féjour qu*il feroit dans la. ville , ajoutant que
les Fêtes de la Pentecôte avoient fait diflFérer le jour des
Théfes jufqu'au ^-^ de Juin ^ mais que la chofe n'étant pas
encore déterminée, il auroit foin de luy donner avis du jour
fixé pour cela, dés qu'il l'auroit fait afficher,
Nous pouvons juger par la propofition que M, Defcar,
tes fît à M. Regius de fe fêrvir de l'Ecoute de Mademoifèlle
deSchurmans, que cette merveilleufe fille ne luy étoit pas in-
connue.Elle n'étoit encore âgée pour lors que dexxviii ans,
mais elle avoit devancé la plupart des vieillards dans lacon,
noifTance des arts êc des fciences. Elle polTcdoit un très-
i2;rand nombre de Langues qu'elle fçavoit parler & écrire
également, Elle n'en ignoroit aucune de celles qui font yi-.
vantes. ou vulgaires en Europe, fans en excepter le Turc,
Parmi celles de l'Orient elle s'étoit appliquée particulière-
ment à l'Ebreu , au Syriaque , au Chaldéen , ôc à l'Arabe,
Elle pojOTédoit toutes les finefles de la Langue Grecque. Elle
çcrivoit en Latin avec plus de politefîe que les Sçavans qui
n'avoient fait autre chofe pendant toute leur vie ^ 6c en
François prefque auili délicatement que Balzac, au fènti-
ment de M. de Saumaife. Elle n'avoit pas feulement la théo-
rie de tous les beaux arts , elle s'étoit encore perfectionnée
dans leur pratique , 6c y avoit acquis une déhcatefTe exquifè.
De forte qu'on alloit voir avec admiration les merveilleux ou-
vrages de fes mains , tant de Peinture, de Miniature, d'En-
luminure , 6c de Scuplture, que de Gravure, au burin 6c au
diamant, fur le cuivre, fur le verre, fur la cire , fur le bois,
6c fur la pierre. Elle étoit fort exercée dans les autres arts,
comme de la Poéfie, de l'Eloquence, 6c de la Dialectique.
£lle ne s'étoit pas moins enfoncée dans les fciences , dans
celles
Livre V. ChapitreVÎIÎ. 6i
celles mêmes qui paroiflenc les plus abftraites & les plus 1^40.
épineufes. Outre les Matliématiques , elle fçavoic la Philo^ ■■
ibphie Scholaftique èc la Soplnftiquc. Elle difputoit & ré^
pondoit mieux que les vieux Profefleurs des Univerfitez, 6c
que les Hibernois. Enfin , elle avoit étudié la Théologie des
Ecoles à fonds, ScpolTédoit parfaitement l'Ecriture Sainte, &c
S. Thomas, fans parler de plulîeurs Pérès Grecs èc Latins.
Tant d'excellentes connoiflances étoient foutenuës par une
modeftie incomparable, & par un amour extraordinaire pour
la retraite, l'étude,, & la pnére. Elle ne s'étoit point bornée
aux feuls commandemens de l'Evangile, elle en avoit en-
core embrafle les confeils les plus févéres. Elle s'étoit re •
tranchée les plaiilrs les plus innocens , elle pratiquoit une
abftinence extraordinaire, ayant pris pour fa devife le beau
mot du Martyr S. Ignace Amor vdeus crucifîxus efl j Elle avoit , »' «ê"^ *^^
même voiié fa virginité à Jefiis-Chrift , &: elle luy garda en ^'^'^s»"»'
ce point une fidélité inviolable jufqu'à la fin. En un mot, il rag. x<î4.
ne luy manquoit que l'avantage d'être née, ou d'avoir été ^P^*^* ^'^^"^"
élevée dans Je fem de TEglife catholique. N'ayant pas
trouvé les Miniflres d'Utrecht afïèz réformez ny afTez Spi-
rituels, elle s'étoit mifé fous la direction de Rivet : jufqu'à
ce que le fîeur J. Labadie étant venu prêcher une nouvelle
Réformation parmi les Proteftans , elle fè rangea fous fa difl
cipline dans la viië d'une plus grande perfection, & perdit
dans l'efprit des Calvinifles,qui prirent Labadie pour un
r \ r -^ r I '^ 1 r • 1 ^ r Un nouveaq
ichilmatique ou un taux prophète , les fruits de toutes fcs Donauftc
bonnes œuvres.
M. Defcartes fans être prophète avoit eu quelque préC
fentiment de ce qui devoit arriver à cette pauvre fille. Il
jugeoit que la curiofité demefurée de trop fçavoir , 6c de
pénétrer dans les myftéres les plus inaccefTibles de la Théo-
logie pour les perfonnes de fbn fexe , pourroit bien l'entraî-
ner trop loin , & dégénérer en une préfbmption qui luy atti-
r^roit le fort des vierges folles & imprudentes de rEvan2;ile.
On en voyoit déjà de grandes difpofitions en elle, depuis
que le fieur Voetius, à qui d'ailleurs elle n'avoit point confié
ion cœur, s'étoit mis en devoir de luy donner des leçons de
Théologie, ac de l'exercer dans les controverfes de Religion,
C'cfl ce que M. Defcartes manda la même ajinée au Père
H iij ! Mcrfenne
1640.
Tom. a..
des Lettr.
53
Î3
Narrât. Hift»
Acad. Ultraj.
Item, lettr.
lettr. 5TT r.
de Regius.
Page. 389.
îom. î. des
tettr.
6z La Vie De M. Descartes.
Mer/enne au recour de fbn voyage d'Italie. >» Voetiir^, âk-il^^
gâté laDemoifelledeSchurmans. Car au lieu qu'elle avoïc
l'efprit excellent pour laPoéfie , la Peinture,, êc les autres
gentillelîes de cette nature, il y a déjà cinq ou fîxans qu'il
la pofTéde tellement, qu'elle ne s'occupe plus qu'aux contro-
verfes de la Théologie. Ce qui luy fait perdre la converfa-
tion de tous les honnêtes gens.
Pour revenir aux Théfcs de M. Regius,nous ne /çavons"
m en quel jour du mois de Juin précifëment elles farent
foutenuës, ni même fi M. Defcartes y alîifta. Mais nous
fçavons que leur grand fiiccés déplut beaucoup à Voetius,
& que les Médecins de la vieille doctrine en murmurèrent
un peu, Primerofe l'un d'entr'eux dont nous avons déjà eu
occafion de parler, &: qui s'étoit hazardé quelque têms au-
paravant à écrire contre Harvée , entreprit de réfuter ces
Théfes de M. Regius : êc l'on vid paroitre peu de têms après
ion écrit imprimé à Leyde , où il attaquoit principalement
le dogme de la Circulation du Sang. M. Regius en eût avis
dés la fin du mois d'Août , & il prépara aulfi-tôt une Ré-
ponlè à ce nouvel adverfaire , qui non content de l'avoir
voulu réfuter , avoit jugé à propos de le charger encore
d'injures. Une conduite lî mal-honnête luy avoit échaufFé'
la bile, êclàns fonger qu'un homme fage ne doit point pé-
cher par exemple , il avoïc employé dans fa Réponfe tan
tdtraiG;reur,,tantôtlaplaifanterie y lorlqu'il n'étoit quelti"
que d'une réfutation férieuie 2c modérée.
Il envoya cette Réponfe à M. Defcartes le vu d'Octobre
fiiivant pour la luy fiire corriger : & il tâcha de s'excufcr au-
près de luy fur la dureté des expreffions ,. fous prétexte que
le IHle mordant de Primeroie luy avoit donné trop d'indi-
gnation 3 & de luy faire agréer qu'il eût pris le parti de la
raillerie en divers ei"tdroits,pour répondre à quelques imper-^
tinences de cet auteur. M. Defcartes uiâ de fon droit d'au-
tant plus volontiers que M. Regius l'avertilToit qu'il y alloit
de fon intérêt. Il y corrigea diverfes chofcs , il y en fit ajou-
rer quelques unes , &: en fit retrancher d'autres . parmi lef-
quelles étoient les termes d'aigreuiu^u'il luy fit bannir, en
luy faifànt voir l'importance qu'il y a de traiter un adver-
iâire avec beaucoup de douceur & d'honnêteté. Monfieur
Regias
oir
trVRE V. Chapito VIIÎ. (jj
Re2;ius voulant marquer qu'il ne vouloit auffi rien faire que
du confentement & de i'avis de (es Collègues , communiqua
fa réponlè à c;pux d'entre eux qu'il i^avoit ilir tout n'être
pas fi bien intentionnés pour luy que les autres. 11 la fît voir
à Voetius , à Lir^us , de à Charles de Maets , dit Dematius^
l'un des Prcfefleurs en Théologie ^ qui iè contentèrent de
luy dire de traiter fîmpL-ment ion fujet, ôc de retrancher ce
<jui pourroit s'y trouver de picquant & de railleur. Ces Mefl
iieurs appellent cet adverfaire Primerojius^ comme fait auffi
M. Regius, Cependant il efi: PiOmmé Silvius en deux ren-
contres par M. Defcartes, & il fe trouvoit efFeélivement un
jeune Do<fî:eur en Médecine du nom de Silvius à Leyde dans
ce même têms, & dont M. Defcartes avoit fait mention en
juneautre occafîon. Pour concilier ces diverfitez Fon pour-
roit s'imaginer que Primerofius auroit emprunté le nom de
Silvius. Mais agiiïons avec plus de fimplicité, & convenons
plutôt queM.Regius s'étoit attiré deux adverfàires en m-ê-
me têms ^ qu'il les a réfutez tous les deux féparément ^ qu'il
a communiqué fà Réponfe contre Primerofius aux ProfeC
fêurs fes collègues que nous avons nommez , mais qu'il a
envoyé à M. Defcartes celle qu'il avoit faite contre Silvius j
que comme les Profeflèurs luy avoient confèillé de traiter
plus doucement primerofius qui étoit dans leurs (èntimens
touchant la Circulation du Sang^ de même M^ Defcartes l'a-
voit averti d'en ufèr avec plus d'honnêteté à Pégard de Sil-
vius, dont il approuvoit plutôt le fentiment que celuy de M,
Regius fur les veines laÙées : Enfin , que c'eft la Réponfe à
Silvius que M. Defcartes a corrigée, & fiir laquelle nous
avons encore deux lettres Latines qu'il en écrivit à Mon-
iteur Regius,
Les Curateurs de PUniverfité d^Utrecht follicitez pqr
Voetius , Dematius, & quelques autres ProfefiTeurs , de re-
médier aux troubles qu'ils feignoientqne les Théfès & les
opinions finguliéres de M. Regius commençoient à exciter
parmi eux, avoient publié une Ordonnance pour empêcher
d'introduire des nouveautez ou des maximes contraires aux
ftatuts de PUniverfité, La chofe étoit afiTez équivoque. Ceft
ce qui porta M. Defcartes a la démêler , & à faire une expli-
cation de l-Oxdonna;ncç des Curateurs en fprmede Réponic.
MoDiieur
1^40.
Narrât. M fî-.
pig. If.
Reg.Epift.i4«
Caitef.tom.i.
Epift. pag.
589. & jî»r.
Pag.388.torB^'
I. ibid.
Ce font la 82.
& la 83 du 1 5
vol.
Lettr. ij.
Regius.
de
^4 La Vie de m. D es cartes.
1640. Mon/îeur Vander-HoolcK l'un des Magiftrats de la ville, qui
fut même Conful l'amiée fuivaiite , trouva cette Réponfè
î^Ti'^ck ^^^^ belle &c fort jadicieufe: &c il goûta mer^jipilleufèment le
Letir. deilein qu'avoit M. Defcartes de laiOer continuer M. Re-
gius dans la manière d'enfeigner la Philofophie nouvelle, en
Te contentant de modérer fon zélé, &c de réformer ce qu'il
y auroitde trop hardi dans (es opinions. M. Regias lui avoit
envoyé divers petits Ecrits flir diiïérens fujets de Phyfîque,
LettMjdc aufquels il avoit fatisfait trés-ponduellement, quoiqu'il fut
Reg. MfT. alors occupé de beaucoup d'autres affaires.
CHAPITRE IX.
JW. Defcartes déclare fon fentiment touchant le fcge de V Ame dam
le cerveau. T^fage de la petite Glande appellée Conarium. Ré-
flexion de M. de Sorbiére peu obligeante pour M. Defcartes,
Sentiment de M. Defcartes touchant la Mémoire , quil divife
en trois efpéces^ j corporelle , locale , ^ intellettuelle. Projet de
faire pajfcr M. Defcartes ^ M. Mydorgc en Angleterre pour
s'y établir fous la proteHion ^ par les bien-faits du Roy de la
Grand' -Bretagne. Jl efl fans effet. Eloge de M, Cavendifch on
Candifch ami de M. Defcartes ^ de M. Mydorge. Deux ef^
péces de SeBateurs de la Philofophie de M. Defcartes. Amitié
de M. de Saumaife avec M. Defcartes. Jidauvaife humeur
de M. de Saumaife envers fes meilleurs anus» M. Defcartes
n'en efi pas exempta
M
R Regius n'étoit pas le ieul des I>ifciples de la nou-
_ velle Philofophie que M. Defcartes eût àinftruire. Il
s'en préfèntoit tous les jours de nouveaux qui n'étoient ni
moins fîncéres , ni moins ardens que lui dans la recherche
des véritez naturelles • mais qui nous font deineurez la plu-
part inconnus par l'indifférence qu'ils ont témoignée de fe
Son nom f^ire connoître à d'autres qu'à M. Defcartes, C'eftà l'un de
commcnçoit ces derniers venus , que nous fbmmes redevables de Texpli-
fai une M. cation de fon fentmient touchant le fiége de l'Ame dans le
Cerveau. Cet inconnu qui n'étoit pas un homme de petite
confidération^ luy avoit demandé vers le mois de Mars cjuel
ctoit
Livre V. ChapitreIX. ^5
etoit l'afage de la petite Glande que l'on nomme Conarium. J ^ 4- o.
M . Defcartes luy répondit, que félon fôn opinion , cette Glande Auci^mcnt
efi le principal jïêgc de r Ame , 6c le lieu où fe font toutes nos pen- ^j^^^^'' ^'""^
fées. La raifon qui le portoit à le croire ainlî , étoit qu'il ne
trouvoit aucune partie dans tout le cerveau , excepté celle- J"°"^- *-• ^^^
là feule , qui ne foit double. Or félon luy , puifque nous ne iis/^^ ^'
voyons qu'une même cholè (\qs deux yeux j que nous n'en- it.-mpag.iji.
tendons que la même voix , ou le même fbn des deux oreilles • Î^^^^'/A^'^ .„
6c enfin , que nous n avons jamais qu une peniee en même x. tom.
têms : il faut de nccefîité que les efpéces qui entrent par les
deux yeux, ou par les deux oreilles, aillent s'unir en quel-
que lieu pour être confîdérées par l'Ame ^ ôc il efl impoiîî-
ble d'en trouver aucun autre dans toute la tête que cette
Glande. Outre qu'elle eft fituée le plus à propos du monde
pour ce fujet, étant juftement au milieu, entre toutes les
concavitez , fou tenue &; environnée des petites branches
des artères carotides , qui apportent les efprits dans le cer-
veau-.
Cette opinion appuyée fur un grand nombre d'expé-
riences faites fur toutes fortes de cerveaux depuis dix ou
douze ans , n'étoit pas fans doute auffi ridicule qu'elle l'a
paru à M. de Sorbiére, lorfqu'il la trouva plufîeurs années
après dans le Traité des Pallions de M. Defcartes. AufTi ne
pût-il venir à bout d'en faire rire M. Patin, qui etoit d'ail-
leurs l'un des grands rieurs de nôtre fiécle. Il luy en écri-
vit de Leyde dans cette intention après la mort deM.Defl
cartes en ces termes, et On a icy de nouveau les Paffîons de c< j^^^^^ ^
l'Ame par M. Defcartes , où vous aurez le plaiflr de voir ce duc. de
l'Ame raifonnable perchée fiir la Glandule Conaire, pour y re- «^ ly»^^' ''^
Revoir toutes les imprefîîonsqueluy donnent les petites cor- « 4j,f.
des des nerfs tendues de la fliperfîcie du corps jufqua ce «t
fonds du cerveau : & pour ouvrir enfliite les petits robinets, «
qui diftribuent les efprits animaux d'où fe fait la diftention «
des mufclcs. La perfonne à qui M. Defcartes fè découvrit «
pour la première fois fur ce fentimcnt, avoit fbuhaité j«reil-
lement f(^avoir de lui ce qu'il penfbit des Efpéces qui fervent À
la Mémoire.
Ces Efpéces , félon la réponfe qu'il luy fît , font comme ^^S- *<'^-
les plis qui fè confervent dans du papier, après qu'il a été une ^^^[
I * fois
i6 4-0,
Item. pag.
Il fcmbloit
douter que ^4
Mémouc fut
diftint'uée de
l'entende»
ment & de l'i-
magination.
Il ne croyoit
pas qu'elle
pût s'étendre
ouaugmentcr>
mais feule-
ment plus ou
moins fe rem-
plir.
V. Stud. bon.
mentis.
Cartcf. Mf.
Art. 9,
66 La Vie de M. Des carte s.
fois plié. Et ainfîil croyoit qu'elles font principalement re-
mues dans toute la fubftance du Cerveau , quoiqu'il ne vou-
lût pas nier qu'elles ne puflent être auiîi en quelque façon
dans la Glande, appellée Conarium, fur tout en ceux qui
ont l'efprit ie plus hébété. Car pour les eiprits fort bons
& fort fubtils , il eftimoit qu'ils doivent avoir cette Glande
toute libre 6^ fort mobile : comme nous voyons aufîî que
dans les Hommes elle eft plus petite que dans les Bêtes, ce
qui eft tout le contraire des autres parties du Cerveau. H
croyoit d'ailleurs que de toutes ces Efpéces qui fervent à la
Mémoire, quelques-unes peuvent être en diverfès autres par-
ties du: corps, comme l'habitude d'un Joueur de Luth n'efl:
pas feulement dans fà tête , mais au/îî en partie dans les muf.
clés de (es mains : la facilité de pUer 6c de difpoler fes doits
en diverfes façons qu'il a acquifè par habitude contribuant
à le faire fouvenir de ce qu'il doit faire. C'eft ce qui paroi-
tra moins difficile à croire, Ci l'on confidére que ce qu'on ap.
pelle Mémoire locale , eft hors de nous. Lors que nous avons
lu quelque Hvre , toutes les Efpéces qui peuvent fervir à
nous faire fouvenir de ce qui eft dedans ne font pas dans
nôtre cerveau : mais il y en a aufîî plufîeurs dans le papier
de l'exemplaire que nous avons lu. Il n'importe pas que ces
Efpéces n'ayent point de refTemblance avec les chofes dont
elles nous font fouvenir. Car fbuvent celles qui font dans le
cerveau n'en ont pas davantage, comme il l'avoit déjà re-
marqué au quatrième Difcours de fa Dioptrique. Mais ou-
tre cette Mémoire qui dépend du Corps , il en reconnoifîbit
encore une autre tout-a-fait intellecluelU , qui ne dépend que
de l'Ame feule.
Laperfbnneà qui M. Defcartes déclaroit ainfl fâpenfée
fur l'ufage de la petite Glande Conaire ne crut pas Hre un
Roman en lifànt fà lettre , comme fît depuis M. de Sorbiére
en lifànt le Traité des Paiîîons. Elle luy en fît de crés-hum-
bles remercimens par des lettres , & par de grands témoi-
gnais de fèrvices dépofez pour lui fir la bonne foy du Père
Mcrfenne , à qui M. Defcartes fît connoître aufTi les mêmes
fèntimens en répondant à une lettre que ce Père avoit re-
çue d'Angleterre fur le projet d'un établifîement qu'on y
méditoit pour nôtre Philofophe.
Il
Livre V. ChapitreIX. G-j
Il ne paroiiïbit pas fort éloigné d'une fcmblabîe propofi- \G±c).
tion, quoiqu'il ne fçûtrien alors de ce qu'on faifoic pour lui. __
Je n'ay point oiiy parler , dit-il à ce Pcrc , de ce que vous me
mandez qu'on vous a écrit d'Angleterre , qu'on écoit fur le
point de m'y £iire aller. Mais je vous diray entre nous que
c'efl un Païs dont je préférerois la demeure à beaucoup
d'autres. Et pour la Religion , on dit que le Roy même eit
Catholique de volonté. C'eft pourquoy je vous prie de ne
pomt détourner leurs bonnes intentions. Le promoteur de
cette entreprife étoit un Seigneur Anglois nommé Charles
Cavendifchi que nous prononcions C^«^//??^?^Chevalier de l'Or- jj ^^^^^^
dre de la Jarretière , grand Mathématicien , frère unique du deux ans a-
célébreDuc de Newcaftl,dontnous avons la vie écrite par la présM.Defc
Duchefle fà femme. MilordCandifche étoit devenu éperdû-
ment amoureux de laPhilofbphiede M. De/cartes, & il re-
gardoit fà Méthode comme un excellent moyen de porter
les Mathématiques à leur perfection. Il avoit obtenu du Père Tom. i. Acs
Merfenne qu'il lui envoyeroit des copies de ce qui luy re- J^^^ ^^^'
venoit de la main de M. Defcartes , à qui ce Père avoit de-
mandé pourtant la permilîîon d'en ufèr ainfi, fans ôter au
Seigneur Anglois la penfëe que ce petit commerce fè feroit
à l'infçû de M. Defcartes. Et le Père en fut quitte pour s'o-
bliger à marquer au bas de tout ce qu'il feroit tenir à ce
Seigneur, que M. Defcartes ne luy écrivoit jamais que fort à
la hâte y ni jamais a dcjfein que cela fut vu de perfonne que du
Père.
M. Candifche voyant que M. Defcartes ne témoignoit
point beaucoup de répugnance pour pajGTer en Angleterre,
voulut tenter en même têms fbn intime ami M. Mydorge j^^l^bé ''mv^^
qu'il eflimoit aufll très particulièrement, & qu'ail fçavoit a- dorge, &c.
voir déjà dépenfé de grandes fommes pour les lunettes , &:
pour diverfès expériences. M. Mydorge ayant un ètablifle-
ment, 6c une famille confîdérable dans Paris, fut plus diffi-
cile à ébranler que M. Defcartes. Cet obftacle ne fut point
capable d'^arrêter le zèle de M. Candifche. Il en parla au
Roy Charles I. qui aimoit les fçences &; les beaux arts , ôc
qui avoit formé le cleflèin de ralîembler le plus qu'il pour-
roit de grands génies pour faire des expériences de Phyfique.
Ce Prince avoit eu la bonté de promettre qu'il fè chargeroic
I ij * volontiers
6B LaViede M. Descartes.
1640, volontiers de la famille de M. Mydorge. Mais les commen-
'"^"^"'^ cemens des troubles de la Grand'-Bretagne leur ayant fait
appréhender, à M. Defcartes & à luy , que les grandes Tom-
mes que le Roy vouloir deftiner aux expériences Physiques
n'allailent aux frais de la guerre ^ qu'ils ne fulTent privez du
repos dont on les flattoit , èc en même têms de tous les eiFets
de la bonté de ce Prince , ils relièrent , l'un en Hollande , èc
l'autre à Paris, &; contmuérent les exercices de leur amitié
avec M. Candiiclie comme auparavant.
Ce n'étoit pas une amitié llérile. Elle n'étoit pas , com-
me celle de plufieurs autres , inutile à l'avancement de la
Philofbpliie de M. Defcartes qui ne dillimuloit point l'avan-
tage qu'il recevoir , non feulement dQs avis qu'ils luy don^
noient, mais encore plus des difficultez dont ils l'obligeoient
de les débaraller. Le erand nombre des Sectateurs de ia
Philoiophie les faifbit déjadiftinguer en deux ClafTes^ dans
la première defquelles on rangeoit ceux qui y contribuoient
quelque choie de leur fonds, foit en luy donnant de nou-
velles lumières par leurs obfervations , fbit en l'obligeant de
- prendre garde à luy-même par leurs objeèlions. L'autre
eipèce dont la multitude commenc^oit déjà à épouvanter les
autres Sedes , étoit de ceux qui fe contentoient d'embrafîer
fa Philoiophie fms être en état de l'orner ou delà défendre.
C'efl au nombre de ces derniers qu'il faut ranger le célèbre
JAf. de Sanmaifc , dont les grands talens ètoient deftinez
pour autre chofe que pour la Philofophie , èc la recherche des
Spcdm.HiU. véritez naturelles : s'il eft vrayque ce grand homme ait fait
^^'^ ■ profeffion d'être Carteiîen , comme nous l'affurent Lipftor-
Hift. Ph:i. pius, Tepeiius, & les autres Auteurs qui ont parlé des pre-
miers Sectateurs de la nouvelle Philoiophie. On ne pou-
voit être Cartelien du vivant de M. Defcartes fans être foii
ami , fur tout fi l'on avoit à vivre avec luy. M. de Saumaile
fcmbloit être porté par diverfes confidérations à rechercher
l'amitié de M. Defcartes , 6c à luy faire part de la fienne. Il
étoit Gentilhomme François comme luy, retiré dans un
Païs étranger avec luy, âgé de peu d'années plus que luy 5
l'un èc l'autre venus de parens qui faifoient l'ornement ^
Tappuy des Parlemens de leurs Provinces , l'un & l'autre
dans la même fituation à l'égard de leur parenté , l'un èç
l'autre
LivkeV. Chapitre IX. ^9
l'autre privez de leurs Pérès en une même année. L'avan- ï"4^'
tacre que M. Defcartes avoit fur luy touchant la Religion de ""~~~~"
leurs Pérès , n'étoit pas plus un obftacle à leur amitié en
Hollande parmi les Protellians, qu'il Tauroit été en France
parmi les Catholiques. Auflî ne peut-on pas difconvenir
qu'ils ne fuiïènt amis , & M. Defcartes avoit rendu dés l'an Tom. t. des
163S des témoignages fiiftifàns de cette amitié à M. deZuyt- km.ç.n?,
lichem , à l'occaiion des remercimens qu'il avoit à luy faire
pour des nouvelles , ^ pour un livre* qu'il luy avoit envoyez^ ^ ce livrée-
6c dont il croyoit avoir toute l'obligation à M. de Saumaife. toit de Mon-
L'amitié de IVL Defcartes n'auroit pas été allez glorieufè à jieurBoUii-
M. de Sâumaiïè, fi elle n'avoit été accompagnée defon efli- tHmi(*Js.
me , étant aulTi grand ennemi de la flaterie 6c du menfbnge
que nous l'avons remarqué ailleurs. M. Defcartes eftimoit
donc M. de Saumaife, 6c pour me fervir de fès termes , il ^ ibid.pag.
i'eftimoit à tel point, qu'il tenoit à beaucoup de bonheur u ''^^'
d'avoir quelque part en fes bonnes grâces. Mais comme c*é- «<
.çoit une efpéce de fatalité attachée à ceux d'entre les amis
de M. de Saumaile qui avoient du mérite , d'éprouver les
effets de fà mau vaife humeur : la bonne fortune de M. Defcar-
tes voulut qu'il fe trouvât envelopé dans leur fort, crainte
quela calomnie ne le contât un jour parmi certains amis de
Monfieur de Saumaife , qui avoient l'efprit afTez bas 6c le
cœur afiez lâche , pour eflimer ou adorer les défauts de ce
grand homme. Il efl vray qu'il ne luy arriva qu'une feule
occafion en fa vie d^'efTuyer fon chagrin , mais une occafion
de néant : 6c il €n fut redevable à fa propre prudence qui le
tint prefque toujours éloigné de fa converfàtion , lors même
qu'il demeuroit à Leyde , ou réfidoit M. de Saumaife. Il
faut entendre fur ce fujet M. Defcartes même qui fè trouva
en cette année * plaifamment obligé de fe juflifîer au Père . '^'^^'
Merfenne de l'amitié que M. de Saumaife le fbup<^onnoit adMafeL.*
d'entretenir avec itfm^//W , c'eft-à-dire, avec un ennemi qu'il Mf. du 19 a-
haïlloit d'une haine trés-parfiite.
Le heur de Saumaife , dit M. Defcartes au P. Merfenne,
à grand tort , s'il me prend pour ami de Heinfius, auquel je
n*ay encore jamais parlé , 6c que j'ay fçi avoir averfion de
moy , il y a longtêms , à caufe que j'étois ami de Balzac ( qui
A cenfuré fa Tragédie d'Hcrode, 6c qu'il eit Pédant. Mais
I iij * Monfieur
V!
il 16
J8.
Sorbiéie kttr.'
y aufTile
tom.
1.
part.
i.des
Juq. des
fc.auxCric,
Giamm»
•jo La Vie de M. Descartes.
1 6 4 o. >5 Monfîeiîr de Saumailè efi ingénieux k fe forger des adverfaires.
>} Hciniîus a fait imprimer un vers à la fin de (on livre fur le
IcTLe^ ■» Nouveau Teftamcnt , compofé en fa faveur par M. deZuyt-
dcDefc. ' >î lichem. M. de Saumaife a déclamé contre ce vers dans la
p. ^74- 53 Préface de ion fécond tome de Vfuris , difànt que ceux qui
53 flatent ainfi les auteurs dQs livres qu'ils n'ont point vus utrem
55 inflare prgunt , ècc. M. deZuytlichem s'en plaignit à Mon-
55 lieur Rivet, auquel M. de Saumaife écrivit, une lettre, non
n pas tant pour s'excufèr que pour fe défendre. M. de Zuyt-
53 lichem a fait quelques remarques fur cette lettre, lefquelles
,5 il m'envoya pour me les faire voir, èc je luy en manday
55 mon fèntiment. De forte qu'encore que je ne mefouvienne
55 plus de ce qui étoit dans ma lettre qui étoit fi peu étudiée
53 que je n'en avois pas fait de broiiillon , je fuis afluré de n'y
55 avoir rien mis au defàvantage de M. de Saumaife , finon
,5 peut-être , qu'/7 étoit un peu trop aifé k offenfer. Car c'efl
„ celle qu'il dit avoir viië : &: à vous dire le vray , je n'ay
„ jamais eu grande familiarité avec luy.
CHAPITRE X.
2A. Defcartes fe brouille avec les Je fuites contre fon attente. EfH-
me & déférence qu il avoitpour leur Compagnie en général ^ ^
four fes membres particuliers, il efi attaqué par le P. Bourdm
dans des Thé fes de Mathématique , ^ par un Ecrit particu-
lier. M. Defcartes écrit au P. Recleur du Collège de Clermont :,
pour faire changer cette manière de réfuter fes écrits , pour f^a-
voir les fentimens de la Société.^ ^ pour fe préparer à foutenir
le choc desjéfuites^ au cas quils luy refufaffent leur bienveillan-
ce ^ la charité qu*il efpéroit d'eux. Il informe fes amis de ce
qui fe paffe j ^ // répond d'abord à l'Ecrit du P. Bourdin.
LEs plus bsaux établifîèmens de ce monde n'ont jamais
manqué de contradidions. Ce font à^s épreuves né-
cefîàires à leur folidité : & l'on a toujours jugé de leur du-
rée par l'inutilité des efforts de ceux qui fe font oppofez à
leurs commençemens , ou qui ont tâché d'ébranler leurs
fondemens, La Philofophie de M. Defcartes n'a voit pas en-
core
164.0.
Livre V. Chapitre X. 71
core trouvé d'obftacles à ion avancement qui euflent paru
jurqu'icy difficiles à {lirmonter. Tout fembloit être riant po'jr ^
elle, lorfque huit ou dix jours après avoir triomphé à U-
trecht dans les Théfes publiques de M, Régius , elle fut at-
taquée à Paris dans d'autres Théfès pubhques foiitenues au
collège de Clermont.
Cette nouvelle furp rit d'autant plus M. Defcartes, qu'il
s'étoit crû jufques-là l'ami 6c le trés-obéïiîant fèrviteur d'une
Compagnie à qui il étoit redevable defbn éducation : outre
que plufîeurs d'entre lesjéfuites de la première diftindion,
l'honoroient d'une affection trés-fincére , ôc que quelques-
uns en particulier s'étoient rendus fedateurs de fà Philofb-
phic. Néanmoins fbn efprit rentra dans le calme , ayant con-
fidéré que ce qui s'étoit pafTé au collège des Jéfuites de Pa- V- pag. ut ,
ris , n'ètoit que l'accompliilement des prières qu'il avoir ^'^ ' ^'^ *
faites plus de deux ans auparavant aux Pères de ia connoif- i. tome,
fance, de Elire examiner particulièrement fes ouvrages par
les Philofbphes & les Mathématiciens de leur Compagnie.
Il leur avoir voulu perfuader dés lors qu'il n'ètoit guères
moins de leur intérêt que du ilen , qu'ils voulufTent bien a-
voir cette charité pour luy. » Il n'y a perfbnne, difbit-il à l'un
d'eux qui la luy avoit promifè , qui me fêmble avoir plus
d'intérêt à examiner mon livre que ceux de vôtre Com-
pagnie. Car je vois déjà tant de gens fè porter à croire ce
qu'il contient , que je ne f^ay pas de quelle façon ils pour-
ront dorénavant enfèigner ia Phyfîque, oc fur tout les Mé-
téores, comme ils font tous les ans dans la plupart de vos
collèges , s'ils ne réfutent ce que j'en ay écrit, ou s'ils ne le
fuivent. Et parce que je içay que la principale raifbn qui fait
que les Vôtres rejettent fort loigneufement toutes fortes de
nouveautez en matière de Philofophie , eft la crainte qu'el-
les ne caufentaufTi quelque chano-ement dans la Thèoloeie.
je veux icy particulièrement vous avertir qu'il n'y a rien du
tout à craindre de ce côté-là pour les miens. J'ayfiij et de
rendre grâces à Dieu de ce que les opinions q-ù m'ont fèm-
blè les plus vrayes dans la Phyfique par la confidération
des caufes naturelles , ont toujours été celles qui s'accor-
dent le mieux de toutes avec les myftéres de la Religion ,
comme j'efpére le faire voir clairement aux occallons.
Mais
Tom, I.
des Lettr.
P 369.
pag. 5 7 S.
379. du 1.
tom.
♦♦
72 L A TiE DE M. D ESCARTES.
1640. Mais le grand nombre de ceux qui luy envoyèrent depury
_ leurs objections , luy ayant fait juger qu'il pourroit être
tombé dans quelques erreurs, ou avoir parlé en divers en-
droits avec trop d'obrcurii;é,il avoit témoigné defirer « que
pag. 378. „ Iq^ Pérès Jéfuites fur tout eulFent voulu être du nombre de
if tôm! " ces oppoiàns ; 6c ils le luy avoient fait efpérer par des let-
itcm pag. ,5 très de la Flèche, de Louvain, Se de Lille. Mais, dit-il à M.
g68, ibid. ^^ j^ Zuytlichem , j'ay reçu depuis une lettre de l'un de ceux
« de la Flèche, où je trouve autant d'approbation que j'en
>5 puilîe defîrer de perfonne.Jufques là qu'il dit qu'il nedefi-
55 re rien en ce que j'ay voulu expliquer , mais feulement en
>5 cequ? je n'ay pas voulu écrire. D'où il prend occaiîon de
j5 me demander ma Phyfique ëc ma Métaphylique avec grande
)5 inftance. Ef comme je fcay la correfpondance ^ l'union qtii cjl
)> entre ceux de cet Ordre y le témoiyiay: d^ un (cul cfi fujjfifant ^our
» me faire efpérer que je les auray tous de mon coîé^
L'exemple du Père Cierraans Jéfuite de Louvain luy avoir
fait connoître de bonne heure qu'il eipéroit trop, &: que les
particuliers de la Compagnie fe donnent quand il i^ur plaît
la liberté de fe féparer de ièntimens dans des opinions pro-
blématiques ,. fans blelîer la correfpondance ^ l'union qui efl en-
tre tous ceux de l* Ordre. Mais le procédé du Père Ciermans
l'ayant charmé : l'honnêteté & la bonne foy avec laquelle
il luy avoit propofé {qs objedions en particulier, fans même
vouloir être connu, luy avoit fait efpérer que tous ceux de c^X.-
te Compagnie qui trouveroient quelque chofè à redire dans
fcs écrits pourroient garder une conduite femblable dans
-^ leurs objeèlions ou leurs réfutations^ à caufè de la correfpon-
dance &; de l'union , que forme l'efprit de la Société dans tous
{(^^ membres. Dieu permit au Père pierre Bourdin de le
tromper. Ce Père qui étoit venu de la Flèche au Collège
de Clermont, dit depuis quelques années de Loiiis le Grand,
Ne en i59r. ç^x.6\t natif de Moulins en Bourbonnois , & il n'étoit que d'un
Bibl. foc. J. . 1. A f x/f T^ r Ti ' •
parSotvvcL an & quelques mois plus âge que M. Delcartes. 11 etoit en-
tré en iéi2. dans la Compagnie des Jéfuites , où après avoir
enfeip-né la Rhétorique pendant fept ans , il profelFoit ac-
tuellement les Mathématiques avec beaucoup de réputation
:^ûif/3; depuis cinq ans, &; il mourut d'une chute trois ans & demi
après M. Dçfcarces.
Ayant
Livre V. ChapitkeX. 73
Ayant cté curieux de voir le difcours delà Méthode fuivi ,
des trois Traitez qui en compofent les EfTaiSjfur le biuit que '"^
ce livre anonyme raifoit à Pans, il s'étoit arrêté principale-
ment fur le Traité de la Dioptrique , où il avoit remarqué
quelque choie qui ne luy paroiiîbit pas conforme à ce qu'il
penfoit fur cette matière. Mais ne longeant qu'àremphrle
devoir d'un bon Profefleur, qui efl: de convertir toutes {qs
lectures & lès réflexions à l'uiâgc de Tes Ecohers , il inféra
dans les Théfes de Mathématiques qu'il devoit leur faire fou-
tenir ce qu'il avoit à réfuter, au lieu de prendre le parti d'en-
voyer fès objeélions â l'auteur même , comme en avoient ufé
Meilleurs de Fermât, Petit, Morin & les autres Mathéma-
ticiens, Il avoit choiii pour foutenir la principale de ces Thé-
fes un jeune homme de beaucoup d'efprit &: de feu , nom-
mé Charles Potier^ fils du Lieutenant Particuher du Préfidial
de Château-Thierry, feigneur de Berales, qui fut dans la
fuite de fà vie l'un des admirateurs &: des fcctateurs de M.
Defcartes , malgré les imprelîîons de fon Maître. La Thélè
dédiée à M. l'Abbé Lefcandart fut foutenuc pendant ;'eux Claudio Lef-
jours de fuite, qui étoient le dernier de Juin, & le premier Jiçv^^ie se^*
de Juillet 1640. On en écrivit aufîî-tôt à M. Defcartes, & aeta.
on lui manda qu'il y avoit trois articles qui lembloientlere-
earder. On lui en envoya l'extrait , & celuy qui prit ce foin ^"5 ^^ la p.
etoit le Père Merlenne, qui s etoit trouve de retour de fon je la p. 15, de
voyage afiez à propos pour affifter à la Théfe , & pour dé- laTliéfe.
fendre les opinions de fon ami dans la difpute. Ce Père n'a-
voit pas oublié de lui envoyer en même têms le préambule
de la Théfe, c'eft-à-dire , le difcours préliminaire compofe
par le Profefîeur pour faire l'ouverture de la difjpute , par-
cequ'il étoit entièrement contre lui : en lui marquant que c'é-
toit le Profefîeur même c]uile lui envoyoit par fon mtniftére,
M. Defcartes qui avoit oublié la manière àowx. on fe com-
porte dans les collèges j ayant vu. le difcours préUminaire, ôc
les articles de la Théfè , s'imagina qu'on avoit eu intention
de lui faire ip.fulte publiquement. Il avoit efpéré que lesjé-
fuites fiir tous les autres , auroient plutôt pris le parti de l'a-
vertir de fes flûtes en particulier. Mais voyant qu'ils n'a-
voient pas même daigné fuivre l'exemple des autres qui lut
avoient envoyé leurs objections pour luy donner lieu de ré-
K * pondre.
74 La Vie de m. Descartes.
1640. pondre , il crut qu'au lieu de vouloir le corriger, on s'ëtoic
■ ,i — étudié à le traduire en ridicule devant le plus beau monde
de Paris -, & qu'on avoit profité de fbn abfènce pour pouvoir
le condamner fans l'entendre. Il faut avouer que fa patience
pour ce coup ne fat point à l'épreuve de cette tentation. Il
perdit l'indifférence qu'il avoit témoignée en tant de ren-
duTvoi des contres pour ce qui fe padbit à fbn préjudice ^ & il fe mitfe-
Lettr. p. 4. rieufement en colère lorfqu'il vid que le ProfefTeur, fous pré-
texte de former un fujet de difpute à fes Ecoliers , lui a-
voit attribué des opinions qu'il n'avoit point, pour les réfu-
Lanes^p. jo. ^^^ P^^^ facilement. Il eut tort fans doute de ne pas confi-
dérer qu'en ces occafions les Maîtres font fouvent obligez de
forger des chimères à leurs difciples pour les accoutumer
au combat ^ que tout ce qui fe paife dans ces adions publi-
Tom. i.pag. ^^,^^ qu'un ieu &: un divertilTement d'efprit : que ce qui
s y dit n elt d aucune conlequence contre la vente des opi-
nions d'un auteur qu'on y attaque ^ que félon l'ufage des
Ecoles il efl de l'honneur du Maître àc du Répondant de pa-
roître au moins fortir vidorieux de la difpute 3 que ces pe-
tits triomphes n'ont qu'un jcur de durée, &c que les applau-
difTemens ne regardent ni le Maître, ni les opinions du Maî-
tre, mais feulement l'Ecoher de qui on efl content, lorfqu'il
a bien répété un argument, &: qu'il a répondu ( bien ou mal )
conformément aux leçons de fon Maître.
Son chagrin augmenta lorfque rappellantdans fbn efprit
les effets que pouvoit produire, félon luy, la correfpondance
&°n!iv^ans.^'' 6c l'union qui eft entre tous les membres de ce grand corps, il
Tom. i.page crut devoir conclure de l'exemple du P. Bourdin qu'il alloit
^^' avoir tous les Jéfuites fur les bras j fur tout , depuis qu'il eut
f^ù que plufieurs d'entr'euxne parloient pas bien defès écrits.
Et parcequ'il croyoït qu'il ne pouvoit rien venir que de bien
concerté d'aucun de cette Compagnie , il prit l'alarme , 6c re-
garda dés lors cette Compagnie comme une armée formida-
ble qui venoit à luy. Il n'en fut point déconcerté, mais raf.
femblant tout fbn courage , il réfolut de marcher feul con-
tre tous, fans s'arrêter à combattre ni le Père Bourdin, ni
aucun autre en particulier. Il ne perdit pas le jugement dans
une réfblotion fî étrange , il vid qu'il falloit aller bride en
main pour éviter les fauffes démarches 3 6c dans cette vue il
commença
Livre V. Chatitre X. 75
commença par s'adrefTcr au Pcre Recteur du collège de Cler-
mont, auquel il écrivit en Latin le xxii de Juillet une lettre
également refj^edue aie de vigoureufe, dans laquelle il niar-
quoit fa dapolition à peu prés en ces termes, ce Ayant recon-
nu , dit-il , dans les Pérès de vôtre Compagnie une bonté
toute partiC'iliére pour vouloir enfèigner les autres : j'ay cru
que vous ag écriez l'occafion que je vous préfente aujour-
d'hui d'éx?rcer cette bonté à mon égard. Il n'eft pas né-
ceflaire pour cela que j'aye l'honneur d'être connu de vôtre
Révérence ^ il fufîit que j'aye appris qu'à l'occafion de quel-
ques Tliélèsibutenuës depuis quelques jours dans vôtre col-
lège , on ait fait connoître publiquement qu'il y a des erreurs
dans mes écrits qu'il faut corriger. J'ay crû qu'il m'étoit
afîèz inutile de fçavoir le nom du Père qui leinble m'avoir
fait efperer ce bon office , & qui félon toutes les apparen-
ces n'efl: autre que vôtre ProfefTeur en Mathématiques :
parce qu'étant avoiié, fans doute , de fa Compagnie, ce n'eft
point tant à luy qu'à la Compagnie que j'ay dii m'adrefTer
pour obtenir cette charité. Comme je fqai que tous ceux
qui compofent vôtre Corps font tellement unis enfemble,
qu'aucun d'eux ne fait jamais rien qui ne fbit approuvé de
toute la Compagnie , ce qui fait que ce qui vient de quel-
qu'un des vôtres doit avoir beaucoup plus d'autorité que ce
qui vient des autres particuliers : ce n'eft pas fans fondement
que j-e fouhaite & que je me promets d'obtenir de vôtre Ré-
vérence,ou plutôt de toute vôtre Compagnie,une faveur qui a
été promife publiquement par un des Pérès de la même Com-
pagnie. Vous conviendrez que je ne fuis pas tout-a-fait indi-
gne de cette faveur, fi je vous dis que je ne fins pas de ces
efprits opiniâtres qui ne veulent rien rabattre de leurs pre-
miers fèntimens ^ & que je n'ai pas moins de docilité pour
apprendre, que vos Pérès pourroient avoir de facilité pour
enfèigner. C'eft ce que je croyois avoir fuffifamment dé-
claré dans le difcours de la Méthode , qui fert de préface
à mes Efîais, où j'avois prié en termes exprés tous ceux qui
auroient quelques objections à faire contre ce que j'ai écrit,
de prendre la peine de me les envoyer. On a jugé à propos
d'en ufer autrement chez vous , mais puifqu'on n'y a point
trouvé mes opinions iadignes d'être réfutées pubhquement,.
K ij ^ il
j6
40.
Tom.j des
Lcttr. pag.
Omnttt
membre
vejlri C0rpe~
ris tam arc-
u te inter fe
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hx,utnihil
^^ unquam nh
^^ une fiât
quoi non.
ab omnibus
approbetur^
Tâg. Î3t
Part. i.
art. 7,
7^ La Vie de M. Descartes.
1640. " il ^^ i'^^^ 4^^ P^î* ^i"C ^^^it^ <^^ 1^ même chariré vous m'ap-
,5 preniez ce qui s'y eft dit pour les réfuter, & que de vôtre
,5 côté vous ayez le plaifir de me voir rentrer fous vôtre diC
,î cipline. Pour vous faire mieux fentir la nécefîité qui doit
,î vous pre/T^r de faire examiner tous mes ouvrages , je vous
donne avis d'un grand nombre de perfonnes qui font en ré-
putation d'avoir del'efprit, & quiiè trouvent portez à fui-
vre mes opinions. De forte qu'il eft trés-important de les
>î réfuter de bonne heure, fi elles fe trouvent fauftes , pour en
55 prévenir les fuites. C'eft au refte ce que perfonne ne fçau-
55 roit faire plus commodément que vos Pérès. Car vous avez
rj parmi vous un fi grand nombre de fc^avansPhilofopheSj que
>j fî chacun d'eux vouloit fe donner la peine de me faire feu-
lement une objeétion , je fuis perfuadé qu'elles compren-
droient enfemble tout ce que les autres me pourroient ob-
jeder. Vous me permettrez donc d'attendre cela de vous,
non feulement parce que c^'a été mon intention dés que j'ay
lailTé fortir mes écrits de la prefle , 6c que la choie m'avoic
déjà été promife depuis deux ou trois ans par quelques-uns
de vos Pérès, mais encore parce qu'il m'eft refté une efpéce
de droit flir vôtre charité , acquis par une éducation
de prçs de neuf ans dans l'un de vos collèges. Mais indépen-
demment de cela , l'eftime que je fais de vôtre doctrine, &;
le reipecl que j'ay pour vôtre vertu ne me permettront pas
î3 de préférer les corrections des autres aux vôtres.
M.Defcartes crut devoir confier cette honnête déclara-
tion de guerre à une perfonne {âge & difcrete : & par cette
confîdcration il en chargea fon ami M. Mydorge , pour la
rendre au P. Redeur , & luy faire comprendre en même
têms qu'il n'y avoit aucune témérité d^ s'être adreffé en
droiture à fa Révérence , après que le Père Bourdin avoit
commencé la guerre dans les formes , non point par fà
Thélé, dont il ne fcroit plus queftion , mais par une P^éli-
tation ou efcarmouche qu'il luy avoit envoyée. Il écrivit le
xxn. Juillet. îji^Q-te jour au Père Merfènne pour le remercier de l'afFec-
Pag.^o. du tion avec laquelle il l' avoit défendu à la Théfe des Jéfuites,
&; pour luy envoyer des Thèfes tcnites Cartéiiennes de l'U-
mverfîté d*Utrecht , foutenacs fur la fin de Juin dans les
Ecoles de Médeciae. Il lui fit fçavoir ce cju'il mandoit au
Père
J3
55
53
>3
33
93
33
35
33
»3
»3
53
*3
;. Coro,
LivueV. Chapitre X. 77
Père Recleur du collège de Clermont, pour prier tous les Je- 1^40.
fuites en s^énéral de s'adreiïer à luy, s'ils avoient des objcc- ■ .
tions à luy faire , de pour l'avertir qu'il ne vouloit avoir af-
faire à aucun particulier de la Compagnie, à moins qu'il ne
fût avoué de tout l'Ordre. Comme il mettoit cet incident
au nombre des événemens les plus coiifidérables de fà viej
il en voulut i'iformer aullî les autres amis à qui il en parla
comme d'un mal néce{raire,que Dieu permettoit pour luy
procurer un plus grand bien. Il en écrivit à M. de Zuyt-
lichem Secrétaire eu Prince d'Orange en ces termes. Te «t ^^g- !9V'
crois que je vais entrer en guerre avec les Jeluitcs, car leur « '
Mathématicien de Paris a refuté publiquement ma Diop- «
trique dans les Thélès. Sur quoy j'ay écrit à fon Supérieur, et
afin d'engager tout leur Corps dans cette querelle. Car encore «
que je (oisaiTezperfuadé depuis longtêms, qu'il ne fait pas «t
bon s'attirer des adverfaires : j'eftime pourtant que puilfqu'ils et
s'irritent d'eux-mêmes, & que je ne les puis éviter, il vaut «
mieux une bonne fois que je les rencontre tous eniemble, «<
que de les attendre l'un après l'autre, en quoy je n'aurois et
jamais de fin. ce
En attendant ce qu'il plairoit au P. Redeur de répondre
à fà lettre, il fe mit à lire la Vélitationà\x P. Bourdin , à qui il Tom, 1. pag7
fit une réponiè par la feule appréhenfion que ce Père qui ij=>. zj3.i34.
n'en fouliaitoit pas ne tirât avantage de fbn filence devant jom. i.page
fcs Ecoliers. En quoy il voulut faire voir qu'il confidéroit 7^.
pkitôt fâ perfonne êc fa profefiion que fbn écrit. Il trouva Lettr au p-
qu'on ne luy imputoit dans cet écrit que des cliofès qu'il au- Dinet.p.5(îOî
roit ctè au defefpoir d'avoir écrites ou penfees, de forte qu'il
fallut s'en prendre moins à fbn habileté , qu'à fa fîncérité. 11
addrefîa cette réponfe au P. Merfènne le xxx de Juillet pour Ceft la r. let.
la faire voir au Père Bourdin , feignant d'ignorer que ce Père ^^ î- ^°^-
fut auteur des Théfes du collège de Clermont , où Y on avoit
attaqué ce qu'il avoit écrit de la réflexion , &; de \x réfrac-
tion. AufTi témoigne-t-il que la lettre qu'il avoit écrite huit Lexxn. juil,
jours auparavant au Père Recteur pour demander les ob-
jedions de tous les Jéfiiites contre fes ouvrages , n'é-
toit pas pour le Père Bourdin, qu'il diftino-ue de Çqs con- T'^T/!'"*"
freres aflez peu obligeamment, en difant, qu'il aimeroit prcf- taphr^âis
^ue mieux être vaincu par ces guerriers armez^ de toutes pcces^ ^"f*/" ^^. ^^'
K iij * que ]uh.
78
La Vie de M. Descartes.
1640.
* I »._i. — — — ^
LcP.Phéli-
pcaux , & les
autres, p. yy.
lom, ;.
Pag. 66.8C71.
tom.
Pag. 6î. du j.
tom. tlîc cil
addreflee au
P. Mciicanc.
£Ile cft au j.
vol. en Latia
& en Franc,
pag. 66. Se
70.
^ue de triompher de ce foldat qui riétoit armé qu'a, la légère'
Cependant le mois d'Août s'écouloic, &on lifoit chez les
Jéliiites la réponfe à l'écrit du P. Bourdin, fans que Mon-
fîeur Defcartes entendît parler de fa lettre au Père Recteur.
M. My Jorge qui étoit chargé de la donner au Père, n'avoit
pas jugé â propos de fuivre l'ardeur de ion ami , craignant de
l'expoièr à une tempête. Pour ne rien faire qu'avec confèil,
il alla trouver le P. Merfènne à quul communiqua la lettre.
Us en conférèrent fur fa ledure 5 & jugeant d'une même voix
qu'il étoit dangereux pour leur ami d'exécuter fà commif^
iîon à la lettre , ils lui en écrivirent en commun pour déli-
bérer fur quelques autres mefures. M. Defcartes qui fè dou-
toit de ce qu'il appréhendoit, leur récrivit une lettre com«^
mune pour \qs remercier de leurs foins & de leur afFedion,
Mais il leur dit nettement que les confîdérations pour lef^
quelles ils avoient trouvé bon que fa lettre ne fut pas don-
née au P. Redeur, ètoient celles qui lui faifbient regretter
que ce Père ne l'eût pas encore reçue. Il les pria de nouveau
de faire en forte qu'elle luy fût donnée : &; s'addreflant en
particulier au P. Merfenne qui avoit l'humeur moins fcru-
puleufè que M. Mydorge quand il s'agiflbit de commettre
les Sçavans, & de faire des querelles utiles à l'avancement
des fciences , il l'engagea à luy rendre ce fèrvice. Il accom-
pagna fa lettre d'une autre qu'il luy écrivit en Latin ,
dans l'intention qu'il la fer oit voir au Père Redeur, en luy
rendant celle qu*il avoit pris la liberté de luy écrire le xxii
du mois précédent. Son deflein étoit de montrer que loin
d'avoir fbngé à fbulever contre luy tous les Pères de la Com-
pagnie , il avoit eu en vue de s'acquérir leur bien-veillance
par cet expédient : & il fit fbuvemr le Père Merfenne fur
tout, de faire beaucoup valoir auprès du Père Recleur îa
docilité 6c fon refped pour toute la Compagnie.
Chap
LiviLE V. Chapitre XL 79
K340.
CHAPITRE XL
'Ze Pére gourdin écrit à M. De/cartes , é^ il en reçoit une rèponfe
que nous avons perdue. Peu de jours après il rei^oit la réfutation
de fa V élit at ion. Conditions que M. Defcartes demande au Pére
J^ourdin pour agir de bonne foy dans leur différent. Le Pére
KeBeur reçoit enfin la lettre de M. Defcartes ,^ au lieu d! ac-
cepter fes propofitions , il ordonne au P. Bourdin de luy rendre
rai [on de jon procédé 3 ^ de ne faire qu'une caufe perfonncUe de
Ça quercUe avec ]\/[. Defcartes. Le P. Bourdin fe brouille avec
le P. Merfenne au fujet d'un écrit François en forme de Lettre
qu'il luy avait confiée ^ que celuycy avait envoyé a iVf. Def-
cariesy fans fa participation. M. Defcartes répand a cet Ecrit.
M. des Argues prend fa défcnfe contre le P. Bourdin. Jlf. Def-
cartes fe prépare à la guerre contre les Je fuite s , ^ à la réfu-
tation de la philo fophie Schola/Uque. Jugement quil fait des
ConimbreSj du Feuillant ^ de Raconis, Il travaille à un cours
M^éthodiquc de fa Philo fophie.
LE Pére Bourdin ne fut point longtêms aprcs fa Tliëfè
fans fçavoir qu'il avoir donné du chagrin à M. Defcar-
tes : &: quoiqu'il n'eût peut-être agi en cela que d'intelligen- Tom. 3. des
ce &: de concert avec M. Petit qui avoit l'honneur d'être Lettr. pag. i®.
fon Parent ou fbn allié , 6c qui n'avoit pas réiifîi à en-
voyer {.Qs objeélions à M. Defcartes touchant la Dioptrique,
il ne put être indifférent au trouble qu'il avoit caufe dans
fbn efprit. L'inquiétude qu'il en eut luy fit prendre la plu- P^g- i®i- &
nie dés la fin du mois de Juillet pour luy en écrire. Il parut P*g-5'3-»bid.
touché des raifbns qui fcmbloient juftifîer le mécontentement
que M. Defcartes avoit de la conduite qu'il avoit gardée
dans fà Théfe ^ & il luy avolia qu'il n'avoit manqué à prendre
le parti auquel il avoit invité dans fbn dif cours de la Mé-
thode ceux qui auroient des objections à luy faire, que par- ^'^^•7'P«t'^-
cequ'il n'avoit pas encore lu cet endroit. M. Defcartes ré-
pondit à cette lettre d'une manière que nous ne pouvons
Içavoir , parceque fa réponfe s'eft perdue. Mais le Pére Bour-
din ayant reçu peu de jours après ,1a réfutation que Mon-
fijur
2o LaViedeM. Descartes.
1640. fleur Defcartes avoit faite de fi Velitation , il crut y trouver
>. de quoy fe plaindre à fon tour de M. Defcartes : &: il luy en
récrivit le vu jour d'Août une féconde lettre, qui nefutren^
due à M. Deicartes que le fîxiëme jour de Septembre fui-
Lc 8. de Sept. vant. M. Dcfcartes luy répondit avec une diligence fembla-
1640. j^i^ ^ 1^^ fienne : & il luy fit comprendre qu'un homme qui
Pag. 101. & n'avoit point fait difEc ilté d'attaquer & de condamner même
IV. tom. 3. comme faulTe & ridicule une doctrine lorfqu'elle luy fembloit
feulement àouîeufe , avoit mauvaifè grâce de blâmer fbn adver-
fiire d'avoir réfuté un écrit qull avoit jugé ahfohimentfaux.
Le P. Bourdin avoit trouvé mauvais que M, Defcartes eûr
entrepris de réfuter un écrit qui nêtoit point achevé i Mais
Al. Dcfcartes le pria de confîJérer qu'il importoit peu que
cet écrit fût achevé, ou feulement commencé, puifqu'il a-
voit trouvé dans fbn commencement affez à\ngumens pour
pouvoir hardiment le condamner de faufîeté ^ au lieu que
Je P. Bourdin avoit avoiié que dans tout l'ouvrage de Mon-
fîeur Defcartes qui étoit complet , il n'avoit trouvé que de-
quoy douter de fa doctrine,
ïbid.pag.ioi. yi Defcartes avoit eu foin de faire imprimer l'écrit du
Père Bourdin ( avec \qs notes , ou la réfutation qu'il y avoir
c'eft la Lctt. f^i^e ) tel qu'il l'avoit reçu, fans y changer une feule lettre.
X. &XI. du II en pritoccafîon d'exhorter ce Père à luy rendre la mê-
5. voi. j^^^ juftice au cas qu'il eût envie d'écrire quelque chofè con-
tre fês remarques. Il le pria de ne les point propofèr eflro-
piées, ou imparfaites j mais de les repréfenter relies qu'elles
étoient, avec la lettre qu'il y avoit jointe. Il luy donna en-
core divers autres avis qu'il croyoït nécefîaires à ce Père pour
le fiire agir de bonne guerre, s'il étoit réfblu de la fbutenir
contre luy :& ï\ luy confèilla de préférer un combat ouvert
à la rufe & aux tergiverfations , s'il n'aimoit mieux accepter
l'offre qu'il luy faifbit de l'amitié dont il honoroit tous ceux.
Pag. 97. 8c qui aimoient la Vérité, tels, dit-il , qu'étoient fans doute tous
^°^* *^ ■ les Pères de la Compagnie de Jèflis , ne doutant point pour cet--
te raifon qu'ils ne luy fuffent tons amis.
Pendant que M. Defcartes, & le P. Bourdin s'éxerçoient
£iic étoit du ainiî dans les préludes de leur guerre future, la lettre da
-'"** ^^" premier fut enfin rendue au bout de deux mois au Père Ré-
cleur^ qui la reçût avec une férénité de vifage qui juflifîa les
raiibiis
Livre V. Chapitre XI. Si
raifons de M. Defcartcs contre les fcrupules & les appre'hcii- ^ " 4 °'
/ions c'c M. Mydorge . Le P. Redeur ne parut point mal /à- ""
tisfait des iêntimens de fbn cœur, mais il ne crut pas que
toute la Compagnie dût s'intëreiTer .^'ans un différent où elle
n'avoit aucune part. Il le contenta de permettre au P. Bour-
din de vuider fà querelle perfbnnelle comme il pourroit avec
M. Defcartes : & au lieu de répondre à cette lettre , il or-
donna à ce Père de faire luy-mème Lirèponfc , ^ de rendre Lettre au P.
rai [on de [on procédé à M. Defcartes. Ce furent les termes par leC ^^^^ *^^'^'
quels le P. Bourdin voulut commencer la réponfè, tant pour
dégager le Père Recteur deû dette, que pour faire voir qu'il
n'étoit point defavoiié de fa Compagnie , quoique la que-
relle ne fut que perfbnnelle..
M. Defcartes voyant la main du P. Bourdin, &; le fceau
de la Compagnie dont la lettre de ce Père étoit cachetée,
s'imagina d'abord qu'elle lui avoit été écrite par l'ordre de
Çqs Supérieurs. Mais s'il s'étoit fbuvenu que e'eft une prati-
que ordinaire aux perfbnnes Religieufès , qui n'a aucune con-
fequence , il fe feroit contenté de refpeder ce caractère ex-
térieur de la Compagnie qu'elle portoit , fans avoir la (impli-
cite de croire qu'elle eût été didée par l'efprit de la Com-
pagnie, &: qu'elle dût avoir par confèquent plus d'autorité
qu'un fimple particulier n'eft capable d'en donner à ce qu'il
fait de {on pur mouvement.
Le P. Bourdin luy déclara dans cette lettre ^o^^ il n'avoit Lettré au i?:
jamais entrepris , ^ quil n' entreprendrait jamais aucun combat Dinec, ibid.
Iparticulier contre fe s opinions. Mais il lui promit de lui envoyer
dans huit jours fès Traitez, c'eft-à-dire , les raifons dont il Nuilamàfe
s'étoit fervi pour ne pas approuver fès opinions. M. Defcar- >/"">'» "^'^""
tes regardant en cette occafîon le P. Bourdin comme le Se- cuiure"frll
cretaire de fà Compagnie , recrût cette réponfè comme une ^'«"^ advirfuf
marque de la bonté & de la conlidération que toute cette '^(l"X7.'ïhiâ».
Compagnie avoit pour lui : mais il trouva que l'honneur
qu'elle luy faifoit de lui dire qu'elle ne vouloit point £>«-
treprendj-e de combat particulier contre fe s opinions ,étoit fort em-
barraflant. Car il auroit fouhaité que tous les Jéfuites lui
eulîent une bonne fois déclaré ce qu'ils pouvoient trouver
à redire à fès opinions , afin qu'il pût remédier par des cor-
redions ou des éclaircilTcmens aux mconvéniens de celles
L. * qui:
Si La Vie de M. Descartes.
ï6 4.0. q^^i ^c trouveroient faiilTes, ôc qui n'éunt pas réfutées à pro-
^^^^ DOS traînent fou vent après fby une fuite d'erreurs très fàcheu-
fe. Il ne put s'imaginer que pour l'épargner ou le fivorifer
en ce ponit , ils euffent voulu abandonner les intérêts de la
Vérité , 6c négliger l'utilité que la République des Lettres
tireroit de la réfutation de fés erreurs. C'eft ce qui lui fît
conclure qu'ils avoient des fentimens favorables pour ies é-
crits, èc qu'ils n'y trouvoient rien à redire. C'elt pourquoi
il fe crut obligé de les en remercier, & pour ne leur point
donner fujet de fe plaindre de fes importunitez , il addrciîà
Tom. 5. des jçs témoignages de là réconnoiilance pour eux au Père Mer-
Lettr. p. S8. f^y^^^Q^ ^ q^^[ {\ g^ écrivit en Latin , c'eft-à-dire , en la langue
dont il s'étoit fervi jufques-là dans tout ce qu'il leur avoit
écrit.
Il y joignit une réponfè particulière qu'il fît à une lettre
Pag. 89. & Françoife que le Père Bourdin avoit mife quelques femaines
auparavant entre les mains de ce Père, lans prétendre qu il
dût la lui envoyer • mais fuppofant feulement qu'elle ne fe-
roit que pour lui , & au plus pour ceux à qui il pourroit la
faire voir fans la laiflTer fbrtir de fes mains. Le P. Bourdin
voyant que fa lettre ne revenoit point, entra dans quelques
fbupçons , fans fçavoir encore rien de la réponfe : ôc fe dou-
tant de ce qui étoit arrivé en efFet , il fît fcavoir au P. Mer-
fenne quoiqu'en devinant j qu'il trou voit fxDrt mauvais qu'il
eiit ofé envoyer à M. Defcartes fans fbn confèntement une
lettre comme de fa part , qui n'avoit point de nom , point d'ad-
drejfe j qui n étoit ny fgnée ny cachetée 3 & qui étoit écrite
en une langue qui n'étoit point celle dont il avoit cou-
Au commen- tume de parler à M. Defcartes. Enfin il lui dit d'un ton de
Novembre*^ Maître qu'il prétendoit ravoir fà lettre inceiîamment. Le
1640. P. Merfcnne qui n'avoit pas prévu cet embarras récrivit in-
continent à M. Defcartes 3 l'informa de lamauvaife humeur
où il avoit mis innocemment le P. Bourdin , quoiqu'il ne lui
eut pas encore communiqué fa dernière réponfè 3 &: le pria
pour appaifèr ce Père de lui renvoyer la lettre dont il étoit
queilion. M. Defcartes voyant le P. Merfenne afîez décon-
certé de la vefpèrie du P. Bourdin, fbngea plutôt à le rafTûrer
& à défendre fbn procédé, qu'à luy envoyer ce qu'il luy de-
Lettï.^pa^. » mandoit. w Quoique le P. Bourdin ne vous ait point prié,
1^5. zyo. lui
Livre V. Chapitre XL 83
luy dit-il, de m'envoyer fà lettre françoifc , je ne voy pas
néanmoins qu'il piùlFe trouver mauvais que vous l'ayez fait,
puifqu'il ne vous a pomt prié aufli de ne me la pas envoyer.
Comme il vous l'a envoyée pour vous faire voir ce qu'il a eu
intention de m'écrire , & qu'il vous en a donné en môme
têms une autre pour moy, dans la vûë de me témoigner la
même cliolè qu'à vous , il vous lèra aifé de lui dire , que ^'^
été four le f^ratifier que vous me l'avez^ envoyée. Au refte, tout
bien confidéré , je crois n'avoir rien mis de trop dans ma ré-
ponfé. Car quelque amitié, quelque douceur que le Père
Bourdin , & ceux de fès confrères qui voudront fe joindre à
lui me faiîent paroître , je fuis aflliré qu'ils m'obferveront
foigneufement. Ils auront d'autant moins d^occafion de me
nuire qu'ils verront que je leur répons plus fortement , &
ils jugeront que fi j'uîè ailleurs de douceur , c'eft par modé-
ration , 6c non par crainte, ou par foiblefîe. Outre que ce
qu'a écrit le P. Bourdin ne mérite rien moins que ce que
je lui mande.
Cette lettre fd^ retardée plufîeurs jours, parceque Mon-
fieur deZuytlicliem quidevoit la faire tenir au P. Merlènne
étoit parti fur le point de l'envoyer, pour faire le voyage de
Groningue en Frife avec le Prince d'Orange. Ce Père a-
voit tenu jufques-là le P. Bourdin dans l'incertitude de fc^a-
voir fi M. Defcartes avoit eu communication de fa lettre
franc- oife , & il efpéroit la lui rendre fans qu'il pût avoir de
preuve qu'elle fut fbrtie de fon cabinet. Mais il crut fès
mefures rompues lorfqu'il ne la trouva point dans le pac-
quet que M. Defcartes lui avoit envoyé le 19 de Novem-
bre. Il lui manda fur l'heure qu'il n'y avoit point de com-
pofition avec le P. Bourdin , Se qu'il falloitabfolument ren-
voyer la lettre qu'il redemandoit. M. Defcartes la luy ren-
voya donc en lui mandant qu'il ne fc^avoit comment il pour-
roit la rendre au P. Bourdin, en continuant de diiîîmuler à
ce Père ce qui lui étoit arrivé, parcequ'^il avoit écrit dcfTus,
& y avoit mis à la marge une apoftille de fa main , en l'en-
voyant à un de fes amis pour la lui faire voir. Car, dit-il
à ce Père, je ne vous puis celer que je l'ay montrée à plii-
fieurs. Et comme les Jéfuites ont par tout des intelligences,
Se même qu'il y en a un en cette Ville * fort fi-nilicr à un de
L ij * mes
I <j4o.
*A Lcytîe
où il étoit
leveiiu
Cl d'Amerf-
fort après
la mort de
" fa fille.
ii.
C(
(C
84 LaViede M. Descartes.
1640. » nies amis, il fè peut faire qu'ils fcachentcléja que vous nVa-
,5 vez envoyé cette lettre. C'eft pourquoy, fauf un meilleur
Tom.x.dcs ,j avis , il feroit ce me lemble auffi bon d'avouer franchement
Lcttr.pag. ^^ ^^^ p gQm-^^ii-i que vous me l'aviez envoyée dans la penfée
de lui faire plaiîir. C'eft ce qu'il ne pourra trouver mau-
vais, à moins que de faire croire qu'il auroit voulu mainte-
nir devant vous des chofes contre moy, qu'il n'oferoit néan-
moins , ou ne pourroit maintenir devant moy. Cependant il
en a compoféde gros Traitez pour les dicter à fes difciples:
& un Danois venu ici de Paris depuis ce tèms-là m'a témoi-
gné en avoir vu un entre les mains de l'un des fbutenans
nommé Potier. Je vous envoyé de nouveau la réponfe que j'a-
voisfaiteà leur lettre latine , afin que vous puilîiez la leur faire
voir toute feule : car il me femblenéceiïaire qu'ils fçachent
en quel fèns j'ai pris leurs paroles. Si vous trouvez bon d'a-
vouer au Père Bourdin que vous m'aviez envoyé ia lettre,
vous pourrez aufli luy faire voir en confidence la réponfe que
j'y avois faite , & lui dire que vous n'aviez pas voulu la luy
montrer auparavant^ parceque vous la jugiez trop forte , &:
que vous craigniez que cela n'empêchât que nous ne puC
fions devenir amis. Enfin en confeilant la vérité toute pure.
Je crois que vous ferez plaifir a l'un d^ à l'autre. Car j'eipére
que voyant que j'ai bec ^ ongle pour me défendre , il fera
d'autant plus retenu à parler de moy quand il en aura occa-
fion. Et quoiqu'il me fût peut-être plus avantageux d'être
en ojuerre ouverte contre eux , & que j'y ibis entièrement
réfolu s'ils m'en donnent jufte fujet, j'aime toutefois beau-
coup mieux la paix , s'ils s'abftiennent de parler.
Il eft étrange que M. Defcartes n'ait pii fe défendre de
l'imagination qui lui fiifbit croire qu'il avoir affaire à tous
\qs Jefuites loriqu'il n'étoit queftion que du Père Bourdin,
après les afiTurances même que ce Pcrc lui avoir données que
leur querelle étoit perfonnelle. Ses amis en étoient mieux
perfuadez que lui. M. des Argues entre les autres ayant gé-
néreufèment entrepris là défenfè en un pas Ci glifUint, crut
z7i'.dii^tom. qu'il fuffifbit pour Téxécution de fbn dcftein de s'adrellér au
fèul P. Bourdin. Cet ami ne fè contenta pas de plaider la
caufe de M. Defcartes contre le Père : il chercha encore \qs
moyens
>5
53
3)
53
>3
33
33
33
3^
33
33
33
33
33
33
33
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33
33
33
33
33
33
Pag. KÎ9.
Livre V. Ch AP I T RE XI. 2^
moyens de faire encrer celui-ci dans des voyes de paix & d'à- 1640.
mirié. C'eft ce que le P. Merfènne manda à M. Delcartes, -^„
qui témoigna être extrêmement obligé à M. des Argues de
vouloir prendre la peine de catechiferle P. Bourdin: ajoutant,
que c'étoit le meilleur expédient qu'on pût prendre pour lui
faire chanter la palinodie de bonne grâce , pourvu quil voulût fe
laijjcr convertir.
Mais l'heure du P. Bourdin irétoit pas encore venue : &:
M. Defcartes ne parut pas furpris de voir les difficultez qu'il ^"^r. aup;
avoit à fè rendre. Il cft vrai qu'il n'attendoit plus les Traitez^y ^^^\^i\6x
c'eft-â-dire les écrits contenant les raifbns dont ce Père s'é-
toit fèrvi pour attaquer fes opinions , parceque le terme de
huit jours que le Père lui avoit demande pour les lui envoyer
étoit déjà expiré plufieurs fois. Mais ayant reçu quelque têms
après des lettres de quelques autres Pérès de la Compagnie
qui lui promectoient encore ces écrits de fà part dans (ix mois.^
il ne douta plus que ce ne fût un ftratagéme pour corriger ces
écrits à loifir , & les mettre en état de ne pas craindre fà cen-
fure. Il conjedura par les lettres de ces Pérès qu'il alloit fè
détacher du corps de la Compagnie un puifîant parti de
Jéfiiites contre lui, pour fbutenir leur confrère. Sçichant
que leurs forces principales confiftoient dans l'art de la Dialé-- Tom. j. des
(^ique dont on fait de grands exercices dans la Compagnie ^^"^- v^%^
pour£" rendre aguerri dans la difpute contre toutes fortes d'ad- V?„^l^'l^V^'
r i j jrA^f j, P^S-<'0^. 610.
verlaires , li crut devoir de ion cote recourir aux armes de la
Scholaftique dont il fembloit s'être dépouillé depuis tant
d'années , fans fonger qu'il en dût avoir jamais befoin.
Il communiqua fon deflein au Père Merfènne qui l'at-
tendoit à Paris fur la fin de cette année : de il lui en écri- 7'°"'-^-d«
r r • Lctti. p.
vit en ces termes. "»3 J e ne reray point encore mon voyage pour i^^. ^/o.
cet hiver. Car puifque je dois recevoir les objections des ««
Pérès Jcfuites dans (Quatre ou cinq mois . je crois qu'il faut que
je me tienne en pofture pour les attendre. Cependant j'ai
envie de relire un peu leur Philofophie ( ce que je n'ai pas
fait depuis vingt ans , ) afin de voir fi ellemefemblera main-
tenant meilleure qu'elle ne faifoit autrefois. Pour cet efîet,
je vous prie de me mander les noms des Auteurs qui ont écrit
des cours de Philofophie , lefquels font les plus fûivis parmi
les Jéfuices, ôc s'ils en ont quelques nouveaux. Je ne me fou-
L iij * viens
■>•>
55
53
55
1640.
* C'eft à
dire du
cours de
Philofo-
phie donné
par les "
Profcf.jéf.de
î'Uaiv.deCo-
niinbre , ou
Ccïmbre en
PortUiial.
£3
Charles Fran.
çois Abra
de Raconis
depuis Evê-
que^.de la
Vaur.
Tom. 1. des
Lcttr. pag.
53
33
Item. pag.
ayy- ibid.
t6 L A Vie DE M. Des CA R TES.
viens plus que des Conimbres. * Je voudrois fçavoir aulli s'iï
y en a quelqu'un qui ait fé^ir un Coynpcndium de toute la Phi-
lofbphie de l'Ecole , & qui ibit fuivi : car cela m'épargne-
roit le têms de lire leurs gros livres. Il y avoitceme ièmble
un Feuillant ou un Chartreux qui l'avoit fait, mais je ne me
ibu viens olus de fbn nom.
En attendant la réponfedu P. Merfenne, il fit acquifîtion
du Feuillant qui le trouva dans les boutiques de Leyde. Le
P. Merfenne quin'avoit pas grand commerce avec la Scho-
laftique ne put lui en indiquer de meilleur, ni en ajouter à
ceux que M. Defcartes luy avoit nommez, d'autre que de
Raconis. Mais il l'exhorta de ne point épargner la Philofo-
phie de l'Ecole, telle qu'on l'enfèignoit de leur têms dans les
collèges, croyant que l'heure de la iacrifier cà la Vérité étoit
venue, &: luy fniànt entendre qu'il étoit le leul de qui les
amateurs de la Vérité &; de laSag-elIeattendoientcefervice.
M. Defcartes lui répondit le xi du mois de Novembre, & lui
manda qu'il ne croyoit la Philorophic de l'Ecole nullement
difficile à réfuter, à caufè de la diverfité des opinions qui s'y
enfèignent: ^j étant aile dercnverfer tous les fondemens dont
les Scholalliiques font d'accord entr'eux , & qui font que
toutes leurs dilputes particulières paroiflent ineptes. Il luy
déclara en même têms les vues qu'il avoit fur la Philofbphie
par rapport «à celle des écoles.
Son defîein étoit d'écrire par ordre un cours entier de fà
Philofbphie en forme de théfes, où fans aucune fuperfluité
de difcours, il mettroit feulement toutes les concluions avec
les vrayes raifbns d'où il les tiroit, ce qu'il cfpéroit de pou-
voir faire en peu de mots. Dans le même livre fiiivantlbii
projet, il devoit faire imprimer un cours de la Philofbphie
ordinaire, tel que pouvoitêtre celuy du frère Euflache, avec
i^Qs notes à la fin de chaque queftion: où il prétendoit ajou-
ter les diverfès opinions des autres , & ce qu'on devoit croi-
re de toutes félon luy. Enfin il fiiibit efpérer pour fèrvirde
conclufion à fbn ouvrage qu'il feroit une comparaifbn des.
deux Philof^phies, c'eft-à-dire, de la fienne & de celle des
autres. Mais ilobhgealePére au fècret, parceque f^i defl
fèin étant encore allez éloigné de fbn exécution , il feroit aifé
aux zélez Peripatéticiens de le faire avorter par leurs pra-
tiques.
Il
Livre V. Chapitre Xî. 87
II lui donna avis par la même voye qu'il avoïc acheté la 1640.
Philoiophie du Frère Dom Euftache de Saint Paul, dit plus — __.
communément le Feuillant ^ parcequ'il lui paroiflbit le meil-
leur livre qui eût encore été fait touchant cette matière. Il
fut feulement en peine de fçavoir fî cet Auteur étoit mort ou Pag. 163. &
vivant , parce qu'ayant dellein de fiire iervir fon ouvrage en ^-^^
exemple de ce qu'il auroit eii à dire touchant la Scholadi-
que, il auroit été bien aife de prendre des mefures pour rné^
nager laperfonne de ce Religieux, dont il n'auroit eii que du
bien à dire. Il lui promit aulfi de voir le cours de Philofb-
phie de Monfieur de Raconis qu'il lui avoit indiqué , parce
qu'au cas qu'il fiit plus court que le Feuillant, &; auiïï bien
rcçi que lui , il n'héfiteroit point à le lui préférer pour fon
deiîéin. Mais fçachant que Monfieur de Raconis étoit en-
core plein de vie , il témoigna ne vouloir rien faire en cela
flir les écrits d'un homme vivant qu'avec fa permiiîîon, qu'il
ne croyoit pas qu'on dût lui refuler, lorfqu'on fçauroit fon in-
tention, qui n'étoit autre que de confîdérer celui qu'il choi-.
firoit, comme le meilleur de tous ceux qui ont écrit de la
Philoibphic, &: de ne le reprendre point plus que tous les
autres.
Comme il fembloit fonder le (wccés de ce defTein fur ce- P^giTs. i?*?.
Item. p. 164.
prelente de ce nouvel ouvrage , qui félon les appa
rences ne pouvoit être fous la prefTe avant la fin de l'année,
ou peut-être même , avant celle de l'hiver. Mais il n'eût pas Fag.163.ibii
toute la patience dont il s'étoit flaté fur ce point. L'empreC
fement qu'il avoit de réduire tous \^s principes de fà Philo-
fophie, de les écrire avant que de partir de Hollande polir
la France, & de les publier même fi la chofe étoit poffible
avant la fin de l'année fuivante, lui fît prendre la plume pour
faire les premiers efTais de ce deflèin. De forte que le Père
Merfenne qui venoit de recevoir la copie àç^s Méditations,
pour traiter de leur impreffion avec les libraires de Paris, Ç.Vi
furpris d'apprendre avant la fin du mois de Novembre qu'il pag.irj.i
avoit déjà commencé à faire un abrégé de toute fà Philofb-
phie, & qu'il parloit même d'en fiire imprimer tout le cours
^ar ordre , avec un abrégé de la Philofophie de l'Ecole, àc
des
ï • i
I 6 j^o.
Tom. j. des
Lcttr. p, <jp.
88 La Vie DE M. Des c ART ES.
lies remarques de fa façon fur les dëfxuts de cette Philoio-
phie, &; fur les opinions diverses des Auteurs. Il efpéroitde
taire en ibrte par la méthode qu'il y garderoit, qu'en voyant
les parallèles de l'une & de l'autre, ceux qui n'auroient pas
encore appris la Philofjphie de l'Ecole, l'apprendroient beau-
coup plus facilement de fon livre que de leurs Maîtres :-
parce qu'ils apprendroient par le même moyen à la mépri-
kr , èc que les moins habiles d'entre les Maîtres feroient
capables d'enfeigner la fienne par ce fèul livre.
Ayant vu quelques jours après la Philofophie de Mon-
iteur de Raconis , il en récrivit au Père Merfenne le 3. de
Décembre ifiuvant, & lui manda que cette Philofophie étoit
bien moins propre à fbn deiîein que celle du PéreEuftache.
Pour ce qui eft des Conimhes , il les trouva trop longs. Mais
il témoigna qu'il auroit fbuhaité de bon cœur qu'ils eufîent
écrit auiTi fuccindement que le Feuillant , parce qu'ayant
affaire aux Jéfuites , il auroit préféré volontiers leur cours,
à tous les autres..
Chap. XIL
Livre V. Chapitre X I L 89
164.0.
CHAPITRE XII.
2^ori de Francinc Dcfcartes , avec un abrégé de fa vie. Doutes fur
le 7nanage fecret defon père . Reproches defcs envieux fur ce point.
Jl remédie promptement au dérèglement de fan célibat. Il retour-
ne d' Amersfort a Lcyde. Koetius foUicite les Proteftans ^ les
Catholiques contre lui. Jl s'addreffc au P. JVferfnne pour le
porter a écrire contre 2\/l. De [carte s , ^ lui promet des matières
pour cet effet. Conduite piaffante de ce Miniflre pour gagner ce
Keligieux. JS/iort dupère de M. Dtfcartes. il rompt le voyage
qu'il méditoit en France. Il charge l'Abbé Picot du foin de fcs
a jf aire s domeftiques. Mort de M. Dounot Mathématicien du
nombre de fes amis. Mort de M. de Bcaugrand ., avec le cara~
ïHre de fon cfprit. Faux bruit de la mort de M. de Beaune.
Mort du Feuillant. Le Roy rappelle M. De fartes pour l'hono-*
rer d'une charge (^ d'une p en fon dans fon Royaume. Il s' en c.kcu-
fe y ^ demeure dans fa retraite,
LE mariage de Monfieiir Defcartes cft pour nous Tun
des myftércs les plus fecrets de Ja vie cachée qu'il a
menée hors de fon pa'is loin de Tes proches &;de Tes alliez. Il
n'étoic rien de plus convenable à la profeflion d'un philofo^
phe que la liberté du célibat. Mais d'un autre côté il étoit
difficile à un homme qui étoit prefque toute la vie dans les
opérations les plus curieuiès de l'Anatomie, de pratiquer ri-
goureufèment la vertu du célibat, conformément aux loix
que la fainteté de nôtre Religion prefcrit à ceux qui demeu-
rent dans cet état. M. Defcartes ne trouvoit rien en lui, ce
femble , qui pût former un obftacle à la liberté où il étoit de
fe marier. Qj£elque raifon qu'il ait eûë de ne point paroître
publiquement ce qu'il pouvoit être chez lui, il nous a donné
lieu de croire qu'il aura ufe de cette hberté, puifqu'il a jugé
à propos de fe déclarer publiquement le pérc d'une petite
fille qu'il perdit en bas âge.
Elle s'appelloit Francine, & elle étoit née à Déventer le ix, Apoaiiic Mf.
c'eft-à-dire, le xix de Juillet 1655 : ^ ^^ioi'i l'oblèrvation de Ion de la m^'in ac
père ,. elle avoit été conclue à Amiterdam le Dimanche x v ^^'^' ^^'
M * d'Oaobre
c)o La Vie de M. Descartes.
1^40. d'Oclobre de l'an 1634. Elle avoir été bâtifëe à DeVenter le
■ XXVIII de Juillet, félonie ftile du pais, qui etoitlefeptiéme
jour d'Août félon nous. M. Defcartesfongeoit àla tranfplan,
ter en France pour lui procurer une éducation convenable:
de fçachant quelle éroit la vertu de Madame du Tronchet fa
parente , mère de M. l'Abbé du Tronchet qui eft aujour .
d'iiuy Chanome de iaSamte Chapelle , il fit agir auprès de
cette Dame afin qu'elle eût la bonté de vouloir veiller fur la
perfbnne qu'elle leroit priée de choifir elle même pour met-
tre auprès de fa fille j &: que cette enfont piit être élevée dans
la piété fous fes grands exemples. Pendant que les choies
fèmbloient ie difpofer à cela, & que Madame du Tronchet
(bncîcoit aux mefures qu'il falloit prendre pour féconder de
{îloiiables intentions, M. Defcartcs perdit la chère Francine,
qui mourut à Amersfort le vu de Septembre de Tan j 640, qui
ètoit le troifième jour de fà maladie, ayant le corps tout cou-
vert de pourpre. Il la pleura avec une tendreflè qui lui fit
éprouver que la vraye philolbphie n'étouffe point le naturel.
Il protefta qu elle luy avoit Liiffé par fa mort le plus 2;rand
regret qu'il eut jamais fenti de la vie : ce qui ètoit un effet des
excellentes qualitcz avec lefquelles Dieu Tavoit fait naître.
Sa douleur auroit peut-être été moindre s'il avoit eu quel-
que autre enfant qu'elle. Il eft vrai que la médifànce n'a rien
voet. in oublié pour lui en fubfticuer d'autres. La calomnie quoique
P: iiof. Caic. fouf^nuë par l'autorité & les écrits d'un grave Miniftre des
Réformez d'Utrecht, lui parut fi mal étabUe, qu'il fe contenta
d'en rire ^ &: de répondre au reproche que lui en faifoit foii
E-ift-âdcdc- j>j-^j-jçj^-ji q^2 n'ayant point fait vœu de chafteté , &c n'étant
is, point exempt des toiDlelies qui font naturelles a 1 homme^il ne
feroit point difficulté de les avouer pubhquement s'il en avoir.
ncine t- Maïs cncorc qu'il n'en eût aucun, * il conièntoit néanmoins de
lorte. j^^ point paffer pour un grand faint dans Pefprit d'un Mmiflre,
qui n'avoit pas 2;rande opinion de la continence des Eccléfiafti-
qucs de l'Eghfe Romaine qui vivent dans le célibat.
Voilà peut-être ce qu'on peut dire de plus fimple pour faire
• comprendre aux envieux de M. Defcartcs la véritéde ce que
Prcf. dtt 1. M. Clerlelicr nous a rapporté de l'intégrité de fa vie^ qu'il pré-
tom.dcsLectr. t^iQ^i n'avoir jamais été attaquée que par des Me di fans ^ & qui
félon lui ^toujours paru amtantplus £ure auor^a taché avec plus
d^ejfon
* Fra
toit moi"
F-^S- H.
Li V RE V. Chapitre XII. 91
(H effort de la noircir. Mais le dcplaifir que j'ai de ne pouvoir point i <^ 4 o.
en cette rencontre propolcr la folitude de M. Deicartes com- •
me un modèle de retraite & de mortification à ceux qui vou-
droient aller chercher la vraye Philofophie loin du grand
monde , & hors de la corruption du fiécle , me fait entrer
pour un moment dans le parti de (es Envieux , pour médire
après eux de Ton prétendu mariage avec la mère de la petite
Francine. Il me paroît fi clandcftin que toute la bonne vo-
lonté des Canoniftes les plus fubtils ne réufTiroit pas aie bien
diftinguer d'un concubinage. Et iiefl: à craindre que M. Defl
cartes n'ait fourni dans le fonds de fa prétendue folitude de-
quoi prouver aux folitaires de fa forte que toute vie ca-
chée n'eft pas toujours innocente. Mais fi les envieux de Mon-
fieur Defcartes font venus à bout de me perfuader qu'il s'efl
fait une brèche à cette intca:ritè de vie dont il honoroit fà fb-
litude, 6c la profefîion de fa Philofophie : il eft jufte qu'ils
rentrent avec moi dans les fentimens d'équité àfbn égard, 6c
qu'ils reconnoifTènt qu'il s'eft relevé promptement de fà chii-
te, & qu'il a rétabli ion célibat dans fa première perfeétio t,
avant même qu'il eût acquis la qualité de père. C'cft un té-
moignage dû àlafincérité de M. CIerfèlier,à qui M. Y^q^-
cartes déclara durant fbn voyage de Pans en 1644 qu'il y a-
voit prés de dix ans que Dieu l'avoit retiré de ce dancrereux ^^'at. Mf. it
engagement ^ que par une continuation de la même grâce
il l'avoit prèfcrvé jufqiies-là de la récidive 3 êc qu'il cfpéroit
de fi miféricorde qu'elle ne TabandonncrGit point jufqu'à la
mort. C'efl ce que nulle confidération que celle d'une con-..
fiance fans rèfèrve ne l'obligeoit de découvrir à M, Clerfè-
lier: & jamais le Public n'auroitfi^u cette circonftance humi-
liante de fà vie^ s'il n'en avoit fait luy-m.ême une confeffioii
publique, en écrivant l'hiftoire de fi Francine fur la première
reiiille d'un livre qui devoit être lu de plufieurs.
Trois femaines après la mort de cette enfant, il délogea de Amcrsforj
la ville d'Amersfort pour aller reprendre fa demeure à Ley de : "^^|^^ 'î"'^
&1I quitale voifinaged'Utrecht, où les efprits partagez fur d'uticchc.
fa Philofophie s'échaufFoient de plus en plus par les prati-
ques de Voetius. Ce Miniftre fe méfiant de fcs propres for-
ces , & de celles de ceux qu'il avoit attirez dans fon parti con-
tre M. Regius ôc M, Defcartes , ne s'étoit pas contenté de
M ij * répandre
5)4 La Vie DE M. D ES CARTES.
ï é 4 o. répandre l^alarme parmi les Proteftans , aufquels il repréfèn*
r roit M. Regius comme un brouillon fufcité pour troubler les
Ecoles, & M. Deicartes comme un ennemi de la Religion
Procédante , & comme un cfpion envoyé de France contre
les intérêts des Provinces-Unies, Il crût devoir chercher en^-
core du fecours parmi les Cathohcj^ues .- de pour en obtenir
plus fcicilement, ri tâcha de leur periuader qu'ils avoient afFai^
re à un ennemi commun, & qu'il ne s'agifFoit de rien moins
jque de défendre la Religion en général contre un Scepti^
<^ue & un Athée. 11 alla foHiciter les efprits jufqu'au fonds
des cloîtres de Paris , dç il eut la hardieffe même de tenter le
Père Merlcnne, fous prétexte que ce Père étoit tout aguerri
contre les Athées ,, les Pyrrhoniens , les Déïftes &: les Liber-
tins qu'il avoit déjà combattus par divers ouvrages. Il vou-
lut perfuader à ce bon Père que M. De/cartes étoit venu tro^
îard pour forger une nouvelle Secle • qu*il introduifbit des
dogmes étranges &: inouïs : mais qu'il ne laiiToit pas d'avoir
fes admirateurs • & qu'il y avoit àç.s idolâtres qui le regar-
Tom. 3. des doient comme une Divinité nouvellement décendu'é des Cieux. Il
l^ettr. p. 4,. iî.jouta que perlbnne n'étoit plus capable que ce Père de
combattre &: de terrafTer ce nouveau Philofophe, parceque
ce Père éxcelloit principalement dans les connoiiîànces ou
ce Philofophe fembloit établir ion fort, c'eft-à-dire , dans la
Géométrie 6c dans l'Optique. Il lui témoigna que c'étoit un
yent.fs)ite travail très-digne de ion érudition ^ de fa fubtilité. Et pour
nîs^î'^&m' ^'y <^"g^g^r avec des termes encore plus preflans , il lui dit
conciliatione qu'aprés s'être montré jufques là le Dèfenfeur de la Vérité
T^ftf/o|/« cic ^^^^ y^^ manière de traiter la Théologie 3c de la concilier avec
t^phyÇicltum les eonnoilTances humaines , il ne devoit pas douter que la
Mathtfi ojUn- même Venté ne l'attendît pour la garantir de la vexation de
imdtclm^Xc. ^^ nouveau Philofophe ^ & qu'elle ne le regardât comme le
libérateur qui luy étoit deftinè.
C'étoit peut-être la première f jis qu'on avoit entendu les
Miniftres Proteftans féhciter des Catholiques Romains, &
fur tout des Religieux , d'avoir heureulement défendu la
Vérité en matière de Théologie. La chofè étoit d'autant plus
remarquable que Voetius fembloit devoir être le dernier de
qui on eût dû eipèrer une femblable confeflion, après s'être
déchaîné ians fujet contre l'Eglife Romaine en d'autres oc-
cafionSj
Livre V. Chapitre XIÎ, ^}
cafions , & s'être brouillé mcme avec quelques autres Mi- i 6 4.0.
niftres t]ui n'avoient pii fbufFrir Ces excès & fcs impolaires. ,,^ ,
Mais comme les Catholiques ne fleurent aucun gré de cet
iiveu à Voetius, 6c que les Proteftans ne lui en firent aucun
crime : on Je regarda comme une fuite du dérèglement de
ion efprit auquel les uns & les autres étoient déjà tout ac-
■coutumcz. Il ne falloit point d'autre marque de ce dérégie- Epift.ad cé-
ment que la malignité avec laquelle il afFeâ;oit dans- le me- leb. voet.&c.
me têms défaire pafîér M. Defcartes pour un Je fuite de robe- jefuiji(ifier,fitb
courte, pour un '-fè fuite fauvaq-e ^ afin de Je décrier Se de le H^^^^'^^oieU
rendre odieux.
Le P. Merfcnne feignit de fe laiiïèr attirer aux enchante^
jnens du diicours de Voetius: & voulant faire voir même qu'il
étoit encore plus ami de la Vérité que de M. Defcartes, il lui
répondit qu'il ne lui refufèroit point là plume, pourvu qu'on
voulût lui fournir de la matière & des rai/bns fuffifantes pour
attaquer les opinions de ce Philofbphe. On prétend que ce Tom. j. des
Religieux parloit féneufement, Voetius en fut fi perluadé ^cttr. pag. j.
qu'il fit répandre incontinent le bruit que le P Merfènne
écrivoit contre M. Defcartes. Il chercha enfaite des maté- Tom. i. in
riaux.de tous cotez, bc fbllicita tous [es amis pour eiir- P'^o'^s-P^g-
voyer du fecours au P.Meriènne. Mais une année entière iè
pafi^ ùins qu'il pût rien faire tenir à ce Père qu'une compa-
railbn qu'il avoir faite de M. Defcartes avec Vaninus, le
priant de fiire bien valoir ce morceau comme une pièce im-
portante, & de mettre dans un beau jour le parallèle du nou-
veau Philofbphe avec cet impie qui avoit été brillé à Tou-
loufè.
Cependant M. Defcartes étoit à Leyde revoyant la Phi-
,'Iofbphie Scholaftique , & faifant un cours méthodique &
abrégé de la fienne, lorfqu'il fut frappé de la trifte nouvelle
de la mort de M. fbn père arrivée au mois d'Odobre de cette
année. Ce Magiftrat étoit Doyen du Parlement de Bretagne
depuis dix-fépt ans. Mais il n'y fut jamais Préfident comme lipftorp. pag,
l'a écrit le fieur Lipftorpius -. beaucoup moins fat-il Confciller ^'' '^ »*
-du Préfidial de Châtelleraut en Poiétou , -comme l'a crû le Bord vir.
iieur Borel. Il mourut d'une maladie qui avoit commencé par comp. p. u
une efpéce d'apoplexie, âgé de lxxviii ans, dans fà maifon de
-Ciiavagnes, qui ç toit ijne terre coniidèrable venue de fa fè-
M iij '^ çonde
I 640-
Leur. Mf.de
M. de Keil.
V. le Regiftre
mortuaire des
Cordeliers de
Nantes.
Lettt. Mf. de
Dcfc. à foa
pérc du 18.
Oftûb. ï6^o.
lettr. Mf. de
Dcfc. à foii
frère aîné du
3 Décemb.
Ï640.
Tom. ?• des
Lettr, p. 100.
Ckrfel.Rcl.
M(. & Ltttr.
Mf. de Mr
Charnu à M.
le Va fleur
4'£tioks.
'94 La Vie de M. D e s c a r t e s.
conde femme , & fituée dans une Paroiire du Diocëfè de
Nantes. Son corps fut inhumé le xx jour d'Oclobre dans
l'Ea;Iire des Cordeliers de Nantes , èc fut mis dans la Chap-
pelle de Ruys , où eft l'anfeu ou la cave àc^ Seigneurs de
Ciiavagnes. Il fat fuivi quelque têms après en l'autre monde
par Madame du Crevis là lille qui écoit aînée de nôtre Phi-
loibfjphe.
Dix ou douze jours après la mort du Doyen du Parlement
de Bretagne , M. Defcartes fon fils quin'avoit reçu aucun
avis de tout ce qui étoit arrivé, lui récrivit de Lcyde pour lui
marquer les obitacles qui s'ccoient oppolèz au voyage qu'il
avoit eu d^ilein de faire en France l'Eté dernier. Il y réïté-
roit tous les témoignages du relpect & de l'obéïiîance qu'il
lui devoir. Il lui marquoit la paffioii qu'il avoit de le revoir
pour lui demander fes ordres &: fa bénédiclion. Et il n'ou-
bli jit pas de lui faire entendre les raiibns qu'il avoit de de-
meurer en Hollande plutôt qu'en France pour philofopher
à l'abri des intrigues de quelques Péripatéticiens qu'il ctoyoït
mal intentionnez pour lui, dans la créance qu'il en vouloit à
leur Philofophie. Cette lettre ayant été reçue dans la famille
un mois après la mort du Père, fit fouvenir les enfans qu'ils
avoient encore un frère vivant : & l'aîné prit la plume par
bienfèance , pour lui faire fçavoir les nouvelles de la maifon.
Au refte il parut un peu furprenant que la parenté de nô-
tre Philofophe l'eût traité en une rencontre iî importante
avec tant d'indifférence que de ne le pas informer de la ma-
ladie de (on père , & de ne pas fè preiTer même de Jui faire
fçavoir fa mort. Il fallut que le P. Merfemie s'avifat de la lui
mander par une lettre qui prévint celle de M, delaBretail-
lière fôn frère v & fuppléât ainfi au défaut de ceux qui fem-
bloient le conter pour peu de chofe dans fi famille , & qui
ne le regardant prefque plus que fous le titre odieux de
Philofophe y tachoient de l'efïlicer de leur mémoire , comme
s'il eût ère la honte de fa race. Il n'en avoit pas été de mê-
me de M. (on père qui avoit confervè pour lui une tendrefîe
& une bonté parfaite jufqu'à la mort. Le fils en avoit tou-
jours été trés-perfuadé : &: le voyage qu'il avoir médité de
faire en France l'Eté dernier avoit pour une de fes fins d'aller
revoir àc embrafïer un fl bon père avaat le voyage de l'au-
tre
Livre V. Chapitre XII. 95
tre monde. De forte qu'il eut un regret fènfîble que des 1^40.
affciires d'auffi médiocre importance qu'étoient la gageure ~^
de WaelTenaer ,& la querelle du Përe Bourdm , lui eulîent fe's Lem.pag.
ièrvi de prétexte pour difFérer fbn voyage iufqu'à l'hiver • & 593-
TeufTent privé de la confolation qu'il auroit reçue des der- Tom. i- des
niéres paroles d'un père à qui il étoit de Ion devoir d'aller Lcttr. pag.
fermer les yeux. 185.153.
Cétaccident fut caiife qu'il rompit le projet de fbn voyage,
de qu'il ne fbngea plus à l'exécuter qu'après qu'il auroit com-
posé le cours de fà Philofophie qu'il croyoitpublier en moins
d'un an. Mais cet ouvrage ayant été depuis relégué avec fbn
Monde, & l'un &i l'autre n'ayant abouti qu'à la publication
de fes Principes, quine parurent qu'après un terme de prés
de quatre ans, fbn voyage en France fe trouva infenfiblemenc
remis jufqu'au tcms qu'il en fut débarrafTé. Monfieur fbn
père n'ayant pas jugé à propos de le traiter en Philofophe
ni en Etrar.gcr^ comme il fèmbleque firent M efTieurs fes frè-
res, avoiteû la bonté en mourant de lui laiOér quelques biens
à partager avec eux. M. Defcartes ayant perdu le principal
en perdant M. fbn père , ne jugea point que le refle valût la
peine qu'il prendroit de fe tranfporter fur les lieux. Il établit Tom.i.^e*
pour procureur de fès affaires fon ami M. de la Villeneuve du ^ttr.p. zss.
Boiiexic , qui le fèrvit avec toute TafFedion, toute l'éxaclitude Et Leur. Mf.
o III- )i > ■ rt r ' i> deDcfc. aïoa
6c toute la diligence qu il n auroit oie elperer d aucun autre, f^^j-e ^j ^^
Cet ami, auquel il fe fioit plus qu'en luy-même , ayant re- Décembre
eu fa procuration* ne tarda pointa exécuter fà commifîîcn ; ^^"^^^
& avant ré2;lé toutes chofcs avec lés Parens, ils pafTérent en- t^^^ , ^^'
■> ' j- ^ ^, . j T ^' 1 Décembre
;treux divers contrats 1 an 1641, dont ils envoyèrent lesco- 1641.
pies collationnées à M. Defcartes & qui furent trouvées
1 • j /' T .. • *Cette Procu-
parmi les papiers de Ion Inventaires . ^.3^;^,^ ^^^^^
M. Defcartes ayant perdu en une même année , & en moins du 15. Février
de fix femaines les deux perfbnnes les plus chères qu'il eût ^^V*
11 1* • 1 ^-r-^'' Inventaire
dans le monde , pou voit porter patiemment la perte que Dieu page 7.
permit qu'il fit encore de quelques amis dans cette année. Il *son père &
regretta celle de M. Dounot. ■>•> Il l'avoit connu de réputation «i ^^ fiHe.
plus de vingt ans auparavant, ayant fçû dés-lors qu'il étoit <i „^"^°'
ami de l'un de fes plus intimes, nommé M. le V...* qu'il ho- et Tom.x.
noroit extrêmement. Il parut d'autant plus furpris de fa et p- 2-S4iji.
n^on, que peu de témsauparavaiitilavoiceû de bonnes nou. MJe vajcr*^
yelles
Ibid.pag. 151.
Vie de Meif,
pag. Si.
Roberval Ep.
ad Merf. p. 8.
& 13. & ad
JorriceJ], 6.
Hiflror. Tro-
choid.
T/îni. 1. des
Leur. p. 284.
^85.
Pag. i88. du
c)6 La Vi E DE M. Descartes.
vellcs de fà fànté , & que pour mériter fes bonnes grâces il Tui'
avoir envoyé par le Përe Merfènne l'explication d'une ré-
gie qu'il avoit donnée pour tirer \^ racine cubique des Binômes.
W étoit en réputation d'être habile Mathématicien: mais il
n'en faifoit pas beaucoup de parade.
M. Defcartes regretta même celle de M. deBeaugrand,
quoiqu'il parût que celui-ci eût nidignement abufe de fbn
amitié depuis trois ans & demi. Il n'ecoit certainement pas
Ignorant dans les Mathématiques , mais il s'étoit rendu ridi^
cule & odieux aux vrais Mathématiciens pour avoir voulu
palîer lamefure des connoilîances qu'il y avoit acquifês. Afin
de pouvoir fou tenir la réputation qu'il croyoit y avoir rem-
portée, il s'étoit fait une habitude de piller ceux qu'il Içavoïc
avoir réulîî dans quelques Traitez j de ie rendre ainfi le pro-
priétaire des inventions & à^^ ouvrages d'autrui 5 & de les
diftribuer comme venant de lui après s'être contenté de fup-
primer les noms des vrais Auteurs, 6c de changer quelques-
uns de leurs termes en des l'ynonymes équivalens. C'eft ce
que M. de Roberval avoit eu foin de faire remarquer au
P. Merfènne, &; au fieur Torricelh. C'eft ce que M. Pafoal
le jeune a reconnu aufujet de la Cycloïde ou Roulette,com-
me nous l'avons rapporté lorique l'occahon s'en efl pré-
fèntée.
Mais il parut trop d'empreflemeutdans ceux qui mandè-
rent à M. Defcartes vers le même têms la mort de fon ilîu-
ftre ami M. de Beaune. Il fo récria contre cette nouvelle
comme s'il eût eu d'abord un pré-fèntiment de fà faulTeté.
De forte que l^^s ordinaires fuivans ne lui en ayant pas appor-
té la confirmation, il récrivit au Père Merfènne au commen-
cement de Janvier, &lui dit en lui fouhaitant l'année heu-
reufe, qu'il prioit Dieu pour les âmes de Mefîieurs Dounot,
& de Beaugrand: mais que pour M. de Beaune il prioitDieu
qu'il le confèrvât. Qu^e puifqu'il n'avoit point de nouvelles
de fà mort il ne la vouloit point croire , ni s'en attrifter avant
le têms j qu'au refl:e,il le regretteroit extrêmement, parcequ'il
le tenoit pour un des meilleurs efprits quifulîent au monde.
Enfin le Père Merfènne luy annonça encore une autre
mort , dont la connoiiîànce lui étoit néceflaire pour les defl
iéins qu'il avoit fur la Philofophie fcholallique. Ce fut celle
du
Livre V. ChapitreXII. ^7
du Fciullaiit Dorii Euftache de S. Paul , de la vie duquel il a- ^
voit témoigne être en peine dans cette vue , & dont il avoit . ^
demandé plus d'une fois des nouvelles au Përe Merfenne. ii^mie^.
Dom Euftachc ëtoit mort d'une apoplexie de trois heures, icem 17;.
âgé de 67 ans. Il étoit Parifîen de naiflànce, & s'appelloïc
AfTeline du nom de fa famille. Il étoit né l'an 1573, avoit Abifg.chmn.
été Docteur de Sorbonne , & s'étoit rendu Feiiillant en i6of . i^ ^■'^^,^\
avoit et€ Supérieur dune maiion de la Congrégation a i'ani!î4a.
Rome, &: Vifiteur de divers Monafléres de Religieufes en
France. M. Defcartes témoigna être fâché de cette mort,
parce qu'encore qu'elle parût lui donner plus de liberté pour
faire fès notes fur la Philofbphie de cet Auteur , il auroic
toutesfois mieux aimé le faire par fâ permifllon & de fon vi-
vant, afin qu'il fut en état d'agréer lui-même ce travail.
L'on fuppofè que ce fut à la fin de cette année, ou vers
le commencement de la fui vante que le Roi Loilis XIII
voulut reconhoître publiquement le mérite de M. Defcartes
félon l'opinion qui s'en eft depuis répandue par le monde.
Ce Monarque averti par le Cardinal de Richelieu , ou par
le Chancelier Seguier , que ce bel ornement de (on Royaume Lor. Cfaff.
feroit toujours hors de fa place tant qu'il fèroit hors de Çqs ^^°o- P-^oj.
Etats, fbngeoit à le placer dans un rang a{îez élevé, fbit à
la Cour , fbit dans le Parlement, pour le faire voir à tous Çqs Borei. vît
peuples :& à lui faire foutenir ce rang par une grofîe pen-. Gomp. j,
fion. Mais fila vérification de ce fait dépendoit des circon-
flances dont quelques Auteurs en ont accompagné le récit,
nous ne pourrions nous difpenfer de le reléguer parmi les fa-
bles, ou de le laiffer au moins parmi les chofès les plus dou-
teufès. M. Lipftorpius prétend que le Roi Loiiis XIII P^g. «î- <ic
l'appella en France fous des conditions trés-honorables pré- ^^2* ^'^^'
cifément dans letêms delà gageure de >^aefîénaer , c'efb-à-
dire, fix ou huit mois plutôt que nous ne penfons. Il ajou-
te que le Roi lui offrit une des premières charges de la
Robe dans Paris, ou celle de premier PréfîJenc du Parle-
ment de Bretagne pour remplir la place de fon Père qui étoU
déjà mort. Mais cette dernière circonftance fuffit pour dé-
truire toute la vray-femblance de la chofe, 6c elle n'efl
qu'une fuite de l'erreur où étoit cet Auteur touchant la
charge du père de M, Defcartes, Lefieur Moren dit que ces Diaion.H'ot.
N * propofitiu.ns
98 La, Vie De M. D e s c a r. t e s.
164.0. propoiitions lui furent faites à fou voyage en France pour
"~" ~ r'empccher de retourner en Hollande. Mais ce voyage ne fe fît
qu'en 1644 auquel tems le Roi ëtoit mort : ôc il eft probable
que cet Auteur aura confondu le Cardinal Mazarin avec le
Cardinal de Richelieu, au fujet d'un troifiéme voyage à Pa-
ris que l'on fit taire à M. Defcartes l'an 1648, pour venir
recevoir les effets de la libéralité de Louis le Grand.
1?iUebrcfficux ^^ ^^ néanmoins difficile de fe perfuader que le conlente-
da-is Bore!. mcut des Auteurs étrangers & domeftiques fur ce fait puiile
^^ ^^*^y être fans quelque fondement. C'étoit fans doute fur quel-
pfu" '^ °'^' que chofè de ièmblable que M. de la Mare Confeiller au
CrafTocnita- Parlement de Dijon écrivant* un an après à M. GalTendi,
!ie.&c. fondoit l'eipérançe qu'il avoit du retour de M. Defcartes, de
* Epift. I. de fbn ctabliflemencen France avec celui de M, de Saumaifè,
Febiuar. 1^42 Quoiqu'il en foie, nous fbmmes afTûrez qu'il n'y eut pas de
pA^\é6. ' iblli Citations alTez fortçs pour faire fbrtir alors M. Defcartes
de fa retraite. Il regardoit les délices de la Cour , & les oc-
cupations les plus glorieufès du Confeil & des Pariemens
comme également préjudiciables au repos &; au loifir dont
il avoit beibin pour fervir le genre humain dans la profef^
fion qu'il avoit choifie. Et faifant infiniment plus de cas des
bontez de fbn Roy que de tous les honneurs & de toutes les
richefïes dont il Tauroit voulu combler, il aima mieux vivre
iipftorp. %(. ^^^1 ^ content dans de perpétuelles reçonnoiflances pour ces
bontez, que de s'expofèr au hazard de perdre les avanta-
ge? de îà Philofbphie, fous prétexte de vouloir foutemr le
poids de ces honneurs, &: de juftiiier le choix d'un fî grand
Prince,
I.ÏVRE VL
LA VIE
M' DES CAR TES
LITRE S I X I E AI E.
Contenant ce qui s*eft pafTé depuis la publication de fès
Méditations Mëtaphy Tiques , jufqu'à la publication
de les Principes de Phyfique,
CHAPITRE PREMIER.
JEdition des Aiédltatlons Métaphyjîcjues de Ai. Defc^trtes ^ malgré fa rcfo-
/ut ion de ne pins imprimer. Hifloire de cet ouvrage. Deffein & motifs
de fon Auteur. Pourquoy il veut fe munir de l" autorité des f^avans.
PoitrejHoy il recherche lapprchation en le jugement des principaux
Théologiens parmi les Catholiques, Délibérations diverfes fnr la yna-
niére de s'y prendre. Il s'addreffe au P. Gibienf pour conduire le Père
JHerfenne dans le ménagement de tome cette affaire. Il dédie fonmivrage
a Me [fleurs de Sorbonve , cefi-k-dire, a toute la Faculté de Théoloiriedi
Paris. Titre de l'ouvrage. Pourquoi il ejî écrit en Latin.
E fut en 1^41 que Ton vidparoître publique- 1(^41.
ment le fécond des ouvrages de M. Defcar-
Les I. furent
la EJfais.
Les 1. furcn;
les MédttX"
tes. Il fut imprimé à Paris chez Michel Soly
in VIII*, avec le Privilège du Roy 6c l'Appro-
bation des D odeurs en Théologie , fous le
titre Latin de Méditations touchant Li première tiens
Fhilofo^his i où l'on dèînontn i^éxiftcnce de Dieu., é* l'intmortalité Les ;. fareaî
N ij * de '" Prinfipes.
Univers
BfBLIOTH
aviens'S
loa La Vie de M.Descartes.
164.1. ^^ l'Ame. Mais le Public fera peut-être furpris d'apprendre
_ que c'efl à la confcience de nôtre Auteur qu'il efl: unique-
ment redevable d'un fi beau préfènt. Si l'on avoit eu affaire
à un Philofbphe fans comcience, ou fi la confcience du Phi-
lofbphe ne s'étoit oppofëe aux raifons qu'il prëtendoit avoir
de ne plus jamais imprimer aucun de fes écrits , c'étoit faic
Tom. i. des de fes Méditations, auffi-bien que de fbn Monde ^ de fbn Coun
î-ettr. p. il 3. philofophiqttc ^ de fa Réfutation de la Schola/iique ^ Sc de divers
autres ouvrages qui n'ont pas vu. le jour , hormis ]qs principes
qui avoient été nommément compris dans la condamnation
qu'il en avoir faire. Cette diftindion étoit bien due à Çqs Mé^
ditations Métaphyfiques , quoiqu'on pût dire que fa réfblu^
tion pour le refte étoit étrange, & peut-être un peu mjuile.
Mais il faut l'entendre avant que de le condamner luy-mê-
me. " Je n'ai y dit-il, aucune intention de faire jamais impri^
95 m,er mes Principes , ni le refle de ma Phyllque , ni même au-
î5 cunc autre choie que mes cinq ou fix feuilles touchant l'éxif
ï5 tence de Dieu^ k quoi je penfe être obli'ié en confcience. Car pour
« le refle , je ne fçai point de loy qui m'obU2;e à donner au
»î monde des chofes qu'il témoigne ne point defirer. Et Ci quel-
95 ques-uns le défirent, fçachez que tous ceux qui font les
5> dodes fans l'être , & qui préfèrent leur vanité à la vérité
w ne le veulent point. Pour une vingtaine d'approbateurs qui
»i) ne me feroient aucun bien , il y auroit des milliers de maU
»î veilîans qui ne pourroient s'empêcher de me nuire quand ils
>î en auroient occafion, C'ed ce que l'expérience m'a faitcon-
9î noître depuis trois ans : ôc quoique je ne me repente pas de
?î ce que j'ai fiit imprimer, j'ai néanmoins fi peu d'envie d'y
î5 retourner que je ne le veux pas même laifler imprimer en
53 Latin, autant que je pourray l'empêcher,
L'ouvra<!;e de fes Méditations n'étoit pas d'une compo-
fition fort récente. Il y avoit plus de dix ans qu'il s'y étoit
SfâiireiiFiife. appliqué 5 &: il avoit voulu confacrer à la Vérité fa retraite
de France en Hollande par un travail de peu de mois fans
doute, mais qui devoit être un monument éternel de fa re-
connoifTance envers fbn Créateur. Depuis ce tems-là il l'a-
voit laifTé dans fon cabinet comme une pièce imparfaite,
dans laquelle il n'avoit fongé qu'à fe làtisfaire. Mais ayant
conlidçré
LlVR E VI. ChAPI T R E T. ÏOl
confidéré enfuite la difficulté que plufîeurs perfbnnes au- t^aï.
roient de comprendre le peu qu'il avoir mis de Métaphyfi-
que dans la quatrième partie de fbn dilcours de la Méthode, Tom. j. des
il voulut revoir (on ouvrage, afin de le mettre en état de pou- ^^"' ^^^'
voir être utile au Public, en donnant des éclaircilîémens
à cet endroit de jfà Méthode , auquel cet ouvrage pourroit
fervir de commentaire. 11 comparoit ce qu'il avoit fait en
cette matière aux démonftrations d'Apollonius , dans lef- ^^
quelles il n'y a véritablement rien qui ne fbit trés-clair èc ^^
trés-certain lorfqu'on confidéré chaque point à part. Mais ^^
parcequ'elles font un peu longues , & qu'on ne peut y voir
ia néceiîité de la conclufion fi Tonne fè fbuvient exactement
àe tout ce qui la précède, à peine peut-on trouver un hom-
me dans toute une ville, dans toute une province, qui foie
capable de les entendre. Néanmoins fur le témoignage du
petit nombre de ceux qui les comprennent, & qui aflïïrent
qu'elles font vrayes , il n'y a perfbnne qui ne les croye. De
même M. Defcartes croyoït avoir entièrement démontré
i^éxiflence de Dieu, & V immatérialité de l'Ame humaine. Mais
parceque cela dépendoit de plufieurs raifbnnemens qui s'en-
tre-fuivoient, & que fi on en oublioit la moindre circonftance ib;a, ^^i^
iln'étoit pas aifé de bien entendre la conclufion , il prévoyoit ^93-
que fon travail feroit peu de fruit: à moins qu'il ne tombât
heureufement entre les mains de quelques perfonnes très-
capables, qui fufîent particulièrement en réputation d'être
grands Métaphyficiens 5 qui priflent la peine d'examiner fe^
rieufèment fes raifbns • & qui difant fincérement ce qu'ils en
penféroient, donnafîent par ce moyen le branle aux autres
pour en juger comme eux, ou du moins pour n'ofèr leur
contredire fans raifbn.
C'eft ce qui le fit réfbadre d'abord à faire voir fbn ou-
vrage aux plus habiles Théologiens de TEglife Catholique,
& à quelques fçavans même des autres Communions qui
pafîoient pour les plus fabtils en Philofophie &: en Meta-
phyfique, afin que l'ayant fournis à leur cenfure ils puflent
iuy faire fçavoir leurs difficultez ôc leur jugement avant la
publication ^ & qu'il pût fiire imprimer leurs objedions 6c
lès rèponfès en même têms que fbn traité. Il communiqua
^n deiïçin aux deux principaux amis qu'il avoit dans l'une
101
La Vie de M. Descartes.
To.Ti. 1. des
Lettr. p. i>^i.
Z4S. 149-
Hem. pag.
Pag. 149.
Soin. I.
j6^i. ^ Tciutre Communion qui fuirent Igs plus propres pour i"*y
fervii-, au P.Merfènne en France , &c à M. de Zuytlichenr eii
HoIIa ide. Il leur manda la penlëe qui lui ëtoit venue d'en
faire tirer feulement vingt ou trente exemplaires par manière
d'épreuves, & de les envoyer à autant de Théologiens pour
leur demander leur le ntim entravant qu'il pût tomber entr^
les mains des Mimflres Proteflans , & des autres perfonnes
mal affectionnées qui l'atcendoient pour y contredire. La
mauvaiiè volonté qu'il avoir remarquée dans certains efprits
chicaneurs qui fe rendroient d'autant plus éloquens dans
cette matière qu'ils la comprendroient moins , robligeoit à
fe munir de l'approbation des Docteurs les plus capables èc
les plus autorifèz : & à donner quelque crédit à un ouvrage
Tom. }. pag. ^m regardait la gloire de Dieu avec plus de foin 6c d'emprefl-
î?^?. muio. jfèment que Ton humeur ne lui permettroit àiQXï avoir, s'il s'a-
gifToit d'une autre matière,
La difficulté qu'il trouva depuis dans cet expédient lui fit
récrire au P. Merfenne pour prendre avis fur d'autres mefu-
res. » Je ne voy pas , loi dit-il , que nous puiiîîons fiire irà-
primer les i o ou 30 exemplaires de mon petit Traité de
Métaphyfîc]ue comme je vous Pavois mandé , fans qa'il foit
vu de tous ceux qui feront curieux de le voir, fbit par la
communication de ceux à qui je l'aurai envoyé, foit par l'in-
fîdélité du Libraire qui ne manquera pas d'en foire imprimer
plus d'exemplaires que je ne voudrai. Il feroitp'eut^être plas
à propos d'en faire faire une impTelfron publique du premier
coup. Car enfin je ne crains pas qu'il y ait rien cpi puifîe
defagréer aux Théologiens. Mais j'aurois feulement defîré
avoir l'approbation de plufîeurs, pour empêcher les cavilla-
tions des i^norans qui auroient envie de contredire, s'ils n^'é-
îoient retenus par l'autorité des perfonnes docles. Danscet-
ù penfeej'ai cril qu'il feroit bon que je vous envoyafTe mon
Traité en manufcrit ,. &: que vous le fi (fiez voir au Père G^-
bieuf, auquel je pourrois auffi écrire pour le prier de l'exa-
miner : 5c je fuis trompé , s'il manque à me faire la fiveur de
l'approuver. Vous pourriez enfuite le faire voir aulîià quel-
ques autres félon que vous le jugeriez à propos. Et ainfiavec
l'approbation de trois ou quatre , ou même de plufieiws, on
le
LlVR E VI. ChAP ITR E T. IO5
h fcroit imprimer. Je le dédicrois même à MelTicurs de Sor- ce 1^41
bonne en général , Ci vous le trouviez bon , afin de les prier c.
Cela fe
d être mes protedeurs dans la caufe de Dieu. Carie vous et },
1 •• 1 ^ // ■ I 1 y r r J contredit
dirai que les cavilLitions ce quelques-uns m ont raie reloudre ce avec la pa-
à me munir dorénavant le plus que je pourrai de l'autorité ce P.= 4*°- <^'*
d'autrui , puiique la Vérité efl il peu eilimée lorfqu'elle eft ce
toute leule. ce
Cependant il avoit fait voir fbn manufcrit à quelques amis Dés le iroîs
d'Utreclit qui l'enavoient inftamment foliicité , 6c particu- ^^^^^ ^^^o.
liércment à Meffieurs Regius & Emilius qui en furent char- Lettr. n. \z
mez jufqu'à Textafe. M. Defcartes qui ne cherchoit pas les Regius Mf.
éloges de Co.^ amis leur avoit enjoint d'examiner l'Ecrit , tant ^^ ^' ^^ ^^''
en Grammairiens qu'en Philofophes. Il fillut obéir , mais , ^°'"' ^-^^
lis ne trouvèrent a toucher qu a la ponctuation & a 1 orto- jg^. jgjf
graphe. Pour lui faire voir néaniroins que les grands éloges y ^ fin de la
qu'ils avoient donnez à cet ouvriige ne dévoient pas lui être lettr. n. Mf.
fufpeds, ils lui propolérent deux difficultez touchant l'idée *^= Rcgi^is.
que nous avons de l'Etre infini & infiniment parfait, &: lui
demandèrent un plus ample éclairciflèment à ce qu'il en a-
v,oit écrit dans fbn Traité. M. Defcartes leur accorda (iQXX.Q
fatisfadion avec plaifir , fouhaitant de bon cœur qu'aux élo-
ges prçs, les Doàeurs de SorbonaefifTent le même jugement
qu'eux de fbn Traité,
Le tems s'écoula fans qu'ail pût vacquer à l'édition qu'il
avoit projettée, parceque la crainte de la rendre pubhque ÔC
commune en Hollande avant qu'on l'eût vue en France la
lui avoit fait différer jufqu'à la veille de fbn départ pour le
voyage de France, où il v.ouloit être lui-rinême le porteur de
fés exemplaires. L'été expira^ fon voyage fut rompu ^ &: li
Im vint de nouvelles penfées qui lui repréfentérent la diffi-
culté qu'il y auroit de faire approuver fbn livre parle Corps
entier de la Sorbpnne , par lequel il entendoit non feulement
les D odeurs de la maifon & Cociiii particulière de S or-
bonne , mais généralement tous ceux de la Faculté deThéo-
logie de Paris. Il retourna donc à fon premier defTein de ne
faire tirer qu'un très-petit pombre d'exemplaires pour tenir
lieu feulement de copies manufrntes, & fervir d'épreuves à Page 133. du
ceux dont il attendoit Tapprobation ou le jugement. Il pria ^-'o"^'
Ip P. Merfennç que quand ^ les lui auroïc envoyez, \\ ne
I64I.
Tom. I. des
lettr.p.480.
Cela fe
itontredit
avec la p.
149* du
Canciîiatian
àc Ces contra -
<ii£tions.
Tom. ^. des
Lcttr. pag.
104 La Vie de M. Descarte s^.
les mît qu'entre les mains des Théologiens qu'il jugeroit leî
plus capables , les moins prèocupez^des erreurs de l' Ecole ^ les moins
intèreffcz^ à, les maintenir , ^ enfin les plus gens de bien y fur cfui
il reconnottroit que la vérité ^ la gloire de Dieu aurait plus de
force que l^ envie ^ la jalou(ïe. Ce n'eft pas qu'il chan2;eât le
deiTein qu'il avoit de dédier fbn livre à la facrée Faculté de
Théologie de Paris : mais il vouloit faire voir dés-lors ce
qu'il a depuis afluré, que fbn eipérance n'avoir pas été d'ob-
tenir leur approbation en Corps. Il prévoyoit que Çqs pen-
fees ne feroient pas au goût de la multitude, & qu'elles ie-
roient aifëment condamnées où la pluralité des voix auroit
lieu. Il témoigna même ne pas le ibucier beaucoup de celles
àQs particuliers , fbit parcequil auroit été fâché qu'ils euf-
jfènt rien faità fbnfujet qui pût être defagréableà leurs con-
frères, foit parceque ces fortes d'approbations s'obtiennent
fî facilement pour les autres livres que la caufe pour laquelle
on pourrait juier qu'il ne les auroit pas eues ne lui ferait point de fa-
vantageufe. Lors donc qu'ail offrit Ç^s Méditations à la Fa-
culté, ce n'étoit dans le fonds ni pour mandier leur approba-
tion , ni pour attirer même leur protedion fur {<y:i livre, quoi-
qu'il leur en fit le compliment 5 »> Mais pour les faire d'au-
tant mieux examiner , afin que fî ceux d'un Corps fi célèbre
ne trouvoient point de juftes raifbns pour les entreprendre,^
cela pût l'alTurer des véritez qu'elles contenoient.
Pour fàuver la contradiction qui paroît entre ce langage,,
& celui qu'il avoit tenu auparavant, il faut deviner qu'il ne
mettoit point de différence entre l examen & \x proteHion^.
entre \q jugement & \ approbation des habiles gens. De forte
que fuivant la bonne opinion qu'il avoit de fon ouvrage, c'é-
toit chez lui la même chofe ç^ examiner fbn livre &: \q protêt
ger y qu'en juger dc l'approuver.
Avant que de faire tirer les exemplaires qull deflinoit aux
Dodeurs choifîs de qui il efpéroit des objections, il jugea a
propos d'en envoyer une copie manufcrite au P, Merfenne
pour la faire lire en particulier auP.Gibieuf,& pour lui donner
lieu de fbnger plus efficacement aux moyens de l'imprefîîon
de Paris, 6c d'avertir par avance ceux a qui il devoir procu-
rer la leàure des exemplaires. Il envoya le pacquet le x de
Novembre de Tan 1640 à M. de ZuycUchem qui eut com-
milTioa
i
LivreVI. Chapitre I. 105
million de lire le Traité avant que de le faire tenir ap. Përe i 6 4. i.
Meriènne. Il en avoit donné l'avis à ce Père dés le lende-
main par une lettre où il le prévenoit touchant le titre du li- f^^ 1 erardi de
vre , èc la ftipulation des exemplaires que le Libraire fourni- Huit [ours . ac
roit. Le pacquet qui fut retardé de plus de huit jours con- Jç,"^ ^uTn's d-
tenoit, outre le Traité de Métaphyfîque àc les objcdions M.Dcfcart/
d'un Prêtre des Païs-bas avec la réponfè, trois lettres dont P^^ ^'^- ^<=
la première étoit l'Epître dédicatoire de l'ouvrage à Mef nc^put ren-"^
fieurs de Sorbonne 3 la féconde étoit pour le Père Gibieuf voycr à caufe
Dodeur de Sorbonne -, & la troifiéme pour le P. Merfenne. ^J p"^^"^^^
Il mandoit au Père Gibieuf que l'honneur qu'il lui avoitfait Dcfcan. l'ca-
depuis plufieurs années de lui témoigner que fes fentimens voya par le
fur la Philofophie ne lui paroilToient pas incroyables , & la pou/if^p^ij
connoiHance qu'il avoit de jfà doctrine lînguhére lui avoient de trois livres
fait fbuhaiter avec pafîîon qu'il prît la peine de voir l'Ecrit ^- P°''f«
de Métaphyfîque que le Père Merfenne devoit lui commu- Pag. té^.
niquer. Quoiqu'il ne crût pas qu'il y eût d'autre chemin poir
démontrer l'èxiftence de Dieu , 6c faire connoître la nature
de l'Ame humaine que celui qu'il avoit pris , il ne préten-
doit pourtant pas l'avoir parfaitement fuivi , & n'y avoir pas
omis beaucoup de chofes qui auroient eu befbin d'explica-
tion. Mais il fe flatoit de pouvoir remédier à tout ce qui y
manqueroit pourvu qu'on l'en avertît, & de rendre les preu-
ves dont ilfefèrvoit fî évidentes &:ficertaines,qu'elles pour-
roieiit être prifés pour des démonftrations. Mais le grand
point qu'il croyoity manquer étoit qu'il ne pourroit faire que
toutes fortes d'efprits fufTent capables de les entendre , ou
qu'ils voulufîent même prendre la peine de les lire, fî elles
ne leur étoient recommandées par d'autres perfbnnes que
par leur Auteur. Ne fçachant perfbnne au monde plus pro-
pre à cela que Meilleurs de Sorbonne, ni de qui il pût efpé-
rer des jugemens plus fîncéres , il s'etoit propolc de recher-
cher leur frotcHion . Mais parce que le Père Gibieuf étoit l'un
des principaux de leur Corps , il avoit eu particulièrement
recours à fon aiîîflance, fur l'expérience qu'il avoit d'ailleurs
de fbn affeétion , fur tout en une occafîon où il s'agifToit de
défendre la caufe de Dieu. C'eft pourquoi il le prioit dans fa
lettre de conduire le Père Merfenne par fes confèils dans la
manière dont U faudroic ménager toute cette affaire , de pro-
' , O * curer
ïo<j La Vie de M. Descartes.
1^41. curer à fbn livre des juges favorables , 6c de fe mettre de leur
' " nom bre .
Q^ant à la lettre pour Meilleurs de Sorbonne , il laidâ
au P. Merfenne le foin de régler les termes & les autres for-
malitez du titre Se de la fbufcription. Il s'étoit pnncipale-
ment chargé de faire voir aux Dodeurs l'importance, de
démontrer par les raifbns de la Philofbphie l'éxiftence de
Dieu &c l'immortalité de l'Amç , quoiqu'il fuffife aux fîdeL
SousLeonX. ^^^ de croire l'un Se l'autre par la Foy. Il les lie Ibavenir
fefl. 8. que c'étoit obéir aux ordres du Concile de Latran , qui or-
donne aux Philofophes chrétiens de répondre aux argumens
de ceux qui tenoient l'Ame mortelle. Et il voulut leur per-
fuader qu'ayant trouvé une excellente méthode pour réfbu-
dre toutes fortes de difficultez dans les fciences , plufieurs
perfbnnes lui avoient repréfenté qu'il étoit de fon devoir d'en
faire l'épreuve fur une matière fî importante. Mais en rele-
vant fes raifbns jufqu'à les faire pafler pour des démonftra-
v.fcslettr. tions certaines 6c évidentes , il penfâ perdre les fruits de fà
MfT. au Pérc modeftic dans l'efprit de pludeurs anciens Dodeurs de la Fa-
Merfennc de ^-uj^.^ ^ q^^ jVétant accoutuiiiez ni à fbn langage ni à fa mé-
thode le crurent fufped de la vanité qui accompagne ordi-
nairement les introducteurs de nouveau tez. Il étoit d'avis
que le P. Gibieuf corrigeât cette lettre, Se la mît en état d'ê-
tre préfèntée à une afTemblée de la Faculté lorfqu'on diftri-
buëroitles exemplaires imprimez du livre à chaque Dodeur,
ou du moins à ceux que la Faculté nommeroit pour l'exa-
miner.
Pour ce qui étoit du Traité même , M. Defcartes l'avoit
envoyé fans titre Se fans nom au Père Merfenne, afin qu'il
Pag. z^y. & en pût êére le farrain ^ Sc qùil le bktifàt du nom qu'il lui
tom." plairoit. Il lui marqua néanmoins celui de Méditationcs de
Item p Î99- î^^^^ Phdofophia , comme le titre qui lui paroifîbit le plus con-
éoo.du 3.VCI. venable, parce qu'il n'y traittoit pas en particulier feulement
de Dieu Se de l'Ame , mais en général de toutes les premiè-
res chofes qu'on peut connoître en philofbphant par ordre.
Il n'avoit plus les mêmes raifons qu'autrefois pour y fuppri-
mer fbn nom. Il étoit devenu fi connu dans le monde , qu'il
y auroit eu de l'afFedation à ne le pas mettre à la tête du
livre , Se qu'on auroit pris félon lui cette fupprelTion plutôt
pour
:84.
com. z.
Livre VI. Chapitre I. 107
pour un effet de vanité que de modeftie. Il étoit d'avis qu'on i ^ 4- 1.
mit Dcfcartes , même en Latin. Deux mois après il récrivit '^ "^"^
que ce nom François étant trop rude en Latin, il croyoït qu'il f^^f; V
faudroit mettre dans l'imprefTion C^tri^efius , qui étoit déjà en
voo-ue parmi les Q-ens de Lettres. Mais ce fécond avis ne fut
^ ^ r o
pas lui VI,
11 ne jugea point à propos de publier d'abord l'ouvrage en
Franc^ois comme il avoit fait Tes ElTais : mais ayant écrit ceci
principalement pour les dodes , & d'une manière égale-
ment relevée & nouvelle , il crut devoir parler leur langue,.
êc s'exprimer à leur mode autant qu'il lui avoit été poflîble.
CHAPITRE IL
Ze Père Tiferfenne procure des Cenfeurs à M. Defcartes pour lui
faire faire des objeHions contre les Méditations Métaphyfiques^
afin d*éclaircir la Kérité^ d^ de perfeciionner fon ouvray;. Abré-
gé de ces Méditations. Pourquoi M.Defcartes ne traite pas de
l' Immortalité de l* Ame , mais feulement de fa diflinïlion réelle
d*avec le corps. Sa manière d'écrire, il s'attache moins a l'ordre
des matières quà celui deS raifons. Hifioire des premières ob-
jeHions contre fon livre faites par M. Catértis Théologien des
P aïs-bas. Il veut que M. des Argues fait du nombre de fis
Juges. Bonne opinion quil a de fon ouvrage. En quoi confifte
principalement l'excellence de ces Méditations.
LE Père Meriènne ayant reçu enfin l'ouvrage attendu
depuis tant de têms voulut récompenfer la patience de
ceux à qui il l'avoit promis par l'adivité & l'induftrie dont
il ufà pour le leur communiquer. Il en écrivit peu de têms
après à M. Defcartes: & il lui promit les objections de divers
T-1. --'--■- °- ^'liloibphespour les étreines r"" " "~ -^ -
)arut d'autant plus furpris c
plus de têms pour remarqi
tout ce qui étoit dans fon Traite , & tout ce qui y manquoit
d'êfTentiel. Le P. Merfenne pour lui faire voir qu'il n'y avoit
ni précipitation ni négligence dans l'examen cju'il en faifoit
faire , lui manda qu'oia avoit déjà remarqué que dans un
G ij * Trakd
annihiler.
Pâg.
191.
du
z: tom.
Pag.
180.
&
iSl.
Com.
t.
io§ La Vie de M. Descartes.
î 6 A.I. Traité qu'on croyoit fait exprés pour prouver rimmortalité
de l'Ame , il n'avoit pas dit un mot de c^tte Immortalité.
Pag. t7j. du M. Defcartes lui répondit fur le champ, qu'on ne devoit pas
1. tom. ^>^j^ étonner. Qu'il ne pouvoit pas démontrer que Dieu ne
puiiîe anéantir l'Ame de l'homme ^ mais feulement qu'elle
efl d'une nature entièrement diftincbe de celle du Corps , ôc
par confequent qu'elle n'ell: point fujette à mourir avec lui.
Que c'étoit U tout ce qu'il croyoit être requis pour établir
la Religion ^ & que c'étoit auiïï tout ce qu'il s'étoit pro,
pôle de prouver. Pour détromper ceux qui voudroient s'en^
tretenir de cette penfée , il fit changer le titre du fécond
Chapitre , ou de la féconde Méditation , qui portoit de
Mente humanà en général , au lieu de quoi il fît mettre de
natL rà Mentis hununi^ , quod ipfa jit mît or quam cor pris ^ afin
qu'on ne crût pas qu'il eût voulu y démontrer fbn Immor-
tahté.
Huit jours aprés,M. Defcartes envoya au P. Merfênne un
abrégé des principaux points qui touchoient Dieu & l'Ame
pour fervir d'argument à tout l'ouvrage. Il lui permit de le
faire imprimer par manière de fommaire à la tête du Traité,
afin que ceux qui aimoient à trouver en un même lieu tout ce
qu'ils cherchoient pulTcnt voiren racourci tout ce que con-
tenoit l'ouvrage, qu'il crut devoir partager Qn fix Méditations.
Dansla/>r^W^V^ ilpropofe \<^s raifbns pour lefquelles nous
pouvons douter généralement de toutes chofès ^ & particu-
lièrement des chofès matérielles, jurqu'à ce que nous ayons
établi de meilleurs fondemens dans les fciences que ceux que
nous avons eu jufqu'à prèfènt. Il fait voir que l'utilité de
ce doute général conlîlte à nous délivrer de toutes fortes
de préjugez, à détacher nôtre efpric des fcns , & à faire que
nous ne puiiîions plus douter jamais des chofes que nous re^
connoitrons enfuite être trés-véritabîes.
Dans \2L féconde^ il fait voir que l'Efprit ufant de fli propre
liberté pour fiippofèr que \qs chofes de réxifhence defquel-
\cs il aie moindre doute n'exillient pas en efF.t , reconnoît
qu'il eft impoiTible que cependant il n'éxifte pas lui même,
* A t'cfprit ou Ce qui fèrt à lui foire diftinguer les chofès qui lui * appartien-
à la nature ncnt, d'avcc ccllcs qui appartiennent au Corps. Ilfèmble
qiij c'étoit le lieu de prouver l'immorçaUté ae l'Ame que
le
inceilc^ucllc.
LivreVI. Chapitre II. 109
le Iccleur devoir attendre de fon ouvrage. Mais il voulut 164^
le prévenir en mandant au P. Merfenne qu'il s'étoij con-
1. tom.
tenté dans cette y^r^?;»?^^ Méditation de faire concevoir t Ame pag. 191.
fans le Corps^ (ans entreprendre encore de montrer quelle efl '°'"- '-
rècUcynent âiflinck du Corps : parcequ'il n'avoit pas encore en ^ ag. 179, d*
ceiieu-là les prémifjes^ dont on peut tirer cette conclufion que
l'on ne trouveroit que dans la ^S/x/VW Méditation. C'cft ain-
fi que ce judicieux Philofbphe tâchant de ne rien avancer
dans tout {o-a Traité dont il n'dt des démonffcrations très-
exactes, le croyoit obligé de fuivre l'ordre des Géomètres
qui eft de produire premièrement toutes les choies d'où dé-
pend la propolîtion que l'on cherche avant que de rien con-
clure. La première ôc la principale chofè qui eft requife fé-
lon lui pour bien connoître l'Immortalité de l'Ame eft à'<t\\
former une idée ou conception très-claire & très-nette qui
fbit parfaitement diftincle de toutes les conceptions que l'on
peut avoir du Corps ^ c'eft ce qu'il a fait dans la féconde
Méditation. Il faut fçavoir outre cela que toutes les choies
que nous concevons clairement & diftinclement font vrayes
de la même manière que nous les concevons j c'eft ce qu'il
a été obligé de remettre à la quatrième Méditation. Il faut
de plus , avoir une conception diftincle de la nature corpo-
relle ^ c'eft ce qui le trouve pn partie dans Inféconde , & en
partie dans la cinquième &ç la fxième Méditations. L'on doit
conclure de tout cela , que les choies que l'on conçoit clai-
rement & diftinctemcnt comme des fubftances diverles telles
que font l'Elprit ôc le Corps , font en effet âes fubftances
réellement diftindes les unes des autres 3 c'eft ce qu'il con-
cluddans la (ixième Méditation. Revenons à l'ordre des Mé-
ditations , 6c de ce qu'elles contiennent.
Dans la troifiéme il développe allez au long le principal
argument qu'il a pour prouver l'éxiftence de Dieu. Mais
n'ayant pas jugé à propos d'y employer aucune comparailbn
tirée des choies corporelles , afin d'éloigner autant qu'il pour-
roit l'efprit du lecteur de l'ulcàge & du commerce des léns,
il n'avoit pu éviter certaines oblcuritez , aulquelles il avoit
déjà remédié dans fes rcponlcs aux premières objections
qu'on lui avoit faites dans les Pais^bas , 6^ qu'il avoit en-
voyées au P. Merfenne pour être imprimées à Pans avec
fon Traiçè, ' P iij * Dans
lio La Vie de M. Descartes.
1 6 41. Dans la quatrième il prouve que toutes les choies que nous
' concevons fort clairement & fort diftindement font toutes
vrayes. Il y explique auffi en quoi confii]:e la nature de l'er-
reur ou de la faulîeté. Par où il n'entend point le péché ou
Terreur qui fè commet dans la pourfuite du bien &: du mal,
mais feulement l'erreur qui fè trouve dans le jugement ôcle
difcernement du vrai &: du faux. Ainfî l'on ne doit point ap-
pliquer ce qu'il dit aux chofes qui appartiennent à la foy ou
à la conduite de la vie • mais feulement à celles qui 'regar-
dent les véritez ipéculaiives, Se qui peuvent être connnuës
par l'aide de la feule lumière naturelle.
Dans la cinquième il exphque la nature corporelle en gé-
néral. Il y démontre encore l'éxiftence de Dieu par une nou-
velle raifon, dont la difficulté fe trouve levée dans fes ré-
ponfès aux premières objections dont nous avons déjà par-
lé. Il y £iit voir comment il eft vrai que la certitude mê-
me à^s démonflrations géométriques dépend delà connoif-
fànce de Dieu.
Dans la fixième il diftingue Tadion de l'entendement
d'avec celle de l'imagination , &: donne les marques de cette
diftindion. Il y montre que l'Ame de Phomme eft réelle-
ment diftinde du Corps , &; que néanmoins elle lui elt fî é-
CoxMïtVtns troitement unie qu'elle ne compoie que comme une même chofs
ter acctaens . ... 1 • ti A i •
de Rcgius. (unumquidj avec lui. 11 y expole toutes les erreurs qui pro-
cédeiit àQS> fèns, avec les moyens de les éviter. Enfin, il
y apporte toutes les raifbns defquelles on peut conclure l'é-
xiftence des chofès matérielles. Ce nl-ft pas qu'il les jugeât
fort utiles pour prouver ce qu'il leur a fiit prouver en ces
endroits ^ fc. qu'/7 y a un monde ^ que les hommes ont des-
corps , & autres chofes femblables qui n'ont jamais été mi-
fès en doute par aucun homme de bon fens : mais parce-qu'en
les confîdérant de prés on vient à connoître qu'elles ne font
pas fî fermes, ni fi évidentes que celles qui nous conduifent
à la connoiflance de Dieu, & de nôtre Ame. De forte que
celles-ci font les plus certaines & les plus évidentes qui puif
iènt tomber en la connoiflance de l'efprit humain.
Il faut remarquer que M. Defcartes ne s'eft point ataché
som. ^%^° ^^^^ ^^^"^^ ^^ ^^'^^ ^ ^^^^^ ^ fuivre l'ordre des matières , mais
feulement
Livre VI. Chapitre II. iir
(èulement celui des raifbns. C'eft-à-dirc, qu'il n'a point en- ,^,^
j 1 '^ I- • i ^ 1041.
trcpris de dire en un même lieu tout ce qui appartient a un __—,
même fujet , parcequ'il lui auroit été fbuvent impoiïîble de
Je bien prouver, d'autant qu'il y avoit des raifbns qui dé-
voient être tirées de bien plus loin les unes que les autres.
Mais en raifonnant par ordre, c'eil-à-dire , en commençant
par les chofes plus faciles pour palier enfuite aux plus diffi-
ciles , il en a déduit ce qu'il a pu, tantôt pour une matière,
tantôt pour une autre. Ce qui étoit à ion avis le vrai che-
min pour trouver précifément la Vérité, &pour la bien ex-
pliquer. Il eftimoit que l'ordre des matières n'efl bon que ibid.pag.iso;
pour ceux dont toutes les raifons font détachées , &: qui peu-
vent dire autant d'une difficulté que d'une autre.
C'eft pour cela qu'il ne jugeoitpas à propos, ni même
pofTible d'inférer dans le texte de fos Méditations la réponfe
aux objedions qu'on y pouvoit faire , parceque cela auroit
interrompu toute la fuite , ôc auroit même ôté la force de
(es raifbns , laquelle dépend principalement de ce qu'on doit
détourner fa penfée des chofes fenfibles d'oii la plupart des
objedions fèroient tirées. Mais il avoit mis celles qui lui é-
toient déjà venues des Pais-bas à la fin defon Traité, pour
fèrvir de modèle aux autres s'il en vcnoit, &; pour montrer
le lieu où on pourroitles faire imprimeries unes enfuite des
autres en inférant fès réponfes à la fin de chaque objeélion.
Ces premières objedions avoient pour Auteur M. Cate^ pag. 17?.
rus Prêtre demeurant ordinairement à Alcmaer en Hollande, ^2°- ^^^'
Dodeur en Théolo2;ie de la Faculté de Louvain. Elles avoient
été faites dés la fin de l'été de l'an 1640 à la follicitation de
deux amis de M. Defcartes, à qui il avoit envoyé une copie
manufcrite de fès Méditations pour en avoir leur fentiment,
& pour faire voir l'écrit à ceux de leur connoifîance qu'ils
jugeroient capables de lui donner de bons avis. Ces deux
amis, qui étoient M. Bloemaert & M. Bannius Prêtres de
Harlem, après l'avoir lu pour leur propre fatisfadion , l'a-
voient addrefîè à leur ami commun d'Alcmaër qu'ils fça-
voient être trés-profond & trés_éxercè dans la Théologie,
èc dans la Philofophie. Ils lui avoient marqué que n'étant
pas en état de faire des objedions à M. Defcartes, comme il
îèmbloit l'exiger d'eux , 6c de tous fes véritables amis, ils at-
tendoient
1 641-
fag.
ipm.
2..
Pag. 2 7 y.
nt fupia.
Ibidem.
Pag. 180.
loin, 1.
HZ La Vie DE M. Descartes.
tcndoient de lui ce fèrvice comme une des obli ?:ations de
leur amitié, en l'afRirant que M. Deicartes le trouveroic très-
bon, &; qu'il ne manqueroit pas de lui répondre. M. Ca-
tcrus s'étant lailîé vaincre répondit à ces deux amis par des
objections qu'il fît fur quele]ues endroits de la 1 1 1 , la v, &
la VI Méditations j de qu'il accompagna de toutes les hon-
nêtetez èc de toute la modeftie qui précède & qui conduit
ordinan-ement les vrais f^^avans, & les amateurs de la Vérité.
Les deux amis envoyèrent à M. Defcartes les objections tel-
les qu'ils les avoient re^iiës : de ce fat pareillement à eux
qu'il addreiîà la réponfè qu'il y fît. Il tâcha fur tout de ne
pas fe laiiler vaincre en honnêtetez,&; en témoignages d'eC
time pour M. Caterus dont il fé fit un nouvel ami pour le rede
de fes jours. M. Caterus étoit natif de la ville d'Anvers,
d*une maifbn connue dans le Pais par divers exemples de
piété. 11 étoit plus âgé que nôtre Philofophe d'environ cinq
ans 3 & il avoit pour frère puîné un Jéfuite qui fe fignaloit
par la prédication en Flandre, tandis que de fbii câté il tra-
vailloit en Hollande à faire revenir doucement les égarez à
la foy catholique. M. Defcartes étant fur le point d'envoyer
fbn Traité au P. Merfenne pour être pubhé en France, a-
voit fait demander à M. Caterus la permifîîoii d'y envoyer
anlTi fes objections pour être imprimées avec fa réponfe à la
fin du Traité. Elle lui fut accordée à condition que l'Auteur
ne fèroit pas nommé ni au titre des objections , ni dans la ré-
ponfe. C'eft pourquoy Monlîeur Defcartes voulant lui don-
ner cette fàtisfiCtioQ manda au Père Merfenne d'efFacer le
nom de ce pieux de fçavant Théologien par tout où il le
trouveroit.
A l'égard des Sçavans de Paris qui dévoient donner leurs
objections, il pria le même Père de ne les point prefîer fi vi-
vement, fe fbuvenant de ce que M. Caterus lui avoit dit.
Qu'il faîloit beaucoup de têms pour pouvoir y remarquer
tout ce qui s'y trouveroit digne de remarque. Je ferai bien
aife, mande-t-il au Père , qu'on prenne du têms pour faire
les objections. Car il importe peu qae ce Traité foit encore
deux ou trois ans fans être divulejuè. Et parce que la co-
pie en eit fort mal écrite , de qu'elle ne pourroit être vue
que par uQ leCleur à la fois , il me fèmble qu'il ne feroit pas
mauvais
Livre V I. Chapitr E ï I. 113
jnauvais qu'on en fît imprimer par avance 2Ô ou 30 exem-
plaires. Je ferai fort aife de payer ce que cela coûtera : &
c*cft ce que j'aurois fait fliire des ici , fi j'avois pii me fier à
aucun Libraire, &; fijen'avois appréhendé que les Minières
de ce Païs ne le viflent avant nos Théologiens. Pour le fi:ile,
je {buhaiterois de bon cœur qu'il fût meilleur qu'il n'efi:.
Mais hors les fautes de Grammaire, s'il y en a, &: ce qui peut
fentir le Gallicifine ou la phrafe Fran(^oiie, je crains qu'il ne
s'y puille rien changer {ans préjudice du fèns. Au refiie, je
ne ferois point fâché que M. des Argues fûtauffil'undemes
Juges , s'il luy plaifoit d'en prendre la peine , & je me fie
plus en lui ièul qu'en trois Théologiens. On ne me fera point
auffi de déplaifir de me faire plufieurs objedions , & des plus
fortes. Car je me promets qu'elles ferviront à faire mieux
connoitre la vérité y &; grâces à Dieu je n'ai pas peur de n'y
pouvoir point fatisfaire. Je vous prie feulement de faire tou-
jours voir les premières objeékions avec mes réponfès à ceux
qui m'en voudront faire d'autres , afin qu'ils évitent les re-
dites, ôc qu'ils ne me propofent point ce à quoi j'aurois déjà
répondu.
Le Père Gibieuf en auroit fait d'excellentes s'il avoit été
moins perfuadé de l'excellence de cet ouvrage. Mais il ne
ibngea qu'à fervrr M. Defcartes pour lui en faciliter l'appro-
bation. {\ jugea a propos défaire voir fes Méditations au Su-
périeur général de la congrégation de l'Oratoire , pour avoir
lieu de lui mander plus de chofès qui pufi^nt lui faire un plai-
fir auquel il ne pouvoit être que trés-fenfible , ayant pour
ce fruit de (qs veilles une afFedion toute paternelle. Cette
afFedion contribuoit fans doute à le lui faire confidérer com-
me une pièce accomplie, & à lui faire rejetter les défiiutsque
iês cenfèurs y trouvoient furie peu d'intelligence ou la mau-
vaifè difpofition de fes ledeurs. Tantôt il remercioit Dieu
de fè voir fatisfait de fbn travail, croyant avoir trouvé com-
ment on peut démontrer les véritez Métaphyfiques d'une
manière qui efl plus évidente que les démonflrations de
Géométrie. Tantôt il fè laifToit aller à la complaifance de
marquer aux autres l'opinion avantageufe qu'il en avoit con-
çue. Afiurez-vous , dit-il au P. Merfènne , qu'il n'y a rien
dans ma Mètaphyfique que je ne croye être ,, ou trés-covnu
P * ^ar.
t (341
t Pag. i8r.
Pag. i8r.
& fufms
pag- i^iv
tom. 2..
Idem pag;
185. ibid..
Pag. iS4»
tom. z.
Pàg. 17S. du;
1. tom.
et Pûg. i«7.
du 1. tom.
'^ Vd \Hmmt
I64I.
naturali
nottjfimum, »>
■Vtl *CCH- jj
rate démen-
er (ttum' "
Epift. ad P.
Diaet.arr.3S.
Tom. t.
deslettr.p.
%9^,
Cîerfcl.Rcl.
Mfl. &c.
114 La Vie de M. Descartes.
par la lumière n tturelle ^ou démontré trés-éxaciement j Sc que je
me fais fort de le faire entendre à ceux qui voudront &c
pourront y méditer. Mais je ne puis pas donner de l'efprit
aux hommes , ni faire voir ce qui eft au fonds d'un cabinet
à des gens qui ne veulent pas entrer pour le regarder.
Il fondoit toute l'eftime qu'il avoit pour cet ouvra2;e ( qu'il
ne faifoit pas même difficulté de préférer à fès EiTais ) fur
l'intention qu'il avoit eue de renfermer tous les principes de
fa Pliilofbphie dans ces fix Méditations, comme il l'avoua de-
puis au PereDinet Provincial des Jéfuites de France. C'eft
ce qu'il déclara même en fecret au P. Merfenne dés le mois
de Janvier I 641, nonobftant les raifbns qu'il croyoit avoir
f)our faire un myftére de ces principes qu'il n'avoit pas vou-
u découvrir dans iès Eflais. Entre nous , dit-il à ce Père, ces
(îx Méditations contiennent tous les fondemens de ma Phy-
fîque. Mais il ne faut pas le dire , s'il vous plaît. Car ceux
qui favorifent Ariffcote feroient peut-être plus de difficulté de
les approuver, J'efpére que ceux qui les liront s'accoutume,
ront infènfiblement à mes principes , èc qu'ils en reconnoî-
tront la vérité avant que de s'appercevoir qu'ils détruifent
ceux d'Anftote.
Ce livre renferme tout le fonds de fa doArine , & l'on
peut dire que c'eft une pratique trés-éxade de fà Méthode,
C'eftleièul de (es ouvrgees qu'il fèmbloit avoir adopté com^.
me s'il eût abandonné tout le refte. Et félon M. Clerfelier,
il avoit coutume de le vanter dans la converfation familière de
Ces plus intimes amis , comme contenant des véritez impor-
tantes qui n'avoient jamais été bien examinées avant lui , 6c
qui donnoient pourtant l'ouverture à la vraye Philofophie,
dont le point principal conlîfte à nous convaincre de la dif-
férence quife trouve entre l'Efprit & le Corps. C'eft ce qu'il
a fait dans ces Méditations par une voye Analytique , c'eft-
à-dire , par une méthode d'inventer &c de réfoudre, qui ne
nous apprend pas feulement cette différence , mais qui nous
découvre en même têms le chemin qu'il a fuivi pour parve-
nir à cette connoifTance. Par ce moyen il a paru que la plu-
part des faux raifbnnemens de la Philofophie vulgaire ne
font fondez que fur le peu de connoiflànce que l'on a eu jufl
qu'ici
Livre II. Chapitre XIV. iiy
qii'icy de la diftindion véritable qui eft encre TEforit & le 1^41.
Corps ^ & en quoy elle conhfte. Ignorance qui fait que fuii- — .
vent l'on attribue à l'un ce qui appartient à l'autre , ^ qui ^^^^^^^- '^'^
cft caufe de toutes les extravagantes penfëes que les Anciens
ont eues de leurs Dieux , &: de celles que l'on a encore au-
jourd'huy touchant les adions des Bêtes , ôc leur principe.
M. Defcartes en détruifantces penfëes femble avoir détruit DeTaracacs
le principal retranchement des Libertins & des Athées, qui '^^ ^^'"-
ne peuvent raifonner que fur ces faux principes. Car s'il é-
toitvray qu'un peu de matière difpofée d'une certaine façon
dans les Animaux fût capable des fentimens, des palTions, des
imaginations , du choix , du raifonnement , en un mot , de
toutes les penfëes que quelques uns leur attribuent : il n'y
auroit point de raifon qui pût nous convaincre que ce ne fût
pas la même chofè dans les hommes. Mais quand par les
principes de M. Defcartes de par les voyes qu'il a tenues,,
on a une fois bien conclu la diftindion qui eft entre l'Eiprit
êc le Corps ^ fçavoir, que l'efTence du Corps confifle ample-
ment «f^;?/ l'étendue^ 6c qu'il ne peut être capable que des
fuites & àes propriëtez qui en dérivent ^ &; que l'Efprit ou
TAme de l'homme eft une chofe quipenfe , capable de toutes
\es fondions qui marquent en nous quelque pcrfedion ou
connoiiîànce, & qui ne peuvent être conçues comme dé-
pendantes d'une chofè étendue de quelque manière qu'on
la puiflè fubtihfèr : on ne peut après cela tomber dans au-
cune erreur touchant la nature de nôtre Ame, ny même
touchant la Divinité.
Ainfi M. Defcartes ne s'eft pas contenté comme les 2;rands cicrfci. tom,
Philofbphes & Mathématiciens des derniers fîécles d'orner l^' ",^Z'
&: d'enrichir la République des Lettres par les beaux fècrets de la préf.' *
de la Phyflque qu'il a révélez au Public. Ce qui l'a rendu
recommandable pardefllis les autres, eft principalement ce
qu'il a écrit des chofes Métaphyjiques : étant le feul , félon les
Cartéfiens , qui nous en ait fait concevoir les véritables idées.
En quoy il faut prendre garde de ne pas confondre les Chofes
^ Métaphyjïques avec les Véritez^ Métaphysiques ^o^\ ont une
grande difFérence entre elles. Celles-cyne font autre chofè
que certaines propofitions claires &: évidentes communément
connues de tout le monde , qui nous fervent de régie pour
P ij juger
ï(j4^-
Mf.du même.
116 La Vie de m. D es cartes.
juger de la vérité des Chofes ^ mais qui ne nous mènent a
la connoilîànce de l'exiftence d'aucune ^ 6c qui confidérées en
elles-mêmes ne font point conciles comme les propriétez d'aur
cune fubftance , mais feulement comme des véritez qui reiî-
dent dans l'entendement fans fubiifter ailleurs. Au lieu que
par les chofes Métaphysiques on entend des Chofes ou des S ub-
ftances intelligentes , ou même des Propriétez qui appar-
tiennent à ces Subftances , lelquelles font détachées de la
Matière , &: ont une fubfiftance propre indépendante d'elle,
qui font connues ians elle, &: connues avant elle. Ce n'eft
Clerfel. ibid. p^^ que pluficurs grands perfonnages n'euflent parlé des cho-
Item, Rci. fès intelleduelles avant M. Defcartes , ôc qu'ils n'eulFent mê-
me traité dignement leur fujet. Mais oerfonne avant luy n'a-
voit bien diflinétement conçu en quoy confifte nrécifément
l'eflence d'une ehofe fi fpirituelle j perfonne ne l'avoit fi net-
tement diflinguée de celle des chofos matérielles ^ perfonne
n'avoit fi heureufoment foparé les fondions des unes n'avec
les fondions àQ.s autres, C'eft en quoy confifte la principale
obligation que la Philofophie & la Religion ont à M. Def-
cartes, fi l'on s'en rapporte au fentiment de M. Clerfelier,
& de quelques habiles Théologiens qui fe font rendus {qs
fèdateurs.
Le Père Rapin qui n'étoit pas de ce nombre s'eft contenté
de dire que M. Defoartes a approfondi les matières de la
Métaphyfique plus que les autres Philofophesyfms en ex-
cepter ny le Chevalier d'Igby, ny lesjéfuites Suarez&Fon-
feca, dont il avoit parlé auparavant &: qui pafi[cnt pour les
meilleurs 6c les plus profonds Métaphyficiens de l'Ecole,
Reflcx. fur la
Philofoph.
pag. 370.
Cha'p. III.
LivKE VI. Chapitre ÏIL 117
K541.
CHAPITRE III.
Jrîijîoire de i fécondes ObjeBions faites par divers Théologiens é^
rhilofophes de Paris contre les Méditations Métafhyfîques.
Réponfè de M. Defcartes^ fmvie d'un autre Ecrit difpofé félon
la méthode des Géomètres. Livre de M. Morin de Dco,
Jugement qu en fait M. JDefcartes ^ ^ fa modeftie a parler de
/'Infini. Hifloire des troifémes Ohjeclions faites par M.
Irîohbes An<ilois. Conduite de Jlf. Hobbes dans l'étude de la
philofophie. Jugement de fon efprit. Cours méthodique de la
Philofophie Cartéfeenne. M. JDe fartes renonce à la Réfutation
de la philofophie fcholaftique. Jl répond aux Remarques de
iVf, Hobbcs fur fa Dioptrique , ^ veut rompre commerce de
lettres avec luy après avoir connu fon génie.
LEPérc M erfènne voulant tenir fa parole à M. Defcar-
tes luy envoya clés le mois de Janvier de Tan 1641 les
objections qu'il avoit pu recueillir de la bouche des Théo-
logiens & desPhilofophes, qu'il avoit confultcz dans Paris.
Leurs difficultez n'étoient ny fort confidérables ny en grand
nombre, quoique ce Père eût tâché d'y joindre quelques-
uns des iîennes , & qu'il eût fait fon poflible pour en faire Aux ob/ec-
naître auffi fur ià réponfe aux premières Objedions, qu'il luy tio^s Je Catc.
^voit f^it tenir dans le deflein de la fiire examiner avec le
refle. Ces fécondes Objections qui étoient au nombre de
fèpt regardoicnt quelques endroits répandus dans toutes les
Méditations, hors la première. Il parut à M. D-fcartes qu'-
elles avoient été faites par des perfbnnes fîncéres , 6c
qui étoient d'ailleurs perfuadées de la folidité de Çqs princi-
pes, & c'e la vérité de la plufpart des choies qu'il avoit avan-
cées. Il y fit une réponfe fort exade. Et parce que les Au-
teurs de CQS objedions avoient témoigné par la plume du
Père Merfenne que ce feroit une choie fort utile, fi à la ci v. Icsfc-
r y r r y • ' ■ r i \ coudes ob-
fin de les lolutions , après avoir premièrement avance quel- « ■ q^^^^^ ^
ques définitions, quelques deiPiandes, & quelques axiomes, « u fin.
il concluoit le tout lelon la méthode des Géomètres ^ afin ce
que d'un feul regard les ledeurs puflent y voir ce qui de- «
P iij * voit
iiS La Vi E DE M. Descartes.
î 6 41. voit les {âtisfaire, & qu'il remplît tout d'un coup l'clpric de
' la connoifTance de la Divinité : il fut ravi qu'ils luy euiîentr
fait une propofition lî agréable de Ci facile à exécuter. Il
joignit donc à fa réponiè pour leur fatisfaâiion un autre E-
crit contenant , Zes raifons pour prouver l'exijhnce de Dieu , ^
la diflinciion qui efi entre l'efprii ^ le corps humain^ difpofées
d'une manière Géométrique. L'Ecrit confifte en dix définitions,,
lèpt demandes , dix axiomes ou notions communes , 6c qua-
tre proportions contenant les démonftrations que l'on avoic
fouhaitées. Tout cela fut ran^é dans Tédition des Médita-
tions après les objedions de M. Catérus fous le titre dey?-
condes ObjciHom avec leurs réponfes féparées.
Pag. iS^rdu Pendant que M. Defcartes fongeoit à répondre aux fè-
atom.. condes objedions , il reçut de M, de Zuytlichem qui étoir
nouvellement de retour à la Haye un petit livre de M.
Morin,avec l'écrit d'^unPhilofbphe Anglois qui luy étoient
adreflèz de Paris par le Père Merfenne. Sur ce que ce Pè-
re luy avoit écrit au mois de Décembre de l'année pré-
cédente touchant ce nouveau livre de M. Morin où il trai-
toit de Dieu ^ il avoit témoigné quelque defîr de le voir d'au-
tant plus volontiers que le Père luy avoit mandé que l'Au-
Pag. isj & teur y procédoit en Mathématicien : quoique dés-lors il n'en
^^ibid. conçût pas une grande efpérance , &; qu'il ne criit pas M,
Morin fort capable de rèiifîîr dans un genre d'écrire où il
lèmbloit ne s'être jamais beaucoup èxercé.Ilen fit fcavoir fon
fèntiraent au P. Merfenne fur la fin de Janvier en cqs ter-
Pag. 18^. mes. « J'ay parcouru le livret de M. Morin ( de Dco , ) dont
ibid. ^^ Yq principal défaut eft qu'il traite par tout de l'Infini com-
55 me fi fbn efprit étoir au defTus , ôc qu'il en put comprendre
>3 les propriètez. C'eft une faute qui efb prefque commune à
îî tous ceux qui ont entrepris d'écrire fur ce flijet, & que j'ày
« tâché d'éviter avec foin. Car je n'ay jamais traité de l'Infî-
« ni (\\xQpour me foumettre à luy , Scnon point pour déterminer
« ce qu'il efl, ou ce qu'il n'eft pas. M.. Morin, avant que de
55 rien expliquer qui fbit en controverfè dans fon xvi théo-
»5 réme où il commence à vouloir prouver que Dieu eft , ap-
» puye ion raifbnnement fur ce qu'il prétend avoir réfuté le
»5 mouvement de la Terre, 6c fur la penfée que tout le Ciel
î3 tourne autour d'elle : ce qu'il n'a nullement prouvé. Il
fuppofè
L I V R E VI. C H A p iT R E m. ri9
fuppofè aufTi qu'il ne peut y avoir de nombre infini Sec. ce ç^ i 6Ar
qu'il ne fcauroit pareillement prouver. Amfi tout ce qu'il r,
met jufqu'à la fin , eft fort éloigne de i'wvi Jence &: de la cer- „
titude Géométrique qu'il iembloit promettre au commen- ^^
cément. Ce qui foit dit entre nous s'il vous plaît , parce que ^^
je ne defire nullement luy déplaire. ^^
L'Ecrit du Philofbphe Anglois que M. Defcartes re^^ût Tom. i dei
en même têms que le liure de M. Morin , n'étoit autre cho- lcttr.pag.t84.
fe que les|objeâ:ions que M. Hobbes avoit faites fur les Mé- * ^*
ditations Métaphyfiques à la fbllicitation du Père Merfen-
ne. M. Hobbes cherchoit depuis long-têms une occafion Thomas,
telle qu'elle pût être pour fe fiire connoître à M. Defcar-
tes, & faire avec luy quelques habitudes pour la Philofbphie.
Il étoit â2;é de huit ans plus que M. Defcartes , & il ne ^j ^ ^*'"
mourut qu après une vie de quatre-vingts-onze ans. Il avoit Ayril i/ss.
autrefois oublié fbn Grec & fbn Latin pour fè donner plus
parfaitement à la Philofbphie Scholaftique , & fur tout
à la Logique & à la Métaphyfique, dans laquelle il brilloit
/iir tous les Hibernois en fa jeunefTe. Mais ayant remar-
qué enfuite que les gens d'efpritfe moquoient de luy, il re- . vit. Hobb.
non(^a aux vains exercices de cette forte de Philofbphie, '^^^"^ ^*^- ^>**-
comme n'étant propre qu'à gâter un efprit & à fournir de
la chicane à des SophifVes. Pour fe frayer un chemin nouveau
à la Philofophie , il avoit repris les belles Lettres & s'étoit
mis à la lecture de tous les anciens Grecs &: Latins , (ans fè
rendre pourtant leur efclave ôc fans négliger aufli ce que les
meilleurs Scholafliques ou Modernes avoient imaginéi: iufl
qu'à ce que les confèils des deux premiers Philofophes de
l'Angleterre , le Chancelier Bacon & le Baron de Cherbu-
ry *, le déterminèrent tout-à-fait à fè défaire de tous Çqs pré- * Edouard
jugez , & à bâtir tout de neuf II voulut commencer par Herbert,
l'étude des Mathématiques à caufe de la certitude, de l'é-
vidence, & de la netteté de ces connoiflances. Mais il fit en
ce point la même faute qu'avoit faite Scaliger de s'y appli-
quer trop tard , étant âgé pour lors de plus de quarante
ans: & il trouva comme Scaliger de nouveaux Viétes ^ qui vvaUis,&c,
le redrefférent dans la fuite pour avoir voulu fè commettre
avec eux. Ce fut principalement après l'an 1634 qu'étant
venu en France il s'apliqua tout de bon à la Philofbphie na-
turelle
no La Vie de M. Descarte j.
I 6 4.1 wi'clle dont il avoit pris Je goût dans les conver/àtions du
Père Merfenne avec lequel il avoit fait d'étroites liaifons ^
nonobftant la diverfîté de leur Religion. Ce Père luy ayant
fait remarquer que tout ^e fait dans la Nature d'une manië^
re Méchamque ^ luy avoit en même têms infpiré une forte
pafîîon pour connoître M.Defcartes,de qui il tenoit cette ma-
xime 6c la plupart des beaux principes que M. Hobbes luy en-
tendoit débiter. Maisfonretour de l'an 1637 en Angleterre
avoit rompu ks projets, jufqu'à ce que la lecbure des Effays
de la Méthode de M. Defcartes ralluma en luy ce defîr^
luQs troubles de la Grand-Bretagne l'ayant fait revenir en-
France fur la fin de Tan 1640 , il trouva dans Paris le repos
& la flireté qu'il cherchoit pour cultiver ia Pliilofophie à-
loifîr, & il fè lia plus étroitement que jamais avec le P. Mer-,
fènne & M. Gallendi , qui étoient les principaux confeillersr
bc \qs compagnons de fès études.
vit. Hobb. ^^ ^^^ precifément en cetêms-là que le P. Merfenne luy
Auaar. procura l'occafion qu'il avoit tant recherchée pour pouvoir
entretenir quelque commerce de lettres avec M. Dcicartes :
& ce Père en luy communiquant le manufcrit des Médita-
Tom. %. des ^^^1^^ Métaphyfiques luy déclara que pour mériter l'amitié
icttr.deDef. & l'cftime de M. Defcartes il falloit faire les objections les.
tincspajfm^. p[^^ fortes qu'il pourroit trouver contre cet ouvrage , & les
envoyer à fbn Auteur, qui ne manqueroit pas de les hono-
rer d'une réponfe. M. Hobbes crut ce Père, de fit des ob-
jeâdons contre les Méditations de M. Defcartes qu'il mit
entre les mains du Père pour les luy fiire tenir, iàns luy per-
mettre néanmoins de déclarer encore pour cette première
foisfon nom à M. Defcartes. Le P. Merfenne avoit accom-
pagné récrit de M. Hobbes d'un mot de recommandation
pour fbn ami , afin que M. Defcartes connût fbn mérite, &c
qu'il fc^ût fur tout de quelle Pliilofophie ce fçavant Anglois
faifoit profefîîon. M. Defcartes ravi d'apprendre que le
nombre des vrais Philofbphes fût augmenté d'un aufîî no-
ble èc aufïi excellent fujet qu'étoit M. Hobbes ^ voulut étu-
dier fbn génie dans fès objeâions , mais il ne les trouva point
afïez propres pour luy faire juger de fa folidité & de fa pro-
fondeur. Il en écrivit au P. Merfenne en luy envoyant fa
réponfè à ces objeèlions dès le mois de Janvier : de il luy té-
moigna
^4^-
Tom. i.
des Jetti.
pag. 18^.
Livre VI. Chapitre III. ht
moiena la crainte qu'il avoit que le rcfle que M. Hobbes
avoir à luy envoyer ne £it pas meilleur. Mais pour ne fe pas
rendre indigne de l'amitié d'un homme en qui il reconnoifl
ibit du mérite d'ailleurs , & qui devoit avoir quelque goût
en ce qu'il faifbit cas de luy, il protefta de ne vouloir rien faire
ny rien dire qui fut capable de le dés-obliger. Il (e contenta
de déclarer au Père Merfenne ce qu'il penfbit de fa Philo-
ibphie en ces termes. •>•> ]e n'ay pas peur, dit-il , que fa Phi-
Jolbphie femble être la mienne j quoiqu'il ne veuille con(i-
dérer comme moy que les figures êc les mouvemens. Ce
font bien les vrais principes : mais fî on commet des fautes
en les fuivant, elles paroiiîènt 11 clairement à ceux qui ont
un peu d'entendement , qu'il ne faut pas aller fi vite qu'il
fait, pour y bien réuiîîr.
La réponfe que fit M. Defcartes à fes objections étoit in-
férée dans le corps même de ces objedioas, ëc jointe à la fin
de chaque article. On garda le même ordre dans i'editioa
des Méditations fous le titre de Troisièmes Objeciions. Le P.
Merfenne avoit été prié quelques jours auparavant par M.
Defcartes de ne luy envoyer de toute l'année aucunes ob- "^^g. 184,
jeclions ny aucunes queftions à réfbudre que celles qui re- ^^'^'
gardoient fà Métaphyfique , parce qu'il étoit bien-aiie de
pouvoir jouir de tout cet efpace de têms pour difpoier fa
Philofbphie dans une telle méthode qu'elle piit être aife-
ment enfèignée. Il s'agilToit du cours Philolophique qu'il
avoit entrepris dés l'année précédente de mettre en ordre
félon (ks principes 6c fa méthode, avec un abrégé de la Phi-
lofbphie fcholaflique qu'il vouloit mettre à côté pour en
faire un parallèle &; pour la réfuter en y joignant fés notes.
La première partie de ce bel ouvrage qu'il n'avoit pas en-
core achevée au commencement de cette année , contenoit r^ at
prefque les mêmes chofes que [qs Méditations Métaphyfi- *
ques, finon qu'elle étoit d'un ftfie tout différent, 6c que ce
qu'il avoit avoit mis tout au long dans celles-cy fè trouvoit
plus abrégé*dans celle-là: comme il y avoit auffi des chofes i'^r^t"l"at' 4"
dans cette première partie de fon cours Philofbphique qui °
étoient plus étendues que dans fès Méditations. Il continua
cet ouvrage pendant quelque têms , mais il perdit bien-tat
i'envie qu'il avoit eue d'y faire une expofition de laPhilo-
exp(
.0.'
fop hie
(> 4 I-
Tom. 3.
des lettr.
pag. 18.
*Du Feuil-
lant.
* Aux Tc-
fuites.
Tom. i.pag.
2.X4.
Tom. 3. des
lettr. pag. ii«>
ou lit'
Sfirituiin-
tHS alens, {j^
mms mjitf»
per artus
molem a-vi-
t.ms fefejue
iiigentt cor-
^ore mifceiis.
\iz LaVib De m. Descartes.
fophie fcholaftique pour la réfucer. C'eft néanmoins ce
qu'il dilfimula pour tenir les adverfaires en haleine , & les
entretenir toujours dans la crainte de fon examen ^ dQ ùl
cenfure. Mais comme il n'avcic point de fecret pour le P.
MeiTennc,il luy en découvrit là penfée quelque têms après
en ces termes. » 11 eft certain , dit-il, que j'aurois choifi le
Compendium àa Père Euftache * comme le meilleur de tous
les Scholaftiques , fi j'en avois voulu réfuter quelqu'un.
Mais auiîi eft-il vray que j'ay entièrement perdu le delTeiii
de réfuter cette Philofophie. Car je vois qu'elle eft fi ab .
folument 6c fi clairement détruite par le feul établifTemenc
de la mienne , qu'il n'eft pas befoin d'autre réfutation. Mais
je n'ay pas jU2;é à propos d'en rien écrire à ceux que vous
fcavcz *, ny de leur rien promettre là-delFus , à caufè que
je pourray peut-être changer de deflein , s'ils m'en donnent
occafion.
Mais nonobftant la prière que M. Dcfcartcs avoit faite
au Père Merfenne dès le commencement de l'année de ne
luy point envoyer d'autres objections que celles qui regar,
deroient fes Méditations Mètaphyfiques , ce Père ne put
s'empêcher de luy communiquer les remarques que M.
Hobbes avoit faites fur là Dioptriqne, ny Monfieur Defl
cartes luy refafer la fatisfadion de répondre à fbn ami.
Quoique la chofe eût été concertée aux Minimes de la
Place Royale, on feignit néanmoins que M. Hobbes avoit
écrit d'Angleterre & addrefle fes remarques au P. Merfen-
ne, qui les avoit fait tenir à M. Defcartes par la voye de
M. de Zuytlichem. M. Hobbes débutoit dans fon Ecrit par
un commencement qui ne regardoit point la Dioptriquede
M. Defcartes,, >î II y parloit de Dieu & de l'Ame comme
de chofes corporelles. Il y difcouroit fur fon Efprit interne qu'il
établilFoit comme le principe de toutes chofes , & il y traitoic
beaucoup d'autres fujets q^ii ne touchoient nullement M.
Defcartes. Car encore qu'il prétendît que la MatièVe fub^
tile de celuy-cy îxxx. la même chofe que fon Efprit interne ^
Tune n'étoit nullement reconnoilfable dans l'autre. Premiè-
rement parce que M. Hobbes vouloit que {^\\ Efprit interne
fiU la caulè de la dureté, au heu que la Matière fubtile de
M. Defcartes ell: plutôt la caufe de la moUeire. Enfuite par^
ce
LiVREVI.CHAriTRElII. I23
ce qu'il n'étoit pas aifé de comprendre par quel moyen cet i 6 ^ t.
Efprit interne, qui de fa nature devoit être trés-mobile, pou- _,
voit être fi bien renfermé dans les corps durs qu'il n'en pût
jamais fortir : ny comment il ie glifToit ôc entroit dans [qs
corps mous lorfqu'ils deviennent durs.
Sans s'engager à la difcuffion de cette opinion de M.
Hobbes, il ie réduifit à examiner feulement les raifbns par
le/quelles il tâchoit de réfuter fà Dioptrique dans la fui-
te de ion Ecrit, qui étoit drefle en forme de lettre Latine
écrite au P. Merienne. Il fit fa réponfè en même langue,
& l'addrefTa au même Père. M. Hobbes y fit une longue
réplique qui fat envoyée à M. Defcartes dés le feptiéme de
Février. Mais tout le commerce de cette paifible difpute
réfidoit dans le Père Merfenne qui en étoit le centre , fans
que M. Defcartes &: M. Hobbes fe parlafi^ent ou s'écrivif-.
iènt immé Jiatement. M. Hobbes traitant M. Defcartes avec ^^Z- y-?- ou
beaucoup de refped ôc de retenue tâcha de défendre fbn J^J^* ^ ^*
Efprit interne : & ajoutant que par cet Efprit interne il n'en-
tendoit autre chofè qu'un corps fubtil é^ fluide , il crut fe
juflifier par là d'avoir dit que fon Efprit interne étoit
la même chofe que la Matière fubtile de M. Defcartes, ne
voyant pas, difbit-il, la différence qu'il y a entre un corps
fubtil & une matière fubtile. 11 répondit aulTi aiixdifficul-
tez que M. Defcartes trouvoit dans le refle de fon hypo-
théfè.
Le Père Merfenne qui n'avoit envoyé d'abord qu'une
partie de l'Ecrit de M. Hobbes à M. Defcartes luy envoya
le refbe avec cette réplique. Ce qui obligea M. Defcartes Pâ:;. u^on
à une nouvelle réponfè pour ce relie , parce qu'il fcut que ^^^' '^"^'
quelques perfbnnes afïcz habiles tenoient pour de vrayes &:
légitimes démonflrations ce qui étoit contenu dans cet Ecrit^
quoique cela fut contraire à ce qu'il avoit publié touchant
les réfractions. C'efl tout ce qu'il put obtenir de fon génie
pour celiiy de M. Hobbes dont il fe laiFa en peu de têms.
Au lieu de répondre au dernier Ecrit , c'eft-à-dire à la ré-
phque de M. Hobbes, il écrivit au Père Merfenne pour luy p^^ r;r- &
marquer les raifons qu'il avoit de rompre de bonne heure fuiv,
tout commerce avec ce Phiîofbphe, afin de pouvoir le con-
fèrver au nombre de ces amis dii comnuui qui s'eftiment de
114 La Vie DE M. Des carte s.
j(i 4ï. ^oin &L qui s'aiment (ans. commnication. Il kiy manda de
nouveau l'opinion qu'il avoit de cet Efprit qu'il jugeoit opi-
niâtre & dangereux même dans fa fingularitë , quoiqu'il ne
fut pas doué d'une grande jullefle ny d'une grande force
pour le raifonnement. Mais afin que M. Hobbes ne crût
pas l'avoir ëpuifé en réponfes , & qu'il ne prît pas fon fîlen-
ce pour une impuiflance , il envoya au Përe Merfènne les
répon/ès toutes drelTëes à ion dernier Ecrit. Il pria ce Père
que fi le Philofophe Anglois étoit dans une femblable pen-
fëe , il débitât, comme de fon chef, ces réponfes qu'il luy
envoyoit, fans qu'il parût en aucune manière qu'elles luy
fuflent venues de plus loin que du couvent des Minimes de
Paris,
CHAPITRE IV.
J^ifroirc des quatrièmes objeBions faites fur les MéditMions de
M. Defcartesfar M. Arnaud Docicur de Sorhonne. QualitezJ.e
l'cfprit ^ des connoiffances de ce Dofleur. Eftime que M. Def-
cartes fait de fcs objcïiions. Eff'orts quil fait pour y répondre.
RefTernbLtnce de la Philofophie de M. De fartes avec celle de
S. Auqî'ftin. 'Vùlité des objeHions de M. Arnaud pour corriger
les Méditations de M. Defcartes. Difficulté fur la manière
^expliquer la Tranffubftantiation. M. 'Defcartes ^ M. Ar-
naud fe font peu connus depuis, Ouvraç-es divers de M, des Ar-'
gués efimcx^de M. Defcartes.
PEndant que le mois de Février fe confumoit en objec^
tions & en réponfes fur les Méditations & fur la Dio-
p trique entre M. Hobbes & M. Defcartes , le P. Merfènne
avoit eu foin de comminiquer diverfès copies à^s Médita-
tions à plufieurs Docteurs de la Faculté de Théologie pour
\qs convier à examiner l'ouvrage, & à luy donner leurs cor-
redions ou leurs objections pour M. Defcartes. Mais fbit
qu'ils l'approuvailent entièrement , foit qu'ils le méprifàfl
fent , fbit enfin qu'ils ne l'entendifTent point , il ne fe trou-
va perfbnne dans tout ce grand & vénérable corps qui vou-
lût s'ériger en cenfeur de M, Defcartes, fi l'on en excepte
un
Livre VI. Chapitre IV. 115
lin jeune Dodeur ou Licencie de Sorbonne, qui ayant lu
autrefois les Eiîlus de la Méthode de M. Dcfcaites avec 164^-
plaifir, avoit acquiefcé au defir du Père Merfènne avec l'ef-
pcrance de retrouver le même plaiiîr dans la lecture des
Méditations.
Ce Docteur ctoit le célèbre Monfieur Arnaud que l'on
croid encore aujourd'huy plein de vie, & qui par cette confi-
dération doit nous difpenier de parler de iuy. Il n'étoit en- on dit qu'il
core alors â2:é que de vin^t-huit ans &c de quelques mois: eftnéemôn.
o nr T-i r ^ ? ' ^ r i-r ' ' le 6. de Fc-
&; M. Delcartes maigre tout Ion dilcernement auroit ete ^^^^^^
trompé par fès objections iùrfes Méditations, comme il l'avoit
été dix-huit mois auparavant iur V-^^e de M. Paical par {on
Traité des Coniques , fî le Père Merfènne n'y avoit pourvu
en le prévenant. M. Arnaud n'ayant pu obtenir de ce Père
qu'il liroit les Méditations gratuitement, le crut obligé de
faire deux perfonnages dans l'examen qu'on demandoit de
Iuy. Il parut d'abord en Philofbphe pour Iuy repréiènter
les principales diffiçultez qu'on pourroit Iuy objecter tou-
chant les deux grandes queftions de la nature de l'Elprit hu-
main , & de l'èxiftence de Dieu, Il fît enfuite lafondion d'un
Théologien pour marquer cà M. Defcartes les chofès qu'il
jugeoit capables de choquer les oreilles accoutumées aux
exprefîlons ordinaires de la Thèoloc^ie , ou qu'il ne jugeoit
point allez conformes au langage des Catholiques touchant
quelques dogmes particuliers.
M. Defcartes n'avoit pas encore eu d'adverfàirc plusraifbn- M. Arnaud
nable ny plus habile que ce jeune Do<5teur , qui non content "'^^o'^paien-
^ ,'^ ■' '^ r 1 • 1 r t ■ rr ^'^^«^ ^^ bonnet
de s être approfondi dans toutes fortes de connoiiiances , de Dodair,
faifoit encore régner un efprit parfaitement géométrique qu'il ne prit
dans tous fes raifbnnemens. Mais au lieu de perdre le tcms ^^^^ ^^'^^'
à l'admirer , il mit toute fbn application à Iuy répondre. Ce
qui Iuy donna d'autant plus d'exercice qu'il avoit à fatisfai-
re un efprit auquel il ne Iuy ètoit pas pofîîble d'impofèr ou
de donner le change , de qu'il s'agifîoit de foudre en même
tcms des dilEcultez trés-folides éc trés-fubtilement propo-
fées. Il écrivit au Père Merfènne pour Iuy marquer qu'il ^P'^- pra^l»-
n'auroit pu fouhaiter un examinateur de fon livre plus clair- ™ q^^ ^'^
voyant & plus officieux. Qu'il en avoit été traité avec tant
de douceur ôcd'honneitetè, qu'il ne pou voit prefque s'ima-
Q^iij * gmcr
ii6 La Vie DE M. Descartes'.
1641. giner que ce fut un adverfaire qui eût voulu écrire contre
,— luy : mais qu'il avoit examiné ce qu'il avoir combattu avec
tant de foin, qu'il efpéroit que rien ne luy feroit échappé 5
de que Tes manières vives & pénétrantes à poufler les ciiofes
aufquelles il ne pou voit accorder fbn approbation luy faifbienc
croire qu'il n'avoit point eu la complaiiance de luy rien difîî-
muler. Aulîî témoignoit-il être moins touché de la qualité
de fes objections qu'il n'étoit réjoùy de voir qu'acnés m iTent
en fi petit nombre , & qu\in efprit railbnnable ne pût y en
ajouter davanta^^e qui fuflent bonnes. Il envoya au même
Lcttr. us. P^re fa Réponfe à ces objedions le jour de Pâque de l'an
de Defc. de 1641. Elle commeiiçoit par un remerciment à M. Arnaud
Jaaï64i. pour dcux bons offices qu'il luy avoit rendus en écrivant
contre luy. Le premier étoit d'avoir propoië les raifbns de
fon hvre, de telle manière qu'il fembloit avoir eu peur que
les autres ne les trouvadent pas alTez fortes & convaincan-
res. L'autre étoit de l'avoir fortifié d'im grand fecours en le
muniilant de l'autorité de S. Auguflin. En effet, la première
chofe qie M. Arnaud prétendoit avoir trouvée dans ces Mé-
ditations Métaphyfiques qui luy parût digne de remarque
Se. je fenfe ètoit de voir que M. Defcartes établît pour fondement èc
donc je fuis. pour premier principe de toute fa Philofophie, ce qu'avant
iib.r dchbe- j^ g Aueuftiu avoit pris pour la bafe 6c le foutien de la
roaibur. Cap.. J o r r
}.&iib. XI. fienne.
cap. z6. de y[ Defcartes ayant confidérè long-têms la force des ar-
^^' ^ * gumens de M. Arnaud touchant la Philofophie, jugea qu'^a-
prés avoir taché de réfoudre ceux qui regardoient la nature
de r Effrit humain, il de voit changer de méthode , craignant de
ne pouvoir pas réfifler à la force de ceux qu'il luy avoit pro-
polez touchant Vcxi/Ience de Dieu, C'ed pourquoy au lieu de
le mettre en devoir de fbutenir fes efforts comme il avoit fait
jufques-là, il voulut imiter ceux qui ont à fe défendre con-
tre un adverfaire qui a l'avantage; 6cilne s'étudia plus qu'a-
ëviter adroitement les coups plutôt que de s'oppofèr direc-
tement à leur violence. Il reconnut de bonne foy que tout
ce que M. Arnaud luy objeèloit concernant l'éxiflence de
Dieu pouvoit luy être accordé de la manière qu'il l'enten-
doit , &: qu'il l'avoit exphquè. Mais ayant pris les mêmes
chofes dans un autre lens que M, Arnaud lorfqu'il les avoit
écrites,
Livre VI. Chapitre IV. 117
ccrites, il fê contenta de faire voir que ce fens pouvoit être 1^41.
favorablement rec^û , & regardé comme véritable auilî bien »
que ccluy de M. Arnaud.
Qucind M. Dc(cartcs en fut venu à la réponfc qu'il avoit
à faire aux difficultez quipouvoient arrêter les Théologiens,
il déclara '? qu'il s'étoit oppofë aux premières raifons de M.
Arnaud» ^ qu'il avoit tache de ^arer les fécondes ^ • mais qu'il i.De Afentt
donnoit entièrement les mains aux troifièmes , excepté la dcr- ^^'"^"^•
niére qui concernoit l'Euchariftic. Il entreprit donc de ré-
pondre à cette dernière difficulté, jugeant que s'il venoita-
bout de fatisfaire M. Arnaud fur ce point , il luy feroit aifé de
contenter tous les efprits raiiônnables. On ne peut nier qu'il
ne s'en foit acquité avec beaucoup de iiibtilité &: de vray-fem-
blance. De forte que tant qu'on difputera dans les Ecoles de la
manière dont le Corps de J.C.exifte au S.Sacremenr,&qu'on
voudra l'expliquer par les maximes de la Phyfique, on aura
fujet de beaucoup efpérer du fiiccés des efforts que feront ^
les Cartéfiens pour expliquer cette manière d'èxiiler fur les
principes de leur Maître. AuiïïM.Defcartesne defefpèroit-
il pas de voir venir le têms auquel l'opinion de nos Scho-
laftiques qui admet des ^mdens réels îcroit rejettèe par les
Théologiens comme peu fure en la Foy , contraire a, la Raifon,
& tout-à-fait incompréhen0le:^ que la lienne feroit rccûë en (â
place comme certaine èc indubitable.
M. Arnaud avoit donné à M. Defcartes divers avis éga-
lement importans & judicieux pour aller audevant des chi-
canes qu'on pouvoit appréhender de la part des efprits mal-
intentionnez. M. Defcartes , non content d'en témoigner Rerpon{:ad4.
pubUquement fa reconnoifî^ince , voulut faire voir encore des ^^\^^
fruits de la déférence qu'il avoit pour fon jugement, & de
l'eftime qu'il faifbit de fés confèils. Il récrivit donc au Père
Merfénnc pour luy envoyer, féparèment de fa réponfe, les
endroits que M. Arnaud jugeoit à propos de retoucher & de Tom. \At%
changer dans fes Méditations. Il pria ce Père de faire mettre lett. pag. /?<?,
ces additions ou corrections dans le texte même de fbn ou- ^^'^'
vrage , mais féparees par des crochets par manière de paren-
théfès , afin de montrer la dociUté qu'il avoit pour les avis
d'autruy , fans prétendre s'en attribuer ]a gloire , & d'éxci-
çer par une générofité fi modefle tous ks examinateurs , &:
fes
Tom. 1. des
leur. pag.
x^8.
128 La Vie de M. Descartes.
1641. ies adverdùres mêmes à luy donner de fèmblables avis dans
l'e/pérance d'une juftice fèmblable.
Pag.6oo.ibid. Mais en luy envoyant fa réponfè aux obje6tionsde Moff-
fleur Arnaud il retmt le dernier feuillet où il expliquoit la
TranfTubftantiation fuivant fes principes, parcequ'il defîroit
lire les Conciles flir ce fujet avant que de le luy envoyer pour
le jouidre au refte. Mais après avoir lu ce qu'il fbuhaitoir,
il ajouta quelque choie à ce dernier feuillet que le P. Mer-
fènne jugea à propos de retrancher dans l'édition, craignant
t[ue cela ne fit naître quelque obftacle à l'approbation des
Docbeurs. M. Defcartes fouhaitoit que M. Arnaud vît fa
réponfe, afin qu'il en jugeât, & qu'il pût luy communiquer
fès répliques , ou luy donner de nouveaux avis. Maislachofe
n'alla point plus loin , & l'on prétend que M. Arnaud té-
moigna être fàtisfait de M. Defcartes fur tous les points qu'il
luy avoit objectez , fans en excepter même celuy de l'Eucha-
riilie, où il l'avoit le plus embarrafle. C'eft au moins ce que
nous pouvons avancer fur la foy du Père Merfènne contre
ceux qui veulent encore aujourd'huy douter de la vérité de
cette circonflance, Voicy les termes aufquels ce Père en écri-
vit quelque têms après auMmiftre Voetiusennemy de Mon-
fieur Defcartes. n Je demanday dernièrement, dit-il, à l'Au-
teur des quatrièmes objedions qui efl eflimè l'un des plus
fubtils Philofbphes , 6c l'un des plus grands Théologiens de
cette Faculté, s'il n'avoit rien à repai"tir aux rèponfes qui luy
avoient été faites par M. Defcartes. Il me répondit que non,
& qu'il fè tenoit pleinement fatisfiit. Il m'ajouta m^meqii'it
avoit enfeigné Ik. publiquement fbutenu la même Pliilofb-
phie j qu'elle avoit été fortement combatuë en pleme afîcm-
blèe par plufieurs fçavans hommes , mais qu'elle n'avoit pu
être abbatue ny même eoranlee.
M. Defcartes ayant appris quelle ètoit la difpofîrion de
M. Arnaud s'en forma un préjagè pour fa Philoiophie d'au-
tant plus avantageux qu'il le jugeoit moins capable d'erreur
dansfesconnoiiFanceSjOude difÈmulation dans fa conduite. li'
Tom. I. des ne fit point difrîculté de mander depuis aux Pères de l'Ora^
km. p. 480. toireque tout jeune Dodeur que fut M. ArnauJ , il ne laifl
fbit pas d'cflimer plus fbn jugement que ccluy <J!une moitié da
Anciem de toute la Faculté,.
De
Lcttr. de
Ï5
Merf. à
Voet. au X.
Î5
tom. des
l'i
lettr. de
Defcartes.
^3
ïî
»^
Î3
33
33
LivreVI. Chapitre IV. 119
De tontes les objections qui fè firent contre les Médi- j^^i
tations de Monfieur Defcartes, il ne s'en trouva point — 1^
à qui le Public fît plus d'honneur qu'à celles de ceDodeur:
^ Monfieur Defcartes les jugeant préférables à toutes ^««f- Mfl'.de
les autres ne fut point honteux de s'en faire honneur de fon cieiidi^cr du
côté comme d'un nouvel appuy pour fà Philofbphie. Il ne 10 d'Avdi
tint pas à luy qu'il n'entretint cette habitude nailTànte avec ^*'^^'
un amy de cette confequence. Mais Monfieur Arnaud quoy
que grand Philofophe 6c grand Géomètre avoit dés-lors tel-
lement dévoué fon têms à la Théologie &: à tout ce quitou-
choit immédiatement la Rehgion, qu'il ne luy en reftoit pref^
que plus pour les exercices desfciences humaines. M. Defc.
ie contenta donc de l'honorer èc de l'aimer fans communi-
cation. Il en donna des marques trois ans après écrivant Lettr.MiT.i
d l'Abbé Picot fur les chagrins que luy donnoient les procez AniïisAi
que les Théologiens Proteflansluy avoiencfufJ:itez àUtrecht
êc à Groningue.» La difgrace de M, Arnaud, dit-il, me tou-
che davantage que les miennes. Car je le conte au nombre ^ Troubles
de ceux qui me veulent du bien : & je crains au contraire que c^ JJ^"^ ^^J^V^
iès ennemis ne fbient aufîî pour la plupart les miens. Toutes- «t comm'.^*^'
€ois je ne fcay point encore le fujetde mécontentement qu'il cj
peut leur avoir donné ; 2c je me conlble fur ce que mes écrits ne „
touchent ny de prés ny de loin la Théologie, ôc que je ne crois „
pas qu'ils y puiilent trouver aucun prétexte pour me blâmer. «^
Néanmoins l'indifïerence de M. Arnaud pour l'entretien
d'un commerce de lettres avec M. Defcartes n'alla point jufl
qu'à fè refufèr la fatisfaclion de luy donner aux occafions des
témoignages de fon eftime. Ayant fçu que M. Defcartes
étoit à Paris durant l'Eté de Tan 1644, il ne put s'empêcher
de l'envoyer vifiter par un jeune Ecciéfiaftique de fes * Amis, * m. Waiiots
& de luy faire offrir fes fervices. Il luy fît même propofer «^^^"«F^is»
quelque nouvelle difficulté fur fa manière d'expliquer la
TranfFubflantiation félon fes principes , mais plutôt pour
donner matière au jeune Eccléfiaflique d'un entretien avec
ce grand homme, que pour avoir de luy aucune réponfè, dont
il eût befoin fur la difficulté propofée. L'Eccléfîaftique ren-
dit conte de fà vifîte à M. Arnaud avec les complimens de
M. Defcartes : mais il ne parla prefque que de la flirprifè ou
il avoir été, non feulement de trouver un Philofophe trés-ac-
R ! cefîible
130 La Vie de M. Descartes.
1^41, ceiîible & trës-afFablc , mais encore de voir un fi grand gé-
' ^ nie dans une finiplicité & une tacitarnité toute extraordi-
naire.
Tom. i.^de» Pour revenir au livre des Méditations Métaphyfiques,
tgi/ °' nous avons vu que M. Dcfcarrcs avoit fait prier M. des Ar-
gues de vouloir être du nombre de fèsjuges. Mais il iè con-
tenta d*en être le ledeur &: Tapprobateur. Au lieu de fbn
jugement , il fit tenir à M. Defcartes par le P. Merfènne uii
papier qui félon toutes les apparences contenoit le projet on
Pac.içô.ibid. i^*ne portion du livre de la manière de fofer l'e_(Jïcu aux Cadram
folâtres y qu'il publia quelque têms après. M. Deicartes le lue
ij avec plaiîîr , & trouva que l'invention en ëtoit fort beile , ôc
SI d'autant plus ingénieufe qu'elle étoit plus fimple. Elle ëtoic
parfaitement conforme à la théorie, mais il luy fit donner
pour réiiffir plus jfurement dans la pratique un expédient
plus commode que celuy qu'il avoit inventé. >M. des Argues
Ces deux luy avoit fait en même têms préfent d'un nouveau livre de ià
M ^'^?"Ar- compofition touchant la manière de couper les pierres à ba-
gues- ne fu- tir. Le livre parut fous le titre de la Pratique du trait , ^
rent publics Prcuves four la coupe des pierres dans V Architeciure . M. Def.
^hcz" d«^ cartes le parcourut fur le champ, & il ne différa de l'étu-.
Hayes rue de djer , que pârcequ'il n'en avoit pas encore reçu les figrres qui
u Haipe. étoient de la gravure d'Abraham BolFe. Il en fit remercier
? Auteur par le Père Merfènne, à qui il donna en même têms
commiffion dp luy faire fc^avoir ce que M. des Argues difoic
avoir trouvé touchant l'Algèbre , afin qu'il pût juger en peu
de mots de ce que ce pouvoit être. M . Defcartes avoit le goût
afiez difficile : mais foit que l'amitié l'aveuglât , fbit que
M. des Argues fût un trés-habile homme , il avoit coutume de
loiier tout ce qu'il voyoit de hiy , & il l'ellimoit avec d'au-
tant plus deraifbn, qu'il voyoicque M. des Arguesfaifbitfèr-
vir fes connoi{îances à l'utiliré publique de la vie plutôt qu'à
Ja vaine fàtisfadion de nôtre curiofité. Son génie luy fit en-
core produire d'autres ouvrages dans la fuite à^s têms , &
Leur. Mff. à M. Dcfcartes en fut toujours partagé des premiers. De ce
DécembrV" nombre furent le livre de la PerfpeHive^ àc celuy de lama-
1643. mère dQg?^rjer en taille douce a l^ eau forte. M. des Ar2;ues ne
fit plus rien après la mort de M. Defcartes , auquel il flirvé-
cjuit de plus d'onze ans , étant prés de trois ans plus âgé que
luy
Livre VI. Chapitre V. 131
îtiy. II avoit préféré la vie retirée à celie de la Cour dés le 164.1.
vivant de fon amy ^ & il pafTa le relie de Tes jours à n,éditer
fur ks Mathématiques , &: à cultiver le bien qu'il avoit à
Condrieu dans leLyonnois,
CHAPITRE V.
ja/Ioire des cinquièmes OhjccHons faites par M. GdJJendi venti
nouvellement de fa province four lAjfemblèe du Clergé à,
Mante , ^^ four s'établir k Paris, Origine de l'animofté (^
de la jaloufe de M. Gaffendi contre M, De [cartes, 'jugement
de M. De [carte s fur la Dijfercation que M. Guffendi avoit
faite autrefois des Parhelies de Rome. Douceur eb" modération
de M. Gaffendi, Sonadre[fe ^ fa difjîmulation envers M. Def
cartes. Sincérité choquante de celuy-cy dans la réponfe à fes Ob*
jeclions. BroUillerie de ces deux amis entretenue ^ auginentée
dans la fuite par quelques efprits inquiets. Hiftoire des fixiémes
objeclions. Edition des Méditations. Modejlie de M. De fartes
fur le titre de fes réponfes. Réflexion fur les approbations du li-
vre mis long-tems après à /'Index. Objeclions de Huelnerus
venues après coup. Eloges des Méditations de M, De fartes , d^
de la Méthode d'Acontius par cet Eiuelneriu,
LE nombre àcts, objeâ;ions contre les Méditations Meta-
phyfiques n'augmentoit pas autant que M. Defcartcs^
témoignoit le fouliaiter : & Tindullrie du P. Merfènne ne
réiiffiiîoit pas comme y\ l'avoit efpéré d'abord à luy fufciter
des cenfeurs qui fulTcnt capables d'en faire, ou qui en eufl
fènt la volonté. 11 (emble que la Providence voulut tirer l'un
6c l'autre d'inquiétude en faifànt venir M. Gaffendi de Pro*
vence à Paris , où. elle luy deftinoit un établiffement par des
voyes toutes oppofces à celles par où elle avoit conduit
M. Defcartes. Elle avoit fait paffer celuy-cy du grand monde
dans une folitude pour cultiver la Philofbphie : &: elle tiroic
celuy-là d'un coin de province pour le produire en public
fur le premier théâtre du royaume. Etant arrivé à Paris le Qx^ttiA.
o de Février de l'an \Ga.\ , il ne manqua point de rendre vi- epiftoiar.j
iice au Père Merienne qui etoit lun é^s principaux amis ^ opcr.
R ij qu'il
131 La V I £ DE M. D ESC ARTES.
I <3 41. qu'il eût dans la ville. Le Përc cherchant à le régaler , n'eut
■ point de nouveauté plus importante à luy communiquer que
le manufcrit des Méditations de M. Defcartes: mais il ne luy
en propofa la ledure que comme une faveur qui ne s'accor-
doit qu'à ceux qui s'engageoientà lareconnoître par des ob-
jedions contre l'ouvrage. M. Gaiîendi voulut bien acheter
cette fatisfadion à ce prix-là : mais il demanda fîx fèmaines
de terjTie au Père pour pouvoir s'acquiter de fa dette. L'oc-
çafion principale de Ton voyage à Paris étoit une affaire qu'il
vouloit faire terminera l'Aflemblée du Clergé qui devoitfè
tenir à Mante en Vexin : & il falloit partir le xxiii de Février
pour être préfent à l'ouverture de l'Aflemblée qui devoitfè
Pa<T. 103. & ^^^^^ 1^ XXV. Dés le premier jour fonafEiire touchant la dépu-
Ï04. ibid» tation de fà province avoit été propofée par les foins de divers
Prélats à qui il l'avoit fait recommander par plufieurs de fes a-
mis. On luy donna des Commifîaires de l'un & de l'autre or-
dre du Clergé pour l'examiner. M, l'Archevêque deTou-
ioule qui en étoit le premier , &: qui connoiflbit le mérite èc
l'humeur deM.GafTendi la fit régler au plûtôt,pour le délivrer
Vi<r. 104. des embarras des affaires civiles par un accommodement avec
col. ï.sc î. fàPartie,qui le rétabliffoit dans le repos nécefïaire à (bs étu-
çpift. Gaff. ^^^ j^ partit de Mante dés le fécond jour de Mars 5 & âés
qu'il fut de retour à Pans, il manda Ces livres 6c fes papiers
de Digne poiir travailler, non feulement à l'édition de la
vie de M. dePeirefc qu'il avoit compofëe quelque têms au-
paravant, mais encore à la réflitation qu'il méditoit des Mér
ditations de M. Defcartes, .
L'amitié qui avoit uni ces deux grands hommes jufqu'a-
îors n'étoit jamais montée jufqu'au degré où les amis ne font
plus en état de découvrir ou de fe reprocher leurs défauts
quand ils y font arrivez. Telle qu'elle étoit dans les com-
mencemens de leur connoiflance, M. Defcartes l'avoir tou-
jours confervée dans une fituation égale : mais il n'en étoit
Depuis Tan plus de même du coté de M. GafTendi depuis l'édition du
Î637. traité des Météores de M. Defcartes. M. Gaffendi étoit un
homme charmant pour le commerce de la vie. Il étoit grand
diftributeur d'éloges à l'égard de toutes fortes de gens de
Lettres, fi l'on en excepte les Péripatéticiens, ou les feétateurs
d' Ariflote qui étoient devenus l'objet de fès inimitiez. Mais
al
L I V R E V I. C H A P I T R E V. 135
il n'avoit pii fè mettre au nombre desSçavans fans encon- i ^ 4^.
trader l'humeur, llavoit appris d'eux, & fur tout des Hu- *
maniftes ou Philologues, à répandre l'encens avec unelibé-
rahte intërcflee, dans Tnitention d'en recevoir réciproque-
ment : & s'il n'avoit point la maladie des Poètes, quieft de
vouloir être lotie, il Icmbloit être atteint un peu de celle
des Grammairiens , qui efl de vouloir être cité dans les écrits
des autres.
Il en avoit donné quelque marque lors qu'on wid paroi-
tre les EfTais de la Philofbphie de M. Defcartes. Celuy de
ces Ellais qui revenoit le plus au genre de Ces études étoit
le traité des Météores, où M. Defcartes n'avoit pas oublié
le Phénomène des Parhélies ou faux fbleils qui avoient pa^ voyer cy-
ru à Rome , & dont l'obfervation avoit été envoyée en Fran- ^ ^V'"
ce par le Cardinal Barberin.M.Gafîendi trouva qu'il n'y étoit 4. de cette*
pas cité;, èc regarda le fîlence de M Defcartes comme une ^i^*
injuflice, par rapport à la créance où il étoit queM.Defcar,
tes n*avoit eu communication de cette obfèrvation que par
fbn canal;, èc qu'il n'avoit pu ignorer une Diflertation qu'il
en avoit faite, & qu'il avoit addrefîee à M. Reneri leur ami
commun. M. Defcartes qui avoit abandonné ce genre d'é-
rudition qui ne s'acquiert que par la lecture des Auteurs ,
&c qui faifoit profeiTion de n'écrire que fur fes propres mé-
ditations, ne pouvoit point par conféquent s'afTujettir à la
citation des autres. Mais s'il eût pu prévoir la délicatefîe de
M. Gafîéndi fiir ce point , il n'eût eu garde fans doute de
luy rcfufèr une fi légère fàtisfadion pour confèrver fbn ami-
tié. Quand le Père Merfènne luy eût fait connoître la fau^
te que fbn ignorance luy avoit fait commettre , il ne put
s'empêcher d'admirer la modération qu'avoit eue M. Gafl
fèndi de retenir fbn refîentiment pendant plus de trois ans ,
jugeant qu'il ne fe feroit peut-être pas encore expHqué Ci-
tât fur fon mécontentement , Ci la vûë de Ces Méditations
Métaphyfiques ne l'en avoit Cait fbuvenir. Mais d'un autre
côté il ne put comprendre comment un homme qui fiifoit
profefîion de ne jamais s'émouvoir contre ceux même qui
luy en donnoient fiijet, s'étoit rendu fenfible à une bagatel-
le fans aucun fujet. C'eft ce qu'il fit connoirre au P. Mer^
/ènne vers le commencement du mois d'Avril en luy mar-
R * iij quant
134 La ViEde m. Descartes.
1641. quant le peu de cas qu'il faifoit de fa DilTcrtarion & de ceL
^ le de Schickard Mathérnaticien de Tubingue fur le Plicno-
Tom. 1. des mène des Parliélies. » Je vous alFdre , dit-il au Père , qu'il
i$6.^^^' " ^^'y ^ P^^ ^^^^ ^^^ ^^^^^ ^9 raifbnnement dans le livret Alle-
»3 mand de Guill. Schickard qui fik ci mon ufage, non plus
>3 que dans la Lettre ou Viffertation Latine que M. Gaiîen-
« di a écrite à M. Reneri iiir ce môme Phénomène. Mais
« celuy-cy a tort s'il s'ofïenfe de ce que j'ay tâché d'écrire la
»5 vérité d'une chofè dont il avoit auparavant écrit des chi né-
»3 res : oii s'il a crû que je devois le citer en ce heu-Ià, où je
)5 n'ay pas eu de luy une feule chofè, finon que c'eft de fès
y. leder- » mains que robfèrvation du Phénomène de Rome qui eft à
dwMéféo- " ^^ ^'^ ^^ ^^^^ Météores eft venue à M. Reneri ^ bc delà à
les. î5 moy, comme par \qs mains àçs melTagers & fans qu'il y ait
>5 rien contribué. J'aurois crû luy faire plus de tort, fî j'avois
« averti les ledeurs qu'il a écrit de ce Phénomène , que je n'ay
« fait de m'en taire.
Cette mauvaifè difpofîtion de l'èfprit de M. GafTendi ac-
compagnée d'une jalon fîe fecrète que la réputation ou \qs
defîeins de M. Defcartes avoientfait naître en Iuy_, fut un
préfervatif excellent contre fà douceur naturelle, qui auroiî
été à craindre dans fès objections contre \qs Méditations,
où M. Defcartes avoit befoin de toute la fè vérité des plus
habiles cenfèurs. Il n'oublia rien pour fè bien acquiter de
la réfutation qu'il avoit entreprifè. La dili2;ence qu'il y ap-
Pag. 10^. & porta fut fî extraordinaire que àés le troifième jour de May
Ï07. Epift. il manda au Comte d'Alais , depuis Duc d'Angoulefme
Gouverneur de Provence & fôn patron particulier, qu'il é-
toit déjà vers la fin de fon examen. Le travail dura néan-
moins jufqu'au XIV. du mois, auquel reprenant la complai-
fànce qu'il avoit tâché de fufpendre dans tout fbn Ecrit, il
finit par une proteftationquefbn unique delîeiii en écrivant
contre M. Defcartes n'avoit été que de s'entretenir dans
l'honneur de fbn amitié , qu'il prétendoit fe confèrver invio-
/ lablement. Il ajouta que s'il luy étoit échapè quelque cho-
fè qui parût trop dur ou avancé d'une manière inconfîdé-
rée, il le dèfàvoiioit fur l'heure , & confentoit que tout ee
qui poarroit déplaire à M. Defcartes fût rayé de Çon
Ecrit, '
Livre VI. Chapitre V. 135
Ses lîonnêtetez ne Ce bornèrent pas à une fi belle fn : il 16 4 r.
voulut encore écrire dés le lendemain une lettre particulière à
M. Defcartes, qui jufques-làn'enavoitjamaisre^iideluy, 6c
qui ne luy avoit jamais écrit. La lettre étoit pléne d'éloges ,
non feulement pour Te/prit de M. Defcartes , mais pour
l'ouvrage même qu'il avoit entrepris de cenfurer , en luy
narquant que la grandeur du fujet, la force des penfees, éc
la pureté de la didion luy avoient plu extraordinairement.
Il le félicita même du grand fucccs avec lequel il travailloit
à l'avancement de la véritable Icience. Mais ce qu'il ajouta
enfuite touchant le prétendu déplaifir qu'il avoit de l'obli--
gation que le P. Merfènneluy avoitimpofée de luy envover
fès doutes èc les fcrupules j touchant l'a prétendue incapaci-
té i touchant la foiblelle de fès raifbnnemens & l'inutiRté
de fès réflexions, étoit le fruit d'une difîîmulation fi fine 6c
fî approchante de la modeflie, que pluficurs ne firent point
difficulté de la préférer à la fincèrité fimpie ôc auflère de
M. Defcartes, & d'improuver la droiture choquante avec
iaquelle ccluy-cy jugea à propos de luy répondre.
Ce langage affedé de M. Gaflèndi n'étoit que pour M.
Defcartes. Il en avoit un autre pour ceux avec lefquels il
traitoit fans difîîmulation , tels qu'étoient les Miniftres M.
Daillé en France èc M, Rivet en Hollande,fès amisparticu^
Hers. Il ne fut pas honteux d'avouer à ce dernier qu'il n'a- §iuod Meta^
-voit examir.é de (îprés la métaphyftcjuc de M. Defcartes aue par- Phfi^^'^ ^'"'
ce qu U avoit ret^u de luy quelqtie maUhonnetete. 11 raut lailler a fius dtfqutfie-
d'autres la commifTion de conciher M. Gaflèndi parlant de '"'"'' f»^"^
M. Defèartes avec M. GalTendi parlant à M. Defcartes , fulTmft
fans arrêter le leéteur fur la confidcration d'un motif fî peu g^ffif^t pruer
digne d'un Prêtre Cathchque de d'un homme qui affedoit '^'^ll"'"\.
de pafTer pour le plus doux des Scavans. piftfcoi.' i.
Mais quoique la vengeance de M. GafTendi fut fans fon- "^"^°-
dément & trés-injufle en elle-même, elle ne lailTà. pas d'ê^
tre utile à M, Defcartes, qui recrût fbn écrit par la voye du Le p. Mcr-
P. Merfènne fous le titre de Difquijitio Mètaphyjica feu Dubi- ^^""e l'en-
tationcs^ é^c. Il y répondit d'une manière moins afFedée fans ^ndVic V?^'
doute que n'avoit été celle de Monileur GafTendi, dont le deMayis+u
fliie luy parut très-beau & très-agréable , quoiqu'il voulût
ft perfuader qu'il avoit moiiis employé les raift:)ns d'un
Piiilofophe
î^ê La Vie de M. Descartes.
1^41. PJiilofophe pour réfuter {qs opinions, que ks artifices d'un
' Orateur pour les éluder. Mais on ne peut nier que Je defir
de ménager davantage fon Adverfaire, l'empêcha de foàt-2-
nir le caractère de fa (Implicite ordinaire. Car s'étant mis
en tête de faire répondre VEfprit à la Chair, comme fi c'é-
toient deux perfonnages qu'il eût voulu introduire fur le
théâtre, il donna heu à M. GalTendi de fe reconnoître fous
celuy de la C^^z/r, malgré la précaution qu'il avoit prife pour
luy ôter cette penfée dés le commenceiiient de fa réponfè.
(AïLolk. *' ^^ ^^^ ^^"^ ^^^" qu'après avoir levé le mafque à la fin il vou-
» lut faire les éloges de M. Gaiîendi comme d'un parfait 6c
» fubtil Philofbphe 3 comme d'un perfonnage autant recom-
>3 mandable pour l'intégrité de (qs mœurs & la candeur de fon
« efprit, que pour la profondeur & la fubtilité de fa dodrine.
En vain protefta-t'il que fbn amitié luy feroit toujours trés-
chére , & qu'il tâcheroit de la mériter de plus en plus. En
vain luy témoigna-t'ii la joye 6c la reconnoilPance qu'il a-
voit pour fbn beau difcours , dans lequel nonobftant fà lon-
gueur Se fbn exactitude , il n'avoit apporté aucune raifbn qui
eût pu détruire les fiennes. M. Gaflendi ne parut pas en-
tièrement content de ce lan2;age , autant qu'on peut le con-
jeéturer par les plaintes qu'il en fit à M. le Comte d'Alais,
Epiftol. GafT. 6c il s'imagina que M. Defcartes avoit voulu payer fes com-
pag. in, m. pliixiens en efpéces fèmblabies. Il luy en fit une querelle
• °?^^- ferieufêj que quelques-uns de fes amis ^ quelques efprits
brouillons eurent grand foin d'entretenir par de faux rap~
ports ^ des médifances qui détrui firent une partie de la
chanté que cqs deux Philofophes chrétiens fè dévoient l'un
à l'autre. Nojs parlerons de la réplique de M. Gaiîendi en
{on lieu. Ilfiifiit de dire maintenant qu'il n'y eut que fà Dif^
quifition avec laRéponle de M. Defcartes qui entra dans la
première édition des Méditations fous le titre de cinquièmes
ohjefhons. Mais fiir quelques plaintes que M. Gafîendi fit
au P. Merfènne touchant cette rèponfe, M. Defcartes fans
en vouloir rien rabatre fc crut obligé de récrire au Père en
Tom.z,^es ^^^ termes. 55 II me fèmble que M, Gaiîendi feroit fort in-
%f%\ **' » jufte, dit-il , s'il s'ofFenfbit de la rèponfe que je luy ai faite.
» Car j'ay eu foin de ne luy rendre que la pareille , tant à fes
>3 comphmens qu'à i^s attaques „ quoiqu'il ait eu l'avantage
fur
ce —
C(
(C
et
C(
Livre VI. Chapitre V. 137
fur moy, en ce que j'ay toujours oûy dire que le premier coup ^^ j 6 4.1.
en vaut deux : de ibrte que quand je luy aurois rendu le
double, je ne Taurois que juftement payé. Il fe peutfaire qu'il
/bit touché de mes réponics, àcaufe qu'il y reconnoît la Vé-
rité : mais pour moy , je ne l'ay point été de fes objections
pour une raifon toute contraiie. Si cela eft, ce n'cll point
ma faute*
Cependant le Père Merfenne ramaflbit tout ce qu'il pou-
voit obtenir d'objections dans Paris 6c dans les provinces ,
èc les envoyoit à M. Defcartes à mefure qu'il les recevoit ,
outre celles qu'il tâchoit de former luy-même par une étu-
de réitérée de fcs Méditations. M. Defcartes les voyant de Tom 1. des
diverfes pièces ôc de comportions difFé rentes tâcha de leur ^'^^ P^S-'^^-
donner quelque ordre , 6c les tranfcrivit toutes de fa main
en la manière qu'elles pouvoient le plus commodément être
jointes enfemble. Il les renvoya enfuite avec la réponfe qu'il
y fit. Le Père Merfcnne leur donna pour titre en Latin
Jîxiémes O'^jccUonsfaites par divers Théolo'^tens , Philofophes (^
Géomètres. En qaoy il exécuta ponduellcment la prière qui Xom. j. «îc$
luy en avoit été faite par M . Defcartes , qui avoit recomman- '^"'^' P^S
dé principalement de laifîer pour infcription à /es répon/ès,
Refponfio ad ohjcciiones^ plutôt que d'y mettre celuy de Solu-
tiones objeHionum , afin , difbit-il , de laifîer juger au leèteur /i
io.'^ réponfes en contenoient les folutions ou non. Car,ajoûta-
t'il , il faut laifïer mettre Solutiones à ceux qui n'en donnent
que de faufîes : comme font ordinairement ceux qui ne font
pas nobles, 6c qui fè vantent le plus de l'être.
Le P. Mer/ènne croyant n'avoir plus rien à attendre , paf^ Le 2. d7-o«
/à le privilège du hvre au Libraire par procuration de M. De/1 i^f-
cartes, 6c fît expédier l'édition qui ne parut achevée que le
28 jour d'Août de l'an 1641. Mais au lieu de fe contenter
de faire marquer au bas de la première feuïUe que le livre
pâroifToit avec V approbation des Docteurs comme avec le pri-
vilège du Roy , nous fbuhaiterions aujourdnuy qu'il eût fait
mettre une copie de ces approbations en bonne forme ,
comme il a eu foin de n'y pas omettre l'extrait du privilè-
ge. Ny les approbations, ny le privilège n'ont pas empê-
ché que le livre des Méditations avec les Objections n'aie
été mis vingt-deux ans o,^rés à V/ndex de Rome par les Amn^^j.
S* foins
^99, 600.
C(
Cl
ce
C(
ce
138 La Vie de M. Descaktes.
164.1. ^^^'-^'^ & rinduflrie du Père Fabri,avcc la reftridion de la
■ clémence ordinaire des J'^^iges de la Congrégation félon la
formule (lonec comgatur, dont l'éxecution eit remifè aux ca-
lendes Grecques.
Tom. 1. des Le Pérc Merlénne fe conceiita d'envoyer trente ou qua-
&pa/\^n"^' rante exemplaires en Hollande, comme M. Defcartcs l'en
avoit prié. Il diilribua les autres lur le pied des libéralité^
qui s'étoient pratiquées dans la diltnbution des Ellliis ; mais
v.pag. m. M. Defcartcs luy recommanda fur tout de ne pas oublier
où l'on void Jvl. le Cardinal de Bag-ne qui iuy faifoit l'honneur de fe fou-
qu'ils s'écri- ■ ^ «• j 1
voient erKore. venir toiijours de luy.
Peu de jours après la publication du livre, ce Père reçut
quelques objections nouvelles de la part a'un fçavant Carte,
fien nommé le lieur Huelner^ qui luy manda qu'il luy en auroit
envoyé un plus grand nombre s'il ne s'étoit rencontré dans
Lettr. du^j plufieurs réfléxions avec l'Auteur des fécondes Objections, 6c
Août 16^1. avec M. GaiT^ndi Auteur des cinquièmes qu'il trouvoit très-
ii^lafemir cxacles. Il ne les envoya point dans le deirein de les rendre
Ms. publiques ^ mais de faire connoitre feulement le refpecl &
l'eflime qu'il avcit pour M. Defcartes. Il témoignoit goii-
ter fur toutes choies la méthode avec laquelle il avoit traité
Ion fiTJet j il en admiroit les propriétez, & reîevoit les o-
vantao;es qu'elle avoit fur celle des Ecoles ordinaires. Mais
iiir tout il eftimoit fon jugement , 6c les raifbns pour lef^
quelles il avoit préféré la méthode analytique ou de réfb-
Jution^jà la méthode (ynthétiqueow de compofition, tant pour
enfeigner que pour démontrer. 11 n'avoit encore trouvé
rien de femblable jufques-là hors le petit livre de la Métho-
de compofé par Jacques Acontius , qui outre cet excellent
traité, avoit encore donné un bel eilay de la Méthode ana-
lytique dans Çon livre des Stratagèmes de Satan^ qu'il confeil-
le de lire à tous ceux qui aiment la paix de i'Eglife, quoi-
que Acontius n'y fbit pas exempt des préjugez de fa Com-
munion, & qu'il ait eu intention d'y favorifer ceux de fbn
parti.
Ch AP.
LivKE VI. Chapitre VI. 139
CHAPITRE VI.
Voctitis efl fait RcHeur de llJniverjîté d'Vtrecht, Regiris crai^
quant four la philofophie de M. De [cartes ^ four kiy^ynème ^
luy fait fa cour ^ liiy rend toutes fortes de foùnufjions . il luy
donne fe s Thcfes à corriger p.ir déférence, ï! éclat de ces Thcfes luy
fait ref rendre fa mauvaife volonté contre luy (^ contre M. De f~
cartes. Régius choque les autres Profeffcurs mal a frofos. Il
envoyé fes Théfes a, corrKicr à iW. De fartes^ ^ luy demande
les fecours nêciffaires four mettre fes dogmes hors d'atteinte.
VoctiiM rc(^oit réfonfe aux foUicitations quil avoit faites au-^
prés du P. Merfenne pour le faire écrire contre 2^/1. Defcartes.
Grands éloges de la Philofophie de M. Defcartes conforme k la
doctrine d.e S. Auguftin ^ utile à la Religion. Pratiques de
Voetius contre Regius quil veut faire déclarer hérétique. Thé-
fes de yoetitM contre les opinions de Régitis ^ de M. Def-
cartes.
TAiidis que M. Defcartes ëtoit occupé de (es rëpoiifes
aux objcdions que l'on faifoit à fes Méditations Méta-
ph\ fiques , le Muiiftre Vo^tius Profefleur cnThéqlogie for- Epift. z\ F.
tifîoit de plus en plus le parti qu'il avoit commencé àfbale^ Dinct. an.itf,
ver dans l'Univerfité d'tJtrecht contre fa Philofophie. Ju{^
qucs-là il n'avoit ai^i que par à^ts bruits odieux qu'il avoit
fait fcmer parmi le peuple, & par divers libelles qu'il avoit
eu foin de faire gHlFer auprès de ceux qu'il avoit ju2;é capa-
bles de prévention. Mais il procura un grand renfort à fa
faclion , lors que par un effet de fes intrigues il fe vid élevé
au Redorât de l'Univerfité le xvi de Mars 1641, ôc revêtu
de prefque toute l'autorité qui étoit néceflaire pour l'exé-
cution de fes defTeins fur M. Defcartes. M. Re5;ius pré-
voyant que les efforts du nouveau Reéteur dévoient
tomber fiir luy chercha tous les moyens de le gagner , 011
du moins de prévenir les effets de fa mauvaife volonté. Il
alla d'abord le féliciter de fbn P^edorat, & luy ofR-ir {qs fou-
mifîions. L'ayant mis en belle humeur oar fès complimens,
il crut luy faurc fa cour en luy propofant de fignaler fon
S* ij Rectorac
(541.
140 La Vie de M. Descartes.
Rectorat par quelque adion éclatante pour laquelle il luy
offiroit Tes fervices. 11 voulut luy perfuaeier qu'il avoit con-.
Narrac. lufto- qû. un dciFcin ttés propre à cela , (ans luy dire encore néan-
pae f7"i8 i^^oins quc cc defîem n'etoit autre que celuy de publier fà
Pliilofophie nouvelle avec Tapprobation de l'Univjriité en
corps. Voetms qui n'étoit point accoutumé à rejetter les
Gccafions d'acquérir de la gloire , crut que Regius vouloit
effeclivenient luy en préféjitcr une belle ^ & iur la propofî-
tion que luy iir celuy-cy d'opter pour cet effet entre un li-
vre à imprimer èc une tlicL* publique à fbûtenir , le Rec^
teur choiht l'expédient de la théfe : 6c fbuhaita ieulement
que Ces queftions fe renfermaflènt le plus qu'il feroit pofîîble
dans les bornes de la Médecine , pour ne point donner de
jaloufie aux ProfeiTeurs de Philolbphie. M. Regius profita
de ces difoolltions pour obtenir encore autre chofè, alléguant
pour flater plus agréablement Voetius que l'autorité du
Redeur retiendroit toujours aifément les autres Profefleurs
dans le devoir ^ ôc que d'ailleurs il le prioit de fe fouvenir
qu'il étoit aulîî Profefleur en Pliilofophie pour les leçons
problématiques &; les paradoxes de Phyfique , qu'il enfei-
gnoit extraordinairement dans l'Univeriité après les leçons
de Médecine par orcire du Magiftrat, Le Recteur charmé
Lcttr. 14. ae de la déférence & des honnctetez de M. Regius,qui luy avoit
Reiiius Ms. i apporté les théfes à corriger, fè contenta d'y faire quelques
^^'^' remarques pour fauver l'honneur de la Philofbphie ancien-
ne : & non content de fbuffnr qu'il laiilat Ces paradoxes ou
nouvelles opinions dans ies théfès par manière de coroUai^
Tom. I. des rcs OU d'additions aux opinions reçues de l'Ecole, il luy per-
lem.aeDeic. j^^-j. ^j^corc dc mettre le nom de M. Defcartes à la tête de
ces théles.
La première difpute publique de ces théfes fe fît le xvn
jour d'Avril de l'an 1641. M. Regius y préfidoit • & celuy
qui la foûtenoit ft^us luy étoit le jeune Monfieur de Racy,
qui s'eft rendu depuis fort célèbre par fes écrits & Con fça-
voir, & qui eft encore aujourd'huy au nombre (^es vivans.
L'habileté du Prèfident & du Répondant à faire triompher
les opinions nouvelles fît bien-tôt repentir Voetius de tou-^
Epift. Cart. j.g5 Çq^ condefcendances. Il prit fujet d'un tumulte & de
^m.iyT^' quelques fifHemens que les ProfelFeurs Péripatèticiens firent
faire
LivreVI. ChapitreVI. 14Ï
faire à leurs écoliers dans la fale contre M. Regiiis . pour
reprendre les defTeins qu'il avoit eus avant Ton Rectorat ^ ^ ^'
de luy faire perdre fa chaire, 5c de le chaffcr de l'Uni ver- j^^m Narrât.
flté. lîift. Acad.
M. Regins pour défendre fes /èntimens contre la médi- P^§- ^J- *^'
difance & les vers fàtyriques de fcs envieux jugea à propos
de faire imprimer une expofition fimple de cette première
difpute. Il en écrivit le xxi d'Avril à M. Defcartes pour l'in-
former de toutes chofès, & pour luy marquer que ces op-
pofitions ne fervoient qu'à luy augmenter le courage avec
lequel il efpéroit foûtenir les efforts des adverfaires de leur
Philofbpliie commune. Mais pour luy faire fentir les befoins
qu'il avoir de fbn fècours , il luy donna avis que la plus gran-
de partie de l'Univerfité ie foulevoit contre luy par les pra-
tiques de Voetius, qui prétendoit employer le crédit de fou
Redorât à la ruine du Cartéfianifme. Il luy exagéra fur Lcttr. i*.
tout la fierté du jeune Voetius Maître.és-Arts , qui ne man- Ms. de Reg.
quoit pas d'efpnt, mais que l'autorité de fon père fembloic
avoir rendu infolent dans les accufàtions fauffes àc ridicules
dont il avoit prétendu le charger.
11 lui envoya en même têms la fiiite des théfès qu'il de-
voit encore faire le v jour de May, avec les remarques que
le Redeur y avoit faites avant que de les lui paffer. M.
Defcartes ne trouva rien de trop déraifonnable dans les
remarques du Recicur. Mais s'étant crû obligé de fe ren^
dre à la prière que M. Regius lui faifbit d'examiner fes
thèfcs à toute rigueur , il y corrigea diverfes cliofes qu'il
auroit été fâché qu'on pût lui attribuer. Car on croyoit
déjà tout communément dans le païs que M. Regius n'avoit
point d'autres opinions que celles de M. Defcartes. De
forte que le monde n'étant plus en état defé défaire de cette
penfée , il étoit important que M. Defcartes ne pailat rien
à M. Regius qu'il ne voulût bien adopter, & dont il ne pût
avantageufement entreprendre la défenfe. Il commençoit Tom. ï.des
dés- lors à remarquer des femences d'erreur dans ce que M. iettr.de Dcfc.
Regius imaginoit de fà tête, & fur tout en ce qui concerne ^*^" ''^*
l'Ame raifonnable : mais il étoit encore le maître de fbn efl
prit, ôcil n'avoit aucun fujet de fe plaindre de fa docilité
§c de ià fpûmiffion. Il ne lui étoit pas auffi facile de le faire
S* iij entrer
1^1 La Vie de M. Descartes.'
1^41. encrer dans les voyes de la douceur &: de la modération à
• Pegard de ceux qu'il vouloir réfuter, comme il a paru par
des leçons d'honnêteté & de modeftie qu'il fut obligé de
iuy donner de têms en lêms au fujet de Waleus homme
de mérite aimant la paix , de Silvius, de Primerofius , Sc
de Voetius même.
Les fécondes Théies fbutenuës le 5 de May n'eurent pas
moms d'éclat que les premières , & elles ne firent pas moins
de peine aux Profeffeurs de Philoibphie^ de Médecine àc
de Mathématique ,. aufquels Voetius voulut perfuader que
Regius avoit juré la ruï.ie de la Philofbphie qu'ils profef.
fbient , 6c qu'il fappoit les fondem^îiis de leurs connoiilances.
Après les difputes de Phyfiologie, il en eût d'autres dans le
cours de l'^té touchant les opérations de l'Efpric- touchant
les Paffions de l'Ame , la Subftance , la Qjanticé , le Mou-
Lcttr. 14. vement j 6c fur les principales queftions de Médecine. Mais
^^' fès Thélcs quoyque corrigées par M. Defcartes, àquiil ne
donna pas peu d'exercice pendant tout le refte de l'année
Tom. I. des 1641, ne fer virent qu'à augmenter la jaloufie qu^on avoir de
■^Ir' ^^ fil réputation , & à ai2:nr les efprics des autres Profelleurs
396,}97,j9g, qui etoient dejamal cilpoiez pour Iuy. De lorte qu on prit
399, Sec. u^-jg réfblution férieuiè de s'oppofer aux proerez de fès nou-
de Reo-^* * veautez , êc d'en faire la caufe commune de rUniverfîté con-
tre Iuy & Monfieur Defcartes. Le Recteur Voetius, qui avoit
été long-têms retenu extérieurement parles fbumifîions que
îebcrr voeT" ^^^Y ^voit rcnducs M. Regius en Iuy faifant examiner & ap-
pagig. &31. prouver fès Théfes de la manière qu'il avoit toujours ja[;é
à propos , leva enfin le mafque : ôc fe déclara le chef de Ces
adverfaires , fous orétexte que dans quelques articles de f^s
dernières Théies, qu'il n'avoit pas crû nècelTaire de Iuy faire
examiner pour leur peu de confèquence , il s'éroitgliiïc quel-
que légère exprefîion qui n'ètoit pas coriforme au langage
ordinaire des Ecoles..
Voetius avant que de fe déterminer à la déclaration d'une
î^uerre ouverte contre M. Defcartes avoit efpèrè de voir ft:>r-
tir des mains du Père Merfenne un livre qu'il l'avoit prié
l'année précédente d'écrire contre Iuy , pour le faire décla-
rer athée , impie 6c libertin. Mais l'impatience de voir le<»
fruits de fès fbllicitations Iuy ayant Lut rcnouvcller [es inftan-
ces
Livre VÎ. Chapitre VÎ. 143
ces fîir ce fujet après onze ou douze mois de fauiîe con- ^
fiance, il obligea enfin le P. Merlènne à luy expliquer les ^
raifons de fon lîlence, & du refus qu'il luy avoic fait de fè u ^';ucieiif.
rendre le miniftre de ù pafîion. 11 eft vray, dit ce Père et ^^ j,/^_ '
à Voetius, que vous m'avez excité il y a un an à prendre u vol des
la plume contre Li Philofbpliiede Monfieur Defcartes : mais et J'/"^ 1*^
voyant que les matières 6: ics autres lecoiirs que vous ma- «
viez promis de la part de vos amis & de la vôtre n'étoient a
point venus après tant de tcms , j'avois lieu de croire que n
vous aviez quitté les armes, & que vous vous étiez entière- u
ment défait de cet efprit de contention que vous fiifîez pa- ce
roi tre contre M. Defcartes. Néanmoins ayant appris depuis «
peu que vous aviez defîèin de compofér vous-même un li- u
vre entier pour combattre cette nouvelle manière de phi- «
lofbpber, éc que vous répandiez le bruit que dans peu de «
jours l'on me verroit pareillement m'élever contre elle : j'ay c<
crû devoir vous donner avis de ce que je penfe far ce fujet. ce
Je vous avoue que j'avois toujours eu une grande idée c<
de là Pliilofbphie : mais depuis que j'ay vu fes Méditations ce
avec les réponfès faites aux objections qui luy avoient été ce
propofees , j'ay crii que Dieu avoit verfe dans ce grand hom- ce
ce
ce
ce
ce
le
pas étudie en l i:ieoio^>je ait rep
points très-importans de nôtre Religion, Je l'av trouvé fî
conforme à l'efpnt & à la doctrine de S. AugulHn, que je ce
remarque prefque les mêmes chofès dans les écrits de l'un ce
èc de l'autre. L'efpnt de M. Defcartes fe foutient fl bien «
dans toutes Ces rèponfes ^ il efl fî ferme fur fes Principes ^ ce
outre cela il efl fi chrétien -, & il infpire fî doucement l'a-
mour de Dieu, que je ne puis pas me perfuader que cette
Phiîofophie ne tourne pas un jour au bien &l à l'orne-
ment de la vraye Religion.
Après avoir vu cet excellent Géomètre foutenir , comme et
il fait, que cette dodrine ne peut être conteftée par celuy ce
qui l'aune fois bien compnfe/& convaincre par fes raifons te
tous ceux qui ont tikhé de luy refiRer, je me fuis confirmé ce
dans la penfée, que cette Philofophie , ou pour mieux dire ce
cette manière de philofopher étoit la véritable, &; que par ce
fa
ce
ce
ce
ce
1 6^1.
C'eft à-duc
les Piinci-
pcs.
144 La Vie de M. Descârtes.
fà propre lumière elle le feroit jour avec le têms à travers
des nuages que l'envie Se l'ignorance pourront luy oppofer.
Attendons, Monfîeur, qu'il ait mis cettQ Philofophie au
jour: autrement nous aurions mauvaife grâce de vouloir por-
ter nôtre jugement d'une chofe que nous ne connoiflbns
point. Pour moy je puis juger fur ce que j'ay déjà vu de
luy jufqu'icy, qu'il n'avance rien qui ne s'accorde avec Platon
& Ariftote , pourvu qu'ils fbient bien entendus , & à quoy
S. Auguftin ne pût foufcrire : de forte que plus un homme
fera foavant dans la dodrine de S. Auguftin, plus fera-t-il
difpofe à embraflèr la Philofophie de M. Defoartes. D'ail-
leurs , tous les écrits particuliers que j'ay vus d^ luy, & où
il réfout plufîeurs queftions de Philofophie & de Géomé-
trie , m'ont laifle une fi haute eftime de la fubtilité de de la
fublimité de fon efprit , que j'^ay peine à croire que jamais
perfonne ait eu une fi grande connoifîance des choies na-
turelles. Pour vous , Monfieur , je ne puis comprendre com-
ment vous pouvez vous réfoudre à combattre fa Philofo-
phie fans l'avoir vue. Q£oy qu'il en foit, j'ay grand defîr de
voir vôtre ouvrage 3 & li j'y trouve quelque chofè de vraVy
foyez perfuadé que je l'embrafTeray malgré l'attache que
j'ay à fes principes.
Le Père Merfenne , au lieu d'adrefTer cette Réponfe à
Voetius, l'envoya toute ouverte à M. Defoartes, laifTantà fà
difcrétion le pouvoir d'en faire ce qu'il jugeroità propos:
Toiî).3. <ks & M. Defoartes après l'avoir lue 6c fermée eut la fidé-
ictti.pag. ;. lité (Je l'envoyer luy-même à Voetius fans y avoir touché.
Mais les chofes étaient alors tellement aigries , que Voetius
n'étoit plus en état de profiter des remontrances du P.Mer-
fonne. Il avoir pris le parti d'attaquer M. Defoartes par deux
endroits , premièrement par la difpute en oppofant les thé-
fos à celles de Regius , éc enfuite par la plume en réfutant
fes Ecrits.
Les moyens que l'on prit par la voye des théfos parurent
les plus promts pour s'oppofor aux progrez de la nouvelle
Philofophie : outre que M. Regius donnoit plus de prifo
fur elle de fon côté , foit par l'indifcrétion qu'il avoit d'at-
taquer les autres Profofleurs contre l'intention de Monfieur
Defoartes , foit par k zcle inconfidéré qui Iq tàifoit aller
trop
Livre VI. Chapitre VI. 145
trop loin dans quelques-unes des opinions qu'il avançoit 1^41.
quelquefois dans la chaleur de ladifpute,où M. Dcicartes
n'étoitpas pour le retenir. Voetius comme Recteur &com- Narrât, hift.
me fbn adveriaire engagea Stratcnus Profeileur en Aîéde- ?^a-^9,ic,
cine , & Ravenfperger Profefleur en Mathématiques, à ré- ' ^'^^'^
fjter dans leurs thefes des mois de Novembre & Décembre Touchant la
ces nouvelles opinions, en établifîant celles qui avoient tou- ^^''^'^"'«lon &
]ours ete communément reçues dans les écoles, rour luy il tions en oa.
le reierva le foin d'attaquer dans fes théfès de Théologie ^°^' ^ ^^<^-
ce qu'il jugeoit être préjudiciable à la Religion dans ce qu'il ^ ^^*^'
appelioit /^/rW«!?Ar^j" de Regius,
Comme les dernières thé&s de ce Médecin étoient rem- Soutenues h
plies de diveries queflions qui n'avoient point de rapport ^'"•'ieDcc.
iiy de liaifon entr'elles ^ Se qu'elles étoient plutôt félon la
flintaifie de ceux qui les foutenoient que de celuy qui y pré-
fîdoit : quelqu'un des Soutenans avoit mis inconfidérément
dans une de leurs aflertions, Oue de l'union de l*Ame ^ du Epift. Canef,
Corps ^ il ne fe faifoit pas un être de foy , mais feulement par ac- J ^ îg'"^^'
f/V^;2/f j appellant être par accident tout ce qui étoit com- ex mente é*
^pofe- de deux fub'lances tout-à-fait différentes j fans nier f^orpore nm fit
pour cela l'union fubftantielle par laquelle l'Ame eft jointe flrZcidtn!!
avec le Corps , ny cette aptitude ou inclination naturelle
que l'une &: l'autre de ces parties ont pour cette union..
C'eft ce qui paroifïbit en ce qu'on avoit ajouté dans la fuite
de l'aflertion , que ces fuh fiance s s'appellaient imparfaites par rap- suhfiantîA «»-
port au compofé qui rèfultoit de leur union. Ces expreffions , à dire "'"?'*" '''*'"'"
vray, parurent un peu dures a M. Delcartesquiauroitfou- ^uedexearum
haité que M. Regius eut eu le loifîr de l'en confulter pour les ""'""'^ "'"''«''•
ôter ou les adoucir. Mais quoique dans le fonds elles ne pa- Tom. ?. des
rufîent d'aucune importance , & qu'elles ne marquafTent me- ^"'- P^S* ^'
me rien qui fiit différent de l'opinion commune, il fuffit à Epi^-Carf.
M. Voetius qu'elles ne fulîentpas conformes au lan^aee or- tl^^e"'^^^
,. .' 1/1 00 loO. loi.
omaire de l'Ecole, pour déclarer M. Regius hérétique , 6c
faire procéder à fa dépofition. Ce fut. en vain que M. Rc- Narrât, hift.
gius tenta de l'appaifer par Ces foumiffions comme aupara-- t^a^Ix^^^^'
vant. Ileiit beau s'excuferfurce que cette manière de par-
ler n'étoit pas de luy , mais de Gorl^us, dans les écrits du-
quel il l'avoit prife telle qu'elle fe trouvoit inférée dans fa
diipute.. Voetius fit ordonner au nom delà Faculté de Théo-
T * logie,^
i<'4i-
Narrât, hift.
pag. 17, 1$,
Se fuiv.
^ns ^ unum
^sr acçidens,.
Lettr. 15
Rce. Mf.
de
14^ La Vie de M. Descautes.
logie, c'efb-à-dire, de luy-même, de fes deux collègues Deina-
tius éc Mamard Schotanus, ôc des Miniftrcs Pafteurs de la vil-
le, que les ëtudians en Théologie s'abftiendroient des leçons
de M. Regius comme de dogmes pernicieux à la Religion.
Peu de jours après, le même Voetius fît imprimer des
thëles auxquelles il ajouta trois Corollaires comme de la part
de la Faculté Théologique, pour fervir d'avertiflement &
d'mftruction à tous les Ëtudians contre certains Novateurs
ou Auteurs de paradoxes, qui choquoient \qs véritez éta-.
blies dans l'Ecriture Sainte. Les trois Corollaires étoient.
I. L'opinion de l'athée Taurellus ^ de David Gorlccus qui
enfeignent que l* Homme compofè de l'Ame ^ du Corps efi un Etre
par accident , ^ non de foy-mème , ^/? abfurde ^ erronée.
2. Le mouvement de la Terre introduit par Kepler -^ les au-
tres eft oppofé dire Bernent ^ évidemment à r autorité de f Ecri-
ture Sainte : ^ il ne convient nullement avec les raifons de la lu-
mière naturelle que la Philofophie a enfeiynées jufqu' icy .
3. La philofophie qui rejette les Formes fubfiantielles des cho^
Ces avec leurs fa cuit ez^ propre s ^ fpécifiques ^ou leurs qualitez^
aïiives 3 é^ conféquemment les natures difiincks ^ fpécijîques
des chofes , telle que Taurellus , Gorlaus , ^ Bafjon , ont taché
de l' introduire de nos jours, ne petu point s' accorder avecla Phyfique
de Moïfe, ny avec tout ce que nom en feigne l* Ecriture, Cett£ Phi'^
lofophie e(i dangereuse , favorable au Scept ici fine , propre k détruire
notre créance touchant l' Ame raifonnahle , la procefjïon des perfi^n^
nés divines dans la lyinité , l' incarnation de lefus-Chrifi , le pé-
ché originel , les miracles , les prophéties , la grâce de notre régé-
nération , ^ la poffejjîon réelle des Démons.
Ces corollaires fuivis d'une appendice, avec les thé/ès
Théologiques fur le Jubilé Romain dévoient être pubhque-
ment fbutenus les xviii , xxiii, ôc xxiv jours de Décembre.
Mais le dellein de Voetius étoit de les faire fîgner par avan-
ce aux autres Profeiïèurs en Théologie, & même à tous les
Théologiens qui étoient Miniftres ou Prédicateurs : & de
députer enfuite quelques-uns de fes collègues vers le Ma-
giftrat , pour luy donner avis que le Médecin , c'eft-à-dire
M. Regius, auroit été condamné d'héréfie par un ConfîC
toire ou un Concile Eccléfiaftique , 6c mis au rang de Tau.
rellus ôc Gorl^us j ôC que par ce moyen le Magiftrat ne pûc
Livre VI. Chapitre VI. 147
fe difpenfèr honnêtement de Tôter de la chaire. M. Regius 1^41.
ayant eu vent de ce qui Ce tramoit contre luy , alla prompte- _
ment avertir M. Vander-Hoolck l'un des Confuls qui le
protégeoit, & qui étoit amy intime de M. Defcartes. Le
Conful manda auiîî-tôt le Libraire qui imprimoit les Thè-
mes & fè fit apporter les^Corollaires. Il fît venir en même têms Namt. hin:.
le Redeur de Voetius qui devoit préfî Jer à ces théfès ^ luy ^^^^- "^^'^i*
ordonna de corn:;er les Corollaires ^ d'en ôter le titre , éc ce jif' ^° ' ^^'
qui pourroit intérefTer la réputation de M. Regius 5 & de ipift. ad p.
ne pas abufer publiquement du nom & de l'autorité de la Dinet. n. is.
Faculté de Théologie pour fàtisfaire fa paiîîon particulière. ^^*
Voetius parut aflez ëtourdy de cet ordre qui luy fut donné
le XVI de Décembre , & fort à propos pour M. Regius. Car
le lendemain qui ctoit la veille de fbn aâ:ion publique ^
il fît afiembler la Faculté pour luy communiquer l'ordre qu'il
avoit reçu , 6c pour luy faire part du mauvais fuccés qu'a-
voit eu le projet que les Théologiens avoient pris pour faire
condamner d'iiéréfie M. Regius, qui de fbn côté fe préfènta
à TAflèmblée , pour afTurer la Faculté qu'il n'avoit jamais
eu intention de toucher à la Théologie ny d'en blejfler les
maximes.
On réforma donc les Corollaires ^ on 6 ta de leur titre le
nom de la Faculté Théologique ^ & on corrigea ce qui pou-
voir regarder perfbnnellement M. Regius, ôc M. Defcar-
tes. Mais comme les endroits des théfès , où l'un de l'autre
étoient nommez ou défîgnez par leurs écrits ou leurs opi-
nions , étoient déjà imprimez , la précaution du Conful fut
inutile pour ce point: & Voetius le crût fort heureux d'a-
voir ce prétexte pour couvrir fa dés-obéï fiance & fà mau-
vaife volonté.
Les théfès furent foutenuës le xviii de Décembre pour la
première difpute , continuées durant les deux jours qui pré-
cédoient lafêtede Noël. Le Répondant, qui étoit le fieur • cemenKa-
Lambert Vanden Vvaterlaet * , s'y flgnala autant que fbn "'^5.
Préfldent, par la chaleur qu'on y fit paroître contre les opi- Epift. lî.Reg.
nions nouvelles, foutenuës avec une ardeur ésale par les Op- ^t^'lS^"*
polans, qui etoient prefque tous écoliers de M. Regius. adP. Dincc.
Le Préfldent trouvant qu*on n'y parloit pas affez de Mon-
fieur Defcartes chercha fur la fin de la difpute quelque
T * ij queflion
148 La Vie de M. Descartes.
queftion très-difficile, pour embarralTer l'un de cqs Oppofàns
^ ^ 4 ^- clans la réponfe , fans avoir néanmoins nitention de Técou-.
ter fcivorablement. C'eft pourquoy voyant que l'Oppofànt
fèmettoit en devoir de le fâtisfaire iur la queflion par des ré.
ponfès conformes aux Principes de la Philofophie nouvelle,
il l'interrompit brufquement pour dire que ceux qui nes'ac-
commodoient pas de la manière ordmaire de philofbpher
en attendoient une autre de M. Defcartes , comme les Juifs
attendent leur Elie qui doit leur apprendre toute vérité.
CHAPITRE VIL
Regiuif prend le ■party de fe défendre contre les théfes de T^oetim
far la plume ^ plutôt que par la difpute. M. Defcartes l'exhorte
plutôt au filence j luy fait quelques remontrances fur fa con-
duite paffée • luy donne divers avis pour l' avenir. M. Regius
luy envoyé le projet de fa Réponfe k Voetius pour la corriger»
il/. Defcartes ne la trouve point bonne. Jl le porte à rétr acier
de bonne foy ce qu'il avoit avancé mal a propos , ^ à prendre
les voyes de douceur ^ de modeflie dans fa Réponfe , dont il luy
trace le modèle , ^ dont il luy fournit les matières. Troubles
caufez^ par l'édition de cette Réponfe. On en ordonne la fuppref-
(ion. Décret des Magijhats ^ S" jugement des Profeffeurs de
l'^niverpté pour défendre à M. Regius d'enfcigner la Philo-
fophie de M.. Defcartes.^ qui confeille à, M. Reghiéd'y ac^uief
ccr, Z/ibelles de Voetitis,
VOetius parut triompher de la Philofophie no ivclb
pendant les trois jours, fuivant les conflitutions fcho-
l^ltiques établies dans les collèges touchant l'ifTuë des thé-
{e^s. Mais M. Regius prévoyant que s'il ne difoit mot, plu-
ileurs le croiroicnt férieufement vaincu : Se d'un autre côté,
s'il entreprenoit de fe défendre par des difputes publiques,
on ne manqueroit pas de luy étouffer la voix par des huées,
Narrât, liift. àf^s fîfïlemens , 6c des battemens de mains , comme on avoit
Acad. p. 11. £^-j ^ £g5 dernières théfes du viii de Décembre, prit le
Epift. Carc. pg^j-^y Je répondre par écrit aux théfes de Voetius. Il en
num. 17. écrivit a M. Defcartes le 24 jour de Janvier de 1 année lui-
vante
Livre VI. Chapitre VII. 149
vante pour l'informer de tout ce qui s'ëtoit pafTc , Se luy de-
mander avis fur l'avenir. Il luy marqua combien les clprits 1642.
i'aigriiïbient contre luy, & comment le party de Voctius fe l^^^^. ^^5
fortifîoit de jour en jour: ajoutant que M. le Conful Van- deRcg.
der-Hoolck leur protecteur étoit d'avis qu'il gardât le (î-
lence , ou qu'il calât la voile en traitant Voetius & les au-
tres ProfelTeurs avec le plus de douceur de de refpect qu'il
luy feroit poffible. Il luy envoya en même têms la Rcponfè
qu'il avoit préparée contre les tliéfes de Voetius , afin qu'il
l'examinât avec le même droit qu'il avoit fur fes autres
écrits.
Dans le même têms , M. le Colonel Alphonfèquis'étoit
trouve à Utrecht pendant ces troubles • qui avoit lu de exa-
miné les écrits de M. Régius avec foin 5 qui l'avoit beaucoup
fervi auprès des Magiftrats, & qui avoit attiré toute la jeune
noblefle du païs à des conférences particulières qu'il faifoit
de la Phyfique, étoit allé voir M. Defoartes à Eyndégeeft:
prés de Leyde,oii il s'étoit retiré depuis le mois de Mars 1641.
Il l'entretint de tout ce quis'étoit pafle à Utrecht beaucoup
mieux que ne fît la lettre de Regius : & ils fe trouvèrent
tous deux de même avis que M. Vander-Hoolck. Après Tom. i.dc»
que ce fage & prudent ami l'eiit quitté, il récrivit à M. Ré- ^^"'^•.P^g-4oi.
gius pour luy faire une douce remontrance flirfà conduite,
2c pour luy fiiggèrer les moyens de remédier au mal qu'elle
lui avoit attiré.
Il lui témoigna que fà penfèe avoit toujours été qu'il ne
falloit point propofer d'opinions nouvelles comme nouvel-
les 5 mais qu'en retenant le nom & l'apparence des anciennes,
ondevoit fe contenter d'apporter des raifon s nouvelles, Rem-
ployer les moyens propres à les faire goûter. ^5 Qo^ètoit-il
nécefraire,lui dir-il,que vous allafTiez rcjetter fi publiquement e» Mé'j'éor '^^
les Foryncsftib[]:cintielles & les Qualitezjée/les^NQ vous foiiveniez ce art. «?. pag.
vous pas quej'avois déclaré en termes exprès dans mon Trai- « ^^4-
té des Météores, que je ne hs rejettois pas, &: que je ne pré-
tendois pas les nier • mais feulement qu'elles ne m'étoient
pas nécefTaires pour expliquer ma penfée, &: que je pouvois
fans eUes faire comprendre mes raifons. Si vous en aviez ufè
de même , aucun de vos auditeurs ne fe fèroit révolté , &
vous ne vous feriez point fait d'adverfaires. Mais fins s'amu-
T * iij fer
ce
ce
M
Cl
ce
ce
Î5
<lcs leur.
tom. I
lettr.
i^G La Vie D£ M. Des carte s.
i 6 A. t. « ^^ ^ condamner mutilement lepafTë,!! faut avifer aux moyens
de faire un bon ufàge de l'avenir. Il ne s'agit plus que de
défendre avec la plus grande modelHe qu'il vous fera pofîî-
ble ce qu'il y a de vrai dans ce que vous avez propoië 5
6c de corriger fins entêtement ce qui ne paroît point
vrai, ou qui eft mal exprimé: étant perfuadé qa'il n'efl
rien de plus louable ni de plus digne d'un Pliilofoplie que
l'aveu fincére de fès fautes.
ïtcm pag.40î, H lui confcilla fur tout de rétrader de bonne foy ce qu'il
406. tom. I. avoir lailFé avancer par un de fes Répondans dans fes théfès,
^ae ri'omme eft un être -par accident ^ 6c d'avouer qu'il n'avoit
pas bien entendu ce que l'école veut dire par le terme à^Ens
per accidens 3 plutôt que de le vouloir défendre par quelque
faux point-d'honneur.
Pâg. 40t. A l'égard de la réponfe qu'il vouloir faire à Voetius &
*^" dont il lui avoit envoyé le projet, il luy manda fincérement
qu'il n'en approuvoit pas trop le delîein , &; qu'il n'en voyoic
pas alTez l'utilité. Mais que s'il étoit dans la réfolution de
la faire paroître, il devoit la réformer entièrement 5 qu'il y
avoit beaucoup de chofès dures & choquantes , beaucoup
d'exprelTions impropres 6c trop hardies , beaucoup de cho-
fès étrangères à fbn fujet,peu convenables à la conjonclure
préfènte des afïàires • en un mot, qu'il feroit plus court &
plus aife de faire une autre réponfe de nouveau que d'entre-
prendre de corriger celle-là : & qu'encore qu'il fût fort oc-
cupé pour lors, il ne feroit pas difficulté de lui donner un
jour ou deux de fbn têms pour luy dreiler un modèle de
réponfe, s'il perfifloit dans la réfolution d'en faire une.
M. Regius qui croyoit que le projet de réponfe qu'il avoit
envoyé à M. Defcartcs étoit un chef-d'œuvre de modéra-
tion , en ce qu'il s'étoit abftenu c'y parler avec aigreur , 6c
d'y faire mention des corollaires 6c de l'appendice des thé-
j(ès,fut allez furpris de la manière donc M. Defcartes luy en
expliquoit Çqs fèntimens. Il alla trouver incontinent le Con-
fùl M. Vander-Hoolck, fous prétexte de luy porter les com-
plimens de M. Defcartes :6c le confulta fur ce qu'il avoit
à faire. M. Vander-Hoolck qui s'étoit trouvé à une délibé-
ration faite depuis quelques jours avec les autres M^giftrats
de la ville pour afToupir les troubles de l'Univerfît^ , àL pour
recommander
Livre VI. Chapitre VIT. 151
recommander aux trois Profefîeurs de Théologie de veiller i^ ai.
à la confcrvation de la Religion Proteftante contre les nou-
veautcz dangereuiès, lui parut fort réfervé fur fon flijet : & il ^^"^^ J^i^-
fe contenta de luy dire qu'il couroit rifque de perdre là chaire ^^^ * "~
de Prof:lIcur. Que félon la situation des affaires , toute ré-
ponfc feroit mal reçue j & qu'il étoit à craindre que les
moyens d'honnuterë èc de douceur que lui avoit confeillez
M. Defcartcs ne fulîènt pris pour des railleries. M. Emlius Lcttt. i<f. Mf.
ProfefTeur en Eloquence 6c en Hiftoire, à qui M. Regius a- <icKeg.
voit fait voir fon écrit avant que de l'envoyer à M. Defcar-
tes , jugeoit pareillement qu'il étoit dangereux de faire une
réponfe, & que rien n'étoit plus propre que le fîlence pour
calmer l'orage.
Ces avis ne changèrent point la réfblution de M. Regius,
qui jugea que fi fà réponfè n'étoit bonne pour le public,
elle fèroit au moins de quelque utilité pour fes écoliers.
Voyant qu'on en parloit déjà tout pubhquement à Amffcer-
dam & à la Haye, d'où M. de Zuytlichem, M. Rivet, M.
Pollot, & d'autres amis & fedateurs de la nouvelle Philofo-
phie avoient déjà mandé à Utrecht qu'on leur envoyât cet-
te réponfe avec les théfês de Voetius,il en écrivit à M. Def
cartes le 1 de Février , & le fupplia qu'à telle fin que ce pût
être il voulut la corriger, èc la luy renvoyer en l'état qu'il
croyoit qu'on pourroit la publier. Il luy propofà en même
têms de la faire paroîtrefbus un nom étranger, & de pren^-
dre celui de Hornitis ou Van-Hoorn , qui étoit celui de l'un
de fes anciens écoliers demeurant pour lors à Leyde, Enfin
il le conjura de confidérer que s'il avoir fait quelques fautes
dans toutes fês démarches j elles ne venoient que du zélé
extraordinaire qu'il avoit pour publier &; faire recevoir fa
Philofophiej5c que ne s'étant attiré la haine des autres Profef»
fèursquepour avoir préféré fes principes à ceux de laPhilofb-
phie ancienne , il étoit de la juftice & de fon intérêt même
de ne le point abandonner dans des befbins fî prefîàns.
Pour lui faire paroître l'injuftice de Voetius dans une plus
grande évidence , il la lui fît confidérer dans trois circonf^
tances. Premièrement , Voetius ayant lu la phyjiologie dQ
Regius & une partie de fà Phyfique, que Vander-Hoolck
lui avoit confeillé defbumettre à fon examen pour voir fi tout
étoit
152 La Vie de M. Des car te s.
1642. écoit conforme à l'Ecriture faiiite , loin d'y trouver rien àredi-
■ re , il avoit permis pendant fon Rectorat mcme qu'on en fit
desdifputes publiques. Secondement, il avoit foufFert avant
fon Rectorat , de encore depuis, que M. Ravenfperger Ibu-
tint publiquement 6c en fa préfence même le mouvement
circulaire de la Terre. En troifîéme lieu , ayant appris que
Main. Scho- 1^ théfc OU l'oii avoit difputé Cl Y Homme eji un Etre de- foy,
tanus , chari. ou par accident luy avoit déplu , il ëtoit allé trouver le lende-
GiT. Voetius i"^^^i^^ ^^s ^^ois ProfefTeurs en Théologie pour leur faire des
excufès, ^\ç.s alTurer qu'il n'avoit eu aucune intention de
choquer les véritez Théologiques. D'ailleurs, que la théfe
avoit été inférée par fon Répondant iâns fà participation j
mais qu'au refte il étoit prêt de réparer cette faute en la
manière qu'ils jugeroient à propos. Les Profefleurs avoient
regardé la choie tous trois avec aflez d'indifférence. Mai-
nard Schotanus s'étoit contenté de dire que la chofe n'étoit
pas de grande conféquence. Dematiuspailànt outre avoit ap-
prouvé même la conduite de Regius en ce point. Et Voetius
quoyque déjà déclaré contre luy avoit dit feulement qu'iL
ne vouloit point fè mêler de cette affaire. Cependant on a-
voit vu paroître peu de jours après , & contre l'intention
même du Magiftrat \ç.^ corollaires injurieux de fes théfes,.
fans parler d'un autre Ecrit dont les corollaires furent fui-
vis fous le titre à^ Appendice ad CoroUaria Theologico-Philofo-
phicà nuper/€ difputationi de Jubileo Romano fubjecia ^ ^c.
M. Defcartes voyant que M. Regius fbuhaitoit abfblu-
ment de faire paroître fa Réponfe,crut devoir ufer de con-
defcendance pour ne pas le rebuter. Il lui drellà un nou-
veau projet de réponfe,rempli de termes obligeans &: de loiian-
Pâg. 403. & ges pour Voetius. Il luy fournit des formules d'eftime pour \q^
fuiv.dm.vol. autres, & de modeftie pour luy-même. Il lui marqua di-.
verfes manières infînuantes pour fe faire lire avec plaifîr,.
& fiire écouter fès raifons. Et fur tout il luy recommanda
de fe garder de l'air ironique dans le tour qu'il falloit donner
aux éloges de fes adverfàires. Ce modèle de réponfe avec
les matières , \ç.s raifons & les moyens de la remplir, nous efb
refté parmi fes lettres comme l'un des plus beaux moiiumens
Depuis là de fa douceur &; de la prudence. Mais quelque raifbnnable
pac. 403. juf- ^ quelque honnête que fut cette manière d'écrire , il ne
Livre VÏ. Chapitre VIL 153
kifla pas d'entrer dans une jufte défiance de ion fiiccés fur i 6 4 z.
l'idée qu'il avoit de l'humeur impérieufe de bourrue de m
Vocdus , & de la mauvaife difpofition des Profefîeurs pré-
venus èc animez. C'efl pourquoi il ordonna à M. Regius
en lui renvoyant Ton écrit avec le modèle de réponfe de ne
rien faire fans prendre & fuivre l'avis de M. Van-Leuw , ôc Pag. 414.
fur toutde M. Emilius leur collègue, dont la prudence éc la ^^J-
fidélité lui étoit connue, M. Vander-Hoolck lui avoit auflî
donné le même confeil , lors qu'il reçit fes complimens fur
le choix qu'on avoit fiit de lui * pour être député de la * vandcr-:
province d'Utrecht à l'afTemblée des Etats Généraux. De HooIck.
forte que M. Regius ayant enfin arraché le confentement
de M. Emilius mit là réponfè fous la prellè, d'où elle fbrtit le *
XVI de Février, & il en envoya dés le lendemain deux exem- Lcttr. 17. ic
plaires à M. Defcartes. ^*=S- ^^•
L'écrit avoit pour titre ReJ^onfo feu 2Tota in Appendiccm ad
CoroUaria Theoloqico^philofophica ^ Q^c. &au jugement de ceux
qui l'avoient lû,il ne contenoit rien dont Voetius pût fè plain- Epift. Carr.
dre à moins que fbn humilité n'eût été choquée par les quali- ^^ ^- ^i"^<'
tez à* homme f avant ^ célébrera' homme de bien ^ ennemi de la mé- "^ -"^ "
difancc ^ Q[\xQ Regius lui avoit données. Mais quoi qu'il n*y
fut point maltraitté de paroles, il crut néanmoins que Re-
gius lui avoit fait une injure irrémiffible , parce qu'il l'avoit
vaincu par le nombre &: la force de Çqs raifons , qui décou-
vroient beaucoup mieux fon ignorance & fbn animofité que
n'auroient pu faire des termes de véhémence & d'aigreur.
Pour prévenir les fuites, il crut qu'il falloit étouffer le Hvre
dans fà naiffance : & prenant pour prétexte qu'il avoit été
imprimé fans ordre du Magiftrat • que fon Imprimeur étoic
un Catholique , ôc fbn Marchand Libraire un Remontrant -.
il convoqua l'affemblée générale de fbn Univerfité , où il fe tes 18 & 19.
plaignit de cet écrit comme d'un libelle fait contre lui,.con- ^' Février
tre la dignité Redorale , contre l'honneur des Profelfeurs ^ ^^'
&; de toute l'Univerfité par un de fès collègues. Il en de- AclTpaa.f .
manda la fupprelTion, 6c en même têms l'extermination de ^ .^^ ^^^^
toute cette nouvelle Philofophie qui troubloit le repos de adP.Dincc,
toute rUniverfité. Plufieurs foufcrivirent àcétavis, octrois art.n.
d'entre eux f^avoir Dematius ou de Maets Profelfeur en Epift.iS.Mf.
Théologie , MathîEUS ProfeiTeur en Droit, &; Lyr^us Pro- ^^^' *^ ^*'^^-'
V ! fefTeur
154 La Vie d-e M. Des car tes.
164.%. fefleur en Humanitez furent députez vers le Magiftrat
— , pour lui porter les plaintes de l'aflemblée.
Le Magifbrat pour les appaifer envoya iaifir 130 exem-
plaires du livre chez le Libraire, qui dés le premier jour en
M, avoit débité 150, &en avoit envoyé enfuite un grand nom-
bre à Amfterdam & à la Haye. De forte que ce qui refta
d'exemplaires devmt exorbitamment cher, & fit recher-
cher le livre comme une cbofe très-rare & trés-précieu/è.
Ces circonftances , loin d'appaifer Pefprit de Voetius félon
l'intention du Magiftrat , ne fervirent qu'à l'irriter , voyant
que cette fuppreiîîon failbit que le livre de Regius ëtoit
couru avec plus d'empreflement qu'auparavant, & qu'il ë-
toit lu avec plus de foin. Il ne fongea plus qu'à fè vanger
également de M. Regius &: de M. Defcartes : & il aflembla
prelque tous les jours fbn Univerfité pour prendre de nou-
Jfeid. velles délibérations contre la Philofbphie de ce dernier,
fans qu'il fut permis à M. Regius d'y affifter. Le xxi de Fé-
v-rier il drelTa un Réfliltat de délibération qu'il fit figner
parla plupart des Profefleurs, pour pouvoir être préiénté
au Sénat ou Confèil de la ville au nom de l'afTemblée des
quatre Facultez , afin qu'on pût obtenir une fentence du
Magiftrat, tant pour la profcription de la Philofophie nou-
velle, que pour la fupprefîion de l'Ecrit de Regius comme
d'un libelle injurieux au Redcur de l'Univerfité , & capa-
ble de détourner la jeunefle d'aller prendre Ces leçons. M.
Regius écrivit le v de Mars fuivant à M. Defcartes pour
l'informer du mauvais fuccés de fa réponfè à Voetius, 6c de
tout ce qui iè pafToit à {on defavantage-, oc pour le prier
d'employer fbn crédit auprès de M. Vander-Hoolck &: de
fes autres amis pour détourner la tempête quimenaçoit leur
Philofophie commune & fa perfonne particulière.
M. Defcartes au lieu de le plaindre aima mieux le con-
Pag. 410. du gratuler de la perfécution qu'il fbufFroit pour la Vérité,
r. tom. tics croyant que tous ces troubles ne lui produiroient que de la
gloire. Il lui en écrivit une longue lettre, dans laquelle il
lui marquoit toutes les raifbns qu'il avoit de ne rien appré-
hender, èc de bien efpérer de l'excellence de fà caufè. Ce-
pendant on déhbéradans leConfèil de la ville d'Utrecht fur
la requête des Profefleurs de rUniverfité , qui y avoit été
lue
Livre VÎ. Chapitre VIL 155
lue publiquement dés le xxiv de Février : & la réfolutioii k;^
priie les jours fuivans, on y donna le xv d2 Mars un de- —
crct portant défenfe à M. llegius de ne plus faire d'autres Nanat.hiit.
levons que celles de la Médecine , & de ne plus tenir de ^" -P^S^i-
conférences particulières. Il ëtoit permis par le même de- Epift.cartef.
cret aux Profelîeurs de rUniverfiré de s'alFembler pour por_ ad ceieb.Voet.
ter leur jugement fur le livre de M. Regius. De forte que P*s-i^<^> ^^7.
Voetius triomphant de cet arrêt convoqua Ion alîemblée
dés le XVII du même mois ^ & y fît portier , contre toute
forme de juftice, un Jugement qui paroifljpit rendu au nom
de toute TUniverfité , mais qu'il avoit minuré feul èc pronon- ihH.sc Narr.-
ce comme Redeur , étant tout à la fors le juge ^ la partie P^S- ^7-
de M. Reiiius . oui ne fut ni appelle ni entendu dans tes dé- ^^'^ Redorât
fenfes. Irrégularité , dont le blâme fèmbloit moins retomber ^"'"o^'^'or^-
fîir les Profeiléurs de qui on ne devoit exiger autre chofè J-^'"- ^9. Mf.
que l'art de bien régenter , que iiir les Magiftrats qui avoient ^ ^^*
érigé des Régens en juges £ms leur donner en même têms
la fliffifànce &: l'intégrité néceflaire pour jnger. 11 n'y eut
que huit Profelîeurs qui eurent part à ce jugement. Se. G. Lcttr. j^.MC
Voetius, Ch. Dematius , M. Schotanus, A. Matha^us, G. ^efc^^° ^
Stratenus , J. Lir^us , Arn. Senguerdius , èc Dan. Berckriii-
ger,^ qui prononcèrent contre la Réponfè de M. Regius â
Voetius & contre la Pliilofophie nouvelle. Les autres fu-
rent honteux de fiiivre la paffion de Voetius, mais ils étoient
les plus foibles. Il n'y eut que M. Emilius qui forma oppo-
iîtioii à ce jugement , 6c M. Cyprien * ProfelTeur en Droit ^ Cyprianus
qui protefta de nullité ^ voyant que l'on n'alléguoit aucune ^egneri qui
raifon recevable pour rendre ce jugement valide. Il voulut noin^Moer-
même qu'il fut fait mention de fon oppofition dans l'ade du canes & n*é^
jugement, & qu'on le nommât pour n'être point confondu ^°\^ P"^'"! ami:
mai a propos avec les auteurs d une adion li peu railonna- Rcrius.
ble fous le nom général des ProfefTeurs de l'Univeriité. Nanarhiftor,
M. Re2;ius manda toutes ces procédures à M. Dcfcartes Lcttr. i^.Mf,.
le XXXI de Mars i6/\.i:^ lui envoya le décret du Magiftratcki ''^^^S-
XV du même mois , le jugement de ces ProfelTeurs dont nous
venons de parler, & les théfês de Voetius le fils dreirées par
fon pérc II lui donna avis en même têms que Voetius avoit
fùborné un jeune Etudiant pour écrire contre fa réponfe 5
mais q^ue les fçavans ôc les honnêtes gens tant d'Utrecht
V* jj que-
15^
La Vie d e M. Descaktes.
1641.
Pag. 4iî.
lom. 1. des
lettr.
C'étoitlaiai-
fon que les
Profeffeurs
allégucrcnc ,
pour marquer
que les nou-
vcautcz delà
Philofoph. de
Dcfc. étoient
dangercufes à
leur Univcr-
:fue naiâante.
Epift. ad P.
Dincc. num.
31-
* Lambert
Watcrlaet.
* Ce libelle
s'cft trouvé
dans rinven-
taire de M.
Defcartes.
IbiJ. num.
31.
que des autres villes de Hollande commençoient à fe décla-
rer contre la conduite de Voetius, M. Deicartes lui répon-
dit d'une manière à lui faire comprendre qu'il flilloit plutôt
rn-e que fe mettre en colère des théfes du jeune Voetius
( qui n'avoit fait que prêter fon nom à fon père, parce que
Madame Voetius fa mère l'avoit jugé trop jeune pour en-
trer en lice, ) 6c du jugement de fon Univerfité , qui pa-
roifToit être encore dans fon enfance auiTi bien que le fils
de Madame Voetius. Il ne lui tint pas le même difcours à
l'égard du décret des Magiflrats. Il lui fit remarquer que
ces Meilleurs ne pouvoient en ufer plus prudemment, ni
même avec plus d'indulgence dans la conjondure préfente
des affaires, pour fe délivrer des importunitez de Voetius 6c
de Ces Collègues. Que s'il l'en croyoit , il leur obéïroit à la
lettre , ôc n'enfeigneroit rien autre chofe que la Médecine
félon Hippocrate ôc Galien. Que s'excufant fur la révoca-
tion de fon pouvoir à ceux qui lui demanderoient autre cho-
fè , il exciteroit une paffion plus grande dans les eiprits pour
ce qu'il enfeignoit auparavant , ôc les animeroit innocem-
ment contre fes adverfàires. Qu'il étoit victorieux pourvu
qu'il fçût fè taire -, 6c qu'il ne pouvoit rentrer dans le com-
bat fans s'expofer à de nouveaux dangers.
Le fils de Voetius n'étoit pas fi jeune qu'il ne fut déjà
en âge d'enfèigner les autres. Il étoit déjà reçi au nombre
des Profefieurs de l'Univerfiré : Se l'on peut dire que les
théfes qui portoient (on nom étoient les premiers eflais de
fa maîtrifè. Elles ne contenoient que ce que fon père avoit
déjà avancé dans les fiennes en faveur des formes fubftan-
tielles contre M. Regius. Elles furent fuivies de la publica-
tion d'un autre libelle qui parut vers le mois d'Avril fuivant
fous le nom de cet Etudiant * qui avoit répondu dans les
théfes du mois de Décembre, où le Redeur Voetius prèfi-
doit. Le titre de ce libelle étoit Prodromus * , ^ive Examen
tiitdare orthodoxcc Philofophi^principiomm.Vouv aller au devant
des fàchcufès plaifanteries des railleurs quifembloient fe ran-
ger plus volontiers du côté de M. Regius que de l'autre, on
g;ro{lk le libelle d'une féconde partie , dans Tintention de
défendre encore mieux l'honneur de l'Univerfité 6c des an-
ciennes opinions. Mais pour le titre de Prodrome ^ Voetius
avoic
Livre VI. Chapitre VII. 157
avoit defïein de faire entendre que cet ouvrage n'étoit que 16^2.
TAvant-coureur d'un autre encore plus important, qu'il mé- .^_^_
ditoit contre la Philofbphie de M. Defcartes fous le nom de
quelque autre de iès difciples. * *SclioocKius,
Pour ce qui efi: de la réfutation que Voetius avoit entre- &c.
prifè contre la Réponfe de M. Regius à fès théfes par le mi- Lettr. 15.MC
niftére de fes étudians , l'on peut dire qu'elle échoua entre ^^ ^^gius,
les mains d'un Moine renégat , ou fugitif, comme l'appelle
M . Regius , pour avoir voulu dilîimuler qu'il en fut l'auteur.
Pour éloigner le Public encore davantage de cette penfée, il
avoit conné l'écrit à ce Moine pour l'aller faire imprimer à
Leyde , afin qu'il parut que Meflîeurs Defcartes 6c Regius
avoient encore des ennemis ailleurs qu'à Utrecht. L'écrit n'é- pag. 415. du
toit point fort gros tout lèul : mais pour en faire un jufte i- toni* «1"
volume au goût du Libraire , Voetius avoit donné ordre '"'^*
qu'on imprimât enfemble fon Appendice aux corollaires de
fes théfes du Jubilé, avec la Réponfè que M. Regius y avoit
faite j 6c que l'on réflitoit par cet écrit. De forte que le li-
vre devoit être de dix feiiiUes félon la fupputation de l'Im-
primeur, de qui \qs amis de M. Defcartes l'avoient appris.
Mais le Recteur de l'Univerfîté de Leyde qui étoitM.Go- Lc„r.io.Mr.
lius ayant été averti de ce qui fe pafToit, fe tranfporta incon- de Rcg.
titient chez l'Imprimeur de cette Réfutation , 6c fît faire en n^^, lettr.
fa préfence une information de cette entreprife. L'Impri- xj- Mf.
meur la rejetta toute fur le Moine , qui fe trouva heureufè-
ment abfent de l'Imprimerie , 6c qui prit la fuite pour aller
à Utrecht donner avis à Voetius de ce qui étoit arrivé à fon
ouvrage, 6c lui rendre conte de fà commifîion.
M. Defcartes confidéroit toutes ces pratiques avec trop
d'indifférence pour en avertir Çqs amis. Mais M.Huyghens
fécond fils de M. de Zuythchem habile Mathématicien ^cttr de
dés-lors, 6c fort attaché à la Philofophie de M. Defoartes à chrift.
l'exemple de M. fon père , fè chargea du foin d'en informer Huyghens
le Père Merfènne. Il lui écrivit d'une manière à lui faire 7^A'viii74i^
comprendre que l'Ecrit qui portoit le nom de M. Regius au3.t0m.des,
étoit de M. Defcartes. » Par mes dernières lettres , dit-il, ^"^ie')[f',.^^
vous aurez reçu la défenfè de M. Defoartes fous le nom de
Regius contre Voetius. Un petit Moine fuppofo y fait im-
primer une Réphque que j'aurai foin de vous envoyer des
V iij * qu'elle
158 La Vie d e m. D esca R.TE s.
1^41. M qu'elle verra le jour. En attendant vous trouverez ici la'
Cenfîire de T Académie d'Ucrecht en groiïè lettre, mar-
quant la foibiefle dudit Voctius, ècen mês-nc tê.iis fjn pou-
voir parmi Tes collègue:, induits par fà feule autorité à pu-
blier une cenfùre Ci impertinente, ^erfcntmtiam de fsntentia.
»5
CHAPITRE VIII.
Sentimens fdvorables des Pères de l' Oratoire pour les Médit-Otiom
Métaphyfqucs de M.. Defcartes. lElo%es du Père de la Barde...
2^ort du P. Gihieuf. Sentimens favorables des '^è fuites four les
mêmes Méditations. Eloge du P. Vatier , ^ du p. MéLindy
qui approuvent tout ce qu'il a écrit , ^ wème fa manière d'eX'
pliquer la Tranffubfiantiation. Ze Père Mèlandfait un abré~
gé de fes Méditations , (^ les met en flile fcholafiique ^ in-
telligible aux efprits les plus médiocres. Ze Père pourdin fais
les feptiémes Ob] celions d'une manière qui ?net M. De fartes en
mauvaife humeur. Il répond a ces obje citons ^ ^ écrit une Dif
fertation en forme de Zetf^e au P. Dinet contre le Père Bour-
din d^ Voetius^ Sa ré conciliation avec le Père Bourdin, Se-
conde édition des Méditations^
DEpuis rédition des Méditations Métapliyfiques , Mon-
fieur Defcartes faifbit la matière des converfàtions /ga-
vantes dans Paris, ôc dans les provinces du Royaume. Cha-
cun en parloit félon les lumières de fbn efprit , ou félon \zs
ïpift. Hier, mouvemens de fbn cœur. Mais il en étoitvenupeudenou-
BardiadGaff. yçUes ^ y^^ Defcattes pendant i'abfènce du PéreMerfènne,
».tom. tf.op. qui avoit fait un voyage en Italie aux mois d'Odobre & de
GafT. Novembre, A fbn retour il luy avoit addrefîe Jiverfès ré-
k«r."J'. kf" ponfes qu'il avoit faites aux complimens qu'il avoit reçus de
plufieurs Pérès de l'Oratoire , dont les principaux étoienc
les Pé es Gibieuf & de la Barde. Il avoit fàtisfait à quelque»
diificultez que ce dernier luy avoit propofccs , & il avoit
appris enfuite que ce Père s'étoit rendu le défenfeur de fbn
livre des Méditations contre ceux qui l'accufoient de mettre
Tom. X. des tout en doate. Il en écrivit vers le hiois de Février de l'an
imr. p. 500. j^^ ^ ^^^ ^^^^^ p^^^ j^ l'Oratoire de k^ amis particuliers
que
ï (? 4 ^•
i OUI 2.. des
Icttr. pag.
47^.480.
LivreIII. Chapitre VIII. 15^
que nous ne connoifTons pas , mais qui étoit D odeur de S or-
bonne comme le Père Gibieuf. « J'ai aflez éprouvé , dit~il
à ce Père , combien vous favorifiez le defir c]ue j'ai de faire
quelque progrez dans la recherche de la Vérité : & le té-
moignage que vous m'en rendez encore par vos lettres m'o-
bUge extrêmement. Je fuis aulîî trés-obligé au R. Père de la
Barde pour avoir pris la peine de lire mes penfées deMéta-
phyiîque, & m'avoir fait la faveur de les défendre contre
ceux qui m'accufoient de mettre tout en doute. Il a trés-
parfaitement pris mon intention : 6c fî j'avois plulîeurs pro-
tecteurs tels que vous ôcluyje ne douterois point quemon
parti ne fè rendît bien-tôt le plus fort. Mais quoyque je
n'en aye que fort peu , je ne lailîe pas d'avoir beaucoup de
(htisfadion de ce que ce font les plus grands hommes &: les
meilleurs eifprits qui goûtent & favorisent le plus mes opi-
nions. Je me laifle aifément perfuader que fî le P. Gibieuf
eût vécu , il en auroit été des principaux.
En efFet, il perdit un excellent amy , & un bon protedeur
de fà philofbphie à la mort de ce fçavant homme , qui au- Txg. 49/. du
roit été celuy d'entre les Théologiens modernes qu'il auroit ** ^**™*
joint le plus volontiers à S. Thomas fon principal diredeur,
s'il avoit jamais pu fe réfoudre à traiter aucune matière
Théologique.
Les Jéfuites fcmbloient être un peu plus partagez quelé^'
Pére5 de l'Oratoire fur la philofbphie de M. Defcartes : &
la diverfîté des opinions étoit grande dans leur Gompa<7^nie
fur fès Méditations Métaphyfiques. Les uns fè contentoient
de goûter fes principes &: fes raifbnnemens , ou de louer fcs
bonnes intentions & f^s efForts, fans aller au de-lâ, comme
le Père Noël, le P. Fournier , le P.J. François, le P; Grand-
Amy , le P. Dinet, qui étoit Provincial de France à Paris,
le P. Charlet fon parent, qui étoit Aiîifbantdu Général de
la Compagnie à Rome; Le P. Dinet qui avoit été autre fbis^
fon Préfet à la Flèche , ayant fait un voyage à Rome fur la fin
de la même année * ne manqua point d'entretenir le Père
Charlet du livre de fes Méditations : & il voulut donner avis
au Philofophe de tout ce qui s'ètoit dit de plus obHgeant
entr'eux à fon fujet, par une lettre qu'il lui en écrivit de
Rome vers le commencement de l'Avenc. M. Defcartes crue
devoir
* 1^41.
Lcttr. lat. de
Defc. à Mcif.
Mf.
i6o La Vie DE M. D ES CARTES.
1 6 4.1. clcvoir faire part de la joye qu'il en reçut au P. Merfènne,
dans le têms des étreines de l'année fuivante. Il lui marqua.
Lcttr. Mf. du aux termes du P. Dinet l'cftime que le P. Charlet faifoit de
îj/î^"^'" ^^s études., &i l'affection qu'il avoit pour fa perfônne j croyant
que ce Père n'attendoit à fe déclarer ouvertement pour fà
Philofophie qu'après la publication de fes Principes. Quel-
ques autres Pérès de la Compagnie ne faifoient point difficul-
té d'embraflerfà Philofophie, 6c de s'en déclarer les Séna-
teurs. De ce nombre étoient le Père Vatier , &: le Père Mê-
tom.i.^^ '^ land. Le Père Vatier lui étoit connu très-particulièrement
fi tom.i. des depuis quelques années. Il avoit fort approuvé fa Méthode
lcttr. p. 55'- ^ les Efïais de fa philofophie dés le têms qu'on les avoit vu
Lcttr. Mf. de paroîtrc. Les Méditations ne furent pas moins dans foa
?uit. M^r ' approbation , autant qu'on peut le conjeârurer par les ter-
i(54î. mes aufquels M. Defcartes en écrivit au Père Meriènne.
Tom.3.des « Pour ce qui eft de mes raifbns de l'éxiftence de Dieu , dit-
!«"• P- „ il , j'efpére qu'elles feront à la fin autant ou plus efhimèes.
x8^,iso. ^^ qu'aucune autre partie du livre. Le Père Vatier montre
„ qu'il en fait état : de il me témoigne autant d'approbation
„ par fès dernières lettres touchant tout ce que f ai écrit ^ que j'en
,5 pourrois fbuhaiter de perfbnne. De forte que ce qu'on vous
y, a dit de lui n'eft pas vray-femblable. Ce que l'on avoit dit
au P. Merfènne étoit une petite calomnie, fuivant laquelle
on avoit voulu luy faire croire que le Père Vatier avoit eii
quelque defTein de cenfurer les écrits de M. Defcartes. Le
Père Vatier en ayant eii vent écrivit incontinent â M. Defl
cartes pour le prévenir contre une faufïèté fî des-obligeante.
Le Père Merfènne le ^<:^^t^ quoique cette lettre n'eût point
pafPè par {qs mains , & il fut curieux de f(^avoir de M. Defl
cartes ce qu'elle contenoit, ne jugeant point le P. Vatier
capable d'une cliffimulation telle qu'auroit été celle de fê
déclarer Cartèlîen , 6c d'écrire en même têms contre Mon-
iîeur Defcartes. Il reçût la fàtisfadion qu'il demandoit fîir
l*fom7 *^" ^^ point le XVII jour de Mars de l'an 1642 auquel M. Defl
„ cartes lui écrivit en ces termes. » La Lettre du Père Va-
,5 tier n'efl que pour m'obliger. Car il y témoigne fort être
^ , j „ de mon parti , & il dit qu'il a defavoué de cœur 6c de bou-
Tcrmes de ^•' , r ' . ^ . * . ,, .
la ktcr. da „ che ce qu on avoit fait contre moi. Il ajoute encore ces mots,
p. Vatier â ^^ ^q ^ç p^auroïs m'm^ècher ds vous confejfer que fuivant vos frin^
vlPCS
Livre Vî. Chapitre VI II. léi
Cipes vous expliquez^ fort clairement le myflére du faini Eacrcment u i (5 4 î,
de l' Autel j fans aucune entité d'accidens. Le fujec de fa lettre ce
eO: fur ce qu'il Tuppcfe qu'on m'a dit qu'il avoit eii defTein et ^^^f'^'^}'
de cenfurer mes écrits ^ à quoy je lui répons que je n'en ay et lettr. de
jamais oiiy parler , ôc que je n'en ay jamais eu aucune opi- et Defcaitei
mon. <'. fjj^ ■
Pour ce qui efl de la connoifîance que M. Defcartes
avoit eue du P. Mcland , il faut avouer qu'elle ëtoit
plus récente que celle du P. Vatier : mais leur amitié n'en
etoit pas moins bien établie ^ & l'on peut dire que c'étoit
une des conquêtes des Méditations Métaphyfiques deMon-
fîeur Defcartes. Ce ne fut ni par inclination ni par préjugé,
mais uniquement par raifon, que ce PéreembrafTa fes opi-
nions , puifque jufques-là ils n'avoient point encore oiiy par-
ler l'un de l'autre. Le P. Méland avoit été pénétré de la
leélure des Méditations. Non content de les avoir digérées
pour Ton ufage particulier^ il voulut les rendre encore uti-
les à d'autres. Pour les proportionner à la portée de plus de
monde , il s'avifà de les réduire dans une méthode plus
fcholaflique & plus intelligible aux efprits communs. M,
Defcartes confîdéra l'importance de ce fèrvice comme il le
devoit, & îl ne Teftima pas moins avantageux pour fon traité
de Métaphyfique ,, que le travail de M. de Beaune l'a-
voit été pourfà Géométrie. Il s'en expliqua depuis en d^s
termes pleins de reconnoifTance, écrivant a un Pérc Jéfuite
que nous ne connoiiTons pas, •» Si le témoignage de M. «
de Beaune, dit-il, fuffit pour faire valoir ma Géométrie, «
j'ofe me promettre que celui du Rév. Père Méland ne fera «
pas moins efficace pour autorifer mes Méditations , vu prin- «
cipalement qu'il a pris la peine de les accommoder au ftile «
dont on a coutume de fe fervir pour enfeigner. Je lui en ay e
une très-grande obligation : 6c j'efpére qu'on verra par ex- «
pérjence que mes opinions n'ont rien qui doive les faire re- «
jetter par ceux qui enfeignent ^ mais qu'elles fè trouveront «
au contraire fort commodes & fort utiles. Cette occadon é- «
tablit entre eux une correfpondance mutuelle, qui fut entre-
tenue par le commerce des lettres. Celle que M. Defcartes
écrivit à ce Père pour le remercier de fon travail efl: fort
longue. Mais n'ayant encore été imprimée nulle part, il
X " tauc
Tom. jî<
des lettf.
p3g. 10;.
i6i La Vie DE M. D ESC A R. TE s.
1642. f-^^^î^ ^"ÏJ^C ^^^ lecteur le plaifir de lui communiquer l'extraie
. — du commencement qui regarde nôtre fLî)et,>3 Vôtre lettre du
Lcttr. Mf. ,j XXI r d'Odobre , dit-il à ce Père , ne m'a été rendue que de^
de Defc.au . , . . ^^ • /i r • , . a ^ , .
p,Mélan4. " P^^'^ "^^^^ jours. Ce qui elfc caule que je n ai pu vous tcmoi-,
" gner plutôt combien j? me reiîens vôtre obligé ^ non pas de
->■> ce que vous avez pris la peine de lire & d'examiner mes Mé-
» ditations, car n'ayant point été auparavant connu de vous,
•y je veux croire qu'il n'y aura eu que la matière qui vous y aie
sî invité j ni auffi de ce que vous les avez digérées de la ma-»
" niére que vous avez fait, car je ne luis pas il vain que de
»? penler que vous l'ayez fait à mon fujet, &: j'ay aflez bonne
îî opinion de mes raifonncmens pour croire que vous avez ju-
>3 gé qu'ils méritoienr d'être rendus intelligibles à pluiieurs,à
» quoy la nouvelle forme que vous leur avez donnée peut
î5 beaucoup fèrvir : mais de ce qu'en les expliquant vous avez
>î eii loin de les faire paroitre avec toute leur force, èc d'inter-
)5 prêter à mon avantage plusieurs chofes quiauroientpû être
51 perverties, oudiffimulées par d'autres. C'eft en quoy je re-r
>î connois particulièrement vôtre franchife, & où je vois que
>5 vous m'avez voulu favorifer. Je n'ay trouvé pas un mot dans
" l'écrit qu'il vous a plu me communiquer , auquel je ne
« ibufcrive entièrement. Et bien qu'il y ait plu {leurs penfees
î> qui ne font point en mes Méditations , ou du moins , qui
» n'y font pas déduites de la même forte , il n'y en a toute-
" fois aucune que je ne voulufles bien avouer pour mienne,
Difc. de la „ Auffi pourray-je dire que ce n'a pas été de ceux qui ont é-
©arc. 6. an. " xaminç mes écrits comme vous, que j ay parle dans le ail-
;. J5 cours de la Méthode , quand j'ay dit que je ne reconnoiiîbis
îî pas les penfees qu'ils m'attribuoient 5 mais fjulement de
î? ceux qui les avoient recueillies de mes difcours étant en
î3 converlation familière.
Mais parmi tant d'amis & de fedateurs que M. Defcar-
Lettre au P. ^*^'' avoit d^ns la Compagnie des Jéfuires , & qu'il ne fiifbit
Dincc , & point diaiculté de rcconnoître pour fes Maîtres : il avoit
jom. j. des j^^j-j ccnfèur en la perfonne du P. Bourdin , qui ne pou^
voit point lui être inutile. Ce Père fembloit avoir acquis le
droit d'examiner les Ecrits de M. Defcartes depuis la difl
pute qu'il avoit eue avec lui fur fi Dioptriqae , & il ufa de
ce droit dçs qu'il fe vid en état de lire fes Méditations. Il
y
Lïvp. E VI.ChapitreVIII. 1^3
y forma des obi:dions qu'il ne jugcoit point d'abord de- 1^41.
voir envoyer à M. Defcarces, parce que la conduite qu'ils — •
avoient gardée l'un envers l'autre ne pouvoir lui faire con-
jecturer la manière dont il les recevroit. M. Defcar-
tes ayant fcû cett2 difpofition s'imagina que le P. Bour-
din avoit Eiit ces objections pour d'autres que pour lui: ce
qui lui oarut contraire aux maximes de la charité chrétien-
ne de au bon ordre de la République des Lettres, qui veut
que la corredion (èrve premièrement à celui qu'on entre-
prend de corriger.
Pour l'obliger à fuivre les pas des Auteurs des autres crb-
jedions, ilréfolut de s'adrelTer au R. P. Dinet Provincial, &
de le prier de faire rentrer par fbn autorité le P. Bourdin
dans les voyes d'équité & de bien-veillance à fcni égard, foie
en publiant (es objeâ:ions,{biten les lui envoyant pour pou-
voir y répondre, & les joindre aux autres qui étoient déjà
imprimées. Le Père Provincial qui avoit de l'amitié & de la
confidération pour M. Dcfcartes engagea le P. Bourdin Epiit. kî Dl-
à lui accorder la fansfadion qu'il lui demanioit. De forte "^ï- ^"^^«
que bon gré ou malgré le P. Bourdin, il reçût fcs objec-
tions, qui étoient dreflees dciis la forme d'une jufte diiîer-
tation, oùihs Méditations f." trou voient rJfutces avec toute
la vigueur d'un Adveriàire. Il jugea d'abord par le Me & Epift. atlDi-
les manières de cet écrivain qu'il s'ètoittro.npède croire que "^'^•
l'union étroite des membres de ce grand corps dût faire attri- objç a.&Ré».
buer à toute la Compagnie ce qu'il plaifbit aux particuliers P°"^" ^^P^^^"
de penier ou d écrire, ou raire juger qu il ne paroiiioit rien
d'aucun o'entr'eux qui ne fàt approuvé de tous les autres.
AulTî protefta-t-il que la Rèponfe qu'il fît à ces Objeclions
n'ètoit que pour le P. Bourdin, qui fembloit avoir voulu
s'éloigner de l'accommodement qui fè ménageoit entre eux,
par le moyen des confrères de l'un, de des amis de l'autre. ïi
le peut faire que M. Defcartes ait été trop fènfible aux coups
du P. Bo-irdin, & qu'il ait eu tort de prendre pour des tJtamîciû6
infultesou des ironies les proteflations que ce Péreavoit fai- ''^/^y-'^'"^**-
tes au commencement & a la fin de fa Réfutation , quV/ ne vim docios
hlcffcrolt point les loix de l' amitié qui et oit eut r eux , nv les rézles •Z''^'^'* ^ '"'"'^
j 1,1 \ I . r 1 ^ >r • '1 Inmesrcttnean^
de l honnêteté qui Je pratique entre les Scavans. Mais pour luy ^.,v. objea.
donner des marques plus fincères de fon amitié, il crut de- pag- j - 4 ,
X*ij voir'°7.>5%
1^4 La Vie de M. Descaktes.
I <3 4 2. voirie recommander à Ton Supérieur, comme un malade qu?
, eft mené au Médecin par ion ami.
Il écrivit dans cette intention une lon^rue lettre en forme
de dilTertation au PéreDmet, qui étoit encore Provincial,
Voyez cette Mais il lie put lui montrer le mal du P. Bourdin qu'il ne lui
Letuc impri- (Jécouviit le fîen en même têms. Le défaut de prudence, de
î^pticm^ob- bonne foy, de fcience, de douceur , de modefbie, de cha^
jedions en La- rite, & dc toutes Ics boiiues qualitcz convenables à ceux qui
im a Anifter- ç ^^^ij-nez & conduits par l'efprit de la Société.étoitce qu'il
dam , & en • i i v j- ^ j i> ' • o i J • "
François à trouvoit le pius a redire dans 1 écrit ce la conduite particu-,
i^aiisç i^^^Q ^u p. Bourdin : mais par un mauvais effet de ce fâ-
cheux exemple, il iembloit avoir lui-môme contradé dans
fa Réoonfe à l'Ecrit du Pére quelques-unes des mauvailès
qiialitez dont il l'accufoit devant fon Supérieur. Il préten-
doit principalement tirer avantage fur le Pére de ce qu'étant
Reliirieux il fembloit être obligé à une plus grande perfec,
tion que lui , fans prendre garde que les chofes dont il lui
faifoit des crimes n'étoient pas moins blâmables dans le der-
nier des chrétiens , que dans ceux du premier rang ^ èc
qu'elles étoient contraires au Décalogue de à l'Evangile,
avant qu'on fe fût avifé défaire des conftitutions Réguhéres
èc Monafliques.
L'atteinte que le P. Bourdin avoit donnée à la bonne o^
pinion qui fe répandoit de fa. philofophie dans Pans , don^
na occa^on à nôtre Philofophede faire au P. Dinet un récit
hiftorique des avantures de cette philofophie depuis l'édi-
tion de fes Eflais. Les troubles de l'Uni verfité d'Utrecht
n*y furent pas oubliez. Le Miniftre Voetius y fut dépeint
dans toutes fes intrigues : mais l'on peut dire que les cou-
leurs qu'il y employa , quoique fort-propres & fort-Umples,
furent des lémences pour de nouveaux chagrins qu'il eut a
recueillir dans la fuite des têms de la part de Voetius &; de
(à cabale.
Il n'en reçut aucun de la part du Pére Dinet & de k
Compagnie des Jéiiiites , quoiqu*il lemblât en avoir mérité
par le peu d'indulgence dont il avoit ufé à l'égard du P.
Bourdin, & qu'il crût après avoir envoyé cette lertre &: fa
Tom. 1. des réponfc contre lui, ne devoir fonger qu'à Ibûtemr le choc
î«tf.pag.jo^. (icsjéfuites, malgré tous les foins qu'il avpit pris pour fépa^
»
Livre VI. Chapitre VIII. 1^5
Ter la caufê perfbnnclle du P. Boiirdin de celle de fa i^At
Compagnie. Il fout avouer que fbn defîein ccoïc d'attirer en *
un jufle combat tous ceux d'entre les Jéfliitcs qu'il croyoit
être partifàns ou fauteurs du P. Bourdm , 6c qu'il fçavoit '^°"'- 3pagr
qui parloient mal de lui & de fà philofbphie entre eux, ou '^'^
dans \qs convcrfations particulières qu'ils avoient par la vil- ^^^^ 610/^^*
Je. Mais loin de remporter aucun avantage fur la Société, j^çj^ ^^
il fut vaincu par la prudence 6c par la bonté du P. Dinet, tom. 3. ^
qui ôta au Père Bourdin toute envie de plus fc brouiller ^°'"" '• P*S*
avec luy j le fit taire ^ &: difpofa ion eiprit à la réconcilia- Lct'tr. Mf. ic
tion. Le P. Dinet fut choifi peu de têms après pour être Dcfcaites à
ConfelTeur du Roy Louis XIII ; mais il ne cefla point d'ê- uZ^i,%^^^'
tre l'ami &; le fauteur de M. Dcfcartes. Le Père Charlet Tom. j. pag.
Affiitant de France prés du Général, ôc quantité d'autres ^°4> ^°;-
perfonnesconfidéréesdans la Compagnie desjéfuites voulu- aprcTrian'
rent aufli fe mêler de (g.s intérêts ; &: leurs foins fjrent fuivis 1644. &c.
deux ans après des gages de l'amitié que le P. Bourdin àc
M. Dcfcartes jurèrent entre eux pour le refle de leurs
jours.
L'Ecrit du P. Bourdin contre les Méditations, avec la Ré-
ponfe de M. Dcfcartes inférée à la fin de chaque article ,
fut imprimé fous le titre de feptiémes Obje&ions à la fin de la
/econde édition Latine des Méditations qui fè fit à Amfler»
dam chez Elzevier l'an 1642 , où M. Dcfcartes fit corriger
le titre. de celle de Paris, &: fubftituer le terme de difiinHion
de l^ Ame d'avec le Corps à la place de celui ai immortalité de il l'avoit fait
l'Ame. Il eut foin de faire joindre auffi fà lettre au P. Dinet '«ip/imer fé^
à la fin de cette édition, qui fe trouvant ainfî plus complé- paîavlnt^^"'
te que la première, parut plus que fuffifante pour payer la lettr. n &
patience avec laquelle les Hollandois 6c les autres Etran- "• ms. de
gers avoient attendu la lecture de l'ouvrage. On avouera ^^^'"s.
que le confentement de M, Dcfcartes pour cette nouvelle
édition ne pouvoit nuire à la réputation de fi bonne con-
fcience ni aux intérêts du Libraire de Paris à qui il avoit
cédé fbn privilège , quand on aura examiné fts vues ^ fcs
démarches. On Tavoit averti que plufîeurs Libraires de
Hollande avoient envie de faire cette imprefTion, ^ qu'il Tom. z. des
ne \qs pourroit empêcher parce qu'ils étoient tous perfua- ^"^r.p3g.30}.
X* -iij dez
1^4 ^•
Pag. 19?. &
J04.
ibid.
î^ag- 199,301.
504. ibid.
i5^ La Vie DE M. Des carte?;
dez que le privilège du Libraire de Paris n'étoit que pour
la France. On lui avoit fait entendre d'ailleurs que les Li-
braires du païs ufbient de toute forte de liberté fur ce point:
de forte même qu'un privilège des Etats ne les retiendroit
pas. C'ell pourquoi il aima mieux qu'il y en eût un qui le
fit avec fon confentement , fes corrections , & fes a Mitions ,
que de voir que d'autres le filTent à fon infçû & avec beau-
coup de fautes. C'eft ce qui le fit confentir qu'Elzevier
d'Amfterdam l'imprimât, à condition néanmoins qu'il n'en
envoyeroit aucun exemplaire en France , afin de ne point
faire tort au Libraire Soly , dont il n'avoit pourtant pas eu
grande fatisfadion jufques-là, en ce qu'il ne lui avoit encore
envoyé aucun exemplaire.
Outre les feptiémes Objections &L la. lettre au P. Dinet ,
il fît mettre de nouveau une addition à la fin des quatriè-
mes Objections touchant la TranfFubftantiation que le P.
Merfènne avoit jugé à propos de rctra'icher de l'édition de
Paris. Mais il n'exécuta point le defîein qu'il avoit eu d'y
joindre VHyperafpiJîes ou le défenfeur , avec la réponfe qu il
y avoic faite à la prière du P. Merfènne.
CHAP,
Livrée VI. Chapitre IX. \(,-}
I (5 42.
CHAPITRE IX.
J)emcure de M. Defcartes au château d' Eyndcgeefi prés de
Zcyde. Avantages ^ commoditex^ de ce lieu. Dcfcription des
trois petites Cours de la Haye , f^. du Prince d'Orange , des
£tats Généraux ^ de la, Reine de Bohême. Habitudes de
JS/I, de Sorbiére auprès de M. Defcartes. CaraHére de l'efprit
de cet homme. Il rend de mauvais offices à M. Defcartes au-
près de M. Gajjèndi. Vi(ites fréquentes que M. Régi us rend
a M. Defcartes. Tradu'ciion des Méditations par M. le Duc
de Lûmes 3 ^ des Ohj celions par M. Clerfelier. Excellence de LcsTraduct,
ces traduBions revues par M. Defcartes. Pourquoi les ouvra- valent mieux
ges Frant^ofs de M. Defcartes tant originaux que traduits va- naux^hms^a"
lent mieux que les Latins, 'jugement de M. Defcartes fur le Géométrie
livre De Cive de M. Hobbes. Hifioire de cet ouvrage , 0- des Latmc.
bons offices que AC. de Sorbiére a rendus à fon Auteur.
DEpiiis Pâques derannëe précédente M. Defcartes s'étoit
logé dans le château d'un village nommé Eyndegeefl
à une demi-Iieuë de Leyde du côté de la mer. Là il rece-
voit des vilites plus volontiers qu'il n'avoit fait ailleurs , foie
que l'âge & les difputes Teufîent humanifé plus qu'aupara-
vant, foit qu'il faillit accorder quelque chofè au bruit de fa
réputation ou à la belle fituation de fa demeure. Il y fut
vifité au commencement de l'anrée 1641 par le fleur Samuel
de Sorbiére Médecin de profefTion , Epicurien de fecte , ne-
veu du célèbre Samuel Petit Mmiftre de Nifmes. C'étoic
un homme d'efprit &: de f^avoir , qui faifoit fà principale
£tude de rechercher les S(^avans répandus dans l'Europe, &
de profiter plus de leurs converfations que à(i^ livres. De
forte qu'il étoit en réputation d'être encore plus curieux
quef<^avant, & plus coureur qu'homme de cabinet. 11 ne
parut pas moins charmé des agrémens de la demeure de M.
Defcartes que de ceux de fa converfàtion. 11 ncus en a fait
depuis la defcription en ces termes, » Je courus , dit-il , à p-J^* ^^
Endelgeefl ( Eyndegeefi ) à une demi-îieuë de Leyden du " Sorbiére ,
côté de >^ani;ont , dés que je fus en Hollande au corn- « ^^''^- "'
^ ' JV. pas;.
meucemeut ^7?, 681.
1^8 La V r e d e M. D e s c a r t e s.
1641. » mencement de Tan 164.1. J'y vilîtai M. Defcarcesdansfâ fô-
, litude avec beaucoup de plaifîr, &: je tâchai de profiter de
,5 fà converfation pour l'intelligence de fa doctrine . . . . Je
j, remarquai avec beaucoup dejoye la civilité de ce Gentil-
,5 homine, fa retraite, & Ton œconomie. Il étoit dans un petit
„ château en très-belle fîtuation, aux portes d'une grande 6c
,5 belle Univerfîté, à trois lieues de la Cour^ & à deux peti-
,5 tes heures de la mer. Il avoit un nombre fliffifànt de do-
,3 mefliques , toutes perfonnes choilîes & bien-faites ^ un afîez
,5 beau jardin , au bout duquel étoit un verger , 3c tout à Pen-
55 tour des prairies , d'où l'on voyoit fortir quantité de clo-
53 chers plus ou moins élevez, jufqu'à ce qu'au bord de i'hori-
55 zon il n'en paroifibit plus que quelques pointes. Il alloit à
55 une journée delà par canal à Utrecht, à Delfc, à Rotter-
,5 dam , à Dordrecht, à Harlem, ôc quelquefois à Àmfterdam,
,5 II pouvoit aller pafler la moitié du jour à la Haye , revenir
Pao-. 6Si. " ^^ logis le même jour, & foire cette promenade par le plus
ibidem. 53 beau chemin du monde , par des prairies 6c des maifons de
53 plaifànce , puis dans un grand bois qui touche ce village com-
55 parable aux plus belles villes de l'Europe, &: fuperbe en ce
,5 têms-làpar la demeure & l'établifïement de trois Cours. Celle
53 du Prince d'Orange qui étoit toute mihtaire y attiroitdeux
53 mille G^^ntils-hommes en équipage guerrier j le collet de
,3 buffle, l'écharpe orangée , la grofîe botte, & le cimeterre
,3 en étoient les principaux ornemens. Celle des Etats Géné-
,3 raux étoit compofce des députez des Provinces-unies &; des
53 Bourg-maîtres qui fbutenoient la dignité de l'Ariftocratie
,3 en habit de velours noir avec la large fraize & la barbe
53 quarrée. La Cour de la Reine de Bohême veuve du Roi
33 Frédéric V Eledeur Palatin fembloit être celle des Grâces^.
,3 ayant quatre filles prés defquelles fe rendoit tous les jours
53 le beau monde de la Haye pour rendre hommage à l'efl
33 prie, à la vertu, 6c à la beauté de ces PrincelFes, dont l'aï-
33 née prenoir plaifîr à entendre difcourir M. Defcirtes.
5j Je loiiai merveilleufement le choix que M Defcartes avoïc
.j3 fait d'une demeure iî commode , & l'ordre qu'il avoit mis à
33 fbn divertiiîèment aufïï bien qu'à fà tranquillité. Et delà je
»3 pafîai à l'obfervation de fes études & de fés autres occupa-
n tions. Je confidérai plus particulièrement que le refte l'a-
dreflè
Livre VI. Chapitre IX. 16^
drefTe de ce Philofophe en ce qui regardoit fà méthode, de u 1642.
le deiîein qu'il avoir d'ccablir [es raifbnnemens dans les A- ^ «____^
cadémies . . . Je voulus entrer avec lui dans quekpe détail c^
de fês opinions : mais il me renvoya à fes Ecrits, qu'il difoit ç^ pa^. 679.
avoir compofèz le plus clairement qu'il lui avoit été poiîî- ç^ ibidem,
ble. Et j'ai admiré depuis ce têms-là qu'il n'ait pas voulu
expliquer les penlées de divers biais , & de la même ma-
nière que quelques-uns de lès dilciples les donnent à enten-
dre. Il demandoit à (bs dilciples auffi bien qu'Ariftote la
docilité &; la patience néceilaire pour rebattre une doctrine
dans l'erpnt,iufqu'à ce qu'on l'eût fortement imprimée dans
(a mémoire. Ainfî je ne m'étonne pas que ceux qui lui ont
obéi ayent tellement formé leur efprit à fà philofbphie ,
qu'il lemble qu'ils l'ont plus à cœur qu'il ne Tavoit lui-mê-
me. Il n'eft pas jufqu'aux Lulliftes éc aux Paracelfiftes qui
ne le perfiiadent que le galimathias qu'ils fè font opiniâtrez
d'apprendre , eft fondé fur de bonnes raifbns. Mais la phi-
lofophie de M. Defcartes a bien plus de droit qu'aucune
autre de s'infinuer dans les efprits des perfonnes curieuies ^
parce qu'elle eft pleine d'excellentes choies puilées dans
toutes les bonnes iburces , & que le mélange de ce qui eft
moiiis folide y eft fait avec beaucoup d'addrelîe. On. void
paroître ce bel elprit en divers endroits, où il donne de clai-
res idées de ce qu'il dit : puis il difparoît en quelques au-
tres , & il le plonge dans les flippolîtions , ians qu'il y ait
moyen d'attraper fa penlée , à moins que l'on ne diftingue
promtemcnt avec lui \ TntelleBion d'avec Y Imagination. Celle-
là n'eft qu'un terme de là fubtilité, qui s'infinuë plus aifement
que l'autre dans les matières où Ton ne trouve plus de fonds,
& où le bon fèns trouve de la réfiftance. Mais il a préparé
Ion lecteur à cette diftinction par fa Métaphyfique, où il a
choifi le plus beau prétexte du monde de raifonner impuné-
ment à la Platonicienne, & d'accoutumer ceux qui l'écou-
tent à recevoir unfimple arrangement de paroles pour une
fuite de chofes plus réelles. C'eft ce dont il ne me refte rien
à dire après la Difquifîtion de M. Gaflendi.
11 faut tenir compte à M. de Sorbiére du peu de bien
qu'il a dit de M. Defcartes en toute là vie. Il n'étoit peut-
être rien de plus îoiiable en lui que la violence qu'il s'eft
Y * faite
C(
C(
çc
C(
C(
C(
ce
C(
((
ce
ce
ce
C(
ce
ce
es
C(
ce
et
ce
ce
ce
ce
ce
ce
ce
ce
ce.
ce
lyo La Vie de M. Des cartes.
■i 6/Li. faite dans les occafions pour en arracher les témoignac^cs
^ L de fà confcience. Il eft feulement à craindre qu'on ne le
ic)upçonne d'en avoir dit tout ce bien par un mouvement
de cette légèreté avec laquelle il avoit coutume de débiter
tout le mal qu'il r^avoit,ou qu'il croyoit fçavoir des plus
grands hommes de fbn tênis, chez qui il cherchoit à fe four-
rer à la faveur du nom de du mérite de fbn oncle , ou fous
le prétexte d'apprendre des nouvelles de Sçavans aux Sça-
vans, ècde fe rendre leur fadeur. Il avoit un talent parti,
culicr pour découvrir les défauts de ceux qui le recevoienc
à leur table èc jufques dans leur cabinet, & qui lui permet-
toientde les regarder en dcs-habillé , par une confiance, ou
plutôt par une iimplicité qui eft naturelle à cette efpéce de
Sçavans qui ont renoncé au commerce du grand monde. Il
s'étoit déjà donné tout entier à M. Gafîendi avant que d'a-
voir vii M. Defcartes- il en étoit le pancgyrifte perpétuel j
îl fat depuis le prédicateur de faPhilofophie , l'abbréviareur
ôc le compilateur de fcs écrits , ôc l'hillorien de fa vie. H
fut aufîi l'efpion continuel de M. GaiTendi auprès de M,
Defcartes pendant tout le tems qu'il fut en Hollande • de
il n'oublia rien pour détruire celui-çi dans l'efprit de l'au-
Sorb. pag' tre par des rapports defbbligeans. Non content d'irriter M,
e8^.686.ibid. Q^^iiendi contre M. Defcartes, il fe charg-ea encore du foin
de faire imprimer en Hollande, 6c de diftribuer avec les élo-
ges nécelîaires les écrits qu'il avoit déjà faits , & qu'il luy fit
foire encore depuis contre les Méditations dç Monfieur ÙeÇ-
cartes.
C'etoit par un autre efprit & dans d'autres intérêts que
M. Rcgius rendoit i M. Defcartes de fréquentes vifites
dans Evndegeefl:, qu'il regardoit comme l'école où il alloit
puifér les enfèignemens, aufquels le fimple commerce des
lettres ne pouvoit fiifiifàmment fournir. Monfieur Defcar-
tes le confidéroitfbuvcnt chez lui moins comme undifciple
qui eût bcfbin d'inftrudion, que comme un ami à qui il de-
Tom, I. des voit procurer quelque divertiflèment. Aufîi voyons -nous
Iettr,pag.4i8. q^'j| ^^yoïc fom quelquefois de convier avec lui fà femme &
V. auni les fa fille de le venir voir à Eyndegeefl. Il n'étoit pas difficile
Rcius.^^ ' ^ à M. Regius de mener fouvent fli famille à M. Defcartes,
qui la regardoit avec la même tendreffe qu'il auroit fiit la
fienne.
Lcttr. MC
a
ie
Rcgius à DeC-
cartes
de Sorb.
Ll VR E V I. C H A P I T R E IX. 171
fîenhe. Outre la vove des canaux, il avoit encore pou'* ce- ^
la les commoditez d'un bon carrolîe qu'il entrecenoit chez ^^'
lui, de dont il Te fervoit volontiers pour procurer la prome- """^ '
nade à fes amis , comme M de Sorbiére le témoigne de lui- Lettr. & Kç\
même. Il y trouva M. Picot qui demeuroit avec M. DqC- 1"7.'"' ^^^"
cartes depuis la fin de l'année précédente : & la relation
qu'ils eurent eniemble , en ih confidérant comme difciples de^Defc.
d'un même Maître de nourris de la même doctrine , forma Picot , scje
entre eux une amitié pareille à celle qui les unifïbit avec M.
Defcartes.
M. de Sorbiére s'étoit habitué à Leyde pour étudier plus Lettr sc Uifc;
particulièrement les défauts de M. de Saumaife. Mais il ne
s'occupoit pas tellement de la conGdération de ce grand
homme qu'il ne retournât fou vent à Eyndegeeil: par ma-
nière de promenade , & qu'il n'en rapportât toujours quel-
que nouveau prétexte d'animer M. Galïendi à écrire con-
tre M. Defcartes. Mais pour donner un contrepoids au
tort que la plume de cet excellent homme pourroit fiire
aux Méditations de M. Defcartes, Dieu permit qu'un Sei-
gneur de la Cour de France entreprît de faire une traduc-
tion Françoife des mêmes Méditations, pour en faire con--
noître plus particulièrement le mérite dans le Royaume, &:
en procurer la lecture à tous ceux qui n'ayant pas l'ufage
de la langue des fçavans, ne laifïeroient pas d'avoir de l'a-
mour & de la difpofition pour la Philofbphie. Il faut avouer
que la fin de l'auteur de la traduction n'avoit été que la fx-
tisfadion particulière qu'il trouvoit à exercer fon ftile fur
de grands fujets , fans fbnger à rendre fèrvice au Public.
Mais ia traduction ayant été recueillie èc envoyée à M.
Defcartes par fa permiiTion , elle fut jugée propre à faire
beaucoup d'honneur à nôtre Philofophe & à donner un
erand relief à fa Pnilofophie , & Monfieur le Duc de Luines* ^, * , ^ °^'*.
Ion auteur tut prie d en fouttrir la publication. bctt mort ic
Peu de jours après M. Clerfeher * l'un des plus zèlez & 'o d'Odobre
des plus vertueux amis cie M. Defcartes entreprit de rradui- H^^J^f^ "^
re aufTi en nôtre langue les objections faites à ces Mèdi-ta- * Mort en
tions avec les réponfes de M. Defcartes. Cette traduction Jf/'^p ]^.
étoit excellente aufïî bien que celle de M. le Duc de Lûmes, yoatls/^^
Mais l'un ôc l'autre jugèrent que 11 elles dévoient voir le
Y* ij jouTy
ïyi La YiE De M. Des cartes.
, jour , il falloir qu'elles fuflent revues auparavant par l'auteur
^ ' même des Méditations , afin qu'en les confrontant avec fa
* penfëe il put les mettre le plus prés de leur original qu'il
ièroit pofTible, èc leur en imprimer lecaradére. M. Defcar-
tes fut obligé de fe prendre à un avis fi important. Mais fous
prétexte de revoir ces verfions , il fe donna la liberté de Ce
corriger lui-mêine , 6c d'éclaircir fes propres penfées. De
Lettr.Mf. de iortc qu*ayant trouvé quelques endroits où il croyoit n'a-
Defc. à cier- yoir pas rcndu fon fens afTez clair dans le Latin pour toutes
l'kviûielf. -^rtes deperfonnes, il entreprit de les éclaircir dans la tra-
duction par quelques petits changemens, qu'il effc aifé de
reconnoître à ceux qui confèrent le François avec le Latin.
Une chofe qui fembloit avoir donné de la peine aux traduc-
teurs dans tout cet ouvrage, avoit été la rencontre de plu-
sieurs mots de Fart, qui paroiiïant rudes 6c barbares dans le
Latin même , ne pouvoient manquer de l'être beaucoup
ibid. Icttr. à plus dans le François , qui eft moins libre, moins hardi, 6c
cicrfclicr Mf. moins accoutumé à ces termes de l'Ecole. Ils n'oférent
pourtant les ôter par tout , parce qu'ils n'auroient pu le
Faire fans changer le fens dont la qualité d'interprètes de-
voit les rendre religieux obfervateurs. D'un autre côté M.
Defcartes témoigna être fi fàtisfliit de l'une 6c l'autre ver-
fion , qu'il ne voulut point ufer de la liberté qu'il avoit d'en
changer le ftile, que fa modeflie 6c l'eftime qu'il avoit pour
(es traducteurs lui faifoit trouver meilleur que n'auroit été
le fîen. De forte que par une déférence réciproque qui a
retenu les traducteurs 6c l'auteur , il eft reflé dans l'ouvra-
ge quelques-uns de ces termes fcholaftiques , malgré le defl
fein qu'on avoit eu de lui ôter le goût de l'école en le fai-
fant changer de langue. Cet éclairciflement touchant la
traduction des Méditations de des Objedions eft nécefTaire,
non feulement pour juftifîer les traducteurs fur les change-
mens dont l'auteur eft le fèul refponfable , mais pour faire
voir aufîi que la tradudion Françoife vaut beaucoup mieux
que l'original Latin, parce que M. Defcartes s'eft fervi de
l'occafion de la revoir pour retoucher fbn original en nôtre
langue. C'eft un avantage qu'a eu auiîî dans la fuite la ver-
fion Françoife des Principes de M. Defcartes faite par |l
l'Abbé Picot. De forte que tous fes ouvrages François tant
originaux
Livre VÏ. Chapitre IX, 17^
originaux que traduits font préférables à ceux qui font La:ms. 1642.
C'eil-à-dire que toutes les traductions qu'il a revues valent „
mieux que Tes originaux même.
Pour ne rien omettre de ce qui peut regarder la tra-
duélion des Méditations , il fuffit de remarquer qu'enco-
re qu'elle ait été faite en 1641, néanmoins larevifion ou la
corredion par M. Defcartes ne s'en fît qu'en 1645, & que
la première impreffion qui en fut faite à Paris ne fut en état
de paroître que pour les étreines de l'an 1647.
Dans le têms que l'on s'occupoit à traduire les Médita-
tions de M. Defcartes à Pans , l'on vid paroître dans la
même ville un nouveau livre de la compofition du philofb- Th. Hobbcs.
phe Anglois , qui avoit fait l'année précédente les troifié-
mes objeélions contre ces Méditations. L'Anglois qui n'é-
toit autre que M. Hobbes ayant trouvé à fon premier
retour de France en Angleterre l'an 1637 des étincel- vit. Hobb.
les d'une guerre inteftine, qu'il prévoyoït devoir s^allumer ^"'^^^- P^S-
dans fbn païs par la révolte des EcolTbis contre l'autorité
royale & la dignité épifcopale , s'étoit crû obligé de cher-
cher les moyens de les éteindre ou d'en prévenir les fuites.
Dans cette penfée il avoit drefle quelques mémoires pour
la defenfe de la Royauté en Angleterre & des droits
du Souverain. Le dellein de fon ouvrage confiftoit à faire
voir qu'il ne peut pas y avoir de fureté publique fans la
paix, point de paix fans un commandement abfolu, point
ce commandement abfolu fans la guerre. Qu^e pour faire
la guerre avec fuccez & à l'avantage des peuples, il étoit
nécefTaire que les forces de les richefles de l'Etat fu lient mf-
fèmblées dans la main d'un feul. Que la crainte des armes
ne fert de rien pour avancer la paix dans ceux qui font por-
tez à la guerre par un mal qu'ils craignent plus que la mort.
Que la paix ne peut pas être fblide ni de longue durée par-
mi les citoyens, fî l'on ne convient des chofes que l'on croid
être néceflaircs au fàlut éternel. Les troubles ayant obligé
M. Hobbes de repafler en France trois ans après , il y ap -
porta fes mémoires , de les ayant mis en ordre il en forma
un livre qu'il fît imprimer à Paris fous le titre à'Elcmcnta
fhtlofophica de Cive, Quoi que le nombre des exemplaires
en fût fort petit, on eut foin d'en faire tenir un à M. Def-
Y * iij cartesi
174 Lj^ Vie de m. Des cartes.
1641. cartes 3 Ôc peu de têms après il reçût une lettre d'un Vers
Jéflutede les alliez, parent de Madame delà Bretailliëre fa
belle iœur, qui le prioir de lui mander ion fentmienc tou-
_ ,^^ chant ce nouveau livre. Il en récrivit à ce Père en ces ter-
ri OHl. 3. 0"S
lettr pag. mes. îs Je juge, dit-il , que l'Auteur du livre De Cive eft le
l®'^• i, même que celui qui a fait les troilîémes objedions contre
„ mes Méditations. Je le trouve beaucoup plus habile en Mo*
„ raie qu'en Métaphy lique,ni en Pliylîquc: quoique je ne puiile
55 nullement approuver Tes principes ni fes maximes , qui font
„ trés-mauvai(ès & trés-dangereufes ,. en ce qu'il fuppoîè cous
,j les hommes méchans , ou qu'il leur donne ilijet de l'être-.
„ Tout fon but eft d'écrire en faveur de la Monarchie : c<î
„ qu'on pourroit fiire plus avantagea fèment qu'il n'a fait y en
55 prenant des maximes plus vertueufes & plus folides. Il écrie
,5 auffi fort au defavanta?:e de l'Eghfe,, & de laReHgion Ro-
,5 maine , de forte que s'il n'eft particulièrement appuyé de
y, quelque fiveur fort puiflante , je ne vois pas comment il peuc
„ éxemter fon livre d'être cenfuré.
Ce jugement de M. Defcartes fur le livre de M. Hobbes
eft devenu dans la fuite celui de toutes les perfonnes fages.
L'ouvrage ne fut d'aucun effet parmi les efprins féditieux de
les rebelles de fon païs. Son Auteur touché de le voir inu-
tile craignit de ne l'avoir pas rendu alîèz intelligible ni ailex
public. C'eft ce qui le porta à le retoucher, àPéclaircir, & à
l'augmenter de nouvelles remarques. Mais il ne fut pasd's^
Vit. Hobb. vis d'y corriger certaines maximes dangereuiês que M. Def-
auâar.pag.i^, cartcs dc d'autrcs gens de bien yavoient remarquées. Cette
, î^;'î-o, eonildération n'empêcha point M. de Sorbiére de faire im-
primer le livre cinq ans apré^ en Hollande, ni M. GafTèndi
de lui donner fon approbation , comme fit auih le P. Mer-
iènne. En quoi ils ne fè trouvèrent pas entièrement d'accord
avec Meilleurs de Rome de la Congrégation de l'Indice.
M. de Sorbiére ne termina' point à cette nouvelle édition
du livre De Cive les bons offices qu'il voulut rendre à M.
5orb. lettr. Hobbes. îl traduifit encore fon ouvrage en nôtre langue,
& AïCc.in iv° & fit imprimer fa traduction dans la même boutique l'an 164CX,
&6. ^^^' ^^^' ^"^^^ ""^ préface contenant les éloges de l'ouvrage ^ de fou
Auteur.
Chap. Xr
Livre VI. Chapitre X. 175
I ^ 4 X,
CHAPITRE X.
Zcs Boots écrivent contre Anjlote. Mort de Galilée. Jugement que
M. Bcfcanes faifoit de lui. p^oetius employé Schoocktus pour
écrire contre M. JDefcartes. Quelle part Schookcius pouvoit a-
voir À ce livre. M. De [cartes le réfute à mefure quon lui eu
envoyé les feuilles. Reyus efl enveloppé dans la caufe de M.
Defcartes. Jl ne peut fe tenir d'enfeigner la philo fophie car-
te fennenonobjiant ladéfenfe du Magjfirat. Hiftoire de la Con^-
frairie de Notre-Dame de Bojleduc commune aux Catholiques
^ aux P rote flans, Voetius écrit contre cet étahlijfeynent . Def.
marcts répond. Voetius réplique. M. Defcartes réfute Voetius
pour Defmarets (^ les Magi(lrats de Bojleduc. Continuation
du livre de Voetius ou Schoockius contre M. Defcartes ^fuivie de
la continuation de la Réponfc de M. Defcartes. Connoijjance
^ amitié de M.Defmarets avec M. Defcartes. Voetius efi blâmé
par les Miniftres du Synode de la Jrlaye pour fa conduite envers
JS/LcJJîcurs de Bojleduc.
LA Philofopbie ancienne, ou pour mieux parler la ma-
nière ancienne de philofbpher recevoir de jour en jour
^Ic nouvelles attaques par les nouveaux philo/bphes. Les
deux Boots Médecins de Londres entre les autres voulurent
{c fî^rnaler par un livre qu'ils firent paroi tre à Dublin en *i642 * ,^" ^-^^m^
Z. A-n r>- 1 ■ \ K ir 1-% r des le mois de
contre Anitote. Kegms en donna avis a M. Delcartes par juillet 1641.
.une lettre du iv d'Avril , où il lui témoigna que ce qu'il en Lettr. lo.uc.
avoit lu lui avoit paru aflez bon pour renverîèr la matière de Rcg. à M.
première & détruire les formes fa bilan tielles. Le livre étoit ^^^*^*
petit , & ne paroilîbit pas encore fùffifant pour fapper les
principes d'Ariftote & des Péripatéticiens. Il avoit pour
titre , Philofophia naturalis reformata , id efi Philo fophie Ari-
JîoteliCiC accurata examinât io ac folida confututio j Q^ nov^e ac ve-
rioris introduclio fer Gerardum ac Amoldum Botios fratres HoL
landos Medicin^ Doctores.
Mais la Philofbpliie nouvelle fît dans le même téms une Tom. 5. des
perte trés-confidcrable de l'un de Tes principaux Auteurs ^^t^rdcDcfc,
4ansU mort du célèbre Galilée, âgé de 78 ans. Quoique ^''°"^^^*
M. Defcartes
lyf? La Vie de M. Descartes.
164.1, M. Defcartes ne connuic fbn mérite qu'à demi , il ne kifîà
— — — «— pas de le confidérer comme l'an des premiers hommes du
fiécle , tant pour les Mathématiques que pour la Philofbnhie.
Il l'avoiteftimé particulièrement pour cette généreufé liber-
té qu'il avoit fait paroître à /ècoiier le joug qu'on impo-
lè ordinairement à ceux qui font profeîîîon de philoio-
Tom. i. des pher , à Cq défaire des erreurs de l'école , & à examiner Iqs
letti. p. 5^1. matières phyfîques par des raifbns mathématiques, qu'il
croyoit être auiïï-bien que lui l'unique moyen de trouver la
Vérité. Les envieux de M. Delcartes avoient tâché de le
rendre fiifpeâ: de quelque jaioufie fecréte à l'égard de ce
grand homme : & pour fondement de leurs fôiipçons ils a-
voient allégué le fîlence fous lequel ils l'accufbient de l'a-
voir palîe en une occafio ■. où il s'agiiîbit de Tinvention des
Tom. 5. des lunettes. M. Defcartes fit voir l'injuftice de ce fbupçon dans
kttr. p. 188. une lettre au P. Merfenne,&fè contenta de dire que Galilée
jac. Mctias même ne s'étant pas attribué l'invention des lunettes , li
DT^'^^^^d n'avoit du parler que de l'inventeur Metius en cette occafion.
Dioptriqut. Nôtre Philofbplie fe trouvoit alors diverti de les études de
de fa retraite par de fréquentes vifites que lui rendoient la
plupart des curieux de France qui voyageoient en Hollande.
Plufieurs partoient exprés des provinces même les plus ë-
ioignées pour l'aller voir uniquement, fans autre intention
que de faire honneur à fà phiiofbphie. D'autres y alloient
pour s'inftruire : 6c de ce nombre étoient divers amis qu'il
avoit faits , èc dont nous n'avons pas encore eu occafion de
Epift. Mf. parler. C'étoient M. des Barreaux^ M. de VilUmoux^ M. de
jvk"f adann Vitry-U-viUe Gentilshommes fçavans , 6c grands amateurs
3 £41 , 1641, de fa phiiofbphie, Monfieur de G^ndais , Monfieur HoUcng^
î(î4î,&c. Monfieur C/^/7(?^ qui fut depuis Mathématicien du Roy de
Bor. & Lipft. Portugal j M. de Faberoi^x fut depuis Gouverneur de Sedan,,
fe Maréchal de France, & qui mourut en \GGi ^ M. l'Abbé
de L'.iunay qui lui faifoit volontiers des objcdions. Mais il
Lcttr. Mf. de n'eût point d'amis plus affidus à le fréquenter pendant cette
^.'ly.'i^y année 1642 que M. l'Abbé Picot & M. l'Abbé de 7^.»^-^^-
i(î4i. Idye le jeune, qui avoit étudié fous le P. Bourdin Jéfuite, 6c
qui avoit un frère aîné pareillement Bénéficier ci Tours, in-
time ami de M. Defcartes.
Cependant les ennemis- de la Philofophie nouvclleavan-
^oient
Livre VI. Chapitre X. 177
çoient leurs defTcins à Utrecht. Voetiiis avoit double les forces
en afîbciant un jeuneProfjiîcurdc l'Univerlité dcGronin-
eue en Frife , nommé Martin Schooikius^Qm avoic été de {qs ,
écoliers, & qui ne manquoit pas de génie pour écrire con- 33, &c.
tre M. Defcarces, qui au jugement de plufieurs venoit de le Lcttr.n Mf.
couler à fonds dans l'Epitreau P. Dinet. Jufques-Là Voetius «^^ Reg. à
n'avoit point fait difficulté de mettre Ion nom à tous les li-
belles qu'il avoit publiez en forme de théfes contre fa phi-
lofophie , &: dont le nombre montoit jufqu'à fèpt différens
écrits , en comprenant les théfes de ion fils flir les formes
fubflantielles , hc le Jugement Académique de l'Univerfité
d'Utrecht qui étoit auiîî de fa compofition. Mais pour ne
point déq;oûter le Public de fbii nom^ bc pour faire croire
que M. Defcartes avoit encore d'autres ennemis que lui, il
voulut que Schoockius mit fbn nom à la tête du livre, com-
me s'il en eût été le véritable père , ou l'unique auteur,
C'étoitun artifice propre à tirer Voetius d'embarras, au cas
que le fuccés du livre ne fut pas heureux. Mais comme
cet artifice ne parut qu'à la fin de l'édition du livre, où l'on
réferve ordinairement à tirer la feuille du titre &de la pré-
face , M. Defcartes y fut trompé. Car ayant appris que le Leur. i?. Mf.
Jivre qu'on difbit être compofé par Voetius s'imprimoit à "*
Utrecht par fès foins , & en ayant recii les fix premières
feuilles , fans qu'il y fût fait mention de Schoockius, & fans
même qu'on eût encore ouy parler de ce jeune homme : & Epia.adcde-
ayant voulu le réfuter à mefùre qu'on l'imprimoit, fans at- ^^"' \°^^'
tendre la fin de l'édition > il fut furpris de voir que l'adver- so'^&paflîm.*
faire qu'il avoit apoftrophé dans fi Réponfe à face décou-
verte ne lui parût plus qu'un mafque dans la flûte. Mais
s'étant douté de la diffimulation duperfbnnage fur certaines
exprefîions de (on livre qui ne lui convenoient pas , & qui
marquoient que Y auteur en fagnolt la philo fophie dans le coin Lettr. ij.Mi",
le flus reculé des P aïs-bas , 0^ honoroit V^oetius [on Maître coïïi- **'
me s'il eut été [on père , il voulut bien le traiter dans la con-
tinuation de fa Réponfè comme un auteur déguifé, fans cefl
fer néanmoins de parler à lui, parceque l'incivilité du flile,
la groffiéreté des injures, la répétition continuelle des mê-
mes calomnies , 6^ les autres caractères de l'efprit de Voetius Tom. 3. des
qu'il reconnoiiioit dans ce livre ne lui permettoient point de ^^"^- P^S- ^«
parler à d'autres.. Z. * Schcockiui»
lyg La Vie de M. Des cartes.
1641. SchoocKius n'étoit pas tellement chimère qu'il ne fèrvîc
1643. au moins de copifle àVoetius, quiavoit befoin fans doute
,„...«__ de ce fbulagement pour pouvoir vacquer aux autres procé-
dures qu'il faifoit contre M. Defcartes pardes voycs de fait.
Lctti-. ii.Mf. L'Epître au P. Dinet lui tenoit au cœur. L'expofition toute
deRegius. fimple que M. Defcartes y avoit donnée de fa conduite, &
le petit commentaire qu'il y avoit fait au Jugement Acadé-
mique de l'Univerlîté, qui en étoit devenu tout ridicule, lui
itemicttrij. avoicnt dérangé le cerveau. 11 confulta quelques Avocats
Mf.dumême. jç Çq^ Q^y^iis fur l'afFront public qu'il en recevoit, de prit des
mefures pour l'appeller en Juftice de lui intenter dans les
formes un procez en réparation d'honneur envers une per-
sonne de fbn rang, un premier Profefîeur en Théologie , un
premier Miniftre de l'Evangile des plus réformez, occupant
la place que les Prélats y avoient pofTédée avant la Réfor-
mation. De forte qu'écrivant de agiflant tout à la fois con-
Tom. j. des tre M. Defcartes il avoit intention de le battre ^ ^ de luifai"
icttr^pag. 7. ^^ encore payer r amende.
Dés le mois de Juin de rani642. la confpiraticn avoit com-
voycz cy- mencé entre les deux Voetius père & fils & ScboccKius , que
dcflus. y[^ Regius ne défîgne dansfes lettres que du nom de Moine
renégat, pour écrire conjointement contre M. Defcartes.
Mais elle ne produifit fa conclufion qu'à la foire du mois
Tom. 3. des <^^ Juillet fuivant , pendant laquelle SchoocKius étant venu
icttr. pag.40, à Utrecht voir fes amis félon fa coutume s'étoit laifTé enga-
^^^' ^er à TifRië d'un grand & magnifique repas que lui avoit
donné Voetius, de prendre la plume en faveur de fbn an-
cien Maître contre l'Epître au P. Dinet. Schoockius ne té-
• moignoit pas d'abord toute l'ardeur qu'on fbuhaitoit d'un
difciple zélé pour l'honneur du Maître : mais le redouble-
ment des inftances que lui fît Voetius, qui fc fît joindre aufîî
par Dematius & d'autres de (^^s amis qu'il avoit priez à cî-
ner avec lui, acheva de le réfbudre à faire ce qu'il vouloit.
Tom. j. des II fut donc réglé que SchoocKius emporteroit à Groningue
lettr. pag. 31, j^^ mémoires qui lui feroient fournis d'Utrecht , & que
'' '^ ' * quand il \qs auroit mis en ordre il envoyeroitincefîamment
itemicttr. ij. cc qu'il en auroit drefîe pour être imprimé à Utrecht fous
r'!!'rr'^^,^T, ^ direction. C'cfl ce qui fît languir en partie l'impreifion
14, Sfc de de l'ouvrage juiqu'en 1643. Mais Voetius pour foutenir 1 ei-
Rcgias. Ms. pérance
LiVKE VI. Chapitre X. 179
pérance de fès écoliers, & du petit peuple à qui il pubUoic
les chai^rins & ùs delTeins contre M. Defcartes , avoit foin
de répéter fès vieilles calomnies, & d'en forger de nouvelles
dans fa clalTe & dans Ces autres entretiens , fans oublier de
les faire entrer de nouveau dans les dernières théfjs Théo-
logiques de la même année au/quelles il préliia.
M. Regius fe trou voit enveloppé dans la fortune de M.
Defcartes : mais quoique le gros de l'orage parût détourné de
fa tête par la granie diverfion que l'Epître au P. Dinct a-
voit fait fiire fur M. Defcartes , il paroiiîbit néanmoins plus
à plaindre que lui , parcequ'il étoit jufticiable du tribunal
que Voetius afTiégeoit par ùs amis &. Cqs intrigues. Voetius
avoit remarqué que la plupart des véritez que M. Defcar-
tes avoit débitées de lui au P. Dinet ne pouvoient lui a-
voir été révélées que par M. Regius. Il ne fetrompoit points
mais c'étoit par une nouvelle injuflice qu'il préténdoit le
pourfuivre dorénavant comme un traître, ne l'ayant regar-
dé jufques-là que comme un novateur, un brouillon & un
ennemi de l'Anft ote des écoles. Il nefbllicitoit rien moins que
fon abdication , & l'on parloit déjà tout communément de la
perte de fa Chaire^ comme de l'hiftoire d'un fait arrivé. De
forte qu'on ne le confîJéroit plus que comme la victime de
rUniverfité de le/r^W>r iVf^r^r de lafedecartéiienne. M.
Regius nonobstant le confêil que lui avoit donnné M. Defcar-
tes d'exécuter à la rigueur le Décret des Magiftrats, par le-
quel il lui étoit défendu d'enfeigner autre chofe qu'Hippo-
crate & Galien, & les opinions communément reçues dans
l'Uni verfité, ne pouvoit s'empêcher de propofer les nouveaux
fentimens avec les anciens. Il manda à M. Defcartes qu'il
fè trouvoit obhgé d'en ufcr de la forte , parcequ'il appré-
hendoit de faire déferter la plupart de fes auditeurs, qui ne
vouloient pas fe contenter des fentimens de Galien, d'Hippo-
crate & d'Ariflote. Voetius pour le mortifier avoit obtenu
depuis un autre Décret datte du n d'Août 1642, par lequel il
étoit défendu à tout Libraire de la ville, ôc de toute la Sei-
gneurie d'Utrecht , d'imprimer ni débiter aucuns libelles ou
autres écrits contre les théfês , & les autres difputes de l'U-
niverfîté. Voetius ne permettoit à perfbnne de douter que
récrit de M. le Roy en forme de réponfe à fes théfes n'eût
Z ij * donné
I 64 2.
1643.
Lettr.Mf. de
Regius t(?.
Tom. 3. des
lettr.pag.j90,
391.
Pag. 6.
vol.
du f.
Lett. iz.
Mf. de
Rcg.
Narrât hiflr.
Acad.Trajc(SV.
pag. 67, 68.
iSo La Vie de M. Descartes.
ï 6 A.1. cloniié occafion à ce nouveau Décret. Mais ni Voetius , ni
1643. le Décret des Magiftrats ne purent faire confidérer cet écrit
«„,= de M. Regius comme un libelle diffamatoire j ^ilpaiFe en-
core aujoiird'liuy pour une bonne pièce faite contre de mé-
chantes théfès.
Inlenfiblement l'année 1641 s'écouîoit, fans que i'impref-
fion du livre que Voetius failbit compiler à Groningue par
Schoockius , fit de grands progrez fous la preile de Jean
van-Waefberge Libraire d'Utrecht. On l'avoit commencée
vers le milieu d'Octobre dans l'efpérance de la finir avant
la fin de Novembre. Mais elle fe trouvoit retardée ou ral-
lentie.par la concurrence d'un autre livre que Voetius fai^
fbit imprimer en même têms fous fbn nom , & qui parta-
geoit les foins qu'il donnoit à celui qu'il faifoit imprimer
fous celui de Schoockius. Le livre qu'il publioit fous {on
nom propre n'étoit pas contre M. Defcartes , mais contre
une ville entière des Provinces unies , à laquelle néanmoins
il fè trouva engagé, tout étranger qu'il étoit, de prêter fà
Frédéric plume Contre ce feditieux Miniflre.
^^""^y- Lorfque le Prince d'Orange réduifit la ville de Bofleduc
la l'an itfip. fous l'obéïflance des Hollandois, comme nous l'avons re-
marqué en fbn lieu , il trouva dans la ville une célèbre con^
frairie de 'Notre-Dame :, autrement du Ro faire , dont l'établifl
fêment étoit beaucoup plus ancien que la domination Efpa-
gnole. Elle n'étoit compofée que de Magiftrats & de la
Noblefîè de la ville. C'efl ce qui la rendoit trés-puifîante ,
qui la faifoit refpeder par les Cathohqucs , & qui la fiifbit
craindre en même têms par les nouveaux Réformez dupais,
qui la regardoient comme une aifemblée mêlée d'Etat & de
Epift. Carte- Rehgion. Le nouveau Gouverneur pour les Hollandois ju-
fil ad ceieberr. ^^^^ cette confraiiie d'autant plus dano-ereufè à l'intérêt de
Voetium , i- -KK i\ >•!'• ■ ^ r ^ • i \ r
pag. 9^,5,7, les Maîtres, qu il etoit moins en fon pouvoir de la luppri-
u feqq. j-^ier j & Ics coufrércs qui étoient tous les principaux de la
ville avoient grand fbin de lui faire entendre que cette con-
frairie étoit comprife dans l'article de leur liberté qu'on
leur avoit accordée par leur capitulation. Pour prévenir
tous les fbupcons de cabale & de délibérations clandeftines
que le prétexte de cette afiemblée de Religion pourroit pro-
duire, ôc en même têms pour entretenir la paix & l'union
entre
L IV R E V I. Chapitre X. iSi
entre les habicans de la ville, il fut réglé par le Confèi.' des ^
Etats que la confrairie de Notre-Dame lèroit commune /
d'orcnavant aux deux Religions, & que les CatiSoliques y ^^
admettroicntles Proteftans : mais que pour ne blellèr la con-
fcience de perfonne , l'on en retrancheroit les pratiques qui ^^^^'
pourroient choquer les uns ou les autres en y confervant
les adcs de Religion aufquels les Catholiques & les Protef-
tans n'auroient point de répugnance. Le Gouverneur de
la ville demanda auffi-tôt d'être reçu au rang des confrères
de la Vierge Marie , & il préfenta en même têms treize
autres Proteftans des plus qualifiez de la ville ou de la gar-
nilbn pour y être admis. L'embarras fut grand du côté des
confrères catholiques , de ils ne manquèrent point d'allé-
guer que la pureté de leur Religion ne pouvoit ibufFrir un
mélange de cette nature. Mais le Gouverneur les fit fou-
venir que lors qu'il fut arrêté dans les articles de leur capi-
tulation que tous les biens ecclèfiaftiques de la ville fèroienc
mis au fifc du vainqueur, ils n'avoient fait excepter les re-
venus de cette confrairie qu'en alléguant qu'elle n'étoit
point une fbciétè fpirituellc ou religieufe , mais une fbciété
civile j & que fès biens n'étoient point ecclèfiaftiques. De
forte qu'ils ne purent refufèr cette honnêteté au Gouver-
neur 2c aux autres Proteftans qui fe préfèntèrent avec
lui.
Cette nouvelle union quoi qu'un peu bizarre fe conler- if'id- pa?- i?,
voit avec aflez de bonne foi de part àc d'autre, fins que les ^^"
Docteurs de Louvain ou les Jéluites de Flandre le mliPent
en devoir de crier ou d'écrire contre elle. Aufli n'avoient-
ils pas le zèle du Miniftre Voetius, qui n'eut pas plutôt ap-
pris la chofe, que lé trouvant indigné du fait, il fe fèrvic
de fès armes ordinaires , qui ètoientfès thèfès, pour attaquer
les auteurs a'une fociètè qui lui paroidbit fi monftrueufè.
11 ne crut pas devoir plus refpeèter l'autorité de fes Maî-
tres en cette occafion, qu'il avoit coutume de faire en d'au-
tres, où il avoit déjà fignalé fouvent (on indilcrction Se fou.
ètourdiftement. 11 prit pour fujet de Ces difputes riJolàtrie
indirecte é^ defariicipation^ & il mit en queftion de fçavoir,y^7<^
confrairie de ïa p^ierge Marie peut en bonne confciencc être tolérée
par le Mapfirat Protefiant ou Réformé , lors quil peut la dêtrui-
Z* iij l'e
«1
1^2 La Vi E De M. Descartes.
1641. Yc ^ quand même elle ferait purgée de l' Idolâtrie papifiique / I.t
1643. fuppofant que le Tvii-f^^firat Lt tolère , (i aucun Réformé ou Protof-
— — tant peut s'y faire enrôler fur t-s condition de ne pod- préjudicier a fa,
Religion / Ses coiiclufîons furent que cela ne pouvoir être ni
permis ni toléré j que c'étoit participer à l'idolâtrie d'au-
trui 3 & qu'encore que le Magiftrat fj laiiHt aller à I^ né^
gligence ou à la diffimulation en ce point , il n'étoit pas per-
mis aux particuliers de la Religion Réformée de ie ranger
dans ces confrairies. Il prétendoit que les Catholiques en
tiroient de grands avantages fur les Réformez, à qui ils
avoient tout fujet de reprocher qu'il n'y avoit que les petits
profits de la confrairie, les régales 6c lesfjftins des confrè-
res qui les y attiralTent. Une des marques de ciiflindion pour
Ja co frairie étoitune écharpe rouge dont on avoit les épau-
les &:le dos couvert,lors qu'on conduifoit le corps .'un confrè-
re en terre. Cette pratique fiit changée en celle de porter
autour du bras unchappellet d'où peadoit une médaille qui
Comme le lyj ^voit pour infcription, Sicut lilium inter fpinas. Les confré-
cnticicsépi- res Réformez pour appaiier leurs Miniftres tichoient de
leur faire entendre qu'il y avoit une providence particuliè-
re de Dieu dans la fociété de leur confrairie avec les Ca-
tholiques , & que félon eux ce lys entre les épines n'étoit au-
tre chofè que \çs confrères Réformez parmi les confrères
Catholiques. Voetius revint à la charge pour les relancer
de toute fa force fur cette plaifante diredion d'intention,
qu'il croyoit avec raifon devoir être l'objet de la raillerie
dQs Catholiques. Mais en \qs poulTànt avec fbn aigreur or-
dinaire fur la prétendue idolâtrie qu'il leur imputoit, il ne
pût s'empêcher de porter des coups contre l'autorité des
Magiftrats Réformez de Bofleduc.
Ces Meilleurs s'en tinrent trés-ofîenfèz : & voyant que
les tlièfès de Voetius étoient publiques, ils jugèrent que {qs^
calomnies ne pourroient être réfutées que par un écrit qui
fiitaufîî public. Ils choifirent pour leur Avocat, non pas un
écrivain catholique , mais un confré e même de Voetius,
un des Miniflres de leur ville, qui étoit le fleur Samuel des
Marets natif d'Oyfèmont en Picardie , qui fut depuis prin-
cipal Miniftre de Groningue, &; l'un des fçivans Théologiens
qu'çufTent les Calviniftes defbn têms. M. Defmarets n'étoit
pas
v.c%.
Livre VI. Chapitre X. 183
pas ennemi de Voetius, de il n'avoit guéres moins de zélé 164.1.
que lui contre la Religion Romaine. Auiîî s'acquicta-t'il de i 6 4. v
fa commiffion avec toute la modération èc toute la précau-
tion imaginable à l'égard de Voetius &: de la Religion pré-
tendue Réformée. Il fe contenta de mettre dans un jour évi-
dent la bonne intention des Magiftrats, de de les juftifîer
contre les accufations de Voetius. Loin de traiter ce Mi-
niftre comme un calomniateur 6c de vouloir découvrir fès
fautes, il déclara que c'étoit moins contre lui qu'en là fa-
veur qu'il avoir pris la plume. Il fè contenta de lui faire
voir qu'il avoir été mal infonr.é du fait , 6c qu'il avoit écrit fur
de faufles hypothéfès. Il convenoit avec lui de la thélê ,
c'eft-à-dire de la décifion générale de la queftion de fçavoir
5 il efl ■permis aux Réformcz^d' embrajjer les cérémonies des Catho-
liques .^ 6c n'y parloit jamais de Voetius qu'avec éloge. Ayant
été obligé de rejetter la malignité de la calomnie fur
quelqu'un, il aima mieux feindre des mafques de personnes
mal intentionnées, qui auroientfurpris la facilité de Voetius
&; auroient abufé de fa crédulité, que de le faire lui-même
auteur de la calomnie. Il omit même la queftion principale
du fil jet qu'il avoit à traiter, & qui conlîftoit à fçavoir s'il a-
voit été permis à ce Miniftre de condamner par un écrit
public 6c de fbn autorité privée \es premières perfbnnes de
la ville , 6c nommément les Magiftrats fans les avoir enten-
dus ou avertis , 6c fans avoir fait les informations néceflai-
res. En un mot il n'avoit rien dit qui dût beaucoup toucher
Voetius , finon que toutes les pcrlbnnes lages avoient jugé
qu'une difpute publique 6c fcholaftique faite fous lui dans
un lieu éloigné, n'étoit pas un remède propre pour le mal
qu'il prétcndoit guérir -. hc que comme on trouvoit fort bon
à Bofleduc que les réformateurs d'Utrccht réformafîent les
déréglemens de la ville d'Utrecht , on auroit fbuhaité aufll
qu'ils eulTcnt lailTe à ceux de Bofleduc le fbin de corriger
les déibrdres de Bofleduc. Pour ménager encore davantag;e
l'honneur 6c la réputation de Voetius, M. Defmarets avoit
eu fbin de ne faire tirer qu'un fort petit nombre d'exem-
plaires , 6c de n'en fiire diftribuer qu'à ceux qui avoient vu
les théles de Voetius contre la coofrairie de Nôtre-Dame Epift. a<icc-
de Bofleduc. l^.^:/^"-"'
Toutes
fupr.
184 La Vie de M. D e s c a r t e s.
i Ci 4.1. Toutes ces précautions furent inutiles. Les honnêtetez
1643. de M. Delmarets ne {ci'rvirent qu'à irriter cet efpnt intraita-
■ ble , comme avoient fait celles que M. Regius avoit em-
ployées dans {à Réponfe à Ï^qs théfes des formes fjbltantiel-
ies. Peu de jours après il dreila tamultuairement un libelle
dé peu de feuillets contre le livre de DefiPiarets, & il eut
l'efFronterie de le faire paroître fous le nom fuppofé d'un
Aiiui'jon à ce Miniftre de Bodeduc bc îbus le titre de Reiorjio Ccdumnia-
voca"' cmitre ^^^ f ^^^^ TcrtuUits Societatis Manant Advocauis , ^c. Mais
s. Paul. il fut condamné incontinent par le Ma2;iftrat de la police ,
Leur. ij.Mf. qq-^-^^-ç^q qh libelle difFamatoire , rempli de meofonges &;
s^no^fiibumm d'impoftures , & propre à exciter àQs féditions : fa lecture
é't^jm^anwum fQt; défend Lie par les crieurs publics au fon du tambour * ôc
confi-l?e° niî ^^ ^^ trompette , comme Voetius même a eu foin de le faire
Marian. fcavoir à la poflérité.
* Ou de la Lg libelle difFamatoire du prétendu Miniftre de Bofle-
rocfm. duc Contre le livre de Delmarets n etoit que 1 avant -
coureur d'un jufte volume que Voetius entreprità la hâte
pour fronder faconfrairie de Nôtre-Dame de Bofleduc.Les
Magiftrats de cette ville en eurent avis : &: s'étant aiFemblez
pour délibérer des moyens de réprimer l'infblence de ce
brouillon,- ils en écrivirent en corps aux Etats de la provin-
ce d'Utrecht , &: aux Magiftrats de la ville. Voetius fè van-
Pag. 421. de ta même depuis , qu'ils lui firent l'i^ionneur de lui écrire en
co ifiat. Ma- particulier , pour lui faire tomber la plume à^s mains ^ mais
que ce fut en vain. Car encore que le Magiftrat d'Utrecht
tirRe^^'^ eût arrêté l'imprefTion de ce nouveau livre, & qu'il eut dé-
fendu à Voetius de la continuer pour fatisfaire aux ordres
ad^cckb. ^' ^^^ Etats de la province , il ne laiiîa point d'ag;ir fecrétc-
Voet. ment pendant les mois de Novensbre & de Décembre,
s'étant contenté de changer l'Imprimeur êc la forme du
livre, qui d'in viiio devint in xiIq, afin qu'il put le flii-e
Tom. 1. des yoir au Synode Gallo- Belgique qui devoit s'adémbler ci la
pa"*t4i^'^'^ Haye en 1643 ; & que fe relevant de i'obt'i Tance qu'il de-
7 t , \/ir voit aux Maaiflrats laïcs par l'autorité eccléfiaftique du Sy-
Lcttr. 15. Ml. 1 ' /T> 1 n 1 i • i >
dcRcg. noie auquel Meilleurs de Bolleduc avoient bien voulu s en
rapporter pour ^îécider de leur confrauie , il trouvât moyen
d'y rendre fà caufe triomphante. MefTieurs de Bodeduc
fkrent avertis du peu de foumidloji qu'il rémoignoit pour
fes.
Livre VI. Chapitre X. 1S5
ics fapirieurs. Qaelques-uns en farenc indignez, & entre 1^4^.
autres M. Brcderodius Protcftant , perfonnapje qualifie,
qui ëtoit de la confrairie, èc qui fie menacer Voetius de lui icèmiatr iV
faire donner les ëtriviéres. Mais les autres aimant mieux uc. dcRcg.
le méprifer, jugèrent plus à propos de l'abandonner à fes
propres inquiétudes. Il parut que Voetius avoit trop pré-
ilimc de la fliveur des Miniftres des fèpt Provinces unies
qui fë trouvèrent au Synode Gallo-Bcly-que. Malgré le zélé Art. 14. Sy-
qu'ils avoient tous à détruire jufqu'aux moindres veflio-es "°^^ ^^'^°-
de i ancienne Religion , ils le crurent obligez a approuver la xc^t,,
conduite de Meffieurs de Bofleduc, 6c de blâmer celle de
leur confrère Voetius. Il n'y eut que la confidération du
miniflére qu'ils honoroient dans eux-mêmes, & l'appréhen-
fion de donner fujet aux Catholiques de les remercier ,qui
arrêta leur cenfure.
Cependant l'interruption du livre que Voetius faifbit im-
primer à Utrecht fous le nom de Schoockius contre la phi-
lofopiHe cartcfienne avoit caufe aufTi l'interruption de la ré-
ponfè qMe M. Defcartes y ï^iïoït. Mais la defoccupation
où il fè trouva dans le têms qu'on lui envoya le livre de ce
Miniftre contre la confrairie de N, D. de Bofleduc , lui fit
donner quelques heures de fbn loihr à la lecture & à l'exa-
men de ce livre. C'efl: ce qu'il fit , non en contro ver fifte
Cathohque, pour lui ôter tout prétexte de calomnier dans ^^g^m. Ep.
la fiite l'Eglifè Romaine en fa perfbnne , mais comme au- Ja<y'^îV^°^^'
roit pu faire un honnête payen , qui n'auroit eu que les lu-
mières naturelles , 6c qui n'auroit parlé que fur les princi-
pes de la raifbn humaine. 11 trouva que Voetius en avoit Pag. 109 Ep.
étouffé prefque tous les fentimens , pour ne fuivre que fà y e^icbc"-
pafîion : 6c comme il ne s'agifibit plus ici de philofophie
cartéfienne ni de fès propres intérêts, il ne craignit pas de
faire voir fà malignité, fbn entêtement , fes injuflices, Çow
arrogance , 6c une partie de Ç^s abfurditez dans cet ouvra-
ge, où il déchiroit les Magiftrats de Bofleduc 6c le Minifl
tre Defînarets , fous prétexte d'écrire contre la confrairie
de Nôtre-Dame. M. Defcartes ne s'étant propofé autre
chofe dans cette nouvelle réfutation que de fuivre les rè-
gles de l'équité naturelle ,. n' avoit point prétendu faire fà
A a * cour
1^6 La Vie DE M. Descartes.
I <> 43. cowr à ceux donc il avoir pris la défenfe. Néanmoins il ne
' put fe défendre de l'amitié de M. Deirnarets, qui s'atta-
cha premièrement à luy par les mouvemens de la recon«
noiflance, puis par la raifbn &: par les attraits de fà phi-
lofôohie , dont il fe rendit le ledateur. C'efb à quoy le
rapportoit lans doute l'impiété que fie paroître le jeune
Voetius, qui ofant comparer fbn père à Jcfus - Chrift mê-
Tom. 3.^dcs jy^Q^ n'avoit point fait difficulté de repréfenter Defcartes
^ur.pag.4;, ^ Defhiarets fous le perfonnage d'Hérode 6c de Pilate ,
& de dire à leur fujet Herodcs & Vdatm amià faHi funt ^ut
innoxiiC fam^e ac pcr Dci qratiam illibata mjculam afperqerent,
A dire vray, leur connoifîànce étoit d'une datte plus an-
cienne que le livre de Voetius contre la confrairie de
Bofleduc. L'on n'en doutera point il l'on confidére que
îettr!pag.54o, M. Defcartcs prenoit la peine de faire venir d'Utrecht à
î4i« Eyndegeell les feuilles de ce livre pour les faire tenir à M,
Defînarets,qui étant déjà retenu pour le Miniftére de Gro-
rsingue, devoit refter encore à Bofleduc jufqu'au mois de
Mav fuivanto
CHAP.
Livre VI. ChapitreXI. 1S7
.. - — i<^43.
CHAPITRE XL
JEdition du livre de Voetitis ou Schoockius cohire M- T)cfcartcs.
Edition de la réponfe de M. Dcfcartes à cet ouvmge ^ à celui
de Voctius contre la confrairie de K. D. de Bojleduc, Procé-
dures contre M. De [cartes à, "Vtrecht. Il répond a, la première
publication des Magifirats , qui par une injuftice fans exemple
travaillent à lui faire fon prccez^fecrètcment , fans le faire aver*
tir c^u après quil n était plus tèms. Autres injuftices des mè~
mes Magiftrats aveuglez^ou pofféde^ de l'cfprit de Voetius.
Monfieur JDefcartes s'addrcffe à C Ambajfadcur de France ,
qui par l'autorité du Prince d' Orange fait arrêter ces procé-
dures ^ lors qu elles ctoicnt fur le point de leur confommatioi^,
M. Defcartcs en examine Nnjuflice , ^ il fe juftifie après
avoir découvert les principaux points de la cAomnie de fes en-
nemis. Jl cite Schocikiu^ devant les Juges de Groninyie ^où il
efpére meilleure fiftice quu Vtrccht.
VOetius ayant expé Jié l'édition de fon livre de îa con-
frairie contre le? Magidrats de Bofleduc & M. DeC
marets, retourna à celle du livre de Schoockius contre M,
Defcartes, qui ie trouva ainil engagé à en continuer la ré-
futation. Il ne s'y prefcrivit point d'autre méthode que
celle de fbn adverfaire, qui ne luy fournilîbit Tes réflexions
qu'à mefure qu'on luy envoyoit les feuilles. De forte quv^
fans s'afTujettir à féparer ce qu'il avoic écrit pour Defînarets
d'avec ce qu'il écrivoit pour fa propre défenfe , la réfuta-
tion qu'il ht du livre de Voetius touchr.nt la confrairie 64
N. D. fe trouva inférée dans celle qu'il fit de l'ouvrage de
Schoockius dans l'efpace qu'avoir produit fon interrup-
tion.
Cet ouvrage parut enfin à Utrccht chez Waeiber2;e au
mois de Mars de l'an 1645 fous le double titre de Philo fo-
phia Cane fana y five , admiranda Methodtts ncv.c Philo fophicC
Rcnati De fartes. L'Auteur avoit affeélé l'équivoque dans Lcttr. w.
l'un & dans l'autre , afin de tromper plus fdrement ceux ^'^ ^^^^- à
dont il âppréhendoit a'ctrc rebuté j d'exciter plus efficace- M^r[*j^" */
A a * ij mcnc
i88 La V I e d e jM. D e s c a r t e s.
1^43. ment la curiofité de ceux qui étoient paflionnez pour tout
-* ce qui portoit le nom de M. Defcartes • & d'attirer plus
de marchands èc de ledeurs par cette fupcrclierie. L'ou-
vrage étoit divifé en quatre parties. La première regardoit
M. Regius , dont le prétendu Schoockius ne faifoit point
difficulté d'attribuer toutes les opinions à M. Defcartes. La
féconde fervoit à l'examen des principes &: de la méthode de
fà philofophie. La troifîéme n'étoit qu'un choix de quel-
ques-uns de Tes dogmes particuliers de Métaphyfîque &: de
Phyfique, pour faire un eflày de la réfutation qu'on en pour-
roit entreprendre. La quatrième n'étoit que pour montrer
que cette nouvelle manière de philofbpher conduifbit droit
.„ - au Icepticifîne , à l'enthoufiafîne, à l'athéifhie & à la phré-
Epifl. ad ce- T T T ' • ■ j> T V i> ^
icb. Voet. nelie. Le livre etoit muni d une préface ou 1 on entrepre-
pag- 79- noit de réfuter principalement la lettre de M. Defcartes au
Tom. 3. des p. Dinet, que Voetius étoit déjà venu à bout de faire con-
icitr. pag. 1;. ^^^j-j-jj-j^j- (^^iis Iq Confèil de la ville, ou plutôt dans ion Con-
fiftoire^commeinjurieufe àla Religion Réformée, au Mi-
niftére évangélique, &: à la perfbnnede l'un des principaux
Pig. jj. tom. pafteurs de la ville. Cette préface étoit une vraye diiîerta-
tion contenant plus de foixante pages • &: elle pouvoit palTer
pour la partie du livre la plus criminelle : auffi étoit-elle de
Voetius feul , fans que Schoockius pût s'en attribuer même
les apparences , comme il étoit en droit de faire à l'égard
du refle du hvre.
Peu de jours après fa publication l'on vid pnroître à Am-
^" J-^^"^ ^ flerdam chez Elzevier la Réponfe de M. Defcartes f.)U s le
, * titre d'Epi/Ivla Ken. Defcartes ad celeberrlmum virum D. Gif-
Tom. 1. des , ^t ■ ■ ^ ■ i ir ■ t^ ■
Icttr. pae.541. vcrtum Koetium^ m qua exammantur duo libri nuper pro Koetto
l la fin. Vltraje&i fimul ediîi 5 umis de confrat émit aie Marianâ ^ alter de
philofophià Cartejtanà. Cet ouvrage fè trouve coupé en
neuf parties que l'auteur n'a point jugé néceiîiiire de lier
enfemble par une fuite trop raifbnnée. La première ;, la
troifîéme , la cinquième , la huitième &: la neuvième con-
tiennent la réponfe au livre de la Philofophie Cdrtéfienne ou
de la Méthode admirable. La fîxième cfl: un examen dj li-
vre contre la confrairie de Nôtre-Dame de Bofleduc. La
féconde &: la feptième font une elpéce d'information parti-
culière que l'on fait de la conduite de Voetius j & la qua-
trième
Livre VI. Chapitre XL 1S9
tricme eft un jugement de fes livres & de fa doctrine , d'où 1 0^43.
il £iut excepter ceux qu'il avoit écrits contre l'Eglife Ko- -—
maine, & quelques autres que M. Regius n'avoit pu trou- Lettr.36.Mr.
ver chez les Libraires d'Utrccîit. Le grand nombre de ces '^'^ ^cgius-
parties n'eft point aiïurémcnt une preuve de la grofïeur du
livre j èc l'Auteur afFeda d'y confèrver le titre d' Epltri' pour
marquer qu'il ne s'ctoit point départi de la promefle qu'il
avoit faite d'être fort court. C'eft pour cela qu'il avoit laifl
fé palier fans réponfe quantité de faulTetez puériles & ridi- Tom. z ds«
cules dont le livre de Voetius ou SchoocKius étoit rem- "^^ lettr.pag.
plv ; & de la nature defquelles étoit entre les autres celle ' ,
a acculer M. Delcartes de n avoir chercne La faveur Q- lafro- Çun Mina, lo^
tecHon des Je fuites^ que pour fe mettre a couvert des coups du Sca- cum tnventu'.
vant père Merfenne , ^ des autres Théologiens ^ Philo fophes de ^dVcinnlm de
France. Suppofition qui n'étoit plus pardonnable à Voetius, Tranffubft^^n.
depuis que le P. Merfenne luy avoit écrit , tant pour le dé- ^^^cT/oneft'
tromper de la faufle imagination , que pour le guérir de fbn Roman& ca^
animofîté contre M. Defcartes. *^^tV^f I
Le ûile de cette pièce n'efl point fins doute fort châtié: pofitetur[m
mais il fiiffifoit à M. Delcartes qu'il fût aifé, & à la portée de g"^^''^"» A'^'-
toutes fortes de ledeurs. 0\\ doit principalement s'arrêter "ocieTIi-Mu^
à deux confîdérations qu'il a eues en compofànt cet ouvrai^e ^ ^<^- quorum a-
celle de là perfonne ou de foii intérêt perfonnel , &; celle ^>'-['"^[".^'^j
d'autruy, 11 faut avouer que la connderation d'autruy com- fendi foffit
me de De{înarêts,de MelFieurs de Bofleduc,de M. Regius luy ''"^^''^ "''"^jf'-
a quelquefois lailfé appeller les défauts de Voetius par leur nitm.ai^s'i'qHe
nom. C'eft ce qui a fait dire à M. Saldenus * l'un des dilci- Thcdojos ac
pies afFeclionnez de Voetius, qu'il le trouvoit quelques ter- Gliio?!Tqui-
mes d'ai2:reur contre fbn maître dans cet ouvrag-e. Mais lorfl i>us xpA:cI:>.s
qu'il ne s'asilifoit que de luy_même, il fèmble qu'il ait aîcc- ^ ^^^'' ^"*''
te de raire triompher la douceur des emportemens de Ion tifcitciu:-.'?iut
adverfiire. Auffi protefta-t-il à MefTieurs de la ville d'U- "^[û''»-'^^^'
trecht 'f que le motif principal quil'avoit porté à répondre à l'^"^, [
ur Mmiltre n avoit pas ete 1 enormite des injures dont il iit^is. p.530.
avoit rempli le livre de SchoocKius. Elles étoient trop abfur- ^ ,
des ce trop éloignées de la vrai-lemblance pour mériter les icttr. p. 8,9.
relTentimens. Mais il voidut donner^ enfe rendant cefervicc à
lui-même , quelque latisfidion à divers honnêtes gens de lu
Religion même de Voetius , qui étoient indignez qu'un hom-
Aa iîj * me
Pâg. ro.ibid
190 La Vie de M. Descartes;
643. ïTie ^Lifli vicieux que lui &; d'un mérite aulîî fuperficiel q\i^
le fien eut allez de crédit &: d'autorité pour brider la popu-
lace , èc pour bander les yeux aux trois quarts de la première
bourgeoifie de la Ville. D'ailleurs l'engagement où il avoic
été de le défendre enfin, après avoir eu la patience de ne rieit
répondre à neuf ou dix libelles injurieux de Voetius 6c de
fes difciplesj ne pouvoit pas ne pas être de quelque utilité à
l'Etat de la Seigneurie , parcequ'il fàifoit connoître aux plus
Hmples les véritez qu'il fçavoit de Voetius, pour le récom-
penlèr des fauiïetez que ce Miniftre publioit de luy. Enfin
puifque Voetius prétendoit luy faire un procez^ d'injures ipour
l'obliger à vérifier les chofès qu'il avoit dites de luy en paf.
Tant èc par manière d'abrégé dans la lettre au P. Dinet ; il
avoit crû devoir les expliquer toutes, de les prouver fi clai-
rement dans ce fécond écrit que cela put l'exempter de la
peine de les prouver devant des Juges.
M. Dwfcartes ayant donc dreifé fbn fécond écrit de telle
forte qu'il pouvoit afi^ez fe défendre par luy-même , Se dé-
fendre aufTi le premier : il en envoya des exemplaires aux
Vanleew, & deux Coufuls OU Bourgmaiilres d'Utrccht pat deux perfon-
HooiK? ^^^^ ^^^ P'^^ qualifiées de la ville, qui leur firent des compli-
mens de fà part. Mais les intrigues éc les procédures de Voe-
V. l'Eciir in- tius avoient déjà préoccupé la plupart des Magiilrats en fcL-^
ïit.Aengivzn- y^m- cI'q,-,^ periomie aux intérêts de laquelle ils crovoiens
un, ^ honneur de leur Keligion attache. De forte que M. Def-
cartes futfurpris quelques femaines après, lorfqu'il apprit la
■ publication d'un Acte donné contre {bs deux Ecrits, c'eft-à-
dire contre fès deux Lettres au P.Dinet, & à Gifbert Voetius
le XIII , ou feloiTiious le xxiii jour de Jain 1(343, ligné C. de
Rider. Ce n'cil pas qu'ail témoignât être mal content de ce
quecèt Ade contenoit au regard de Voetius Car il croyoit
y trouver la condamnation manifèfte de ce Minière , en ce
Tom. h des q^^ les Magillrats qui avoient donné cet Acte reconnoif-
letir. p. 10. foient que cet homme étoit inutile & nuifible même à la
ville d'Utrccht, Ci les chofes qu'il avoit écrites de luy étoienc
Botel a été ^rayes. Or il étoit trés-afîlirè de leur vérité .- mais il ne poii-
mai informé voit comprendre que des Magiftrats qui dévoient f^avoir ce
lorfqu'il a e- qui étoïc , 6^ cc qiii n'étoit pas de leur devoir, eu (Fent voulu
Dcfcartcs Se Ic citcr pour ics ventier ,. Cvinmc s us avoient eu quelque ju -
les difçiplcs jiidiciioa
Livre VI. Chapitre XI. 191
rifciiclion fur luy ^ 6c il s'étonnoit aufTi que cette citation
eût été faite avec cclat au fbii de la cloche , coinme s'il pvoit ' ^^*
ctë criminel. ^ o.uécechaf.
Il y avoit prés de fix femaines qu'il avoit quitté le voifi- fez d'u-
na2;e de Leyde pour retourner en Nord-Hollande, &: il s'é- tï^echt au foa
P, / V r- j j TT r \ 1 • 1 .. ' •/- de la cloche.
toit loge a hgmond du Hoer , ou il avoit loue une mailon paa. ^ .
fort commode pour un an, à commencer depuis le premier * Lettr. i&r
jour de May 1643. Il avoit eu foin d'en faire donner avis aux Mff. à Picot.
Bourgmaiftres de la ville d'Utreclit, en leur faifant préfen.
ter fbn livre contre Voetius. Ainfî il trouva un peu étran2;e Tom. ?. des
que les Magiftrats eulîcnt fuppofe qu'ils étoient incertains ^^"'' P' ^®*
du lieu de (a demeure, pour avoir un prétexte de rendre la
citation plus publique. Néanmoins parceque cette maniéie
de procéder pouvoit avoir diverfès interprétations , de qu'il
croyoit avoir mérité l'amitié de ces Meflîeurs plutôt que
leur averfîon , il ne voulut pas croire qu'ils eullcnteû in-
tention de luy nuire ^ mais feulement de faire éclater l'af-
faire , afin que celuy qui étoit coupable & fujet à leur ju-
rifdidion pût être puny avec l'approbation de tout le monde.
C'efl: pourquoy jugeant qu'il étoit à propos qu'il les imi-
tât , & qu'il fuivit ks intentions qu'il leur attribuoit , il fît intitulée
imprimer aufTi fa Réponfê à cette publication en langue du '^"J"^"^'^^»
païs. Elle parut dattéed'Egmond op de Hoef le vi de Juillet v. le jeune
félon le ftile des Catholiques. Dans cit écrit qui n'étoit X°"'"^^f"*
, . ^ ., . . , . , A le Recueil
que de trois ou quatre pages il remercioit premièrement ces Atngevi^ngen»
Meflîeurs de la réfblution qu'ils faifbient paroître pour exa-
miner les mœurs d'un homme qui l'avoit ofFenfé , & il les
prioit enfliite comme par occafion de vouloir auflî s'informer
s'il n'étoit pas complice du livre imprimé fous le nom de
SchoocKius , fous le titre de Philofophia Cartcfîana^ ou, Admi- P^g " tom.3.
randa Mcthodus ^ dcc. où il étoit calomnié. Il ne prétendoit " ^"'^'
point abfolumentque Voetius en fût coupable , quoiqu'il en ^^^"^ P^S- '9»
fût entièrement perfiiadé , ou qu'il l'en crût au moins ref- ^ °
ponfable. Mais parce que tout le monde l'en fôup(^onnoit,
i^ croyoit avoir jufle faifbn de prier ces Meflîeurs qu'il leur
plût en faire information. Il déclara aufîî exprefTément qu'il
ce vouloit point fe rendre partie contre Voetius ^ &: ^u'il
frctejioit d'injures en cas qu'ils voulufîent prétendre quelq:7e
<ixoit dç jur^fdiôlioii fur luy. Enfin ij s'o&oit, au cas qu'il
î;9î L A . V î E De m. D e s c a r t e s.
. ^ fè troLivât quelque chofc dans fes écrits donc lis dëfirailèiit
"^ ^'__ plus de preuves qu'il n'en avoit donné, de leur en fournir
de fuffiiantes , lors qu'il leur piairoit de l'en avertir.
Cette réponfj de M. Defcartes a la publication des Ma-
C'etoientles n, , ,,, y r '■ > -ir • ■> i j
termes de giltrats d Utrecot ht connoicre a Voetius qu il cievoit re-
schoocKius. doubler lès follici cations. Il lâcha Ç^zs émiir.ires par la ville,
pour animer la populace contre cet ennemi prétendu de
leur Padeur &: de leur Religion. Il fuborna le plus qu'il
Pag. iz & 15 pût de témoins ^ & il n*en pût trouver que cinq qui étoient
4lu 3 tom. des toutes Créatures de fa faction, & qui ne dépoférent autre
chofe, finon que Schoockius étoit l'auteur du livre qui por-
toit ion nom Les moins récufibles de ces témoins corrom-
pus étoient Schoockius, & ce "S^aeterlaet difciple de Voe-
tius , qui avoit été le Répondant des fameuies tbéfjs de
Voetius contre M. Defcartes & M. Regius , & qui avoit
fèrvi à corrompre Schoockius , comme celuy-cy le déclara
depuis devant les Ju:^es de Groningue , au tribunal defjueîs
M. Defca-tes fut obligé de le traduire. Sans autres éclair-
ciilemens les Commiiîaires que le Sénat ou le Confeil de la
ville avoit établis pour connoîtrede c:tte affaire donnèrent
une ientence contre M. Defcartes, où {qs deux écrits ad-
drefîèz l'un au P. Dinet Tautre à Voetius furent déclarez
Pag. n & 12, libelles diiEimatoires le xiii , c'eft-à-dire félon nous , le xxiii
lofli. j. ^ç. Septembre de l'an 1643 fans qu'il fut averti de rien , 6c
fans avoir reçu même aucune nouvelle de fes amis d'Utrechtr
depuis le mois de Juin. Quelques fcmaines s'écoulèrent en-
cx)re dans ce fîlence myftérieux, jufqu'à ce que vers le mi-
lieu d'OAobre il reçut deux lettres l'une affez prés de l'au-
Luc Van. ^^*^î écrites d'une main inconnue & fins nom, par lefquel-
Vuyren. Jes on luy doimoit avis que l'Officier de Juftice par ordre
Chnft. Ro- ^^^ Ma^iflrats l'avoit cité pour comparoître en perfbnne
comme criminel. On ajoutoit qu il n ctoit pas même en lu-
reté :ians la province où il demeuroit,. à caufe que par un
accord fait entre les deux provinces particulières d'Utrechc
& de Hollande , les fèntences qui fe donnoient dans Tune
s'éxécutoient auiîi dans l'autre.
M. Defcartes ne fçût que penfer de ces lettres qui n'é-
toientde la main d'aucun de fes amis d'Utrecht. Il crut d'a-
bord que c'étoic une raillerie , 6c il ne s'en s'en émût point..
Mais
Livre VI. Chapitre XI. 193
Mais après y avoir fait une féconde reflexion, il s'en alla à 1^43.
la Haye pour s'en enquérir. Il y appric que la cholê écoic — -
telle qu on la iuy avoit écrite j ce il i^ut que la citation a- procédure da
voit été faite le 23 de Septembre , c'eft-à-dire le 3 a'Odo- j^une Voeùus
bre. On Iuy fit connoître en même têms qu'il ne s'agiffoit ^'^'
de rien moins que d'aller répondre à Utrecht fur les crimes
de l'atliéiime envers Dieu,&; de la calomnie envers un hom-
me de bien. Voyant que les choies étoient defefpérées pour
lu^■ , £iute d'avoir été fbmmé &; averti de ce qui s'étoit palTé
à Ucrecht depuis le mois de Juin, il ne trouva plus d'autre Lcttr. Mf. ou
remède que celuy d'aller trouver Monfieur de la Thuillerie £^1^"^\/^
AmbafTadeur de France, pour Iuy demander fa protection la Thuillerie.
contre ces entrepriiès. L'Ambafladeur (ans fçavoir d'ailleurs
que les bef^ins de M. Defcartes fuflent prelîans alla incon-
tinent parler à M. le Prince d'Orange , croyant Iuy donner
une nouvelle marque de (on amitié par la diligence qu'il
apportoit à le fervir. M. le Prince d'Orange fit écrire aufîî-
tôt aux Etats de la province d'Utrecht, èc les Etats de la
province employèrent incellàmment l'autorité qu'ils avoient
fiir les Magidrats de la ville , pour procurer à M. Defcartes
la iatisfaclion qu'il demandoit. Mais le fecours vint trop
tard, quoyqu'il produifit tout l'efFct que M. Defcartes a-
voit (buhaité. L'ignorance où il étoit de fes propres affaires
fut caufe qu'ayant demandé trop peu de choies à l'AmbaC
fadeur, le remède ne parut pas luffifànt pour arrêter le mal
dans fa fource.
Il n'avoit demandé autre chofè , finon que le cours de ces Elles abeutif-
procédures extraordinaires fût arrêté, parce qu'il croyoit Soient à fai-
qu'elles étoient les premières qu'on eût faites contre Iuy : 5]^eux"éerits^
éc il ne fçavoit rien de la fentence que les Magiftrats a- par la main
voient donnée contre Iuy le '- de Septembre, où les deux «^ubouueau.
écrits qui traitoient de Voetius avoient été condamnez. Ce
fut après coup qu'il apprit ce qui s'étoit pafTè : de la diffi-
culté qu'il fit encore pendant quelque têms d'en rien croi-
re venoit de ce qu'il avoit dans Utrecht des amis qui ne l'en
avoient pas averti, quoyqu'ils n'ûfïent point manqué aupa-
ravant de Iuy donner avis de la publication du H de Tuin. y-LeRccudi
Mais ceux qui 1 informèrent a la Haye de la vente du fait , ùas , &c. ut.
& qui par les habitudes qu'ils avoient à Utrecht avoient ^"P"^-
B b * appris
1^4
La Vie de M. Descartes.
164.^.
Toin
• 3-
des
lettr.
P^S-
IL,
«J.
Du bourreau.
V. la Ictîr.
Mf. de Defc.
à Picot du 7
de Novembre
* Ou au com-
mencement
d'Oaobre.
i6'4j, à U-
trecht in iv°
chez Guill.
StricK.
appris toutes chofes d'origine , eurent la bonté de luy dé-
couvrir encore le myftére de toute l'intrigue. Ils luy firent
remarquer que la publication du '^ de Juin avoit été faite
d'une manière plus éclatante que d'orduiaire j avec plus
d'appareil & une convocation de peuple plus iblennelle j
qu'elle avoit été imprimée, affichée, & diffcribuée avec grand
foin par toutes les principales villes des Provinces unies :
de forte que ce n'ctoit point merveille qu'il en eût eu con-
noifTince. Mais que depuis la réponfè qu'il y avoit faite le
/îxiémedejuillct, on avoit entièrement changé de ftile dans
la procédure j &: que fes ennemis avoient eu autant de foin
d'empêcher que ce qu'ils préparoient contre luy ne fiit fçû,
que s'il avoit été queftion de furprendre quelque ville en-
nemie. Ils avoient voulu néanmoins obfèrver quelques for-
mes ; & pour ce fujet la fêntence qu'ils avoient obtenue des
Magiftrats avoit été lue dans la Maifon de ville -, mais à une
heure ordinaire , après d'autres écrits , dc lors qu'on fè fut
apper^û de l'abfence de ceux qu'on jugeoit capables d'en
avertir M. Defcartes. Pour les citations de l'Officier dejufl
tice , qui dévoient fuivre la fêntence , ils ne s'étoient point
fonciez de prendre tant de précautions , croyant que M.
Defcartes, éloigné des lieux comme il étoit, ne pourroit
point en être averti aflez tôt pour y apporter du remède.
En eiFet fes hvres étant déjà condamnez, & luy-même cité
en perfonne, ils fe doutoient bien qu'il ne comparoîtroit
pas, & que la fêntence feroit donnée par défaut. Ils étoient
afTûrez que cette fêntence n'iroit pas moins qu'à le con-
damner à de grofïes amendes, à le bannir des Provinces
unies , Se à faire brdler fes livres : Se Ton prétendoit que
Voetius avoit déjà tranfigé avec le bourreau pour faire un
feu d'une hauteur demefurée , & dont on pût faire mention
dans l'hiftoire comme d'une chofe extraordinaire.
Le deflein de iès ennemis étoit après cela de faire impri-
mer fous le nom de l'Univerfité d'Utrecht une Narration
hiftorique de tout ce qui auroit été fait ( fèmblable à celle
que Voetius avoit publiée fur la fin de Septembre :, * conte^
nant ce qui s'étoit pajfTé contre M. Regius, depuis qu'il eût
acquis une chaire de Profeireur,ju{qu'à la défenfè qui luy
fut faite d'enfeigner la Philofophie nouvelle fous le titre de
LiVKE VI. Chapitre XI. 195
2^ dr ratio hifiorica quk défende quk exîer minât ^ noviC philo fo-
fhi^. ) On devoit ajouter à cette féconde Narration hiflori-
que les témoignages de vie & de mœurs * que Voetiusavoit
demandez, tant aux ProfefTcurs de l'Univerfité, qu'aux Mi-
nières & Anciens du Conlîftoirc. On devoit l'accompagner
auiTi de quelques pièces de vers, tant pour louer Voetius,
que pour blâmer M. Defcartes, afin que les exemplaires en
étant répandus par toute la terre félon lesmefures qu'ils en
avoient prifes , M. Defcartes ne pût plus aller en aucun lieu ,
où il ne trouvât fon nom diffamé , &: où la gloire du triom-
phe de Voetius ne s'étendît.
M. Defcartes ayant appris que la confîdération de TAm-
bafladeur de France avoit fait arrêter les procédures , vou-
lut avant que de quitter la Haye employer l'indu ffcrie de fès
ainis pour tâcher de découvrir les fondemens ou les pré-
textes qu'on avoit eus pour procéder contre luy de la for-
te. Tout ce qu'il put apprendre fut, que depuis la premiè-
re publication des Magiftrats , tous les fauteurs &; les émif.
fàires de Voetius avoient été continuellement occupez à
méJire de luy dans toutes les compagnies ^ que par ce moyen
ils avoient tellement animé le peuple, qu'aucun de ceux qui
fçivoient la vérité, & qui avoient horreur de leurs calomnies,
ii'ofbit rien dire à fbn avantag-e , fur tout après avoir vu
le traitement qu'on avoit fait à M. Regius. Mais que néan-
moins lors qu'on examinoit toutes les chofes que ces émifl
fàires debitoient de luy, on trouvoit qu'elles fe rapportoient
à deux points. » L'un , qu'il étoit difciple des Jéfuites • que
c'étoit pour les favonfer qu'il avoit écrit contre le grand
défenfeur de la Religion Réformée Gifbert Voetius • 6c
que félon les apparences il avoit été envoyé par eux pour
exciter des troubles dans ces provinces. L'autre point écoir
qu'il n'avoit jamais été ofFenfé de Voetius • que celuy-cy
n'étoit point l'auteur du livre écrit contre luy , mats Scho-
ock-ius feul qui le trouvant aufli alors dans Utrecht l'en a-
voit entièrement déchargé, bc vouloit bien en retirer liir
luy tout l'honneur ou tout le blâme qu'il pourroit produire.
En effet il paroilîbit que la fentence donnée contre luy n'é-
toit fon ée que fur ces deux points , s'il eft vray qu'elle fiic
telle qu'on la trouve imprimée dan^ le libelle an; nyme, où
Bb* ij le
V. Ialctcr.de
Dcfcaux Ma-
gi'.lrats d'U-
trcchr.
* Ces témoi-
gnages ont c-
té imprimez
Hatis le Re-
cueil de jeune
Voetius, in-
titulé Aenge-
vangen.
Lettr.ou Rcq.
à M. de la
Thuilleric
Mf. & tom, î
dcslcttr.
Pag. i ,du
et j vol de&
Icttr.
Intit. Aenge-
vangen Proce-
dhtreu , ^c.
ï 643.
»5
>5
initio.
La gloire &
rornement
des Eglifes
Calviniftes
des Pais- bas.
* Sç. les Mi-
nimes. Voyez
cy-dcffus.
Le P. 3our-
din.
Pag. i(î du ;.
vol. des lettr
1^6 La Vie D e M. Descartes.
le jeune Voetius recueillit les procédures faites contre M.
Deicartes.
Avec ces éclaircillemens M. Defcartes crut devoir tra-
vailler à fa juftification , afin de faire voir fon innocence ôc
l'équité de fa caufe à touj ceux quipouvoient en avoir con-
çu une opinion defàvantageufe. La chofe étoit aiiëe pour
le premier point, lors t]u'on confidéroit fon païs 6c fa Reli-
gion. " Il n'y avoit que les ennemis de la France ou de l'E-
ojlife Romaine qui puifent luy faire un crime d'être ami des
Jéfuites, c' eft-à-dire , de ceux à qui nos Roys ont coutume
de communiquer le plus intérieur de leurs penfées en les
choifiilant pour confefTeurs. Réflexion qui paroifToit d'au-
tant plus remarquable, que le Père Dinet qui avoit été
choifî depuis peu pour être ConfelTeur de Loiiis XIII
étoit le feul auquel on luy reprochât d'avoir écrit. Les zè-
le Reliî^ionnaires dévoient d'ailleurs trouver moins mau-
vais qu'un Gentil-homme François fut de la même Religion
que fon Roy, que de voir le Miniftre Voetius, unThéolo-
o;ien de profeffion , un chef du clergé réformé, qui afFectoit
de fè faire appeller Ecclcfiarum Bclgicarum décris ^ ornamen-
tum^ chercher néanmoins à ie liguer avec quelques-uns de
nos Religieux, * jufqu'à les appeller les défenfenrs de la Vé-
rité , pour mieux s'infinuer dans leurs bonnes grâces. La
malignité de Voetius dans les reproches qu'il luy faifoit de
l'amitié qu'il avoit pour les Jéfuites, étoit encore plus évi-
dente, lorsqu'on confidéroit que l'Ecrit qu'il alléguoit pour
cela étoit compofé contre un Jéfuite même avec lequel il
s'étoit reconcilié depuis. De forte que ce Miniftre qui ie
déclaroit l'ennemi juré des Jéfuites fembloit néanmoins s'ê-
tre rendu leur nrocureur, en obtenant des Mag-iftrats de fà
ville la condamiation de cet Ecrit.
Pour ce qai efl de l'autre point concernant le véritable
Auteur du livre qui portoit le nom de Schoockius, il en
pouvoit venir aifément à bout , en nommant A^^^ témoins
qu'il avoit en grand nombre pour vérifier le fait. Mais il
crut que le chemin le plus droit étoit de s'adcirefTer à Scho-
ockius, afin qu'il pût être puni au lieu de Voetius, s'il vou-
loit fe charger de fon crime j ou que s'il n'avoit point afièz
de charité pour cela, il fût au moins obhgé de découvrir
la
Livre Vî. Chapitre XI. 197
la vérité pour mériter le pardon. Il prit donc le party de
1-e citer à Groningue devant fcs Juges naturels, avec îtfqucls
il n'avoit jamais eu la moindre habitude. Quoique Sclioockius
les eût tous pour amis, de qu'il fiit même actuellement Rec-
teur de leur Univerfîté lorsqu'il forma fa plainte contre luy,
il eut pourtant ailez bonne opinion de leur intégrité & de
leur fuffifance , pour efpérer qu'ils ne luy rcfufcroientpas la
juflice qu'il leur demandoit.
Cette afEiire acheva de perdre la réputation de Voetius
parmy les honnêtes gens de fa Religion. Elle couvrit de
confufion les Magiflrats d'Utrecht, dontplufieurs tâchèrent
de s'excufer fur ce que n'ayant pas étudié , & ne fçachant pas
quels pouvoient être les difFérens des gens de Lettres, ils s'é-
toient crus obligez de prendre les intérêts de leur Miniftre
de de leur Théologien contre un Cathohque étran2;er , efti-
mant que le zélé pour leur Religion redifîeroit fuffifam-
ment leur ignorance & leurs procédures les moins régulières.
Elle fervit aulîî à faire connoître la multitude des amis que
M. Defcartes avoit à la Haye, à Leyde , à Amfterdam, 6c
généralement par toutes les Provinces-unies , 6c à luy en
acquérir un grand nombre de nouveaux , qui blâmèrent hau.
tement les procédures d'Utrecht , dés quelles devinrent pu-
bliques : de forte que la principale occupation de M. Dell
cartes pendantles moisd'Odobre 6c de Novembre, fut d'é-
crire des lettres de remercimens par centaines. Divertiiîe-
ment moins odieux, mais auffi nuifîble à fes occupations que
les follicitations de ion procez.
1(^43.
Lettr. Mf. a
MeiT. du 1 1
de Décembre
1643.
Lettr. Mf. i
Picot du 7.
Novemb.
B b iii
CHAP.
I <3 4 3*
Ï9S La Vie de M. Descartes.
CHAPITRE XII.
Z'Abbé picot quitte M. Defcartes pour retourner en France , ^
fait un voyay; en Touraine four acheter une terre. Avis que
M. Defcartes luy donne là-deffus. M. de Ville- Breffïeux de-*
mande k retourner auprès de M. Defcartes. Raifms de le dè^
tourner devenues inutiles. Jl demeure avec luy jufqtiau voya-
ge de France. M. Defcartes fait un Ecrit touchant les jets à' eau.
Il reçoit des deffeins de jardins. Invention du P. Grand- Amy
four faire une aiguille qui ne décline point. Nouveau fuj et
d'eflime de M. Defcartes pour M. de Roberval. Af. Defcartes
reçoit quelques livres nouveaux ^quelques expériences ^dont il
dit fon fentiment,.
L
A fuite dans laquelle on vient de voir le détail des
aiFaires que M. Defcartes a eues à Utrecht pendant
tout le cours de cette année , étoit nécelîaire pour ne pas
diflraire l'efprit du lecbeur à qui il eft toujours pénible de
partager ion attention. Dés le commencement de l'année,
ou fiir la fin de la précédente l'Abbé Picot qui l'étoit venu
voir avec l'Abbé deTouchelaye Gentil-homme de la ville
de Tours , frère de fbn amy, Tavoit quitté pour retourner
en France : & fur ce qu'il luy avoit communiqué le deiïeiii
qu'il avoit de faire un voyage en Touraine pour y acheter
une terre ^ M. Defcartes luy récrivit le 2 jour de Février en
" ces termes, 55 Je /buhaite que vous puiifiez trouver enTou-
7 Février '* raine une terre à vôtre contentement. C'cfl; un beau pais r
'^4j« , A. » mais je crains que la menue Nobleiïe n^y foit importune,
55 comme elle cft prefque par toute la France. Pour mon hu-
53 meur, je choifirois plutôt d^icquérir du bien en un mauvais
55 païs qu'en u;i bon , à caufe que pour le même argent j'au-
53 rois un» étendue de terre beaucoup- plus grande , &; ainfî
^55 je ne fèrois pas 11 aifement incommodé de mes voilins. Mais
3^ c'efl: d'ailleurs une grande douceur d'en avoir qui foienc
53 honnêtes gens : & je vous allégueray pour exemple M. de
w Touchelaye , dont le voifinage vous feroit fins doute fort a-
^5 gréabie. Il luy communiqua à ion tour \qs deiTeins qu'il a-
vojc
Lettr. Mf.
de Defc
Livre VI. Chapitk E XII. 199
voit de faire imprimer premièrement fa Philofopliie, c*eft-à- 16 4.1
dire fcs Principes de Phylîqiic pendant l'année qu'il devoit
pafTer dans la maifon qu'il venoit de ioticr à Egmond du Hoef :
&au bout de l'an, dont le terme ponr le loiiage devoit ex-
pirer le I de May de 1644, de venir en France, pour tâcher
de fortir d'afFaire avec M. de Li Bretailiiére fon frère aîné,
dont Monfieur Picot connoiiToi: les diipoiitions peu favo-
rables.
M. de Ville-Breffieux Médecin de Grenoble , dont nous
avons eu déjà occafion de parler, fbllicitoit fbn retour auprès
de M. Defcartes, dans le temsque M. Picot prenoit fès me-
ilires pour revenir d'auprès de luy. Il liiy en écrivit par la '^°™' *• <***
yoye du P. Merfenne dés la fin de l'année précédente. M. ^""' ^* ^^ '
Defcartes en récrivit à ce Père en ces termes. >î Je ne fuis
point fâché d'avoir appris des nouvelles de celuy dont vous
m'avez envoyé un mot de lettre. C'eft un homme fort cu-
rieux, qui étant autrefois avec moy fçavoit déjà quantité de ^
ces petits fècrets de Chymie qui fè débitent entre les gens es
de ce métier. S'il a continué comme il paroît l'avoir fait , il
en doitfçavoir beaucoup maintenant. Mais vous f^avezque
]e ne fais aucun état de tous ces fècrets. Ce que j'eftime en
luy, effc qu'il a des mains pour mettre en pratique ce qu'on ce
luy pourroit prefcrire en cela^, & je le connois d'afîez bon
naturel. Il m'offre de venir icy : mais je ne le fbuhaiterois
pas maintenant, à caufè que je ne veux point m'arrêter à fai-
re aucunes expériences, que ma Philofbphienefbit imprimée.
Mais après cela , s'il eft vray qu'il foit entièrement libre, de
qu'il n'ait point de meilleure fortune , je ne ferois point fâché
de l'avoir pour quelque têms avec moy. Je vous prie néan-
moins de ne le luy pas dire , car il peut arriver mille ob-
ftacles avant ce têms-Ià qui pourroient rempèchei* : & je ne
voudrois pas luy donner fujet de fe tromper dans fbn conte,
qui eft la faute des Chymifles la plus ordinaire. Mais fî vous
fçavcz l'état de fli fortune, ôc ce qu'il fait maintenant, je
ne ferois point fâché de l'apprendre de vous. M. de Ville-
Breflieux tâcha de retenir fà pafïïon pendant prés d'un an :
mais ayant redoublé fes infiances par de nouvelles lettres,
6c par d'autres fbllicitations , M. Defcartes pria le P. Mer- utu. Mf. i
fènne de luy faire fçavoir qu'il le difpenfoit de ce voyage, ^^'^ • «i-
parcequ'il
su.
ce
«
((
ce
ce
ce
ce
ce
ce
ee
ce
ce
ce
ee
ce
ee
ce
l'a II
Dec J64J.
200 La Vie de M. Descartes.
1643, parcequ'il devoir aller à Paris dans quatre ou cinq mois pour
fès affaires domeftiques. Cette raifon ne fut pas alfez forte
Bortii. vit. pour arrêter M. de Ville-Brelfieux. Il alla trouver M. Def.
comp. pag.î. ç^j.^Q^ Q^^ Nort-Hollande, auprès de qui il demeura jufqu'au
voyage de France , où il l'accompagna , comme nous l'appre-
nons de fbn ami M. Borel , qui témoigne qu'il ne le quitta
pas même dans Paris.
Comme les amufèmens de M, Defcartes n'étoient point
fans quelque motif d'utilité, & que fbuvent ils étoient plus im-
portans que les occupations férieufes de plufieurs autres, nous
ne ferons pas difficulté de rapporter icy quelques-uns de
ceux qui contribuèrent pendant- cette année aie divertir du
double embarras que luy caufbit fon procez d'Utreclit, &:
Timpreffion de Ces Principes commencée vers le milieu de
l'Eté. Ce fut pendant ce têms qu'il envoya à M. de Zuytli-
chem fon opinion touchant, les jets d'eau. Il en fit une jufte
dilîertation à la follicitation du P .. Merfenne , qui s'écant dé-
fié de fbn propre crédit s'étoit adreiTc à M. deZuytUchem,
dans la penfée que M. Defcai'tes feroit plus exact éc plus ar-
dent par la confîdération de ce GentiLhomme , que par la
Tom.z.p.jîo. fienne. Ce qui porta M. Defcartes à faire la leçon à ce bon
V. l'Ecrit Père fur fon peu de confiance, &: à luy reprocher Terreur
ibid- p. ;4t. 011 il auroit été de croire qu'il fe pût trouver quelque autre
de fes amis, qui eût eu plus de pouvoir que luy fur fbn ef-
prit. Les raifbnnemens qu'il avoit employez pour étabhr fbn
opinion dans cet écrit luy paroillbient fi vrays, qu'il mand.i
à M. deZuythchem, que >» s'il penfbit que le mouvement per-
paff. 504. « pètuel d'Amfterdam le fût autant , il ne c'.outeroit pas que
ibid. „ celuy qui en étoit l'Auteur n'eût bien-tôt trouvé les quinze
„ ou vinp- chetifs millions d'kus dont il craignoit qu'il n'eût en-
,5 core befbin pour l'achever.
Ce fut aufîi vers le même têms qu'il reçût les defleinsdes
Tom. zdes Jardins des Tuillerics & de Luxembourg, qu'il avoitrecom-
Ictir.p. 506. n^andez à ce Père touchant le foin de choifir d'habiles def^
Item p. 304. finateurs, en luy marquant qu'il ne plaindroit point fept ou
cjuf. aiom. huit fifioles pour chaque defièin. Il en avoit encore chargé
de nouveau l'Abbé Picot: mais fon voyage en Touraine fut
caufe que M. Hardy Conf^iller au Chatelet voulut pren-
dre le foin de toute cett,; affaire en fon abfence. Ils furent
tirez-
LivkeVI. ChapitreXII. lor
tirez par les Jardiniers mêmes de ces deux jardins, qui s'é-
toient trouvez les plus propres ôcles plus habiles pour cela:
^ M. Defcartes les fit prier de ne pomt prendre d'argent
d'une autre main que de celle du P. Merfenne, à moins que
l'Abbé Picot ne Iqs eût payez par avance. Ce qu'il avoit
demandé en cette occaflon étoit moins pour luy que pour
un de Ces amis, qui s'étoit borné à ne fbuhaiter même que
ce qui regardoit le Luxembourg. Il en avoit écrit plus d'un
an auparavant au P. Merfenne en ces termes. •» J'ay une
prière à vous faire de la part d'un de mes intimes amis. C'efl
de nous envoyer lo plan du jardin de Luxembourg, & mê-
me auffi des bâtimens, mais principalement du j.rdni. On
nous a dit qu'il y en avoit des plans imprimez. Si cela eft,
vous m'obligerez de m'en envoyer un ^ ou, s'il n'y en a point,
de faire en forte de l'avoir du Jardinier qui l'a fait. Si cela
ne fj pouvoit, je vous prierois de le faire tracer par le jeu-
ne homme qui a fait les fig iresde maDioptrique j Scde luy
recommander qu'il obièrve bien toute l'ordonnance des ar-
bres & des parterres : car c'eft principalement ce dont on a
affaire.
M. Defcartes reçût encore dans le même têms l'inven-
tion du P. Grand-amy Jcfuite y pour faire une aiguille qui
ne décline point. Il manda au P. Merfenne en le remerciant
de la luy avoir envoyée, que « laraifbn luy perfuadoit que
cette aiguille devoit beaucoup moins déchner que 1-S autres,
mais non pas qu'elle ne dût point abfblument décliner. Il
luy témoigna qu'il feroit fort aife d'en apprendre l'expé-
rience, afin de voir fî elle s'accorderoit avec fès raifbns, ou
plutôt fes conjectures. Sçavoir^» Que la vertu de l'aiman
qui eft dans toute la mafîe de la terre fe communique en
partie fuivant la fuperficie des pôles vers l'équateur , & en
partie aufîî fuivant des lignes qui viennent du centre vers la
circonférence. Or la déclinaifbn de l'aiguille parallèle a
l'horizon efl caufee par la vertu qui fe communique flii-
vant la fuperficie de la terre, à caufe que cette fuperficie
étant inégale , cette vertu y efi plus forte vers un lieu que
vers un autre. Mais l'aiguille qui regarde vers le centre é-
tant principalement tournée vers le pôle par la vertu qui
vient de ce centre ne reçoit aucune déclinaifon ^ 6c elle ne
Ce * décUneroic
1643.
ce
ce
ce
ce
Ci
ce
ce
ce
C(
Pag. 510.
tom. 1.
Voyez auflî
et p.307- tom.
1.
202 La V I E DE M. Descartés.
1643. '5 décliiieroit point du tout, il fa vertu qui vient de la fuperfî-
^ . 53 cie n'agiiloit auffi quelque peu contre elle.
Il reçut encore , mais un peu plus avant dans l'année , une
belle queflion de Géométrie de la part de M. de Robervai,
avec fa figure èc fa démonflration. Quoique nous ne puiC
.^ . fions dire maintenant quelle étoit cette queftion, nous fom-
Mcrf. du ' -mes obligez pour l'honneur de M. de Roberval de rappor-
II. Dec. ter les marques de l'eflime qu'en faifbit M Defbartes. » Il
^^^^* 55 y a fortlong-têms, dit-il auP.Merfenne , que j'ay reçu la
53 queftion de M. de Roberval avec la figure, éc je penibis
33 vous en avoir remercié , & vous avoir écrit que je la tiens
33 pour l'une des plus belles que j'aye jamais vues. Sa démon .
53 ftration eft extrêmement jufte & ingénieufe. J'ay à le re-
53 mercier luy-même du favorable jugement qu'il fait de moy
53 à la fin de fa lettre. A quoy j'ajoute , que je rends grâces
33 trés-humbles à M. de Carcavy de m' avoir fait la faveur de
33 m'envoyer cet écrit : ce que je n'avois pd faire auparavant,
33 parceque vous ne m'aviez point mandé qu'il vint de luy. Ce
témoignage mérite de devenir public, pour faire voir que fi
l'amitié de M. de Roberval avec M. Defcartes étoit chance-
lante 6c fujette aux révolutions que produifbient les mou-
vemens divers du cœur de M. de Roberval ^ leur eftime
réciproque étoit au moins toujours égale , & toujours par-
£ute.
Outre des queftions , des inventions, Scdes defTeins, M.
Defcartes reçût aufîi quelques livres nouveaux pendant le
cours de cette année. Les principaux furent la Perfpedive
Lcttr. Mf. à de ]vi^ des Argues dont nous avons parlé ailleurs 3 les Let-
Dé^I'^ell! ^l'^s de M. GalFendi 3 èc un traité de l'usage des Orgues.
On voulut auffi luy envoyer quelques manufcrits de Mon-
iîeur Hobbes, fbit pour fatisfiire ùi curiofité, fbit pour luy
en faire dire fa penfée. Mais il rappella l'idée que la ledure
du livre de Cive luy avoitlaiiTée l'année précédente de l'eC
prit de M. Hobbes 3 & il témoigna au P. Merfenne qu'//
Pag. yo7 du n étoit p^i^ curieux de voir les écrits de cet ^nglois. Il kiy manda
1. tom.des ^^|]^ qu'ayant eu chez luy les Epîtres de M. GafTendi pen-
^^ ^* dant quelques jours, il n'en avoit prefquelû c^.iqV Index, c^\i
fe trouvoit au commencement, d'où il avoit appris que l'Au-
teur ne traitoit d'aucune matière qu'il eût befbin de lire.
Mais
1^43-
tom. z , &
pag. îo3.
LivreVI. Chapitre XII. 203
Mais il en prit occafîon de demander à ce Père, s'il était vray
qae M. GafTendi eût la bonne lunette de Galilée, comme il
Ven avoit alTuré autrefois ^ Ci elle étoit aufli excellente que
Galilée avoit voulu fliire croire 3 & comment paroifîbient
pour lors les fatellites de Saturne par fon moyen. Il le remer- Pag, ^ 08,^09,
cia par la môme voye de l'expérience de l'air pefe dans une ^lo.duztom.
arquebuze à vent, lorfqu'il y efl; condenfé ; croyant néan-
moins que c'étoit plutôt l'eau mêlée parmi l'air ainfî con-
denfé qui péfè tant, que non pas l'air môme. Il fitisfit aufîî
le même Père fur d'autres expériences concernant le mou-
vement des boules de mail de différentes grandeurs ; du
noyau de cerife qui fort obliquement des doits ^ mais par-
ticulièrement fur l'expérience du poids, qui va du Midy au
Septentrion, & qui s'accordoit fort bien avec fès fpéculations
touchant le flux de le reflux de la mer.
Pour le traité de Tufige des Orgues il paroi t qu'il étoic
fort au goût de M. Defcartes, quoique l'ouvrage fè fût at-
tiré des cenleurs. Il s'intérefla beaucoup à fà fortune, & il
en voulut confbler fbn auteur qui étoit de fes amis. ?> Je ne
m'étonne plus, dit-il , que l'on contredifè à mes écrits, &:
que mes opinions rencontrent beaucoup d'adverfaires , puifl
que vôtre innocent traité de l'ufage des Orgues qui efl plus
doux que leur harmonie , & que je ne croyois pas moins
puifîant que la harpe de David pour chafîer les efprits ma-
lins , a trouvé des amateurs de difcorde qui l'ont attaqué.
J'ay pris plaifîr à voir à la fin du livre que vous m'avez fait
l'honneur de m'envoyer , comment la feule ombre de vôtre
nom peut fulminer &c frapper de haut ceux qui le méritent.
Vous n'auriez f(^û choifir une meilleure manière de répon-
dre aux impertinences d'un étourdy : & pour les apoftilles *
que j'ay vues au commencement de ce même livre , je veux
croire qu'elles viennent d'un fc^avant homme , mais je ne vois
pas quelles contiennent aucune démonflration. Ilmefemble
que c'eft vouloir un peu trop faire le pédagogue ^ ou le
cenfèur dans des matières où il y a des raifbns à dire de
part de d'autre, que d'entreprendre de s'oppofer à celles qui
ont déjà été écrites par un honnête homme.
Pag. 306.
du 1 . vol.
des Icttr.
* ou NB.
i.c.Net*
beïiè.
Ce
*
Ch AE..
î645
204 La Vie de M. Descartes.
CHAPITRE XIII.
Libelle diffamatoire contn lapcrfonne (l;- les Méditations de M.
Defcartcs^ forti de la boutique de Voetlus. Infiances ou Répliques
de M. Gajjendi à la Rèponfe que M. Defcartes avoit faite k
• fes objeclions fur les Méditations. Intrigues de M. de Sorbiére
pour fervir M. Gajfendi contre M. Defcartes , ^ pour imprimer
en Mollande ce qu'il avoit écrit contre lui. Douceur de M. Gaf
fndi préjudiciable a la bonne caufe de M. Defcartes, Objec-
tions de M. Caramuël contre les Méditations de M, Defcartes y
^ fon commerce avec M. Gaffendi. Sorbiére ^Bornius décrient
les Méditations de M. Defcartes , ^ ils élèvent M. Gaffendi
au deffus de lui. Préparatifs du voyage de M. Defcartes en
France. Difpute fur le vuide.
L
ledeu
Es difficulrez quekledure des Méditations Métaphy-
fiques de M. Defcartes faifoit naître dans i'efprit dQs
ledeurs n'avoient pas été entièrement épuifees par le grand
nombre des objeébions qui avoient paru avec lès réponlès.
Quoique l'Auteur en fût allez perfuadé , il ne laillbit pas
d'efpérer de la part des perfbnnes raifbnnables la difpeniè
de répondre dorénavant à celles qu'il plairoit aux Particu-
liers de luy faire dans la fuite. Il étoit trés-jufte qu'il l'ob^
tint pour des objections de la nature de celles qui compo-
(bient le libelle in pnmam Philo fophiam Carte fanam JSJ'ota-) auc-
tore Theophilo Cofmopolita.^ imprimé in xvi durant l'été de cet-
te année fans nom d'Imprimeur , fur une copie qu'on ^(^i-
gnoit avoir été imprimée d'abord à la Haye. L'impoflure
&; la calomnie y régnoient depuis le titre jufqu'à la conclu-
fîon du libelle. L'extravagance du ftile & la groffiéreté
ài'^s injures dont il étoit rempli refïembloit fi fort à celles que
M. Regius attribuoit à Voetius dans fa clafïe&: fes conver-
fations , qu'on peut raifonnablement préfumer que de tout
ce qui pouvoit appartenir à Voetius , il n'y avoit que fbii
Lcttr. Mff. ^^"^ ^^ caché dans tout ce libelle , & que fon efprit s'y pro-
aj, 14 , de duifoit par tout. Voetius n'en ufoit prefque plus autrement
Regius à j^^5 iç5 écrits diffamatoires qu'il avoit foin de faire répan-
Defcartcs. ^ •'■1
LivreVI. Chapitre XIII. Z05
dre contre M. Defcartes, fouvent fous un nom emprunté, 1643.
& quelquefois fous un nom poRiche. '
Ce n'étoit pas à des libelles de cette efpéce q ;i périf-
foicnt dans leur naillance , mais à des livres de la force &c
de la bonté de ceux de M. GalFcndi que M. Defcartes devoit
répondre. Il en convenoit à l'égard des premiers, àc il au-
roit l'ouhaité de bon cœur qu'il en eût été de même à l'é-
gard des autres. Mais M. Gaflendi l'obligea de rentrer dans
une lice d'oii il croyoit être Ib rti avec afîcz d'avantage par
fes réponfes aux cinquièmes objections, que ce fçavant Piii-
lofophe avoit faites à fes Méditations. M. GalTendi s'étoit
laifle aller aux perfuafions de M. de Sorbiére & de quel-
ques autres de fes amis, qui luy avoient repréfenté l'impor-
tance de faire des Répliques aux Réponfes de M. Defcar-
tes. Il avoit employé les premiers mois de l'année 1641a
ce travail, pendant que M. Defcartes étoit occupé des affai-
res de M. Regius. M. de Sorbiére qui regardoitcét ouvra-
ge comme le fruit de fes foUicitions , s'étoit chargé de préve-
nir les efprits en fa fiveur , &; d'en établir la réputation dans
toute la Hollande avant qu'on pût le voir. Il avoit déjà ob-
tenu parole d'Elzevier pour l'imprimer à Amfterdam , de
s'étoit retenu luy-même pour en corriger les épreuves. M.
Gaflendi de fon côté pour ne point négliger fa réputation,
avoit eu foin de faire fçavoir ce qu'il faifoic à ceux qu'il
connoifîbit n'être pas fort afFedionnez à M. Defcartes, ôc
il leur faifoit paflèr fon Ecrit de main en main pour tirer
quelque avantage de leurs mauvaifes difpofitions.
M. Defcartes en fut averti: mais n'ayant pas le don de Sorbier e-
diflimulation, il alla innocemment découvrir à M. de Sor- fcnd.^pacr^ '
bière ce qu'il penfoit d'une femblable conduite : ôc ne f(^a- 447. col. i.
chant pas qu'il parloit à l'efpion de M. GafTendi, qu'il re- Jfm-^-.oper.
cevoit chez luy comme un def^s amis, il luy déclara un peu
trop franchement que c'étoit M. Gaflendi qu'il avoit dans
la penfée , lors qu'il s'étoit plaint de certaines gens qui don-
noient à lire fecrétement à fes ennemis ce qu'ils écrivoient
contre luy. M. de Sorbiére ne laifTa point périr cette dé-
claration : & après l'avoir envenimée de la manière qu'il ju- J- JJ" jç''.*^' ^
gecit la plus propre pour blelFer M. Gaflendi , il la luy en-, pag^ s^s.
voya, en luy marquant que puifque M. Defcartes trouvoit 686. &c.
Ce* iij mauvais
20^ La Vie de M. Des cartes.
I ($4 3. mauvais- qu'il tint fès In/J-anccs ou Répliques cachées , il de-
* ■ voit luy donner la iatisfaclion qu'il luy avoit demandée de
les voir paroître en public.
Il luy en écrivit encore depuis, pour le porter à luy en-
voyer Çow manufcrit en Hollande afin de le mettre fous la
prefîe^ & il employa même la médiation du P. Merfenne ,
qui ne fit point difficulté de fe joindre à luy dans la perflia-
fion qu'il s'acdfioit de rendre quelque fervice à M. Defcar-
tQs de au public. De forte que M. GalPendi s'étant laifie
V. Vit. Gafl*. vaincre luy envoya fa copie le 9 jour de Juin 1643 avec une
peiSoiber. lettre d'excufè fur Ton retardement, dont iLattribuoit la
^ °' ' caufe à la multitude des curieux de la ville qui avoient re-
tenu , & communiqué même fbn Ecrit dans les provinces â
d'autres curieux. Il luy en abandonna la difpofition avec la
liberté d'en fan-e tout ce qu'il jugeroit à propos : ^ il ne luy
Epift. Gaf- impoia point d'autre obligation que celle de fe fouvenir que
fend, ad Soi-- f^^ Ectit ii'avoit été fait que pour ceux de leurs amis, qui
fîx. cdit. Du- 11^ pouvoient loufrrir que M. Delcartes \e vantât a avoir en
bic.&inftant. des adverfaires. C'efl-à-dire que M. GafTendi prétendoit
prouver par fon ouvrage contre M. Defcartes , qu'il n'étoit
point fbn adverfàire. En quoy il ne réulFit ny dans l'opinion
du Public, ny dans celle de M. de Sorbiére, qui ne cher-
choit dans toute fa conduite qu'à faire un illuftre adverfàire
•à M. Defcartes. M. de Sorbiére ayant reçu. l'Ecrit, crut
devoir le joindre avec les premières objedions qu'il avoit
faites aux Méditations Métaphyfiques , & faire imprimer
Tun & l'autre ouvrage avec les Réponfes que M. Def^
cartes avoit déjà publiées à la fin de fes Méditations. Il en
fit un corps de compofition , qu'il divifà par parties félon
l'ordre & le nombre des Méditations de M. Defcartes. Il fou-
divifà chaque partie par chapitres ou articles , à la tête deC
quels il mit à la prière de l'auteur des titres ou fbmmaires de
fà façon^ pour la commodité des ledeurs , qui veulent être
prévenus de ce qu'ils vont lire. Il fit en forte que chaque
article contint premièrement une des anciennes objedions
fous le nom de Dubitatio ^Qn fuite la réponfe de M. Defcar-
tes , félon que les unes & Iqs autres avoient déjà été impri.
mées , puis la réplique à cette réponfe fous le nom àlnf-
tantia ^ qui étoit ce qui^n'avoit pas encore paru. Il y fit une
manière
Livre VI. Chapitre XIII. 207
manière de préface , dans laquelle il fie dire au Libraire tout ■" ""
ce qu'il voulut , fans s'expofer ouvertement au chagrin de ^ "43-
M. Defcartes. L'ouvrage parut l'année ftii vante in îv° à
Amfterdam fous le titre de Difquiftio Metaphyfica , feu Du-
hitationes ^ Inftanti^ adverfics Renatt Cartefii Metaphyjîcam
^ Refponfa : & il fut r'imprimé quatorze ans après à Lyon
in folio au troifiéme volume de fes œuvres.
M. de Sorbiére* après avoir fuffifamment maltraitté M. *sousicnom
■r^ r j 1 T J ^ 1- • r r ■ r "" Libraire
Delcartes dans la prerace de cette édition , ht Içavoir la re- paa. iss.tom,
tenue & fa modération à M. Gaflendi ^ & il luy manda que ^.op.Gaflentî.
la violence qu'il s'étoit faite pour ne pas dire plus d'injures Pag.46t.tom.
à l'adverfaire , étoit un effort qu'il avoit fait pour tâcher p °P^^' ^^^"
d'imiter la douceur qui paroiiToit dans fon livre. L'applica-
tion qu'avoit M. de Sorbiére à profiter des belles qualitez
des grands hommes dans leurs converfations , étoit fans
doute fort louable. C'eft dommage qu'il ne s'avifât point
de vouloir joindre à la douceur de M. GafTendi la franchi-
fè de M. Defcartes, ôc cette étonne confcience qu'il avoit tou-
jours reconnue en luy, &; dont il témoignoit avoir eu des Pag. <î5>î.dcs
'preuves convaincantes , lors qu'il étoit à la Haye & à Eynde- \"'^ f °'^*^'
n -KK ■ r ce >r- >v > de Sorb. m
geeft. Mais les ertorts n ont fervi qu a nous montrer qu au ly.
moins la douceur de M. Gafîendi étoit inimitable pour luy.
Aufh étoit-elle en un degré où peu de gens puflent fe van-
ter de pouvoir atteindre. Elle fe faifoit admirer même des
Cartéfîens, à qui M. Defcartes avoit appris par la pureté
de fes maximes à s'attacher non à fà perfbnne ou à Çqs in-
térêts, mais à la vérité &: à la juftice, quelque part que l'une
&; l'autre fe trouvafîent. C'eft pourquoy le heur Adrien
J-îeereboord Profefïeur en Philofophie dans l'Univerfité de Pag. éss.des
Leyde , quoique Cartéfien déclaré , ne fît point difficulté l^ttr.dcSorb.
de complimenter M. Gafîendi fiir la modération qu'il avoit
apportée dans cet ouvrage. 11 loiiamême la facihté du flile, tom^.^if "^de^s
rinduftrie^ le jugement qu'il y avoit fait paroître, fans an- œuvres de
préhender la jaloufie de M. Defcartes. L'occahon luy pa- ^^^^^"*^'-
rut favorable pour luy demander fon amitié , qu'il croyoit Lettr. de
avoir méritée par l'eftime qu'il auoit conçue pour luy, de- Î^"^^'^°°''L.
puis qu'il avoit lu les beaux ouvrages que M. GafTendi avoit 1644.
compofez contre les fedateurs d'Ariftote. Le langage de M.
Regius , qui prétendoit que ce gros livre à'Jnftances étoit-
rempli
2o8 La Vie DE M. Descartes.
, rempli d'aigreurs àc d'infultes, étoit fort oppofë à celuy de
'' M. Heerel^oord. Mais pour les concilier, il fliffit de reinar-
LccTr MT ^^^^^ ^^^^ ^'^^^^ parloit de M. Gaifendi à M. Gaflendi, dans
dcReg. du l'intention de captiver fa bienveillance à rinfçii de M. Defl
19. Février cartes j èc que l'autre parloit de M. GalFendi à M. Defcar-
^ '*^' tes rour l'exciter à 1 1 vengreance co nre un adverfaire donc
f ^
le mérite luy paroiflbit fort à craindre pour le fuccés de leur
Piiilofophie.
M. Defcartes fît ce qu'il put pour méprifer les Inflances
de M. Galîendi, èc pour s'en interdire la ledure, par la
crainte d'y trouver matière de réponfè , 2c de prolonger
ainfi une querelle dont il étoit las. Ses amis ne purent le
vaincre pour lors fur les difficultez qu'il fît de hs lire : mais-
il apprit au moins à ne pas méprifer ce qui n'étoit nulle-
ment méprifâble. De forte que pour n'être pas le feul de
fbn fentiment, il voulut bien convenir avec ceux qui avoient
iii le livre , qu'il méritoit une réponfe : mais fe contentant de
la promettre, il en remit l'éxecution après l'édition de fes
Principes qui étoientfbus la prefîè, fbn voyage en France ^
oc fbn nouveau procez de Groningue qui devoit fe vuider
à fbn retour. Cependant il apprit que l'Imprimeur Blaew
préparoit fâ fonte pour mettre fes Méditations avec l'Ecrit
de M. GafTendi fous Ces prefTes. Mais il luy fît donner avis
de n'en rien faire , parce que (es exemplaires feroient fàifîs
en France en vertu de fbn privilège a-U profît du Libraire
* Soiy. de Paris * qui en jouïfToit. Ce n'efl pas qu'il fè fouciât
? Biacw. beaucoup de l'intérêt du Libraire de FioUande ^ : mais fé-
lon qu'il s'en étoit expliqué au Père Merfenne dés le mois
de Décembre de l'année précédente 1643, il avoit peur que
le Libraire de Paris ne s'accordât avec celuy de Hollande
par des moyens préjudiciables à la réputation de l'Auteur..
Defbrte que le privilège luy paroiflbit plus nuifîble qu'uti-
Lcttr. Mf. Je entre les mains du Libraire de Paris. » Si Soly , dit-il à ce
en u Dé- " P^'*^ •> ^ vendu fon édition de mes Méditations , il me femble
ccmb. i^43.'»3 que le privilège ne devroitplus être à luy : où s'il le retient , il
53 en devroit faire une nouvelle avec mon confentement , à la-
„ quelle j'ajoûterois ou j'ôterois ce que je jugerois à propos ,
» non pas en foufFrir une pour aider à vendre les mèdifmces
« de mes ennemis..
' Cependant
Livre VI. Chapitre XIII. 109
Cependant le fameux M. Caramucl, que M. Delcartes i ^44.
prenoit pour un Bohémien à caufè de fon furnom de
Lobko^x^ltz , ôc qui ayant été nommé à l'Abbaye de Di- Pag. 487.
icmbere le jour des cendres par le Roy d'Eibao-ne à la re- tom. é. oper.
commandation de la Reine Mère Régente en rrance, avoit j ^ ^^
quitté nouvellement le féjour de Louvain pour venir s'éta-
blir au bas Palatinat du Rhin, écrivit à M. GafFendi de
Creuznach où il avoir choifi fa demeure, pour luy faire fça-
voir quelle étoit fa difpofition pour luy &z pour M. Defcar-
tes. Il luy manda en Latin comme auroit pii faire Balzac f.^és,46èi
en Fran(^ois, •>■> que la curiofîté l'ayant fait aller à la foire tom. é.oper.
de Francford pour y voir quantité d'Ecrivains de fà con- " Gaflead. ,
noi fiance ,. il commençoit à regarder fbii voyage comme une «
expédition inutile & malheureufe , lors que fur le point de «<
Ion retour ,, il luy vint à la rencontre fans qu'il fbngeât à «*
luy au lieu de ceux qu'il cherchoit & qui le fiiyoient. La <«-
boutique de Blaew , dit-il , a fiit une fîmonie civile avec ««'
mon ambition dans le marché de vos divines & céleftes fpé- «<
culations contre M. Defcar tes : 6^ je ne puis revenir de l'é- «
tonnement où j'ay été, de voir qu'on y ait pu mettre un «
prix. M. Caramucl rentrant enfuite dans le férieux du fti- «
le , luy déclara qu'il ne connoifîbit point M. Defîrartes ;
mais qu'il ne laiiFoit pas de l'aimer pour la vivacité de fc)ii
efprit , & que par cette confidération il le plaignoit de s'ê-
tre écarté du grand chemin où tous les autres avoient cou-
tume d'entrer. L'on ne s'appercoit point jufques-hl de la
médiocrité du jugement d'un auffi grand génie qu'étoit M.
Caramucl ; mais il fè trahit en ajoutant qu'il ne manquoit Aiuu mtnti
quune queux a un efprit auffi aiqiiifè qu'étoit celuy de M. ^°^ Ae^^'^t,
Defcartcs., comme s'il avoit dit qu'il ne manque à un flam-
beau ardent que le feu qui efi: nécefFiire pour l'allumer.
M. Caramuël trouvoit M.. Defcartcs trop indifférent , trop
dédaigneux^ & afFez peu civil dans les manières dont il en
avoit ufé avec M. GafFendi. Mais foit qu'il devinât que M.
de Sorbiére ou M. Gaflendi même luy en eufïent donné
quelque fujet, foit qu'il fe prît luy-même pour quelque per-
fbnnage de plus grande importance que M. Gaflendi , foit
enfin qu'il eût defîein d'employer des moyens plus doux &c
plus honnêtes en écrivant contre ^^^ Méditations, il crut
D d * avoir
1^4 4-
Lettr. de Bor-
nius à Gaf-
fend. pag.
489. tom. 6,
op. Gaflead.
Lcttr. Mf. à
Picot du 18.
Juillet 164;.
InBibl. Car.
Vifch. Cif-
fterc. pag.
187.
Pag. 470.
tom. 6. op.
Gaffcnd.
* C'cft dom-
mage que
Samfon Jonf-
fon fût relaps,
& qu'il re-
tourna au
Cartcfianifl
nie dé: l'an-
née fuivante.
V. le tom, 1.
des lettr. de
Defc. pag.7T.
V. aufll la
lettr. Mf. 51
de Regius
touchant
JonlTon.
*Pa<j^.688.des
lettr, dcSoxb.
in ly.
210 La Vie de M. D esc art es.
avoir lieu d'efpérer qu'il en feroit craiccé avec plus d'Iionnê-
tecé & plus de conlidération , pourvu qu'il fçut aufîî bien
vivre que penfèr. Il ne fut point trompé. Il nt un gros li-
vre d'Objections contre la Mctaphyfique de M. Defcartes,
mais fans fbrtir des terines de Teftime &; de l'admiration
qu'il témoignoit avoir pour luy. Il voulut même luy écrire
une lettre pleine de civilité pour le prévenir , & luy faire
trouver bon qu'il luy envoyât (qs objections avant que de
les rendre publiques, ajoutant que s'il vouloit les honorer
d'une réponfè, il feroit imprimer le tout enfemble avec Ion
confentement. Le tour étoit obligeant , & il plut fî fort à
M, Defcartes, que malgré la réfolution qu'il avoit prife de
ne plus faire de réponfès à de femblables objections , il fe
prépara à recevoir celles de M. Caramuël, & à luy donner
toute la fatisfaétion qu'il fouhaitoit. Mais M. Defcartes
n'entendit plus parler de luy ny de fès objections. Depuis
ce têms-là, M. Caramuël a prédit que les opinions de M.
Defcartes fèroient un jour toutes communes, & univerfel-
lement reçues, fi Ton en retranchoit trés-peu de chofes.
M. de Sorbiére ne réuiîifToit point mal à brouiller de
plus en plus M. Defcartes a/ec M. Gaifendi. Il avoit grand
foin de mander à celuy-cy tous les miracles que fon livre
opéroit dans les Provinces unies contre la fécte du Carté-
fianifine. Il n'oublia point flir tout la converfîon du Prédi-
cateur de la Reine de Bohême Electrine Palatine, nommé
le fîeur S^m^onjonjfon ^ qui étoit Cartéfien outré avant la
lecture de la Bifquijïtion de M. GafTendi *. De forte que
félon luy les Méditations de M. Defcartes étoient coulées
à fonds , &: qu'il feroit obligé d'en refaire de nouvelles, s'il
continuoit dans la penfée d'établir une fecle. Ce n'étoit
point mal fiire fa cour à M. Gaflendi , qui témoignant au
dehors n'avoir point d'autre ambition que celle de fe ren-
dre le reftaurateur de la fecte d'Epicure , ne renonçoit pas
à la gloire de devenir chef des Epicuriens. M. de Sorbiére
fê trouvoit fécondé dans fon zélé pour la réputation de M.
Gailendi par le fieur Henry Bornius d'Utrecht , qui avoit
été autrefois difciple de M. Reneri en Philofophie , mais
qui s'étoit fait GafTendifte depuis à la compagnie de M.
GaUéndi, quoique M. de Sorbiére * femble inllauer qu'il fe
rendît
Livre VI. Chapitre XIII. m
rendît Carcëfien de nouveau depuis ce têms-Ià. Bornius fê
mêlant de faire imprimer le plus qu'il pouvoir des ouvrages
de M. Gafîendi en Hollande ^ n'ëtoic pas moins ardent à
luy faire f^avoir le mal qu'il entendoit dire de M. Defcar-
tcs dans ces Provinces • èc il luy manda un jour que l'on ne
difoit plus ny bien ny mai de Tes Méditations en Hollande,
& que (a réfutation en avoit fait dilparoître les panégyriftes.
Si nous en croyons cet Auteur , rien n'étoit plus décrié
dans ce pais que cet ouvrage de M. Defcartes, depuis qu'on y
avoit vu celuy de M. GafTendi. Les difciples* de M. Defcar-
tes en étoient allarmez : & fur les inftances qu'ils luy fai-
fbient de vouloir pour l'amour de la Pliilofbphie réfuter in.
celîamment cet écrit, il s'étoit contenté de leur dire froi-
dement que M, Gaifcndi n'avoit pas pris fà penfée ^ que
ion gros livre ne méritoit aucune réponfe ^ qu'il pourroit
néanmoins en toucher un mot en leur coniidération dans
l'édition que l'on fàifbit de Ces Principes, de que fur le peu
qu'il en diroit un enfant de cinq ans fèroit capable de fou-
dre les plus grolïes difficultez de M. Gaffendi. Qu'au refte
il luy étoit indifférent d'être eflimé ou méprilé par ceux que
de fèmblables raifbns auroient pu perfiiader.
Mais rimprcffîon de fbn livre étoit trop avancée pour
faire croire que fà promeile ne fût pas une défaite , ou fï
l'on peut emprunter le langage de Cqs ennemis , une pure
rodomontade. S'étant apperc^û du mauvais effet que de fcm-
blables difcours commençoient à produire dans les efprits
de ceux qui l'obfèrvoient, il prit le parti contraire , qui é-
toit de ne plus rien promettre, & d'exécuter néanmoins la
réfblution où il étoit de réfuter M. GaiTendi. Mais il falloit
partir pour fbn voyage de France. Après avoir mis fbn pro-
cez de Groningue hors d'état de pouvoir luy caufèr aucune
furprife, il quitta le Hoef le premier jour de May de l'an
1644, ^ v^^"'^ ^^ lendemain à Leyde, d'où il manda à l'Ab-
bé Picot qu'il ne choifîroit point d'autre hôte que luy, puis
qu'il le fouhaitoit- &: qu'il iroit droit à la rue des EcoufFes
fe loger dans fà maifon. Il efpéroit voir la fin de l'impref^
£on de fon livre avant que de fortir de Hollande , &: en ap^
porter luy-même les exemplaires qu'il vouloit diftribuer en
France, Mais les' longueurs de ceux qui en tailloient les
D d ij * figures
1644.
Pag. 480 &
489. torn. 6.
op.Gaff.
*Rcgii Epift.
Mf. ad Car.
tcf.
Pag. 480, op.
GaiT ibid.
Item , Répon-
fe à Clerfclier
pag. 498 de
la trad. des
Médir.
Egmo nddu
Hoef.
Entre la rue
du Roy de Si-
cile & des
Françs-bouf •
geois.
Lettr. Mf.
Picot du 1.
May 1644,
îii La Vie De M. Descaktes.
i 64.4.. figures luy firent juger qu'elle ne feroic achevée de plus de
_____ deux mois. Ainfiil abandonna la chofe aux foins de fes amis.
itcmpag. 10^ En attendant les commoditez nëceiîaires à ion départ , il
<An 3. vol. des ;Qcrea à ptoDos de faire une courfe à Amfterdam pour v don-
ner les ordres convenables a 1 Imprimeur £lzevier. Trois
ou quatre jours après il pafîa à fa Haye pour y prendre
congé de fcs amis. M. de Sorbiére qui feignoit d'être de
leur nombre l'y attendoit avec les armes qu'il avoit deman-
* Le 18 d'A- décs * à M. Gallcndi quinze jours auparavant, & qu'il avoit
vnli644- recrues le dernier jour d'Avril , pour l'attaquer fur fbn opi-
Epiftoi. Gain nion du Vuiàe. M. Defcartesne refufa point de répondre à
Pg,i8«f,i87, toutes lés difficLiltez : mais il avoit affaire à un homme pré-
occupé, qui s'étoit mis dans des précautions fufEfantespour
ne pas ié laiffer perfuader. Les expériences du Vuide que
l'on commençoit à faire alors de toutes parts n'étoient point
capables de £iire changer à M. Defcartes l'opinion qu'il a-
Sur la Matié- voit de l'impolTibilité du Vuide , bc il prétendoit que cqs
re fubtiie. expériences mêmes fervoient à établir fon fentiment. Il s'é-
toit mocqué dés Pan 1638 de la crainte ou de V horreur du
Vuide dans l'examen qu'il fît du livre de Galilée , où ce
Tom. 1 des grj-and Philofophc prétendoit que la caufe de ce que les partiei
st^iiZ'\\^i '^^^ ^'^^^^ continu s' entretiennent efi la crainte du Vuide. Il avoit
fait voir que ce que GaUlée attribuoit au Vuide ne devoit
être attribué qu'à la pefanteur de l'air • prétendant que fî
c'étoit la crainte du Vuide qui empêchât que deux corps
ne fe féparaflent, il n'y auroit aucune force qui fût capable
de les féparer. M. de Sorbiére ayant ufé toute fà poudre
.contre M. Defcartes, & ne pouvant demander de nouveaux
argumens furie Vuide a M. Gafîendi, tranfporta fà conver-
fation fur d'autres fujets,pour ne point fatiguer M. Defl
^ag. 4<;9 & cartes à demi. Il luy propofà diverfes queftions fur les qua-
1^7. tom. 6. ]jj.£2, de la moUefîe ou liquidité & de la dureté des corps,
°^* ^ ' fur la raréfaction & la condenfation , s'appliquant pliitôt
à trouver de quoy objeéter, qu'à comprendre ce qu'on luy
répondoit. Dés le lendemain , qui étoit le x du mois de
May, il prit la plume pour rendre compte de fbn expédi-
tion à M. GafTendi, & il ne luy parla des opinions qu'il a-
voit entendues &; des réponfes qu'il avoit reçues de M.
I)efcartes 5 que comme d'autant de monftres hideux qu'il
avoit
Livre VI. Chapitre XIV. 213
avoit vil fbrtir de fà bouche. Il l'aillira en même têms qu'il ,
n'y avoir point de réplique à attendre de luy contre fê^ T>u- ^ ^'
bitations êc fès /nuances , mais qu'il avoit jugé par les diC
cours que l'éloignement qu'il faifoit paroître pour répliquer
ctoit un eiFet de fà foiblelîe ou de fa prcibmption.
CHAPITRE XIV.
TraduBion latine des Effais de la philofophie de M. Defcartes^
c'efi-a-direy du Discours de la Méthode ^ de la Jûioptnque CT des
Météores , faite far M. de Courcelles l'ancien. Qui était M.
de Courcelles : Ses ménagemens entre M. Defcartes , ^ M,
Gajjendi. M. Defcartes revoit cette traduBion , ^ en approu--
ve l' imprejfîon. Inquiétudes ^ trifieffe des amis de M, Def-
cartes en Hollande au fujet de fin voyage en France. Il arri-
■ve à Paris 3 oà il voit peu -'—"—-'- //-.^ «- r>...x v.^.,
^lois ^ par Tours , ou il v
domefliques avec fis frères , d
vorable. Il revient à Paris.
LE fieur Elzevier voyant avancer fbn impreffîon des
Principes de M. Defcartes vers la fin , fît folliciter
l'Auteur de luy permettre d'imprimer en même têms la tra-
duction latine de fès Efîais , après laquelle les étrangers qui
n'avoient point Tufage de la lanc^ue Françoifè afpiroient de-
puis la première édition de ces Efîais. Cette Traduction a-
voit été faite depuis peu de mois par M. de Courcelles l'an- Efticnûc.
cien Miniftre & Théologien François , retiré en Hollande
comme M. Rivet, M.Defînarets, M.Blondel, M. de Sau-
maifè, & plufleurs autres fçavans Calviniftes de France. M.
de Courcelles avoit embrafFé le party des Arminiens , 6c a- Bibiiothec»
voit même donné lieu à quelques zélez Gomariftes de le Anti-Trinit
ibupçonner de Socinianifîiie. Il étoit originaire d'Amiens
€11 Picardie, mais il étoit né à Genève le 2 de May i 5 8 <j.
Après avoir été quelque têms Miniftre des Réformez en
France, il avoit pafTè en Hollande, & avoit fuccèdè à Si-
mon Epifcopius dans la chaire en théologie des Remontrans
à Amfterdam , où il eut Arnaud de Poelenbourg pour fuc-
Dd * iij cefTcur,
i644-
Van - Lim-
boich , lettr.
Mf. du lo
Mars 1^90.
à M. Hartfo-
eJtcr.
214 La Vie de M. D es carte s..
cefîeur, 6c après luy Philippes de Limborch. Il mourut à
Amfterdam le 12 de May de l'an 1659.
C'étoit alors la mode parmy les gens de Lettres du pre-
mier ordre de briguer l'amitié de M. Defcartes &; de M.
Gaflèndi , ôc l'on ne croyoït pas pouvoir jfe maintenir dans
la réputation de bel cfprit ou de fçavant homme,li l'on n'étoit
connu de ces deux Piiiloibphes , ou fi l'on n'avoit au moins
quelque relation avec eux. M. de Courcellcs étoitl'ami parti-
culier de l'un & de l'autre ; & parce qu'il fc^avoit que M. Def^
cartes avoit alors le cœur u Icéré des play es que les livres,, & les
EmiiFâires de M. Gaffèndi luy avoient faites , il ne croyoit
pas pouvoir fè maintenir dans fês bonnes grâces , qu'en difl
iîmulant ce qu'il étoit à M. Gaiîèndi, & qu'en faifant quelque
chofè qui put luy être fort agréable , &: l'éJoigner en mê-
me têms de la penfée qu'il fût du nombre de certains ef-
pions, qu'il croyoit ne s'approcher de luy que pour le livrer
a M. GaiTendi. C'étoit fe ménager auprès de l'un &: de l'au-
tre avec la prudence d'un amy équitable & fincére : mais
c'étoit connoître afTez mal ce cœur ulcéré, qui ne laiiToit pas
d'aimer tendrement tous ceux de Ces amis de France ôc de
Hollande , qui fe trouvoieut engagez dans l'amitié de M.
Gaflendi, & qui n*étoit pas libre même au milieu de fès petits
chagrins, de ne pas aimer M. Gaiïendi, depuis qu'il avoit
attaché fon afïèdion à Teftime qu'il avoit conçue pour luy.
M. de Courcelles crût donc ne pouvoir rien faire de plus a-
gréable à M. Defcartes , ni de plus digne d'un Cartéfîeii
auffi zélé qu'il étoit , que de traduire lesEiîais de fàPhilo-
phie en une langue qui pût contribuer à rendre toute la
terre Cartéfienne. Il mit en Latin le Difcours de la Mé-
thode, la Diop trique , 8c le traitté des Météores. Mais il
ne toucha point à la Géométrie , foit qu'il la jugeât au-
deiïus de fa portée , fbit qu'il eût avis que M. Schooten fè fût
chargé de la traduire.
M. Defcartes ayant donné fon confêntement pourl'im-
preflîon de la tradudion des trois traittez , fut prié de la
revoir auparavant, pour jucher de ià conformité avec fon Ori-
ginal. Il ne refafà point d'ufer de fon droit d'Auteur, àc fe
ièrvit de cette occafîon pour y faire quelques changemens,
comme nous avons remarqué qu'il fît à. (es Méditations flir
la
Livre VI. Chapitïle XIV. iij •
la tradudion françoifc de M. le Duc de Luyncs. Ce fut 1644.
donc fur fès propres penfées qu'il fit des corredions , plu- —
tôt que fur les paroles du Traducteur Latin, à qui il rendit
le témoignage d'avoir été fidelle &: rcrupuleuxjjafqu'à s'ef-
forcer de rendre le fens de l'Auteur mot pour mot. Ce té-
moignage de M. Defcartcs en faveur de M. de Courcclles
fe trouvant à la tête de la traduclion latine a dû fatisfaire
toutes les personnes raiibnnables , qui auroient été en peine
de f^avoir la raifon des différences qui fe trouvent entre le
Fran<^ois &: le Latin : èc il peut fervir à condamner la mau- chuberg
vaiiè foy du fieur Jacques de Rêves, dit Revins , qui a pré Dcf,pag. ç.
tendu faire un crime d'infidélité à M. de Courcelles de tous
ces changemens, & qui a fait injure à M. Defcartes en fbû-
tenant que tous ces endroits n'exprimoient point fà penfée.
Cependant la nouvelle du voyage de M. Defcartes don-
noit de l'inquiétude à Ces amis : &c ceux d'entre eux qui af-
feéloient d'être les plus prévoyans dans les accidens qui dé-
pendent de l'avenir^ appréhendoient les obftacles qui pour-
roient s'oppofer à fbn retour. Leur inquiétude pouvoit être
fondée fur quelque ambiguité pareille à celle des termes
aufquels il avoit écrit à l'Abbé Picot deux mois auparavant,
îî Je fuis réfolu, luy dit-il, d'aller voir cet Eté à Paris ce Lettr.Mfà
qu'on y fait : &: fi j'y trouve l'air afTez bon pour y pouvoir et ^.^vril'^^
demeurer fans incommodité, je feray ravy d'y jouïr de vô- ce
tre converfation j que je n'efpére plus en ces quartiers, et
Dailleurs, ils appréliendoient que le relTentiment des indi- Lcttr. Mf. à
gnitez commifes à fon égard par les Magiflrats 6c les Pro- Meif. 1644.
fefîeurs d'Utrecht , ne luy fiflent perdre l'inclination pour
leur païs &; le defîr d'y revenir. M. Regius, qui quoique fe-
paré d'intérêt depuis quelque têms d'avec M. Defcartes par Leitr.17 Mf.
un confentement mutuel pour ne pas fè nuire l'un à l'autre ^^^^o-
dans l'affaire d'Utrecht , n'étoit pas moins attaché à luy
qu'auparavant , ne fentoit pas moins vivement cet éloigne-
gnement de fbn cher Maître , que s'il eût été queftion de la
Icparation de fbn ame d'avec fon corps. M. Defcartes qui a- v. ibid. la
voit des raifons particulières pour le détacher peu à peu, ^^"r. du 15
^ ■ ■ r /* j) rr 1 i ' \ '^ ' ' Février i644-
avoit pris les melures d allez loin pour le préparer a cet évé-
nement , 6c fembloit l'y avoir afTez bien difpofé par lettres,
6c de vive voix. Néanmoins toute la Philofophie ne fut point
' capable
1644-
Lettr. jo.Mf.
de Rcg. du 4
Juin.
Fag. 106 du î
vol. des lettr.
tnttic.
Lipftorp, pag.
S4.
Lcrtr. 5X. Mf.
de Reg. à
Defc.
Nécni;94,
"De Termina
wts, fat ail.
Tom. I.
des Icttr.
pag- H 4.
i5S-
)5
Beveiovic!us
appJlc M.
Defcartes lé
R fiaurAteur
du fciences.
216 La Vie DH M. D ES CARTES,
capable de luy infpirer la confiance nëcedàire pour fùppoF,
ter cette réparation, dont il nous a décrit la peine en des ter-
mes d'autant plus touchans qu'il fènibloit moins fe fier à la
promeflè qu'il luy avoit faite de revenir en Hollande. Après
luy avoir préfènté les vœux de fa femme , de fà fille , de
M. le Baron de Haeflrecht, de M. le ConfèilLer Vanleew,
de M. Parmentiers, &:de M. Van. Dam célèbre Médecin
d'Utrecht dans fa lettre d'adieu, il luy protefla que fans les
engagemens qui le lioient avec fà femme , fes enfans , & fa
profelîion, il le fuivroit par tout, & s'attacheroit à fà per-
ibnne de la manière qu'il efpéroit l'être à fon cœur pour
toute fà vie. Enfin, il le conjura de vouloir adoucir les ri-
gueurs de lanècefTitéquile retenoit, en continuant, quelque
part qu'il fût, de l'afîifler de ks conleils &: de (qs inftruc-
tions.
La belle fàifbn s^avançoit fans que Tlmprimeur & le Gra-
veur des figures pufîent finir. M. Defcartes pour ne point
laifîer perdre les commoditez du voyage qui fc préfentoir,
fè vid obligé de partir \qs mains vuides, après s'être alFure
de l'afFec^ion &: de l'induftrie de M. Scliooren ProfefTeur des
Mathématiques à Leyde , qui s'étoit chargé des figures , &:
avoir laifîe la lifle de [qs amis de Hollande pour qui il or~
donnoit les préfens de fon livre. Avant que de s'embarquer
en Zélande , il vit en pafTant le fîeur Jean de BeverwicK ^
dit Beverovicius y Gentil-homme de Dordrechr, Conleiiler
& Médecin ordinaire de cette ville, qui faifoit imprimer
aduellement à Rotterdam , pour la quatrième édition , le
Recueil de Çqs que/lions épiflolaires enrichi d'un grand
nombre de pièces nouvelles,, dont la principale étoit celle
q.ii co:itenoitle fentiment de M. Defcartes fur la circulation
du Sang. M. Beverovicius luy avoit écrit dés l'année prècè-:-
àQntQ pour luy témoigner la paflion qu'il avoit de voir ces
Dèmon^lrations Méchaniques, par lefqiieîlcs M. Defcartes
établifîbit fî nettement la circulation dufang, q l'ilne refloit
plus aucun fujet de doute fur cette dod:rine. M. Defcartes
s'étoit rendu à fes infiances d'autant plus volontiers qu'il a^
voit remarqué plus d'infidélité dans la conduite du fieur
Plempius Médecin de Louvain, qui avoit eftropiè & cor^
rompu les réponfès qu'il avoit faites à Ïqs objedions fur la
même
Livre VI. Chapitre XIV. 217
mcme matière en les mettant au jour. Nous avons cette ex- i 64.4.
plication du fentiment de M. Defcartes ilir Ja circulation 1
du fang conforme à celuy de Harvée, &; fur le mouvement C'cftlatxxvi,
du cœur différent de celuy du même Anglois au premier ^^S* ^^^'
volume de Ces lettres par manière de rëponfe à Monfîeur
Bévérovicius.
M. Defcartes n'arriva à Paris que vers la fin du mois de
Juin. Sa réfolution étoit de ne voir peribnne qu'après fon
retour de Bretagne ôc de Poitou. Mais il ne pût empêcher
les vifites de ceux à qui l'Abbé Picot avoit donné avis de
fon arrivée. La maifon de cet Abbé ne fut pas l'unique ren-
dez-vous de tant d'amis qui fe preifoient d'aller embrafïer
un amy qu'ils n^avoient vu depuis prés de quinze ans. On
ralloitauifi chercher au Palais des Tournelles chez fon illu-
ftre amy M. Mydorge , de on le trouvoit encore quelque-
fois les matins aux Minimes de la Place Royale chez le
P. Merfcnne. Ce Père ne s'ètoit pas contenté de marquer
fon addrefîe à leurs amis communs, il avoit encore averty plu-
lîeurs de ceux qui afpiroient après l'honneur de le connoî-
tre, &c d'en être connu. De ce nombre fè trouva M. Méliatiy
qui {iir l'avis du Père alla le xi de Juillet aux Minimes rendre ^çj^^ ^ç^ jg
vifîte à M. Defcartes, qui le reçut avec joye au nombre de MéiianauP.
fcs amis. î^uUknM4.
Il partit dés le lendemain de Paris pour Orléans , & de-
là il décendit à Blois chez M. de Beaune Confeiller au Prè-
fidial, qui avoit compofé fur la Géométrie les excellentes
Notes dont nous avons eu occadon de parler ailleurs. Il
trouva cet amy aflez incommodé de la goutte. Son mal è-
toit allez grand pour luy interdire les fon(5lions de dehors :
mais il n'étoit pas fuffifant pour luy ôter l'ufage de la Phi-
lofbphie, de des Mathématiques dans fa chambre, ^s II n'a- ^j Leur, w
voit pas encore abandonné le travail des lunettes , &: il en „ à Picot d
montra quelques-unes à M. Defcartes , dont les verres è- „ *^J"^
toient Sphériques, & qui fe trouvoient ailez bonnes.
De Blois il paffa à Tours , où il fut reçu par le frère puîné
de M. de Touchelaye avec tout l'accueil qu'il auroit pu ef^
pèrer d'un amy très-intime , & acquis par une longue con-
verfation. Il devoit cela aux recommandations & à la bien- u ^^^^- "t
veillance de fon aîné , quin*avoit pu fe rendre à Tours com- <t "^*'
E e * me
1-^44-
Ilcniu»mcn-
ta le nombre
depuis.
* Jeann«
Defcartcs.
* Anne Dcf-
^aiies.
IIctoîtiKet:-
Icau le I 4
d'Août, où il
paHa quelque
contrat avec
fes frères.
ii8 La Vie De M. Descartes.
me il Tauroit Ibuhaitë. Ce Gentil-homme ne luy permit pas
de prendre un logement ailleurs que chez iuy pendant le
têms qu'il s'arrêta dans cette ville , & il n'y vid que ilx per-
fbnnes outre luy, qui étoient M. le Préfident le Blunc^ M.
de la Barre Prélident au bureau des finances de Tours qui
vit encore aujourd'huy , M. Sain {on coufui fils de fà Mar-
raine, & trois Feiiillans , dont nous ignorons les noms. Ils
avoient déjà tous oiiy parler du hvre de fes Principes comme
d'un ouvrage imprimé , de fbrti; que M. Defcartes ne pûtfe
difpenfèr d'en faire envoyer pour eux une demie douzaine
d'exemplaires en cette ville, avec une douzaine pour Nan-
tes , loriqu'il en fut venu de Hollande.
De Tours il alla droit à Nantes , où il ne trouva perfbnne
de ceux qu'il y cherchoit. C'eft ce qui le fit pafT^r à Rennes
fans s'arrêter. Il y vid {qs deux frères Confeillers au Parle-
ment , l'aîné , qui étoit M. Defcartes de la Bretalliére -, l'au-
tre , qui étoit du fécond lit, &s'appelloit M. deChavagnes.
Il partit avec eux le xxix de Juillet pour aller au Crevis à
douze lieues de Rennes chez M. Rogier leur beau frère, Sei-
gneur da lieu , qui étoit veuf de la fœur * aînée de nôtre
Philofbphe, 6c Garde-noble des deuxenfans qu'elle luy avoit
laiflèz. Toute la famille s'y étant rafTemblée , hormis une
fœur, qui étoit Madame * DuBois-d'Avaugour, puînée de
M. de Chavagnes , ôc quidcmeuroit auprès de Nantes , on
travailla conjointement à l'accommoiement des affaires do-
mefliques quifaifbient tout le fujet du voyage de nôtre Phi-
lofophe en France. Il eut tout lieu de fe louer de M. de Cha-
vagnes , Se de fès beaux-fréres : mais il eut de la peine à trou-
ver autant d'équité &; de railôn dans fon aîné qui fémbloit
n'avoir jamais eu beaucoup de confidération pour luy. Ce
peu de fèntiment pour un frère qui méiitoit encore toute au-
tre chofè que ce que la nature pouvoit exiger, auroitlaiffé
une tache au nom de M. Defcartes de la Bretaillière , fi ce dé-
faut n'avoit été avantageufèment réparé par fes enfans , qui
rendent avecufure à la mémoire de leur Oncle , ce qu'il fém-
bloit que leur père luy avoit refufé de fbn vivant.
M. Defcartes du Perron ( c'eft ainfl qu'il faut nommer nô-
tre Philofbphe tant qu'il fera dans fon pais , & parmy fa pa-
renté, pour le diftingver de fon aîné , ) aimoit véritable-
ment
Livre VI. Chapitr E XI V. 219
ment Tes proches , & il avoit certainement pîus d'indifFc- 1644.
rence qu'eux pour la polleffion des biens, du partage defquel^» ■ ■
il s'agillbit entre eux. C'eft ce qui le porta à leur faire ter-
miner les afïciires plus promtement qu'il n'auroit dû , s'il y
avoit cherché fon avantage. Il en récrivit le xviii d'Août à
l'Abbé Picot, auquel il avoit déjà faitfc^avoir toute la route
de ion voyage en partant de Rennes pour le Crcvis , ôcluy Rucdcycr.
avoit marqué M. de la Sebiniére à Nantes pour l'addreiTè '^""'
des lettres qu'il luy écriroit de Paris durant fon iejour en
Bretagne. Il manda à cet Abbé qu'il avoit par la grâce de
Dieu expédié la principale affaire qu'il eût en ce pais là , non
pas à la vérité fî bien qu'il auroit pu délirer, mais mieux fans
doute que s'il avoit été obligé de plaider. Il efpéroit ache-
ver les autres de moindre importance èc toutes fès vifites a- /
vant l'hyver, & iê rendre vers le milieu du mois d'Octobre '
à Paris , où il prétendoit ne relier que cinq ou fîx jours. L'a-
mour defà chère fbliaide de Nord-Hollande s'étant réveillé
dans fon cœur luy avoit déjà fait prendre les meflires de fon
retour , & l'embarras des affaires domeftiques avoit beau-
coup augmenté fon impatience. Plufîeurs de fes amis s'é-
toient fiatté de l'efpérance de luy voir prendre un établifîe- «^^^"- ^^-^
\ T\ ■ o ^ • -1 V I • 1 A Picot du 18.
ment a Pans , & a ne point mentir il en louhaitoit luy-meme aoûc 1^44.
les occafîons. Mais l'expérienceluyfàifoit remarquer de jour
en jour qu'il vaut fbuvent mieux fè faire fbuhaiter de loin,
que de fè laifîer pofTéder avec trop de facilité à des perfon-
nes dont il feroit ficheux d'éprouver enfuite les dégoûts. Luy
même s'appercevoit que plus il étoit proche des objets, moins
il fe fentoitde pafîîon pour eux j & qu'il avoit encore plus
de ^goût pour la France & pour Paris , lorfqu'il étoit en
Hollande & à Egmond,que lorfqu'il étoit en France & à Paris.
Ce fut au Crévis qu'il apprit que les exemplaires impri-
mez de fes Principes étoienr enfin arrivez de Hollande à
Paris : & M. Picot luy manda qu'il n'avoit point trouvé d'ex-
pédient plus propre à fe confbler de fon abfènce, que la tra-
duction rrançoife de cet ouvrage, qu'il avoit commencée dés
fon départ de Paris fur l'exemplaire imparfait * qu'il avoit * Sansfîgu^
apporté par avance de Hollande dans fa vahfe. Il demeura ^^^'
au Crévis jufqu'â la Fête de S. Loiiis ,.fans pouvoir vacquer
à autre ciiofe q^ti'aux vifites de la noblelTe voifine, &: aux
Ee ij; * honnêtes
iio La Vie de M. Descartes.
1644. honnêtes pafTc-tcms que luy procuroicdt McHleurs Rogier,
— — père & fils. Il fallut aller enfuicc à Chavagnes au territoire
de Nantes p jur fatisfaire le Seigneur du lieu, qui l'y retint
plus long-tcms qu'il n'auroit foahaitc dans des amufèmens
fèinblables à ceux dont on l'avoit diverty au Crévis. Il écri-
vit à Chavagnes le xi de Septembre à. l'Abbé Picot qui luy
avoit mandé dans fa dernière qu'il avoit déjà traduit les deux
préi^iiéres parties de fes Principes , & il luy marqua que pour
luy il n'avoit pas encore fçd trouver depuis Ton départ de
Paris le tcms de lire la traduction franc^oile de les Médita-
tions faite par M. le Duc de Luynes^ qu'il avoit apportée dans
la penfée de s'en faire uneoccjpation agréable dans le cours
de fon voyage.
Il partit lejeudy fuivant pour aller en Poitou après avoir
acquité les vifites qu'il avoit à rendre dans la ville de Nantes
aux perfonncs les plus qualifiées. Il ufa de toute la diligence
pofiible pour abréger les affaires 6c les vifites qu'il devoir
dans cette province, afin de ne pas manquer à la parole
qu'il avoit donnée de fe trouver à Paris vers le milieu d'Oc-
tobre. Au fortir de la ville d'Angers fe trouvant dans la pa-
* René Ma- roifTc de Saint Mathurin fur le point de pafTer la Loire , il
rion. fit venir un Notaire * de la ville de Beaufort, de pafTa une
Procur. Mf. procuration nouvelle à M. du Bouëxic delà Vllcneuve le xix
du 19 Sept. jg Septembre, pour pouvoir vendre ôc aliéner tous les con-
^'^' trats de conflitution de rentes qui luy éroient ducs par la
ccffion de M. de la Bretallicre fon frère aîné.
Livre VIL
L A V I E
M^ DE S CAR TE S
LITRE S EPTIE AI E.
Contenant ce qui s'efl: pafTé depuis l'édition des Principes
de fà Philo/bphie ju/qua fa mort.
CHAPITRE PREMIER.
£6llnon des Principes de laPhilofophle de M. Defcartes. Différence de cet
ouvrage d'avec [on cours phllofophlejjue mis en théfes , & [on traité dn
Monde. Dlvlfion du traité des Principes, ce ofull contient. Conformité
de ces principes avec ceux d'Arlfiote expliquez, d'une manière particu-
lière. En cjuoy conftfïe la, nouveauté de [es opinions. M. Defcartes a
épargné les Scholajilcjues en confidératlon des Je fuites Ces amis. Diffé-
rence de fa Phllofophle d'avec celle de Dèmocrlte, Qu.elle certitude peu-
vent avoir les explications <ju il a données aux chofe s naturelles. Il a
fournis fes Ecrits a l" autorité de l'Egllfe catholique. Comment fa Phy-
fique efl achevée. Ce ejul y manque encore pour la rendre complète , &
dont II mm efi refié des fragmens.
O N S I E u R Defcartes arrivant à Paris trou- i <j 4 4.
va l'Abbé Picot & le P. Mcrfenne occuoez
du foin d'envoyer dans les provinces \ùi Lettr. Mf. du
Royaume les exemplaires de fes Principes p^J"'''''^ ^
deilmez pour les amis de dehors : mais qui
attendoient l'Auteur pour luy laidèr la fitis-
faclion de faire luy même ks préfens à ceux de la Ville.
n'f^'^-^j^^'^m
Ee iij
L'ouvra ;e
Le P. Mcrfen-
ne é oie fur le
point de fiirc
ion voyage.
211 La Vie de M. Descartes.
I <?4 4. L'ouvrage ëtoit forti très- bien conditionné de la pre{îè de
Louis Elzevier avec le privilège du Roy & c?Iay les Etats
Tom. 1. des Généraux dés le x jour de Tuillet. L'iaioreiîîoa avoir duré
leur. pag.îi(j. ^- ^ ^ v r "^j £r ^ i 1
'^ ° un an entier , tant a caule des figures que pour la traduc-
; tion latine des ElTiis dont on vouloit l'accompagner. Il eft
Pag. i(f3. du à propos que l'on fqûche que l'AutJur n'avoit coaimcacé la
^ ^°^' compofition de cet ouvrage qu'en l'année 1641 : mais qu'en-
core qu'il l'appelle qjelqaefjis ù Philofophie ^ ce n'étoit ny
le Cours de fa P iiilofophie , qu'il avoit écrit par ordre en forme
de théfes fur la fin de l'an 1640 & le commencement de la fui-
vante 3 nv fon fameux traité du M:jnde ^ qui n'a jamais vu
le jour , fî ce \\q^ après avoir été réduit e 1 fort petit abré-
gé, qui parut pour la première fois l'an 16(34 d'une manière
Il a été depuis très-impar£iite fous le titre du Monde ou Traité de la Zu~
cmTeaemcnt' ^^^ére. Depuis que l'accident de Galilée l'eût porté à la fap-
àia fia de la preffiou de ce traité , il avoit été fbuventfbllicité de repren-
X. imprcffion ^^^ j^^ premières réfolutions qu'il avoit eues auparavant de
du traite de i i- t- i ' • r /T' J> ri • v i.
l'homme , par Ic publier. Et il ctoit lou vent paiie d une relolution a l autre,
les foins de felon quc la force des raifbns &; Tautontéde fèsamis avoienc
en l'année '" balancé fou efprit contre les conjonctures des affaires du têms,
1^77. ou fes autres occupations. Il avoit crii mê;ne en dernier lieu
que les guerres icholaftiques qui s'ètoieat élevées en divers
Pag. Î07 du çî^ji-oits entre les partilàns de l'ancienne & de la nouvelle
Philofbphie depuis la publication de iès Méditations étoient
une occa/ïon favorable pour donner fon Monde. Et il l'auroic
doiné au plûtard en 1643, s'il n'avoit jugé à propos de le
faire paroître en Latin , &. de luy faire porter le titre de
Pag. j^os. ,^ Summa philofophia .^ afin qu'il pût être admis plus aifément
' J5 dans la converfation des gens de l'Ecole, q. u le perfécutoienc
« fur fa feule réputation , & qui tâchoient de l'étouffer avant
?5 (à naifTance, auiïî bien que les Minières Proteftans & quel-
» ques autres de {i^s ennemis. Mais la parefle de fe traduire
luy même jointe à la crainte de fè voir obligé de retoucher
l'ouvrage en trop d'endroits , le porta à s'imaginer que le
Public fe contenteroit d'avoir fèulem^ntles Principes de fà
Philofophie, dont il coniîiéjroitrexpolition comme un, tra-
vail afTwZ borné.
Qjoiq l'il ne s'étudiât pas moins à la brièveté qu'a la clar-
té dans la compofition de ce nouvel ouvrage , il tâcha pour-.
taac
Livre VII. Chapitre I. 213
tant de ne rien omettre de tout ce qu'on pouvoit exiger de 1^44.
Juy en matière de Pliyfîque, afin de ne plus laiiïer d." pré-
texte aux plaintes de ceux qui pourroient regretter Ton ^f*"''"-^ ^^'-
gros traité du Mondée Ton Cours de Philo fophi e ^ qui bien que cu-fnt phdo^
trés-difFerens entre eux, fè trouvent aujourd'iiuy réduits à fophicus . zn-
la même fortune. &: condamnez par leur fuppreirion à d'c- J;*"*^"^ ^^^ '«'
II ''iT •'; -1 'tri titres de ces
ternelles ténèbres. Le traite des Privcipes qui leur a ete lub- deux ouvia-
ftitué fè trouve divilé en quatre parties , dont la première S^*-
contient les Principes de la connoiflance humaine ^ qui eft
ce qu'on peut appeller la Première Philofophie ou laMéta-
phyfique. Ainfi pour bien entendre cette première partie ,
il eft à propos de fè munir auparavant de la leéture àQs
Méditations de M. Deicartes , parce qu'elles regardent \qs
mêmes fiijets concernant le doute général &; hy^-othètique
de toutes choies, la diflinélion de la flibflance qui penfè ou
de l'Ame d'avec le Corps, l'exiftance de Dieu , & tout ce
qui peut dépendre de ces premières véritez.
La féconde contient ce qu'il y a de plus général dans la
Phyfique, fçavoir, l'explication des premières loix de la
Nature, ^ des principes des chofès matérielles, les pro-
priètez de la fiibllance corporelle ou du corps, de l'eipace,
du mouvement ^c,
La troifiéme contient l'explication particulière du fyftême
du monde , 6c principalement de tout ce que nous enten-
dons par les cieux &les corps céleftes. La dernière enfin com-
prend tout ce qui concerne la Terre.
Il femble que M. Defcartes ait voulu nous donner dans
cet ouvrage plus de chofes qu'il n'afFedoit de fliire ef-
pèrer dans le titre , puifque fous le /èul nom de principes de
Philofophie, il nous a donné l'explication de tous les phé-
nomènes généraux de la Nature. Pour expliquer lefyRême
du monde il fuit nettement l'hypothéfe de Copernic, quel-
que raffinement qu'il y ait apporté , pour jetter de la pouffiére
aux yeux des Inquifiteurs Romains , comme s'il eût eu à
craindre la perfécution qu'ils avoient fait foufFrir au pauvre
Galilée. Il rend les raifons naturelles , qui peuvent iervir à
établir cette hypothèfe : après quoy il décend dans le dé-
tail du monde vifible, & il montre comment les aftres ont
pu fe former au centre de chaque tourbillon : comment les
planètes
224 ^^ Vie de m. Descartes.
I 644. pla-nétes êc les comètes fe font engendrées, comment elles
^____^^__^ îè font placées dans les tourbillons où elles font décenduës ,
& quelles font les raifbns des mouvemens réguliers & irré-
guliers qui paroiflent dans les unes & dans les autres. Il
pafTe enfuite à ce qui nous touche de plus prés. Il expli-
que en quoy confifte la nature de ce que nous appelions
vulgairement les quatre Elémens , leurs différences , leurs
effets : fur tout ^ il examine attentivement tout ce qui fe peut
dke de la nature du feu , &c des merveilleux effets qu'il pro-
duit , ôc ce que rinduflrie des hommes invente tous les jours
par fon moyen. Il explique par des manières toutes nou-
velles ce que c'eft que la pefanteur &c la légèreté ^ la dure-
té & la mollefîè ou liquidité. Il s'étend principalement fur
la nature de la lumière. Il fait voir en quoy elle confiftej
comment elle fè communique en un inftant -, comment elle
fe répand de tous cotez &c traverfè les corps les plus durs ^
comment elle fe rompt en pafîant par divers milieux. Il
montre que les couleurs ne font que les différentes modifi-
cations de la lumière. Il enfeigne de nouveau la manière
èc les figures des verres des lunettes de longue vûë & des
microfcopes» En un mot il y exphque le flux èc le reflux de
la mer , èc toutes les propriètez de l'ayman d'une manière
qui paroît fî naturelle & qui répond fî bien à fbn fyflême ,
que ces deux rares èc merveilleux effets de la Nature peu-
vent fèrvir beaucoup à nous perfùader de fa vérité. Mais
ce qu'il y a de bien remarquable dans M. Defcartes , efl
qu'après avoir premièrement établi la diflindion qui fe trou-
ve entre l'efprit & le corps, après avoir pofé pour tous prin-
cipes des chofès corporelles, la grandeur , la figure, & le mou-
vement local , qui font toutes chofès fî claires & fî inteUigi-
blés, qu'elles font re<^ûësde tout le monde, il afçù exphquer
prefque toute la Nature, & rendre raifon de Ces eflTets les plus
ètonnans fans changer de principes , 6c fans fe démentir en
quoy que ce foit.
Prineipior. Il femble que M. Defcartes eût voulu raffûrer les efl
part. 4. num. pj-jj-^ ^^ ^-^^^^^ q^j appréhcndoieiit pour la Philofbphie ré-
gnante des collèges, lors qu'il a voulu leur perfùader que
Item tom. 3 fès principes n*étoient point contraires à ceux de l'école,
des lettr. „ ]>ay tâché . dic41 , d'exphquer toute la nature des chofès
P*S'>07. -^ ^ matérielles
Livre VIL Chapitre L 215
matérielles de telle manière , que je n'ay abfolument pofé « 1^44.
aucun principe qui n'ait été admis par Ariftote & par tous ce
les autres Philofophes de tous les fîécles précédens. De u
forte que la Piiilofbphie que je viens de propofèr , loin d'ê- c<
tre nouvelle , comme elle paroîtra peut-être fur fes appa- c<
rences , peut paiïer pour la plus ancienne de toutes celles «
qu'on ait jamais introduites dans le monde, &c pour la plus «
vulgaire qu'on y ait enfeignée. Car je me fliis contenté de «
confîJérer les figures , les mouvemens , de les grandeurs des c*
corps : après quoy j'ay examiné , ielon les loix de la mécha- c<
nique, confirmées par des expériences journalières èc cer- et
taines , ce qui doit luivre du concours réciproque ou de la ce
rencontre de ces corps. Or qui a jamais douté que les corps tt
ne fè meuvent j qu'ils ne foient grands ou petits ^ qu'ils ne ce
fbient différemment figurez j que leurs mouvemens ne chan- a.
gent félon la diverfité de leurs grandeurs & de leurs figures -y ce
6c que de leur choc mutuel il ne fe fafîe plufieurs divifions et
ou réparations entre eux , de divers changemens dans leurs ce
figures? ' ce
Une de fès précautions principales dans cet ouvrage a été
d'éviter de tout fon polîîble les faux préjugez de ceux à qui
il fuffifbit de fçavoir qu'il n'eût pas fuivi le flile ordinaire
des fc h olaftiques pour en concevoir une mauvaife opinion.
L'événement a fait voir s'il a tout à fait réiifiî à leur per-
fliader que fous cet air de nouveauté il ne cachoit aucune
opinion nouvelle , àc qu'il n'admettoit aucun principe qui n'eût ^^^' ^^'^^
été re(^u par Ari[iote ^ far tous ceux qui fe fuffcnt jamais mèiez^
de philo fopher. Il a eu au moins le plaifir de tromper ces Etpag. n©^.
Mefîîeurs , qui s'étoient imaginez que fbn delfein étoit de ^ ^ *
réfuter les opinions recrues dans les écoles , & de leur don-
ner un tour ridicule, afin de les rendre méprifables en les
faifànt tomber. Car il a affrété de n'en parler non plus que ce
s'il ne les eût j.amais apprifès. ee
Au refte, fi M. Defcartes a fait plaifir aux fcholaftiques
de les avoir épargnez , il faut qu'ils f^achent qu'ils en ont
toute l'obligation aux Pérès Jéfûites , à la confidération def-
quels ils doivent attribuer jfa réferve ôc fon filence. Il eft
bon de l'entendre parier luy-même à l'un de fes amis. Je fuis Tom. i des
un peu ilirpris , dit-il, d'apprendre que ce qui pourra empê- ^"J" P^o-
F f * c'ier
126 La Vie de M. Des cartes.
1^44. " cher mes principes d'être reçls dans l'école, eft >» qu'ils ne
. •>î font pas aiîez confirmez par l'expérience , & que je n'ay
>î point réfatc les raiions des autres. Je croyois avoir démon-
>5 tré en particulier prefque autant d'expériences qu'il y a de
»3 lignes dans mes écrits. Ayant rendu généralement raifon
»5 dans mes principes de tous les phénomènes de la Nature,
î3 j'avois tâché d'expliquer par le même moyen toutes les ex-
55 périences qui peuvent être faites touchant les corps inani-
)î m:z. Mais ce que je remarque de plus furprenant, efl: qu'en-
» core que l'on n'en ait jamais bien expliqué aucune par les
jj principes de la Philofophie vulgaire, ceux qui la fuiventne
53 lailFent pas de m'objeéter le défaut d'expériences.
>î Je trouve encore aiTez étrange que ce fbient principal e-
)) ment ces Meilleurs qui défirent que je réfute les argumens
>j de l'école. Car je crois que Ci je l'entreprenois, je leur ren-
« drois un mauvais office. Je vous avoue qu'il y a long-têms
53 que la malignité de quelques-uns m'a donné fti jet de le faire :
5t éc ils pourront bien enfin m'y contraindre. Mais parce que
53 ceux qui y ont le plus d'intérêt font les Pérès Jéfuites , la
33 confidération du Père Charlet , qui el1: mon parent, de qui
33 eft maintenant le premier de leur compagnie depuis la mort
35 du Général duquel il étoit Afîiftant , celle du Père Dinec
55 qui a été Provincial puis Confefleur du feu Roy, & celle
33 de quelques autres Pérès des principaux de leur corps, leC
33 quels je crois être véritablement mes amis, a été caufe que
53 je m'en fuis abftenu jufqu'icy : & même, que j'ay tellement
33 compofé mes principes , qu'on peut dire qu'ils ne font point
33 du tout contrairçs à la Philofophie commune , mais feule-
53 ment qu'ils l'ont enrichie de plufieurs chofes qui n'y étoient
33 pas. D'ailleurs fî Pon reçoit dans les écoles une infinité
53 d'autres opinions qui font contraires les unes aux autres : je
33 ne vois pas trop pourquoy l'on ne pourroit pas aufîi bien y
35 recevoir les miennes. Mais je ne voudrois pas les en prier :
35 parce que fî elles font faufles je ferois fâché qu'ils Riflent
33 trompez ^ 6c fi elles font vrayes, ils ont plus d'intérêt à les
33 rechercher que je n'en ay à les recommander.
ifnucl Bill- llavoit à cœur de détromper aufTi ceux qui s'étant jet-
tez dans des extrémitez oppofées s'étoicnt perfliadez qu'il
n'avoic fait que renouveller la Philofophie ancienne de
Démo cri te.
iuldus & alii.
Livre VIT. Chapitre I. iiy
Dciiiocritc.ij Ilcft vray que Démocricc avoir ima2;ini au^Ij 1(^44.
des corpLifcLiles qui avoienc diverfès figures, divcrfès gran- c. ■
dcurs, êc des mouvemens diffërens.de raflcmblasje dcfquels ci f/''^- ^-
fê formoient félon luy rous les corps fenfîbles ^ ëc qu'avec u nmij.ij,,.
tout cela, (a manière de philofopher eft rejettëe commune- «c
ment de tout le monde. Mais ce n'eft point parce qu'elh et
admettoit des corpufcules fî menus qu'ils pudent échapper
à nos fens, & qui ne lailTaiFent point d'avoir leurs gran-
deurs, leurs figures, &: leurs mouvemens difFcrcns: puifque
perfbnne ne peut rcrieufement douter qu'il n'y en ait beau-
coup de cette nature, après ce qu'en a dit M. Defcartes.
La Philo(bphie de Démocrite n'efl rejettëe que parce qu'-
elle fuppofoit que ces corpufcules ëtoient indivifibles , eu
quoy M. Defcartes la rejette comme les autres ^ parce qu'elle
admettoit au tour de ces corpufcules un vuide réel, dont M.
Defcartes a démontre la nullité -, parce qu'il attribuoit à ces
corpufcules une pefanteur ou gravité que M. Defcartes ne
reconnoît en aucun corps confidéré feul , mais feulemenc
par rapport à la fituation & au mouvement des autres corps
dont il femble dépendre ^ enfin , parce qu'il ne montroic
pas la manière dont chaque chofè pouvoit naître du feul
choc ou concours des corpufcules , ou que s'il la montroic
en quelques-unes , fès raifons n'avoient aucune fuite ny liai-
fon entre elles ou avec fes principes, en quoy confîfte une
des principales différences de fa Philofophie d'avec celle de
M. Defcartes , qui efl toute fuivie.
Après tout, M. Defcartes n'avoit point la préfomption
de croire qu'il eût expliqué toutes les chofes naturelles ,
fur tout celles qui ne tombent pas fous nos fens de la manière
qu'elles font véritablement en elles-mêmes. Il croyoit faire
beaucoup en approchant le plus prés de la vray-femb lance ,
à laquelle les autres avant luy n'ètoient point parvenus, 6c
en faifànt en forte que tout ce qu'il avoit écrit répandit exac- Num. 104:
tement a tous les phénomènes de la Nature . C'eft ce qui lay pa- f.^"' ^- ^^^'*-
roifToitfufHfant pour l'ufage de la vie, dont l'utilité femble ^'^*
être l'unique fin que l'on fe doit propofer dans la Médeci-
ne, la Méchanique, & dans tous les autres arts qui peu-
vent fe perfedionner par les fecours de la Phylique. Qu'A- Aiiftot. Mé-
jiflote avec toute la bonne opinion qu'il avoit eue deTûy- t^o'^iogi^S''
-^ T-r •• ^ '■ I. cap. 7.
Fi 1] "*=. même
iî8 La Vie de m, D bs cartes.
1 64.4.. mcmc n'avoit jamais prétendu aller au delà, & qu'il avoir
.=»__-. crû qu'à l'égard des chofès qui ne nous font point fenfibles,
c'étoit afTez qu'il apportât des raifbns probables pour faire
voir qu'elles pouvoient être de la manière qu'il les expli-
quoit.
Mais on peut dire à la gloire de la Vérité à laquelle M.
Num. lo^ Defcartes a toujours été difpoië de tout facrifîer, que de
part. 4- Prin- foutes les chofes qu'il a expliquées, il n'y en a point qui ne
^*^* paroiifent au moins moralement certaines par rapport à l'u-
i iâge de la vie, quoy qu'elles foient incertaines par rapport
Leur, Mf. 31. à la 'puiilance abfoluë de Dieu. Ceux qui conlidéreront
4eReg. l'addrelTe avec laquelle il rappelle à un fort petit nombre
de principes clairs &: intelligibles une multitude prefque
infinie de choies trés-cachées, quand même ils croiroient
qu'il n'auroit pofé ces principes que par hazard & fins rai-
fon, ne laifîeront pas de reconnoître qu'il n'eft prefque pas
poiïible que tant de chofes pulFent fe trouver iî naturelle.
ment fuivies & fi heureufemenc liées , fi les principes d'où
elles font déduites étoient faux.
On efi: même obligé d'avouer qu'il y en a plufieurs qui
font abfolument & plufque moralement certaines , telles
que font les démonftrations mathématiques , & les raifonne-
mens évidens qu'il a faits fur l'exiftence des chofes maté-
rielles. Mais il a eu afi!ez de modefiiie pour ne fe donner
nulle part l'autorité de décider, &: pour ne jamais afiiirer
rien : de l'on peut dire qu'il n'a jamais rien fait de plus loua-
ble ny de plus digne de la grandeur de fon génie , que de
Num. 107. foumettre tout ce qu'il a écrit , premièrement à l'autorité
part. 4. Prin- jg l'Eglife catholique , 6c enfuite au jugement de toutes les
perfonnes raifonnables , ne prétendant exiger de la créance
des hommeSj que ce que la raifon leur pourra perfuader com-
me évident &c invincible.
M. Defcartes prévoyoit que ceux qui ne pourroient trou-
ver rien à redire à ce qu'il avoit donné, n'en uferoient pas
de même à l'égard de ce qu'il n'avoit pas donné j ôc qu'ils
ne manqueroient pas de luy .objecter que fa Phyfique étoic
défedueufe j qu'il n'y'parloit ny des animaux , ny des plan-
tes , ny de plufieurs autres chofes importantes que les au-
tres Phyficiens ont coutume de traiter, mais qu'il fembloic
s'être
P'
Livre VIT. Chapitre I. n^
î>*etre borné mal à propos aux corps inanimez. Pour prcve- i 6 4.4.
liir une fcmblable objedion , il avertit un Pcre Jéfuite de _
leur faire remarquer que toutes ces chofes qu'il avoir omi-
fes n'étoient nullement nécefîaires pour l'uitelligence de ce
qu'il avoit écrit ^ & que nonobflant la brièveté de fon trai- xom. 3 des
té il n'avoir pas laifle d'y comprendre tout ce qui pouvoit kttr.p.ios,
regarder les matières qu'il avoit entrepris d'y traiter , de
forte c]u'il ne croyoit point avoir jamais befoin d'en écrire
davantage.
Mais quoique ce qu'il avoit eu intention de donner fous
le titre de I'ri??ci_pes de Philo fophie fut achevé de telle maniè-
re qu'on ne fût point en droit de rien demander de plus
pour la perfè(5tion de fon deflein , il ne laillbit pas de faire
eipérer à fes amis l'explication de toutes les autres chofes ,
qui faifoient dire que fa Phyfique n'étoit point complète.
Il fe promettoit d'expliquer de la même manière la nature
des autres corps plus particuliers qui appartiennent au glo-
be terreflre , comme les minéraux , les plantes , les animaux
&; particulièrement l'Homme. Après quoy il fe propofbit
fur la mefure des jours qu'il plairoit à Dieu de luy donner,
de traiter avec la même exaèlitude de toute la Médecine,
de toute la Méchanique , & de toute la Morale , pour donner
un corps de Philofophie entier. Il n'étoit pas encore fî âgé,
&: il ne luy reftoit point tant de chofes à connoître , qu'il
n'eût pu achever {^s grands defTeins avec le fuccés qu'il en
pouvoit efpérer,s'il eût eu la commodité de faire les expérien-
ces dont il auroit eu befoin , & fî la mort ne l'avoit furpris au
delîbus de plus de trente années de vie qu'il iembloit pou-
voir encore vivre. Son traité des Pallions , les pièces poftu-
mes qu'on a publiées après fi mort , êc quelques écrits qui
font reliez font des marques de la folidité de fes promef-
F f iij '*' Chap.
2.30
La Vie de M. Descartes.
1644
CHAPITRE II.
M- Bcfcartes dédie fes Pri.icipes à la princefjc Palatine Eliz^heth
de Bohème fa difciple. Abrégé de l'hifioire de cette Prince ffe avec
celle de fes frères g^ de fes fœurs depuis la ynort de fon père Fré-
déric K. Application particulière de la Princejfe Eltxabeth aux.
fciences les plus profondes , aux Mathématiques ^ k la Philo-
fophie , fous les inftruclions (^ la conduite de M, Dcfcartes.
De quelle manière cette Princcffe pouvoit être la feule qui pût
avoir une intelligence parfaite des écrits de M. Dcfcartes. Ecole
Carte fie nne établie a Hcrvordcn par cette Princejfe. Affliclion
ou elle tombe par la converfon du Prince Edouard. M. Defcar^
tes la confie par des raifonnemens humains tirez^feulement de
la jbTaturc ^d^de la prudence du fiécle.
UN ouvrage d'auffi grande importance qu^étoit celuy
des Principes de M. Defcartes ne pouvoir êcre dédié
à uiie perfonne qui fît alors plus d'honneur à fa fecte que la
fërénifTime Princefle Palatine Elizabeth de Bohême. Cette
PrinceiTe Philofbphe faifoit pour lors le fujet de Tadmiration
de l'Univers. Nonobstant ce que nous avons dit de k curio-
llté & de l'attache de quelques Dames Parifiennes pour la
Philofophie de M. Defcartes , elle n'a point laifTë d'être con-
fî-iérée comme la première diiciple de nôtre Philofbphe. Et
parceque la fupërioiité de (on génie la f.iit regarder com-
me le chef des Cartéfiennes de fon féxejileft eirentieliemenc
du defTein de l'hiftoire de M, Defcartesde faire icy un abré-
gé de la fienne.
lîk éxoh née La Princeiîe Elizabeth étoit Taînée des filles de Frédé-
kzfideDé- rie V. Eledeur Palatin du Rhin élu Roi de Bohême donc
nous avons rapporté la deftinée, ôcd'Elizabeth de la Grand-
Bretagne, û\\q ^ fœur, & tante de Rcys d'Angleterre de
la maifon de Stuart. Elle étoit iœur de Madame l'Abbefl
iè de MaubuifTon , de Madame la DuchefTe de Hanovre,
de Madame la Princeïïe de Tranfilvanie , de Madame la Prin-
cefle d'Anhalt. Elle étoit tante de Madame belle-fœur da
Roy, ^ de Madame la PrincelFe d'aujourd'huy. A peine vid
elle
Livre VIL Chapitre IL 231
elle le jour, qu'elle fe trouva la compagne des avantures &; jC y,j
xies adverfitez de ion pé;e, jufqu'à ce que ce Prince eût en-
Rn trouvé une retraite paillble à la Haye pour fà famille, " ^
compofée dans la fuite des années de quatorze enfans , de
/èpt garçons & de iept filles, dont un garçon feulement &
deux filles moururent en bas a re. Frédéric ayant été em- ^'^" i 6 ^z.
porté de la pefte à Mayence âgé feulement de 36 ans, com-
me nous l'avons rapporté, fa. veuve confcrva jufqu'à la fin
de fes jours le titre ae Reine de Bohê ne, & demeura juC
qu'à fa mort à la Haye , où elle établit une petite Cour pour
les Dames du païs. L'aîné des frères de nôtre Princcfîe Phi- Lettr. Mf. de
lofbphe fut noyé dans le Zuvderzée par le c^oc d'un vaif. w.'^t '^^^'!^
r ■ riN -1 ivriTi ^ M.Lcgrand,
leau, qui venant mr luy a toutes voues coula a ronds la bar-
que où il étoit, iàns qu'on put le garantir de ce maLieur.
Charles Loiiis fbn fécond frère qui fat depuis Electeur , de
Robert fbn troifiéme frère pafTérent en Angleterre auprès
du Roy Charles leur Oncle maternel -, & ils furent fuins
peu de tèms après de deux autres frères plus jeunes Edouard
& Maurice. Il ne refla auprès de la mère que le dernier
des garçons nommé Philippes avec les filles, qui fè trouvèrent
i)ien-tôt réduites au nombre de cinq par la mort de deux
d'entre elles , puis au nombre de trois par le mariage de deux
autres avec le Prince de Tranfîîlvanie , & avec le Prince
d'Anhalt.
Elizabeth fut recherchée par Uladiflas I V Roy de Po-
logne après la mort de Renée Cécile d'Autriche fa première
femme. Mais l'amour de laPhilofbphie dentelle étoit déjà
toute pofTèdée, 6c qui fembloit avoir prévenu toute autre
palîion en elle fut affez ingénieux pour luy fuggérer une
honnête défaite ^ & de toutes les offres que luy fit faire le
Koy de Pologne , elle ne voulut accepter que fbn eftime.
Après cette épreuve elle fe fortifia dans la génèreufe réfb-
lution de demeurer fille, pour vacqueravec plus de liberté à
laPhilofbphie de M. De/cartes, qu'elle avoit adoptée par un
choix que la raifon avoir réglé fur l'inclination qu'elle avcit
pour la véritable façefïe. Pour mieux préparer fbn efprit à
jcette importante étude, elle avoit eûfbin de le cultiver dés fa
plus tendre enfance par la connoifîance d'un grand nombre
ie langues*, Ôc de tout ce que l'on comprend fous le nom * iir? en».
231 La Vie DE M. Des carte s;
I (54 4. cle belles Lettres qu'elle poiTédoit parfaitement fans en être
• — embarrafTée , &: dont elle iifoit avec une délicatefîè qui é-
f/méleavèr ^^^^ ^^ ^^^^^^ ^'^^'^^ éducation aufTi polie que celle qu'elle a-
les PriiicciTes voit reçûë de la (gavante Reine fà mère. L'élévation & la
fes fœurs. profondeur de fon génie ne permit point qu'elle s'arrêtât à
ces connoifllmces , où ont coutume de fe borner les plus
beaux efpritsdefbn fëxe,qui fe contentent de vouloir briller.
Elle voulut pafîer à celles qui demandent la plus forte ap-
plication des hommes , & elle fe rendit habile dans la Phi-
^ lofophie èc les Mathématiques , jufqu'à ce qu'ayant vu les
Eflais de la Philofbphie de M. Defcartes , elle conçut une fi
forte pafîîon pour fàdodrine, qu'elle voulut bien conter pour
rien tout ce qu'elle avoit appris jufques-lâ, de fè mettre fous fa
difcipline , pour élever un nouvel édifice fur fes principes.
Après s'être informée de ce qui pouvoit regarder l'Auteur
au Burggrave de Dhona , à M. de Zuytlichem,à M. PoUot,
èc à tous ceux qui fè déclaroient Ces amis 6c feclateurs de
^ fà Philofophie , elle le fît prier de la venir voir , afin qu'elle
pût puifèr la vraye Philofophie dans fa fource. Le defir de la
fèrvir de plus prés ôc avec plus d'aiïîduité avoit été l'une des
principales raifbns qui avoient fait préférer à M. Defc. le fe-
jourdeLeydeSc d'Eyndegeeffcaux lieux les plus retirez de la
Hollande. Jamais maître ne profita mieux de la docilité, de la
pénétration , &; en même têmsde lafolidité de l'efpritd'un
Tom. j. des difciple. L'ayant accoutumée infenfiblement à la médita-
tom. u^"^"^ tion profonde des plus grands myfléres de la Nature, dc
l'ayant exercée fuffifàmment dans les quefli jns les plus ab-
ftraites de la Géométri^ & les plus fubhm s de laMétaphy-
fîque , il n'eut pi as rien de caché pour elle 3 &:il ne fît point
difficulté d*a vouer en luy dédiant fes Principes, qu*il n'avoic
encore trouvé qu'elle q^>i fut parvenue à une intelhgence
parfaite des ouvrages qu'il avoit pu bhez jufqu'à lors. Cette
k^n- *^&^'df " réflexion faite dans toute la fîmplicité de fon. cœur , & fans
jai iv°. aucune éxaggération n'a point laiiîe de donner heu à la mau-
vaifèplaifanteriedu fîeurde Sorbiére, qui repréfèntoit dans
lès difcours M. Defcartes publiant qu'il n'^y avoit dans le
monde qu'un homme qui étoit le Médecin Regius , &c une
fîlle qui étoit la PrincefTe Elizabeth , qui entendiflènc fâ
Philofophie. M» Defcartes par ce témoignage qu'il rendoit
â
Tom. j.des
^g-
C(
ce
es
Livre VII. Chapitrï II. 233
 la capacité extraordinaire de laPrincefle Ce contentoit de ^ ^
la vouloir diftinguer de ceux qui n'avoient pu comprendre ' '^ '^^
fà Métaphyfique, quoiqu'ils en(rentrinteHî2:ence delâGéo- r 7777.
metrie , & de ceux qui n avoient pu entendre la Geome- Piincip.
trie, quoiqu'ils fufTent fort exercez dans les véritezMétaphy-
fîques. î3 L'expérience , dit-ii à la PrincelTe en une autre
occallon, m'a fait connoître que la plupart des efprits qui " ^''"''- P
ont de la facilité à entendre lesraiibnnemensdelaMétaphy- "
fique ne peuvent pas concevoir ceux de l'Algèbre j & réci-
proquement que ceux qui comprennent ceux-cy [ont d'or-
dinaire incapables des autres. Etjene voy que ceîuy de vô-
tre Altelîè auquel toutes chofes font également faciles. C'eft
une des plus grandes raretez de ce monde de pouvoir heu-
reufèment allier une connoiilance parfaite de l'Algcbre , &
de tout ce qu'il y a de plus abftrait dans les Mathématiques
avec celle des cliofès Métaphyfiques. L'intelligence par-
faite des écrits de M. Defcartes dépend néanmoins de cette
heureufe union de chofès extrêmes, qui paroifïent incompa-
tibles enfcmble dans les efunts du commun. C'efl ce quire-
Laulîe infiniment le mérite^^îla PrincelTe, &; quiiêrt à juC
tilier le jugement qu'en faifbit M, Defcartes.
La Pnnceiïè continua de Philofopher de vive voix avec Ce n'eft pas
M. Defcartes , jufqu'à ce qu'un accident l'obligea de quitter ^"'')s "^ s'é-
le léjour de la Hollande. Mais afin que fon éloignement y^^r^^Xl
d'auprès fbn cher Maître ne luy fût point préjudiciable , el- puis que m.
le chan2;ea fes habitudes en un commerce de lettres, par le ^^^"ites a-,
1 . voit Quitte
moyen, duquel elle trouva dequoy s'inftruire de plus en plus Eyndegccft
dans la recherche de la Vérité, & dequoy fe confolerdans pouiEgmonj
fes difgraces. Mais pour faciliter l'intelligence de ces lettres, f^^^.^^i Jeg
qui fè trouvent dattées de divers endroits de l'Allemagne ^ lettr.
& de celles que M. Defcartes luy a écrites de fbn côté dans
les dernières années de fa vie , il efl à propos de continuer
l'abrégé que nous avons commencé de l'hiltoire de cette
Piinceflè.
Elle demeura en Hollande jufqu'à la mort du fleur d'Efl
pinay Gentil-homme François . qui avoit été obli2;é de fe ff*^^' ^^'^' f^
retirer de Ion pais pour éviter les errets de la jaloulie a un ^ M.Lcgrand.
grand Prince qu'il férvoit , au fujet d'une Demoifelle de
Tours , qu'il précendoic époufer. Ce Gentil-homme avoit
G g * beaucoup
134 ^^ Vie de M. Descartes.
1644. beaucoup de ces qualitez de l'efprit & du corps , qui fer-
1 vent à gagner rcftime 6c TafFedion des autres : &; il ne fut
pas long-cêms en Hollande fans s'attirer de nouvelles jalou-
iies, qui le firent aflafllner en plein jour à la Haye dans le
marché aux herbes pai le Prince Philippes cadet de toute
la maifbn Palatine. Le bruit courut alors qu'une adion fi
noire avoit été concertée fur les confèils de la Princefle
Elizabeth. La Reine fa mère , qui prenoit beaucoup de parc
à cette affaire , en conçut tant d'horreur , que fans Te don-
ner la patience d'en examiner le fonds , elle chaflà fa fille
avec fbn fils de chez elle, & ne voulut jamais les revoir de
fà vie. Le Prince Philippes fè retira à Bruxelles j èc s'é-
tant attaché au fervice ci'Efpagne , il fut tué à la bataille
de Rétel étant à la tête d'un régiment de cavalerie. La
PrincefTe Elizabeth fe retira à Grollen auprès de i'Electrice
douairière de Brandebourg fa parente , où elle demeura
pendant un têms aiTez confidérable , ne s'occupant guéres
que de la Philofophie dont elle faifoit fes plus profondes
méditations. Elle vivoit avec la fille de la douairière , qui
étoit la fôeur du jeune Eledeur de Brandebourg Frédéric
Guillaume , & qui fut mariée depuis au Lantgrave de HefTe-
CafTel Guillaume. Durant ce féjour elle fe fit un plaifir de
former l'efprit & le cœur de cette jeune Princefîe ^ &: elle
l'inflruifit avec tant de fùccés, qu'elle en fit une perfbnne
d'un très-grand mérite. Le mariage qui fè fit enfuite entre
l'Eledeur de Brandebourg 6c la fille du Prince d'Orange
Frédéric Henry , avec laquelle nôtre Princeile Philofbphe
avoit eu d'étroites liaifbns pendant tout le têms de ù de-
meure à la Haye, luy donna de fréquentes occafions d'aller
à Berlin chez les nouveaux mariez, 6c d'y faire d'afFez longs
fëjours, mais toujours à la compagnie de la douairière mère
de l'Eledeur,
La paix de l'Allemagne heureufcment conclue à Munfler
ayant rétabli tout le monde dans fes Etats , nôtre Princeflè
alla demeurer à Heidelber^ avec l'Eledeur Charles Loitis
♦PércdcMâ- fbn frère *. Elle y pafîa quelques années, jufqu'à ce que la
^*™ r. Mon- nies-intelligence qui fe mit entre ce Prince 6c i'Eledrice fà
fieur frcre u- femme Charlotte de HefTe vint à rompre leur ménage 6c
nique duRoy. leur fociétè conjugale. La broiiillerie étant montée jufqu 'au
point
Livre VII. Chapitre II. 235
point de les rendre infiipportables l'un à l'autre, l'Electrice i (j 4 ^,
fous prétexte d'une partie de chafTe fè retira à CafTel chez ——»».«
le Lantgrave fon frère , par le moyen de plufieurs relais qui
avoient été difpofez à cet effet : &: elle ne revint à Heidel-
bero; qu'après la mort de fbn mari arrivée le -^^ Septembre
de l'an léSo. La Princefîè Elizabeth s'etant jettée dans le
parti de fa belle-fœur contre celuy de TElecleur fon frère,
elle fut obligée de fè retirer enfuite du Palatinat , &c prit
auffi la route de Caflèl. Le Prince Robert leur frère, qui
avoit embraffé les mêmes intérêts , fut obligé de fe re-
tirer en Angleterre , où fon cadet le Prince Maurice * * Maurice
étoit au fèrvice du Roy Charles 1 1 leur coufin germain. Pfj^^ ^"^J«
Cette divifion dans la maifon Palatine a duré jufqu'à la qacparun^^
fin de la vie des uns 6c des autres. La Princefle Elizabeth ouragan qui
paiïa plufieurs années à Caflel de la manière du monde la ""^ a^^'V-
plus douce & la plus agréable qu'elle eût pu fouhaiter eadic que
avec l'Eledrice fa belle- fœur ôc fon amie intime, qui é- ^°gT"|!*"/°^^
toit fœur du Lantgrave Guillaume , & avec fon ancienne frërc,pour en-
élève fœur de l'Elcdeur de Brandebourg- qui étoit deve- lèvera laflotc
nuë la femme du Lantgrave, Se qui par fes vertus morales takw'krr"-
Eiifoit les délices de la Cour ôc des peuples du Lantgraviat cheflcs qu*ei,
de HefTe. L^Et-
Enfin nôtre Princefîe Philofophe accepta flir la fin de fes riemaksf °"
jours l'Abbaye de Hervorden ville Hanféatique de la Weft-
phalie dans le Comté de Ravenfperg. Le bénéfice étoit
d'environ vingt mille écus de rente r èc ce fut pour lors
qu'elle commen(^a enfin à goûter la fatisfadion que l'on a
d'être chez Iby, & dans un repos alfûrè. Elle fit de cette
Abbaye une Académie philofophique pour toutes fortes de
perfonnes d'eiprit & de Lettres, fins diftindion de féxe ny
même de Religion. Les CathoHques Romains, les Calvi-
niftes,les Luthériens y étoient également reçus, fans en ex-
clure même les Sociniens & les Déiftes. C'ètoit affez pour
y être admis que l'on fût philofophe , & fur tout amateur
de la Philofophie de M. Defcartes. La vertu de fon cher y |^ j^^^j.^
Maître, qu'elle témoignoit avoir reconnue Ik. honorée très- Mff. de la
particulièrement , ne luy permettoit pas de ne pas efbimer J"g^"^^'^*^'
la Relii2;ion catholique , dont elle luy avoit vu faire les exer-
cices. Les engagemens de fa naiflànce & les préjugez de fa
Gg i) * première
13^ La Vie De M. Descaktes.
164.4.. pi'cmiëre éducation la retenoient arrachée à la Religion de
__ fa famille, qui écoit le Calvinifme donc elle fit profelFion au
moins extérieurement juf qu'à la mort. Son dernier établiL
femenc l'engap-eoic à s'accommoder au Luthéranifme , ayant
à vivre dans une Abbaye de conftitution Luthérienne, & à
gouverner des Rehgieufes qui en faiibient profelhon. Cet-
te Abbaye fut confîdérée comme une des premières écoles
Cartéliennes , mais elle ne fubUfta que jufqu'và la mort de
Elle étoit née Jq^ prioccfTe , qui arriva vers le mois de Mars de l'an lé'SQ
cembrc^éi^s' ^^p^^s plus de foixante &: un ans de vie.
Les habitudes fpirituelles de cette Princefïè avec M. Def-
cartes donnèrent encore occalion à quelques relations qu'il
Fag. 71 , f ^ , eut avec les deux autres Princslîes îqs fœurs par rapport à
du î vol des" ^^^^5 ^^^'^^ parce que le devoir &: la bienféance l'obligeoienc
îeur. de rendre fes hommages à leur naifîance lors qu'il alloic
voir fi difciole , que parce que dans un âge plus avancé el-
les voulurent fervir de médiation 6c de concours à la com~
munication de leur aînée avec nôtre Philofophe, en fouf-.
frant que les lettres mutuelles de l'un à l'autre paflafïènc
par leurs mains. La Princefle Sophie qui étoit la puînée de
toutes fe retira de Hollande quelque têms après la paix
de Munller, èc paifa à Heidelberg prés de l'Eleéteur fon,
frère ^ où elle demeura jufqu'à fon mariage avec Erneft
Aug-îlle de Brunfvvick-Lunebourg Adminiflrateur d'Ofiia^
bruck , 6c depuis Duc de Hanovre après la mort de Jean
Frédéric ion frère , qui n'avoit lailTè cpe d<zs filles de ion
mariage avec leur nièce Bénédide Palatine fœur de Mada-
me la PrinceiTe de Condè. Mais pour Madame la PrincelFe
* ii!e étoit Zomft HoEandine * filleule du Roy Louïs X H I , à laqueL
vrUik^i. " 1^ M. Defcartes prenoit la liberté d'écrire plus fouvent , eL
Noas avons ^^ avoit voulu demeurer à la Haye auprès de la Reine de
trois de fes Boliémc _ia mère : jufqu'à ce que celuy qui fit ibrtir Abra-
letties acctte j^^ de ioii païs & dc fa parenté l'appellât à un eenre de
Princefle im- . , ^ -^ ^ ^ y- ■ \ r ■ r< ■
psàmées au i. Vie pliis pur par un eriret tout extraordinaire de la miieri-
volumc. corde. Son ame s'étant trouvée tout d'un coup éclairée
d'une manière iurnaturelle, 6c ion cœur ne pouvant réfifter
aux mouvemens de l'Efprit qui la conduiibit, elle partit lans
prendre congé de la Reine ia mère, feignant une fimple
promenade à Skéveling au bord de la mer , pour ne luy
point
Livre VII. Chapitre IL 137
point donner de foupçons. Là le Prince Edouard fbn frd- i ^44.
rc , marié en France avec Anne de Gonzagues fille de Char-
les Duc de Mancouë ôc fœur de LouïTe Marie Reine de ^/^^ ^^ ^'^■
Pologne vint la prendre avec une rregate , oc 1 amena en ceiic d'au- '
France où elle fè fît Catholique : & pour s'engager encore i»uid'huy.
plus étroitement à la pratique des confèils de l'Evangile les En idjs.
Î)lus difficiles , elle voulut embrafTer la vie Religieulè fous
a régie de S. Bernard. Elle fut depuis établie Abbefle à En 15^4,
MaubuifTon prés de Pontoifè , d'où elle regarde les tempê-
tes de ce monde avec une tranquillité profonde. Nôtre
Princefîe Philofophe ne parut point afTez foumife aux or-
dres de Dieu , dans la vue de cette heureufè révolution ar-
rivée à fà fœur. Comme elle l'avoit toujours aimée tendre-
ment, elle fèntitfon éloignement jufqu'aû vif.
Mais M. Dîfcartes n'étoit plus au monde pour calmer
{on efprit , àc pour luy faire reconnoître le doit de Dieu
dans ce coup extraordinaire de fà Providence , comme il a-
voit fait plulieurs années auparavant au fujet de la conver-
fion du Prince Edoiiard leur frère. Ehzabcth n'avoit pas
trouvé mauvais que ce Prince paffât de rAiigleterre en
France 3 & qu'il y fit quelque alliance capable de donner
de l'appuy à la maifon Palatine, dont le rétabliiîemcnt luy
tenoit au cœur. Mais elle n'avoit pu digérer fbii change-
ment de Religion. Le chagrin qu*elle en eut fît de telles
impreffions fur fbn corps , qu'elle en tomba malade : 6c peu
s'en fallut que cette converiîon ne la fit murmurer contre
la miféricorde de Dieu pour fon frère. M. Defcartes fè
trouva obligé de travailler tout à la fois à la guénfbn de fon
efprit & à la juflification de la conduite de Dieu dans la
jettre de confolation qu'il luy en écrivit. Mais parce qu'il
n'avoit jamais remarqué en elle beaucoup de di/pofirion
pour examiner la vérité de nôtre Religion, il crut devoir
n'employer que des raifbns purement humaines & propor-
tionnées aux fèntimens qu'elle en avoit pour la refondre ,
&: pour fbumcttre fon efprit aux ordres éternels, laiiîant à
Dieu même le foin de luy toucher le cœur en éclairant f -a
efprit, & de la prévenir des mêmes grâces qu'il avoit faites
au Prince catholique.
Je ne puis nier, luy dit-il, que je n'aye été furpris d'ap- «t
Gg iij * prendre
238 La Vie de M. Descartes.
1644.» prendre que vôtre Altefle ait eu du déplaifir jufqu^à s*en
Tom i.dcs '5 trouver incommodée dans fa fànté , pour une chofè que la
icttr. pag. ,5 pjyj grande partie du monde trouvera bonne , & que plu-
^^ '^°' » fleurs fortes raifbns peuvent rendre excufable envers les au-
>5 très. Tous ceux de la R.eJigion dont je fuis , qui font fans
» doute le plus grand nombre dans l'Europe , font obligez de
M l'approuver , 'quand même ils croiroient y voir des circonfl
» tances 6c des motifs apparens , qui ne leur parufîenr pas
>5 entièrement louables. Car nous croyons que Dieu fè fèrt de
îî divers moyens pour attirer les âmes à fby j & que tel efl en-
M tré dans le cloître avec une intention qui pouvoit n'être pas
» afièz pure, lequel y a mené dans la fuite une vie fort fàinte.
>3 Pour ceux qui font d'une autre créance, s'ils en parlent mal,
» on peut récufer leur jugement. Car comme dans toutes les
53 autres affaires touchant lefquelles il y a div<?rs partis , il efl
}> impofTible de plaire aux uns fans déplaire aux autres , s'ils
» confîdérent qu'ils ne feroient pas de la Religion dont ils fbno
î3 préfèntement , fî eux , ou leurs pères, ou leurs ayeuls n'a-
33 voient quitté la Romaine , ils n'auront pas fujet de railler
33 ou d'accufèr d^inconftance ceux qui quittent la leur. Pour
33 ce qui regarde la prudence du fîécle , il efl vray que ceux
Raifon de 33 qui Ont la fortune chez eux, femblent avoir quelque raifbn
fion'^dcs' " ^^ demeurer autour d'elle , éc de joindre leurs forces enfèm-
cnfans de '3 ble , pour cmpêcher qu'elle n'échappe. Mais ceux de la
Il maifon „ rnaifon defquels elle efl fugitive , ne font point mal , ce me
55 fèmble, de s*accorder à fuivre divers chemins , afin que s'ils
33 ne la peuvent trouver tous , il y en ait au moins quelqu'un
33 qui la rencontre. Cependant par ce qu'on croit que chacun
33 d'eux a plufieurs refïburces , ayant àes amis en divers partis,
33 cela les rend plus confîdérables que s'ils étoient tous enga-
33 gez dans un feul. C'efl ce qui m'empêche de croire que ceux
» que vous fbupçonnez d'avoir été auteurs de ce confèil , ayenc
» en cela voulu nuire à vôtre maifon.
Ih
Chap4
LivreVII. Chapitre III.
^9
CHAPITRE III.
i6 4.4..
Jtetour de M. Defcartes à Pans y où, il void les Je fuite s , renou^
velle Ces amitiez^ avec eux , ^ farticuliérement avec le P.
JSourdinfon ancien adverfaire. Jl rentre dans de nouveaux cha-
:grins contre quelques autres Pères de la Compagnie qui parlaient \
mal de fes Ecrits. Entrevues ^ amitié x^ avec M. Clerfelier
é* M. Chanut qui le mène chez^M. le Chancelier ^ ^ travaiL
le inutilement pour luy procurer unepenfion du Roy. Il void le
chevalier d'Jgby fon ancien amy , avec lequel il a des confé-
rences. Jugement de Thomas Anglus. M. Defcartes void M.
de Roberval. Carafière de l^effrit ^ des amitiex^ de cet hom-
me. Le P. Merfenne va en Italie , ^ M. Defcartes retourne
en Hollande. Il efi arrêté a Calais 3 oà il lit la verjton de fes
principes,
SUr les mefiires que M. Defcartes avoit prifès à fbn re-
tour du Poitou pour fë rendre en Hollande avant les
glaces, il s'étoit réduit à la nécefîîté de ne pouvoir point
pafler plus de dix ou douze jours à Paris. Il les employa en
des vifites continuelles, qu'il rendit à Tes anciens amis, qu'il
n'avoit vus depuis le fîége de la Rochelle , oc à ceux que
fà réputation luy avoit faits pendant fon ablence. L'un de
(qs premiers foins fut de voir les Jéfiiites du Collège de Tom. i. des
Clermont, où fè firent les dernières cérémonies de fa ré- i^ttr. pag. ij.
conciliation avec le Père Bourdin, en préfence de leurs a- item pag.
mis communs delà Compagnie. Ce Père ne prétendit point \^^ u'° &c,
s'en tenir à de fimples embralîèmens , ou à des témoigna-
ges vulgaires d'une amitié ftérile : il voulut la rendre agifl
iante par tous les fervices qu'il fèroit capable de rendre à
M. Defcartes j & il s'établit fon correspondant pour les let-
tres qu'il auroit à envoyer aux Pérès de fà Compagnie dans
les provinces , & pour celles qu'il auroit à recevoir d'eux.
Il fît prcfent du nouveau livre de fès Principes à ceux d'en-
tre eux , qui étoient de (es principaux amis , & leur en en-
voya encore une douzaine d'exemplaires pour ceux qui n'é-
toient point à Paris. Il y en avoit deux pour le Père Cliar-
let
140 La Vie de M. Descartes.
1(3 4 4. 1^^ Afîîfîiant duP. Général à Rome -, deux pour le P. Diner,
c]ui depuis la mort du Roy Louis XI 1 1 * dont il venoit de
* Arrivée le rccuëillir les circonftances édifiantes pour Tufage du Public,
ccnfion 14 de ^^^^^ ^^^ retenu pour être auiîi le Confefleur du Roy Loiiis
May 1^43- XIV par la Reine régente fa mère ^ un pour le Père F.
( c'étoit peut-être le P. Jean François) fon ancien maître j
un pour le P. Vatier, un pour le P. Fournier , un pour le P.
Pag. 108,10^, Meiland, un pour le P. Grand~Amy, &c. Il accompagna
ut lupr. ^^^ préfens de lettres pour être envoyées avec les livres : &c
de celles qii ibnt venues jufqu'à nous, il n'y en a aucune qui
Tom. 5 pag. ne fût remplie des marques de fà vénération pour leur vertu^
305, 106,107, ^g ^Q^^ eftime pour leur fçavoir . de fà reconnoiilance pour
108,109,110, „,j V] , ? j ' , r • o 1 1 ^
jii ,&c. 1 éducation qu ils iuy avoient donnée autrefois , & de la con-
fiance avec laquelle il fè flatoit qu'ils feroient valoir fa nou-
velle Pliilofôphie. Mais cette confiance, qui ne fut pas entiè-
rement vaine à l'égard des Pcres que nous avons nommez,
Tom. 1 pag. devint fiifpede de quelque préfbmption à plufieurs autres je-
îi, i^9, 378. /iiiccs, qui ne connoifibientpas le fonds de fbn cœur. Parceque
lanaïvetédesAnciensn'étoitplusàlamode dans l'art d'écri-
re, quelques-uns voulurent cenfurer celle qu'il faifoit paroi-
Tom. I. pag, tre dans la bonne opinion qu'il témoignoic avoir pour les ou-
4^2-, 511. vrages. Ils fe mocquérent dés-lors de la prédidion tacite qu'il
Tom. 3. pag. faifbitque fès écrits pourroient êtreunjourfubftituezà ceux
58, !9, èo. qu'on dictoit dans les écoles publiques'^ & ils travaillèrent de
bonne heure à le rendre faux Prophète : en ouoy l'on auroic
tort de fe plaindre qu'ils eulîentmal réiiilijufqu'à préfènt.
On Iuy donna fur la conduite de ces derniers des avis
qui penfèrent le brouiller de nouveau avec quelques-uns
p jjifoj„ de cette Compagnie , qu'on pretendoit répandre dc^
3. bruits fort peu obligeans touchant fà Philofbphie, Il fentic ,
i-:em la lettre renaître les penfees qu'il avoit eiiës autrefois de réfuter celle
Mf à fon pé- qu'ils enfeisinoient. Il vint à bout néanmoins de les étouffer.
Il IToaoLc ^^ ^^ P^*^^ même pour la confidération de ceux de cette Com-
3640, pagnie qui étoient véritablement les amis. Car il empêcha un
autre de Cqs amis, qui n'étoitpas des leurs , de publier un
traité qu'il avoit compofë pour le vanger de tous leurs diù
cours delavantageux , & pour mettre en parallèle hs défauts
de la Philofophie qu'ils enfeignoient dans leurs écoles , avec
les avantages de celle qu'il avoit pubhée dans fes écrits.
- Il
LïVRE VIL Chapitre ÎIÎ. 241
II fècrut obligé durant Ton féjour de Paris d'aller aufîi ren- 1^4
dre vifice à Monficur le Duc de Luyiies,qui Juy avoic donné - .
des marques fi éclatantes de fon eftime par l'honneur qu'il
luy avoit fliit de traduire fès Médlt.^tio^s , &c de lu y abandon-
her ia traduclion avec la liberté d'en faire ce qu'il jugeroit à
propos.
1 1 vid auiTi M . Clerfclicr Avocat en Parlement^qui avoit tra- Chade=
duit les objeétions faites contre fes Méditations avec fé:; ré-
ponfès à cQs objections. C'étoit un homme d'une probité in-
jfigne, qui ayant borné toutes fes vues aux avantages d'une
vie privée & tranquille, n'avoit point eu d'autre ambition que
de rendre la vertu floriilante dans fà famille , & de cultiver
les fciences avec un nombre choili d'excellens amis. Il avoit
pour beau-frére M. Chanut^ qui n'étoit encore alors que Pré- Pierre,
Hdent des Tréfoners de France en Auvergne, oC qui fat de-
puis Ambafladeur en Suéde , Plénipotentiaire en Allema-
gne, Ambaifadeur en Hollande, êc Confêiller d'Etat ordi-
naire. Mais comme ce vertueux homme palîe maintenant
pour le fécond auteur du Cartéflanifine, ta.nt par la révifîon
ôc la publication des ouvrages de M. Dcfcarres, que par la
compofition de fes propres écrits, il cfljufte d'en donner une
connoiilance un peu plus particulière a ceux qui aiment cette
Philofophie. M. Clerfelier étoit né le xxi de Mars de l'an
1614^ & avoir eu pour père Claude Clerfelier, Confêiller
Secrétaire du Roy , dont il portoit le nom , Se pour mère
Marguerite l'Empereur. N'étant encore âgé que de fcize
ans il avoit été trés-richement marié le 5 de Novembre de
Tan 1630 avec Anne de Virlorieux âgée de xx ans ^ qui étoïc
^\q: du Greffier en chef du domaine de Bonrbonnois, &:
qui luy apporta aulli une dot conlidérable. Elle donna à M,
Clerfelier quatorze enfans, dont la plupart moururent tort
jeunes. Il eut feulement deux filles mariées , 5c un fils qui
efl: mort fans enfans. La prémdére des filles nommée Cathe-
rine avoit époufé M. de la Haye * Maeftre de camp d'un * Mûm
Régiment de Cavalerie. Il donna l'autre nommée Geneviève c/?«r,»7.
à un Provincial de Picardie nommé Jacques Rohauli , d'à (fez
médiocre mais de fort honnête fimille. Tous Ijs piren.s
de la Demoilelle, hors ion père, eurent beaucou '> djdéplai-
fo de cette mes-alliance : 6c le nouveau gendre même s'étant
H h * ran^é
3.41 La Vie DE M. Descartes.
164.4.. rangé de leur party avoit tâché de s'en excufèr. Mais rien
-«—,=—*» ne pût vaincre M. Clerlélicr, qui trouvant ià fille toute dif.
pofée à luy obéir , & très contente de ce party , voulut ab-
solument ce mariage pour la coniidération feule de la Phi,
loibphie de M. Deicartes, dont il prévoyoit que Ton gendre
devoit êire un puillant appuy. L'événement a juftifié Ton
choix fort avantageufement, & le célèbre M. Rohault paC
fera toujours pour l'un des principaux ornemens de la fa-
nulle dés Clcrfèliers. îl ne refte plus aujourd'huy que deux en.
fins de M. Clerfelicr , dont l'un ell: M.* Clerfèlier Deiiioyers,
* Fi-ançois. qui n'eft ponit marié, 6c qui s'eft retiré du fervice après avoir
porté les armes pendant vingt ans en qualité de Capitaine
d'infonterie &de Dragons. L'autre eft Mademoifélle Anne
Marie Clerfèlier, qui efl: mamtenant majeure, mais qui n'a
jamais voulu écouter aucune proportion de mariage, quel-
que avantageulè qu'elle ait pu être. Voilà en quoy confiftoit
cette heureufè famille qui partageoit les foins & les délices
ce M. Clerfèlier avec la Pnilofophie Cartéfienne, Il mourut
dans la réputation de l\ui des plus pieux Philofophes de ion
têms le xni d'Avril 1684 âgé de 70 ans, & fut enterré à fàint
Barthélémy dans la Chappellede (àinte Catberme, où l'on
void fon Epicaphe. La paiTion qu'il avoit connue pour la Phi^
lofophie 8c les Ecrits de M. Defcartes fe communiqua telle^
ment à fà perfonne , que tous les intérêts de l'un devinrent
les intérêts de l'autre. M. Defcartes mit l'acquifition d'un tel
amy au nombre des meilleures fortunes de la vie. Il luy dé-
couvrit les fecrets les plus intimes de fon cœur : Se Ton peut
hardiment conter leur union parmy les exemples qu'on allè-
gue pour prouver que la vraye amitié ell plus forte que la
mort.
M. Clerfèlier fît entendre à M. Defcartes qu'il avoit en-
core un excellent amy dans fà famille dont il étoit déjà très-
connu , & qu'il feroit fort aifcde connoître réciproque aient,
C'étoit fon beau-frère M. Chanut , perfonnage d'un mérite
fort extraordinaire, qui s'étoit déjà fait une belle réputation
Voyez un (^ans le monde par rintégrité de fès mœurs , par fi doètrine,
pias ample é- ^ £ capacité daus les affaires, qui le faifoit re2;arder à la
I ocre de M. ^-^ r ^ , i v ,>^^ r i a /r r-.i
Chanut cy- Cour commeun homme utile a 1 Etat. Le nom de M. Ciia^
^f'^^s- , nut n'étoit pas inconnu à M. Delcartes: U deux ans aupa-
Tom,i.dc$ X- ^^^^^^^
Ne î'e 11. Fé-
vrier 1601.
Livre V 1 1. C MAP I T R E III. 243
ravaiit le P. Merfènnc luy en avoir écrit comme d'un hom- J <^4 4..
me qui çftimoit fès écrits, & qui jugeoit trés-avanta^^eafè-
mentdeluy. Cettcfavorable prévention que le P. Mer/ènne ^^""^ ï^^-i^^'
luy avoit donnée luy fît regarder la faveur que luy fit M. Cler-
felier de le mener chez M. Chanut comme le fèrvice le plus
{îgnalé qu'il pût attendre de leur nouvelle amitié. Celle qu'il
jura avec M. Chanut ne fut pas moins étroite : 6c l'on peut
dire que l'unique défaut qu'elle avoit d'être un peu trop ré-
cente par rapport à leur âge^ le trouva il bien réparé par ion
ardeur, qu'elle parut préférable à beaucoup d'autres plus an-
ciennes, 6c comparable à celle des Merfennes, des Mydorges
bc des Hardis. C'eft un témoignage que M. Chanurluy ren-
dit quelque têms après en ces termes. » Je vous écris avec ^""- ^^•
tant de confiance,qu^il lembleroit à qui ne me connoîtroit pas, a ^^^^^ ^^^l
ou qu'une étroite amitié de quarante années, ou que quel- et Aoûti^4$»
que égalité ou reilemblance dans les inclinations m'auroit et
donné cette liberté. Pour ce dernier, j'avoue qu'il y a une ce
fi grande diflance de vos penfées aux miennes, 6c que je me et
fèns fî foible auprès de vous, que Ton feroit trompé de penfer a
que vous m'aimaiîîez par reilemblance. Quaiità l'autre, je «
ne vous puis plus celer que mon cœur eft tellement porté c<
à vous aimer èc à vous reljDeder , que fi je n'ay les mérites et
d'une longue afFeclion , j'en ay au moins la chaleur 6c la fer- «t
meté, avec l'efpéranceque le têms me donnera cefèulavan- «
tage qui me manque pour vivre avec vous comme je le defire. et
M. Chanut pour commencer à donner à M. Defcartes des
preuves folidss de fon amitié naiilante voulut le mener chez.
Monfieur le Chancelier qui reçût nôtre Philofophe avec
tous les témoignages d'eftime qu'on pouvoit attendre d'un
Magiffcrat qui étoit homme de Lettres, fauteur des Sçavans,6c Reiar. MC..dc
qui avoit connu le mérite de M. Defcartes parla leéture des PoiUei.
Eilais de fa Philofophie , lorlqu'il fut quefHon de luy accor-
der le privilège de l'imprefiion. M. Chanut ne crue pas de-
'Voir s'en tenir à ces premières démarches : il voulut encore
employer le crédit qu'il avoit auprès de Monfieur le Chan-
celier, 6c même celuy que [es amis avoient fur Tefpnt du
-Cardinal Mazarin pour procurer à M. Defcartes une pen-
îîon duRgy, qui pût le mettre en état de faire de grandes
expériences,, 6c d'augmenter Jes connoiiTances qu'il avoit de
Hh ij * . h
i44 La Vie de M. Descaktes.
" ' ' la Nature. La chofe ne réiiffit pas au gré de M. Chanut; 6c
'"^^'^ -jyj^ Defcartes étant fur fon départ pour retourner en HoL
lande fut obli'j^é de le conloler en luy marquant qu'il ne re^
chsrchoit point ces fortes de fecours , 6c que s'étant fait une
mrxime c'e fe contenter de ce qu'il avoir plu à Dieu de luy
donnner, il croiroit avoir rcnîply tous fcs devoirs, s'il confà-
croit à l'utilité publique tout ce qui dépendoit de luy , c'eft,
à-dire, tous lès tajens èc tout fon patrimoine, fans fe fbucier
d'y employer le bien d'autruy.
On prérend que pendant ce peu de jours qu'il avoit à
Rcîat. Mf. lie palîer à Paris il hanta fbuvent les Pérès Théatins nouvelle-
M. Macquets j^giit; établis Cil Francc , qu'il alla prefque tous les jours en-
tendre la melie chez eux, qu il ht amitie particulière avec
plufieurs de leurs Pérès , 6c nommément avec le Père Chajf^
fuys.
Ce fut auiïî en ce voyage qu'il ma le Lord Kénelme Comte
nmourBtl'an d'/g-^j/ , Seigneur Anglois, Catholique, Chevalier de la jar-
î^6y. reticre , Chancelier de la Reine d'Angleterre, 6c fon Ré^
fidentà Rome , trés-connu en France par 'ÎQ'i habitudes 6c
L'ouvMgene fes écrits. Le Chevalier d'îgby venoit a'achever lacompo-
fut imprimé ç^xiow dc fon erand livre de (immortalité de l'Ame , ^ il eut
prés la mort de iongucs 6c de fréquentes conférences avec M, Defcartes
aeivi Dcfc. j^y collège de Boncourt, où ils s'étoient donnez le rendez-
;Voyezenics yoiis. Quoiqu'ils ne puiîent s'accorder fur quelques points
Viuiil'^'^^' de Métaphyhque touchant la nature 6c l'état de l'Ame, ils
Réir.t. de ne laillbient pas de s'eflimer beaucoup l'un 6c l'autre, Ils fe
Shc«^uecs. traitoient avec des honnccetez iL à.Qs déférences réciproques,
qui charmoient les témoins de leurs conférences. C'étoient
Aq^ fruits d'une amitié qui étoit ancienne de plus de fixans,
quoiqu'ils ne fefuflent point encore vus jufqu'alors , à moins
que Ton ne fuppofe un voyage de ce Chevalier en Hollande.
Tom. %. c?es j)^^ p^j^ j^^g y{^ d'îgby s'étoit déclaré le dérénfcur à^s
ati.pag.3 z, ,^^j,-j,^ 2^ jç 1^ réputation de M. Defcartes, En 1641 M.
Tom. i. pao-. Defcartes s'étoit fort intéreflé à la détention 6c à Télargiiîe-
îoî. ° ment de M. dlgby : 6c quoiqu'il ne nous paroiile pas qu'ils
Tom. X. pag. s'écrivifîcnt dans le têms de leur éloignement , leur amitié
"^^- n'en étoit pas moins bien Ibdtenuë. M. d'îgby la continua
Tom. j. des aprés la mort de M. Defcartes , en la faifant pafîer à là mé-
&i9<,. moire qui luy parut toujours cnere, 6ca les leclatcurs qu il
honor^^
Livre VII. Chapitre II I. 145
honora de Ton eflime. Ce Seigneur avoit prés de liiy le fa- 1^44.
meux Thomas An^lus Gencil-homme Anglois , Prêtre ca-
thohque d'une des plus anciennes maifons d'Angleterre , re-
vêtu d'un extiricur Hibernois, vivant dans une grande , mais
volontaire pauvreté. Son vray furnom étoit White , qu'il a- Albius étolt
voit coutume de dëguifcr, tantôt en Candidus, tantôt en Al- équivoque à
hius j quelquefois en Bidrxhi^ quelquefois en Richvvorth : mais & j»^^/^"^^ '"'*
il n'ëtoit prefque connu en France que fous le nom de Tho-
fjias Anglus. C'ctoit un Péripatéticicn encore plus extraor-
dinaire que M. le Chevalier d'Igby, & il le furpalToit apu-
rement pour l'obicurité de {bs conceptions , & pour l'in-
compréhenlibilité de les penfëes. Il étoit du relie l'un des
Philofophes les plus fubtils de fon têms, & il s'étoit affran-
chy del'airujettiiîementde laSchciaftique, qui retient la plu-
part des Péripatéticiens. M. Defcartes qui l'appelloit ordi-
nairement Monfcur Vitus avoit conçu de l'eftime pour luy
{îir les témoignages avantageux que M. d'Igby luy en avoir
rendus. Il fou IFiit volontiers que Thomas Anglus luy fît des
objections. La nature de fes objections & la haute idée que
M. d'Igby luy avoit donnée de fon efprit luy firent elpérer
de le voir bien.tôt rangé parmy les fèctateurs de fa Philofo-
phie. Mais ^événement fit voir qu'il préfumoit un peu trop
de la docilité de Thomas Anglus. Celuy-cy fe laifîa brouil-
ler la cervelle dans les queftions épineufès de la prédeflina-
tion, de la liberté, &de la grâce, qui commençoient à trou-
bler les faculrez Théologiques de Louvain , &: de Paris»
Perfuadé que M. Defcartes n'etoit point appelle de Dieu
pour luy donner les fôlutions néceflairesà ces difficultez tou-
tes furnatureiles , il aima mieux recourir aux lumières d'A-
Tifrote pour percer ces ténèbres myftérieufes. Ce qu'il en a
écrit avec cette afliflance ne refïemble point mal à des ora-
cles pourl'obfcurité : &c'eft peut-être ce qui l'a rendu inin- Decrct.facr.
telligible à Meffieurs de la Congrégation Romaine de 1'//?- ^{^^^' ^°^'
dex , & qui l'a fiit regarder par les Jéluites comme un Théo-
logien fauvag?. M. Defcartes s'étoit tellement réduit à la Labbcodiâns
connoifTa' ce des choies naturelles , que loin de jamais envi- ^^^''"i^/*'*''-
fager avec d'autres yeux que ceux de la Foy aveugle ôcfou-
mife les matières fublimes que Thomas Anglus prétendoic
pénétrer, jl ne voulut pas mêine entrer en parallèle av:c
Hh iij * M.
'24^ La Vie de M. Descartes.
164.4.. ^* ^^ Chevalier d'Igby pour la comioiffance de l'état flir-
r - naturel de nos Ames dans Tautre vie, après tout ce qu'il a-
voit écrit de leur diftinclion d'avec nos Corps dans fes Me-
xiirations. Je ne fçay fi c'étoit par modeftie ou autrement
qu'il en écrivit en ces termes à la Princeiîe Elizabeth. 's Pour
Tom. j. ,j ce qui eft de l'état de l'Ame après cette vie, dit-il , j'en ay
des leur. ^^ [y^Q^-^ moins de connoifiance que Monfieur dlgby. Car lait
^ ^' ' ,5 ûnt à part ce que la foy nous en enfeigne, je confelTe que par
„ la feule raifbn naturelle nous pouvons bien faire beaucoup de
„ conjectures à nôtre avantage , Se avoir de belles efpérances :
yj mais non point en avoir aucune alfurance. Cette réflexion
de M, Defcartes ne peut manquer d'être fort utile à ceux
qui entreprendront de lire le gros livre de M. le Chevalier
d'l2;by touchant riminortalité de l'Ame.
Quoique M. Defcartes s'attachât principalement durant
fbn féjour de Paris à voir ceux de Ces amis qu'il n'avoit ja-
mais vus, le nombre en étoit trop grand , èc le t:rme qu'il
avoit prefcrit à fbn féjour étoit trop court, pour pouvoir leur
Tom. 5. des donnera tous la fatisfadion qu'il auroit fbuhaitée. Mais il
îettr. pag. fe crut obligé fur tous les autres de ne pas oublier M.de Ro-
^ ^* berval., Il voulut rafiurer de fbn eflime, luy offrir de nou-
veau fon amitié, de luy déclarer de vive voix que toutes les
imprefîions de leurs petits démêlez étoient parfaitement effa-
?âg. 44t diî cées de fbn efprit. M. de Roberval fît ce qu'il put pour bien
wièmc tome, j-épondrc à l'honneur que luy faifbit M. Defcartes , & il pro-
tefla deladifpofitionoù il étoit de luy rendre ce qu il devait
à fon mérite ^ à fa condition^ Mais le peu de liaifon que M.
Defcartes remarqua dans fès entretiers luy fit aifément re-
connoître la vérité de l'idée qu'il s'étoit formée de fon efprit :
?ag. 514,4^8, '^c il luy fut aifé de juger que l'amitié de ce grand Géomc-
jzo, & les fm- xre étoit un bien trés-périfTable. Il luy fit pourtant la juftice
qu'à J24 441, de croire qu'ily avoit moins de malice ou d'afFedation que
& fuivamcs de naturel &. de tempérament dans fes manières peu poHes
«cc.du 3 toi». ^ defobligeantes : & il reçut fon amitié telle qu'il la pouvoir
donner , fans l'obliger à la garantir plus folide 6c plus du-^
rable qu'elle n'étoit.
Après la fête de faint Simon , le P. Merfènne délivré de
l'ïmprellion du gros recueil de pièces Phyfîques & Mathéma-
tiques <^u'ii intitula Cogicata PhyficO'Maphematica , 2c n'ayant
plus
Livre VII. Chapitele III. 147
plus rien au départ de M. Dcfcartcs qui pût le retenir à la i (^ 4 4.
Ville , partit pour un voyage de huit ou neuf mois qu'il avoit .
à faire en Italie : 6c M. Defcartes ayant lailîe le refle des
exemplaires de fcs Principes fous la difpofition de l'Abbé
Picot chez la veuve Pelé Libraire de la rue S. Jacques ^
prit la route de Calais pour retourner en Hollande. Il fut Lmr. à Picot
arrêté par les vents dans cette ville pendant prés de quinze ^^'^^ ^■^°-
jours, où il ne put s'occuper d'autre chofe que de la ledu- ^*^"^ " ^^^'^'■
re de la verfîon françoife que l'Abbé Picot fbn hôte avoit
faite de ion livre des Principes , & dont il avoit apporté les
deux premières parties avec luy. Il en écrivit au Traducteur
le VIII de Novembre , pour luy marquer qu'il la trouvoit
excellente, dc qu'il ne pouvoit la ibuhaiter meilleure. L'Ab- '^°^- h des
jbé Picot ne luy envoya la troifiéme partie que dans le mois Jj""' J^^;
de Février de l'année fuivante , de il n'en parut pas moins Févr. iiem
fatisfiit. L'Abbé l'ayant accompagnée de quelques diÔîcui- ^""-Mf-dc
tez dont il demandoit l'explication , M, Defcartes en luy du ^Févr?'
envoyant cette explication, luy manda que ces difficultez ^^^^'
mêmes, de la manière dont il les luy avoit propofées, fai-
foient honneur à fà traduction , de montroient n que le Tra-
ducteur entendoit parfaitement la matière ^ parce qu'elles «
ri'auroient pu tomber dans l'efprit d'une perfonne qui ne «
l'auroit entendue que fuperfîciellement. Pour la quatrié- « Lettr. Mf.
me partie de cette veiilon elle ne fut achevée de plus de fxx « ^ ^'^°' ^^
mois après, « J^J^^ "
Chap^
24^ La Vie De M. Descartes.
164.4.
CHAPITRE IV.
Arrivée de M. Defcartes en Hollande. Mort de M. Bannm^f
prêtre HoUandois fon amy. Réjouiffances de [es amis d'être cht
pour fbn retour. Jl fonge à pourfuivre fon froccz^de Groningue
contre Schoock'-us. jffu'e de celuy d'Vtrecht contre Voetitis. Pro-
cédures de ce luy de Groningue devant le Sénat Académique :, ce fi-
a-dire 5 les Profejjeurs de l'IJniverfité. Sentence rendue contre
Schoockius en faveur de Aï. De [carte s,
R Defcartes à fon arrivée en Hollande , qui fut le
XV du mois de Novembre, apprit de M. Bloemaerc
la mort le leur intime ami le fîeur Jean Albert Bannius Prê-
tre de Harlem, l'un des premiers Maficiens du fiécle. Cet-
te mort ëtoit furvenuë environ fix femaines après fon départ
de Hollande: & le Père Merfenne luy en avoit déjà donné
l'avis à Paris fur les nouvelles qu'il en avoit reçues de M,
Chriftbnus Huyghens fils de M. de Zuytlichem , par une lettre écrite
"geniws- \q xîv. d'Août au camp de l'armée du Prince d'Orange de-
vant le Sas de Gand. M. Bannius avoit été fbudamement
emporté d'un catarrhe , fuivi d'une défaillance qui l'avoic
furpris la nuit dxins un état de convalefcence. Cet accident
Lcttr. M.f.dc avoit été précédé d'une afièz lono-ae maladie.- &: fè croya^nti
nr. i^uyg- hors de tout danser, il avoit renvoyé le iour d'avant fa mort
hens a Mer- ^ ^. , ' . . K ^ ^ ^, , . ,
fennc du i« ^ous les parens qui etoient venus le vidter. C etoit un nom-
Août i^44, me d'une conduite irréprochable, également aimé des Ca-
tholiques & à^s Réformez de fon païs^ confîdéré de tous
les Sçavans de fon têms. La Mufique fur toutes les autres
fciences perdit infiniment à fà mort , au jugement de M^
Huyghens & du P. Merfenne. Il y avoit dans i^^ principes
des chofes trés-confidérables pour la théorie, principale-
ment depuis qu'il avoit embrafTc la Philofophie de M. Def
eartes, quoique la pratique ne réiiHit pas iî bien entre 'iQS,
mains , comme M. Defcartes l'avoit remarqué long -têms
avant M. Huyghens.
l°m aà*^" ^' ^^^c^'^'tes alla droit en Nord-Hollande fj retirer à
iîein3^4.'"' EgHiOiidde Biiinen , dans la réfolucjon de fe renfermer plu^
profondémeiAt
Livre VII. Chapitre ÎV. 249
profonc^ément que jamais au fonds de fbn ancienne fblicude, j g 4. 4.,
& de s'appliquer loin des iinportunitez de fes voifins fSc des ____^
vifîtes de fès amis à la connoiflance des animaux, des plan-
tes, 6c des minéraux. Cependant fes amis d'Qcrecht écoienc
encore dans de grandes inquiétudes pour fbn palîage , de-
Î>uis les fâcheufes nouvelles qu'ils en avoicnt reçues de Ca-
ais. Plufîeurs iè trouvèrent le xvn de Novembre chez M.
de Haeftrecht, où M. F^egius s'étoit rendu à la compagnie
d'un Gentil-homme fort quaUfié & fort ami de M. Defcar-
tes nommé yîntoiwj Studler van Zureck fèigneur de Berghen
en Kennemerlandt, à qui M. Defcartes avoit coutume de
faire fès emprunts pour l'argent dont il avoit befôin. Pen~
dant cjue l'on difcouroit des dangers de fbn voyage , plus ou
moins grands par mer ou par terre, ils virent arriver un au-
tre Gentil-homme nommé Coraclis van Hooghelande ^ç^m ve-
noit vifiter M . de Haeftrecht & le fbulager de fès incommodi- Ce Gcotit-
tez de la pierre par fes remèdes , ^ par Theureufe nouvelle ^).°^^^ ^^^-,
du retour de leur ami. il le montra aulh a propos que le Dteu ^gj,
qui fort de la m j chine pour délivrer la compagnie de fes in-
quiétudes. Il leur fit voir une lettre de la main de M.
Defcartes , qui changea leurs appréhenfîons en une joye tou-
te extraordinaire. M. Regius en porta aulîî-tôt la nouvelle !-««• ^^' ^^
À tous leurs amis de la ville , & il écrivit dés le lendemain ^^^^^\^^,'
une lettre de commune réjoùiflance en leur nom à M. Def- 1644.
cartes. Elle étoit remplie de vœux , pour demander au ciel
qu'il ne les expofat plus au danger de perdre le bien qu'ils
venoient de recouvrer ^ & que celuy qu'ils appelloient la
lumière éclatante de leur pats ne cefîât plus de les éclairer,
La lettre fut addrefTée à M. de Hooghîandt avec une belle î^ctt Mf. 37.
réponfè à celle que ce Gentil-homme avoit écrite en parti- Hoo2hdaa«tc
cuHer à M. Regius, qu'il ne croyoit pas devoir trouver che-i du is No-
M. de Haeftrecht. vcmbrc:644*
M. Defcartes pour fe procurer le repos nécefTaire a (es
études , fbngea d'abord à terminer le procez qu'il avoit â
Groningue contre le fieur Martin Schoockius ProfeiTifur &
Recteur de TUniverfité du lieu, & qui étoit un démembre^
ment de celuy qu'il avoit fallu foûtenir à Otrecht les années
précédentes contre le fieur Gilbert Voetius. Celuy-cy s'é- -^^^^ ^^ ^^^
toic enfin terminé à fbn avantage , ou du moins à fon bon- lettr. pag.
ip La Vie de M. D e s c a r t e s.
t ^4 4. neur , malgré toute la mauvaifc volonté des Ju les corrompus
. par Voetius : &c l'irrégularité de leurs procédures , telles, que
L«tr. Mf. de iiqi^s les avoHS rapportées,avoit tourné toute à leur conruilon.
du n Déccra- ^cs Etats de kl proviuce d'Utreclit indignez de la mauvaifê
brc 1643. conduite des Magiftrats de la ville, avoient éii obligez de
Let'.r. Mf. du prendre le parti de M.Defcartes coitreeux. Ils-,âv<jiient ar-
I Avril 1644. j-êt;é leurs procédures : &: pour faire un exemple public de
'*^°^' l'affront que méritent des Juges qui abufènt de l'autorité 6c
de la faintcté des loix , ils avoient contraint ces Magiftrâts
de révoquer certains privilèges ou pouvoirs qu'ils avoient
donnez à leur Umverfité en cette occafion. Plufieurs de ces
Magiftrats revinrent enfuite de leur égarement: 6c le regrec
qu'ils témoignèrent d'avoir fuivi trop aveuglément la paC
(ion de leur Miniftre, 6c de s'être mêlé de l'affaire de M.
De(cartes,ne lèrvit pas peu aux Juges de Groningue pour
régler leurs démarches dans le jugement qu'ils avoient à ren-
dre entre leurProfelîeur Schoockius & M.Dc/cartés. L'af-
faire étoit pendante au Sénat Académique ou Conleil de
^^ A'hl^fc' l'Univcrfité , qui étoit le Tribunal légitime où dévoient
de Védition ,' naturellement reffortir les caulès de Schoockius : & il s'agif-
&c. foit de réparation publiq e des injures atroces de des ca-
T001. 5. des lomnies dont étoit compofé le livre Latin intitulé Ph/lo-
Lettr.pag.iy. J^p^i^ Cartcfiana ou Admiranda Methodris ^ & publié par
* Cette lettr. Voetius fous le nom de Schoockius qui s'en déclaroit l'au-
en Franc. 'par- ^^^^^ ^ P^^ confjqueiit la caution. M. de la TliLÙUerie Am-
miies MfT. de bafladeur de France à la Haye, que M. Defcartcs avoitfol-
^^^^' licite de nouveau par une lettre latine* en forme de Requê-
Lettr. à Picot te OU il luy cxpofoit toute fon hiftoire, avoir écrit dés le
*"44. '^^ "^^^^ ^^ Mars 1644 '■^"^ lettre *de recommandation à MeC
^ ç, fleurs de Groningue tenant les Etats de la province , pour
4ei'Ambafl'a- l^s prier de veiller fur cette affaire, & ne paslaiffer périr le
deurefi: parmi bon droit par l'iiicapacité ou la prévention des Juges, com-
" ' me il fcroit arrivé à Utrecht fans fon intervention. M. Def.
cartes jugeant que Schoockius fa partie & Voetius qui fe
faifoit fblliciteur pour luy ne s'eiidormiroient pas pendant
Cette lettre fon voyage de France , & tâcheroient de prc fîter de fon ab-
cft^Lât.&Fr. ^gj^ce, avoir écrit le 27 de May à un Profeflèur de Gronin-
2;ue nommé le fieur Tobie d'André:, qu'il n'avoit vu qu'une
feule fois de ià vie, mais en qui il avoit remarqué allez de
\. ^. bonne
Livre VII. Chapitre IV. 251
bonne volonté pour le fervir. Il avoir prié ce ProfefTèur de 1644.
luy donner avis de tout ce qui fè paileroit par Paddrcfîe de —
M. de Hooghlandt fbn correipondant à Leyde pendant qu'il
fèroit hors des Provinces unies.
A fon retour de France il trouva cette affaire arrêtée flir
le même degré où il l'avoit mifè avant fbn départ : & l'in-
difFérence qu'il avoir pour fa pourfùite le fit fonger à toute
autre cnofê pendant les mois de Décembre 6c de Janvier
1645, regardant fesdeux procez d'Utrecht & de Groningue
comme deux pan les d'échecs , dont le gain ou la perte n^étoit ^.^"'^- ^^- *
pas capable de le toucher ny de le rendre plus ou moins (i>Avrii 1^4^,
heureux qu'il n'étoit. Néanmoins l'envie de n'avoir plus
d'autres afïliires que fès études, le fît fouvenir d'en deman-
der des nouvelles au fîeur Tobie d'André, qui ne luy avoir
donné avis de rien depuis prés de neuf mois qu'il luy avoir Peut- être par-
écrir pour fe faire informer de routes chofès. Sur la lettre "un^de'sTue,c&.
qu'il luy en écrivit le vu de Février, les juges citèrent
SchoockiuSj & firent les procédures néceffaires avec toute
la diligence & toute l'attention pofîîble. Plufieurs d'entre
eux avoient lus les livres de M. Defcartes , de forte qu'il
n'étoit pas poflîbie aux calomniateurs de leur impofer ou de
les furprendre comme les Magiflrats d'Urrechr rouchanr les
dogmes d'arhéifme & de fédirion qu'ils impuroienr à M.
Defcartes. Après avoir donc examiné le procez avec toute ,^^ ^^"^ ^^
I exactitude 6c toute 1 intégrité qui leur avoit ete recomman- cicur étoitaux
dée par les Etats de la province à la prière de l'Ambafladeur Etats de la
de France, ils rendirent leur fèntence le xiour d'Avril con- P'^o^"^"''^
j non âux ivlâ—
tre Schoockius leur collègue en fiveur de M. Defcartes. gjftratsde la
II efl bon d'en donner icy la copie en nôtre langue , pour viiie>
fàtisfaire la curiofité de ceux qui aiment les aétes publics.
Sentence rendue dans le Sénat Académique far l'TJniverjiié de
Groningue ^ des Oommelandes en la caufc de Meffîre René Def-
cartes Seiyfieur du PerroUyContre Maître M.artin Schooik Profep
feur en Liditc 'Vniverfté.
U dans le Sénat Académique les lettres, de Mefîire c< Nobiiiffî-
René Defcartes du xvii de Février, dû il réitère fes et ÎTi^Ocfcar
Y René Defcartes du xvii de Février, dû il réitère fes et ÎTi^Ocfcar-
plamtes contre Maître Martin Schoock Profeiîèur en Phi- « ces.
Il i) * lofophie.
fïiinum
151 La Vie de M. Descartes.
ï 6 4 5. " lofopîiie dans cette Univerfité , Icfquelles ont été portées
"fckrinf- '* aux trés-illuftres & trës-puiflans feigneurs les Etats de cette
main Do- „ province pat Ion Excellence Monfeigneur de la Thuillerie
^'^^''>y Anibafladeur du Roy trés-chrêrien , 6c où ledit (leur DeC
•»5 cartes demande réparation des calomnies 6c des injures a- >
î3 troces à luy faites par Maître Martin Schoockius dans le I
•Jï libelle qu'il a publie fous le titre de Philo fophia Cartefiana , M
•5 &: qu'il a reconnu pour Ton ouvrage afin de faire plùfir au ^
\-> fieur Voetius fon ami , comme il efl: plus amplement porté
53 dans la Requête que ledit iîeur Defcartes a préièntée à fa^
5> dite Excellence Monfeigneur l'Ambafladeur, dont copie a
55 été repréfentée & lue dans ce Sénat, d'une part. Et oiiy
5î de l'autre , Maître Martin Schoock, qui a non feulement
îî coïifenti , mais demandé que cette affaire fut terminée dans
5> cette Univerfité , perfuadé que Meffieurs les Curateurs le
M trouveroient bon. Après avoir examiné tout ce qu'il a dit,
« produit &; rapporté de vive voix &; par écrit pour fa jufti,
5> iication Ôc (qs défenfes. Le Sénat Académique auroit mieux
îî aimé n'avoir point eu connoiiîance de cette caufè ^ ne pou-
>5 vant voir qu'avec peine que deux fçavans hommes foienc
î5 tombez dans de telles conteftations , quoique la Philofophie
» dont ils font profeffion dût leur infpirer des fentimens tout
>3 contraires : & qui plus efl, auroit fouhaitté que ledit Schoock
5) ne fe fut pas mêlé d'écrire ce libelle , & eût laifTé vaider à
V3 Meffieurs d'Utrecht un démêlé qui les regardoit^ 6c où il
j) ne devoit prendre aucune part. D'autant plus qu'on n'étoit
>5 pas encore aflèz informé pour lors des fentim.ens diidit fîeur
53 Defcartes touchant la Philofophie j qu'il n'efl: pas honnête
« de méprifer &; de rejetter avec injures ce que les grands
» hommes tAchent d'inventer pour rémbellifTement & la per-
» fedion des fciences ^ 6c qu'enfin ce n'a point été jufqu'icy
53 l'inclination ny la coutume de nôtre Univerfité de fè mêler
î3 àQS difFerens d*autruy. Néanmoins pour tâcher de réta^
>3 blir la paix 6c l'union entre les S<^avans , ^ pour faire droit
33 fur les plaintes dudit fieur Defcartes , vu principalement
5î qu'on ne peut prouver par de bonnes confequences tirées
vi de fès Ecrits, qu'il enfeigne les maximes d'une nouvelle Sec-
33 te qu'on luy impute, ny Pathéifine , ny aucun àQs autres
î* crimes dont ii efl chargé dans le Hbelle dudit Schoockius.
Le
LivRK VU. Chapitre IV. 155
Le Sénat Académique a prononcé ôc jugé que ledit fieur c< 1^45.
Defcartes de voit fe contenter des proteftations & déclara- <c
tions volontaires dudit fleur Schoock , & acquiefcer à la diC «
pofition où il eft de les confirmer par ferment. Ces protefl ce
cations .dudit fieur Schoock font. <c
I. Que ce n'a point été entièrement de fon propre mou- «
vement qu'il a écrit contre le iîeur Defcartes, dont il n'a- «<
voit jamais été ofFenfë perfonnellement : mais qu'il y a été et
poufle principalement & animé par le Dodeur Voetiui , «
t^ui avoit feul intérêt qu'on réfutât ce qui le regarde dans la «
lettre dudit fieur Defcartes au P. Dinet, Se qui luy a four- «t
ni pour cet effet beaucoup de faits perfonnels, & entre au- ««
très, ce qui regardoit l'athëifine prétendu dudit fieur Def- «
cartes , éc le long Se odieux parallèle qu'il en a fait avec «<
Vanin. «
I I. Que le libelle intitulé Philofophia Carte fiana qu'il avoit « ^^^f^^li
compofé pour la plus grande partie à Utrecht, où il l'avoit <» theàns.
lailîe pour y être imprimé , étoit ibrti de la preile autrement c<
qu'il ne l'avoit écrit : mais que contre tout droit & raifbn «
on y avoit ajouté lans fà participation la plupart des cho- «c
lès <\m font \qs plus injurieufes & les plus énormes, qu'il ne «
pouvoir pourtant pas Ipécifier , parce que ceux qui avoient <c
fait ces additions avoient eu tant de foin d'en fiipprimer les ce
minutes, qu'il luy avoit été impoffible de les recouvrer. Et c«
même que contre fa déiênlè exprelle ils avoient exprimé fbn «<
nom dans le livre ou dans la préface, afin de faire plus fîx- et
rement retomber fur luy tout ce qu'ils y avoient inféré de «t
plus odieux, & dont ils étoientles iêujs coupables. <«
I I L Qu'il ne peut pas dire bien pofitivement qui eft ci sous p.é.
le fcélérat qui s'efl donné la licence de faire ces chan- <i texte qu'il
gemens dans fbn livre : mais qu'il en avoit laiiFé le foin de « voeau?.^"^
rimpreflîon à un certain étudiant nommé Lambert vanden <t
j'Waeterlaet * , qui étoit de tous les confeils du fieur Voetius <i * c'cft le
6c fon confident, & qui depuis fon retour à Groningue l'a- « fut^^J! t'"
voit importuné prefque toutes les femaines pour exiger de ci de vcetiu«:,
luy ce qui reftoit du livre. Et il ne le demandoit pas feule- *' ^ '^ prétr n.
ment en fon nom, mais comme il l*a toujours déclaré luy- .et ^ p^rodro-
même au nom de Voetius, qui luy avoit envoyé enfuite par « mus dont
ce même "Waeceriaet la copie du témoienasre dont il fera «♦ "°"^ *^°"*
Il uj * parle
254 L-^ Vie de M. Des cartes.
,1645. )5 parle Gv-apres. De forte qu'il avoit jufte raifon de foupçoiîl
' " ncr ledit fîcur Voetius d'avoir autant cantribué à toute l'e-
» dition du libelle que (on difciple Waeterlaet,qui avouoit qu'il
» n'en avoit jamais vu une feule page.
" IV. Qu^'il reconnoît que Touvrage qu'on luy attribue , de
» la manière qu'on l'a mis au jour,efl: écrit avec trop d'aigreur Sc
" de malignité : & qu'il avoit une grande averfîon pour ce gen-
" re d'ëcrire;,qui étoit véritablement fort différent du fîenj&qui
» ne convenoit nullement à un honnête homme ny à un vray fça-
>5 vant. Qu'il ne prétend en aucim fens que le lieur Defcartes fut
>3 directement ou indirectement Athée , ny aucunement fèm-
» blable au fugitif Caïn ou à l'impie Vanin , ou qu'il eût ja-
>3 mais rien dit, fait ou écrit qui méritât la moindre des ca-
53 lomnies ou les reproches horribles qui luy étoient faits dans
>3 ce libelle. Mais qu'au contraire il le tenoit pour un homme
" de probité &: d'honneur , &: pour un fçavant perfonnage : ne
» prétendant nullement qu'il fallût prendre à la lettre ou com-
»3 me véritable ce qu'il avoit dit des maximes ou loix de Sec-
" te qu'il avoit attribuées audit fîeur Defcartes & à fe& difci-
»> pies, puis qu'il n'àvoit jamais fçû fî ledit fîeur ou {qs diici-
" pies avoient di6té ou inventé de telles maximes.
« V. Q^efbn intention n'a voit jamais été d'excufer Voetius
>3 touchant l'impreffion de fon premier livre, ny même de fe
« l'attribuer comme s'il en eût été le véritable ou l'^unique
» auteur: puis qu'au contraire il avoit dit en termes généraux
« dans fbn fécond Ecrit qu'on avoit inféré beaucoup de cho-
« fes dans le premier qui n'étoientpas de luy. Q^e ce fécond
-»5 Ecrit qu'il auroit volontiers avoiié pour fîen avoit été com-
»5 mencé à Utrecht : mais qu'à fbn grand regret il y avoit été^
yy fupprimé , & que cela luy avoit donné lieu de rompre pref^
1-i que entièrement avec le fîeur Voetius.
M VI. Que lors qu'il étoit à Utrecht dans la plus grande
i> chaleur des dilFérens furvenus entre le fîeur Defcartes & le
» fîjur Voetius , ayant été fbllicité & vaincu par les importci-
« nitez de ceux qui crai2;noie'it que l'affaire ne tournât autre-
M ment qu'elle n'a.fait, il s'étoit déclaré en général Auteur
55 du livre pour ce qui regardoit l'ordre des fèctions & des
îj chapitî es. Mais qu'il avoit fbuvent fouhaité l'être juridi-
.^3 quement interrogé touchant les particularitez , afin d'en
/ - pouvoir
LivKE VIL Ghaî^itre IV. 155
pouvoir décharger faconfcicncc par fes déclarations. Qj^'e- ce 164 ^.
"tant encore à Groningiie, le fleur Voetiiis luy avoit envoyé « ^»
par "W^acterlaet le projet d*iin témoignage écrit de fà main, ce
( & dépt fe dans le Sénat) pour le figner dans les formes, ce
Ce qu'il avoit refufé défaire pour ne pas bleflér fâ confcien- ce
ce, ne voulant pas pour l'amour de luy rendre un faux té- «
j"noiG:nage. Mais que le fieur Voetius luy en avoit envoyé c<
depuis un autre plus conforme à la Vérité , qui pour cette ce
raifbn ne fervit de rien à l'afFaire qu'on traitoit alors. C'eft ce
pourquoy le S^ DematiusProfefleur enThéoIogieàUtrecht et
amy & aflbcié de Voetius dans cette affaire l'avoit encore ce-
extraordinairement foUicité de retrancher & de changer ce
beaucoup de chofes dans ce dernier témoignage qui avoit et
cté préfenté à Meffieurs les Sénateurs. c<
Ce qui étant ainfi félon la déclaration fincére que le fieur ce
Schoockius.en a faite avec les preuves (uffifàntes devant le ce
Sénat Académique, ledit Sénat affemblé légitimement juge et
que le (leur Départes y doit acquiefcer, &c s'en tenir fàtis- ce
fait. Qje pour plus grande fàtisfaétion on luy envoyeroit les ce
copies êc les formules du témoignage drefïe par le fieur Voe- et
tiusque le fieur Schoockius avoit refufë de figner ^ comme c«
aufîî la copie du billet du fieur Dematius , d'où il fera évi- et CcBîiicc
dent &c confiant que la fimple déclaration qu'avoit faite le et ^^^^"'*"
lieur SchoocKius n ayant ete extorquée qu a force de prières et veau } vol.
&; d'importunitez, a toujours eu fes exceptions & fes reflri- et «i" leur. p.
clions fous-entendu€S. FaitàGroningue dans le Sénat ilca- et ^^*
démique de TUniverfité, le x d'Avril 1645. ce
Cette Sentence lue & relilë en plein Sénat en préfence ce
du fieur Schoockius, fut approuvée & acceptée par luy ce
avec témoignages de remercimens pour les Juges.. ce
CHAP,
ié45.
Lettr. cîa f
May i^4j'»
UC.
* Deux de ces
Curateurs de
rUnivcrfité
àc Grotringue
fç. Heinfius
& Nievcnius
étoicnt con-
nus de M.
Defcartes.
Avec les co-
pies du faux
témoignage
de Yonius,
15^ La Vie de M. Descartes.
CHAPITRE V.
Surprife de M. Defcarus de fe v-oirjugé en [on ahfence ^ ^ avOTti
la froàuïlion de fes pièces: ce qu il prit pour un effet de l'évi"
dence de la bonté de fa caufe, Jl envoyé les aïies du jugement
de Groningue aux Magifirats d'^trecht^qui fe contentent de dé"
fendre rimpreffïon ^ le débit de tmt ce qui étoit pour ou contre
Defcartes. Contrarvention des deux Voetius à cette défenfe. Exa-
men du Tribunal iniquum, ou du libelle diffamatoire fait par
le jeune p^aetius contre la Sentence de Groningue. Voetius le père
i élève contre les Chanoines réforme::^ d'^trccbt, il intente un
procexjontre fon difciple Schoock ius y pour avoir déclaré la yérité
enjufiice, Ùefcartes efi difpofé à fe réconcilier avec Schootkius
^ Voetius. Jlfùt un Manifefte hifiorique ^ apologétique de
toute fon affaire aux Ma^rats d'I^trecht,
MR Defcartes ne f^avoit rien de tour ce qui fe paiîbit
à Groningue touchant fbn affaire. De forte que trois
fèmaines après U Sentence rendue en fa faveur, l'iaquiétude
le fit écrire fecrëtement aii (leur Tobie d'André , pour luy
marquer qu'ayant conflitué le fils de M. Camerarius ou De
la chambre , pour ion Procureur ou fbn Agent en fon ab-
fènce , il n'avoit pas prétendu le charger luy-même du foin
de fès affaires. Il vouloit feulement fe fèrvir ou du jeune
Camerarius, ou de quelqu'un de Meffieursles Curateurs* ,,
ou de toute autre perfonne indifférente pour préfenter au
Sénat Académique les lettres qu'il luy addreiîbit en forme
de Requête , afin de prier Iqs Juges de ne pas fouffrir que
Schoockius»publiât de nouvelles cilomnies, dont il avoit oùy
dire qu'il avoit rempîy leFaclumou l'Apologie qu'il vouloit
imprimer pour fbutenir les vieilles. Mais fà lettre 6c lès inquié-
tudes furent inutiles : & il fut furpris d'apprendre quelques
jours après que la diligence des Juges de Groningue Tavoit
prévenu de vingt-cinq jours en le mettant hors de procez.
Meilleurs de Groningue pour toute réponfe luy firent
envoyer la copie de la Sentence : 6c l'ayant trouvée toute
à fon avantage , quoique fort indulgente ^l'égard de Schooc-
Kius
ce
c«
Livre VII. Chapitre V. 257
kitts , il récrivic le xxvr de May au fieur Tobied'An- ^^4 5-
dré po.ir le remercier en fon particulier de Ces bons offices, èc """"——
pour le prier de préfènter en fbn nom les trés-humbles adions
de grâces aux Juges, Voyant qu'on avoit traité fort douce-
ment fbn adverfàire quoique puniflàble de la peine des ca-
lomniateurs, il jugea qu'il luy avoit été facile de profiter de
fà négligence, le criminel ayant eu tout lieu de fe juftifîer
& de défendre fà caufe en l'abfencede fbnaccufàteur ^ & de
fléchir des Juges qui étoientfes amis , fes collègues , Se qu'il
avoit demandez luy-méme pour connoîtredefàcaufè. Maisii
ne laifTa point de reconnoîrre que les Juges luy avoient don-
né toute ia fatisfidion qu'il avoit fbuhaitée , èc qu'il pou-
voit légitimement prétendre. " Car , dit-il aux MagiArats
d'Utrecht, les Particuliers n'ont aucun droit de demander le c< des jè«r',
iàng,ou l'honneur, ou les biens de leurs ennemis. C'eft uP*^^.
afïez qu'on les mette hors d'intérêt autant qu'il eft pofîible
aux Juges. Le refte ne les touche point , mais feulement le
public. Or le principal intérêt de M. Defcartes dans toute
cette affaire étoit que la faufTeté des accufations hiiQs con-
tre luy par le Miniil:re d'Utrecht fut découverte. C'eft pour-
quoy les Juges de Groningue n'avoient pii luy refafer les
Ades fèrvant à cet efFwt, après que Schoockius les leur eue
mis entre les mains.
M. Defcartes envoya incontinent ces Actes aux Magiftrats
d^Utrecht , fans prétendre néanmoins leur reprocher leur Avec cmq
mauvaife conduite, ou fe rendre partie contre Voetius ôc ^^'"•^^Y^'^-
^ dus âti i crc
Dematius, mais pour voir s'ils feroient quelques démarches Mnfenne.
en réparation du pafTé. Leur confufion augmenta fans dou-
te à la nouvelle du Jugement renda à Groningue , mais elle î-ettr. Mf. à
fe tourna en une mauvaife honte qui ne produifit autrecho- Jrf'dn^s'
fe qu'une efpéce de mépris , avec un Ade qu'ils publièrent juillet 1^45.
peu de jours après pour fè délivrer de cet embarras. Ils en
envoyèrent la copie à M. Defcartes, 6c l'Ade étoit conclu
en ces termes.
De la Jufbice de la ville d'Utrecht. Il efl defFendu très- «
rigoureufement à tous Imprimeurs & Libraires dans cette «
ville & franchife, d'imprimer, ou fiire imprimer^ de ven- «
dre , ou faire vendre aucuns hbelles , ou autres ce its , tels
i^u'ils puifTent^être, pour ou contre Defcartes ,. fous correc-
Kk * noa
C6
25S La Vie de M. De se a kt es.
I (^ 4 5. >5 non arbitraire. Fait le xi de Juin 1645 , & fîgné C. de RU
M. Defcartes ayant reçi cet Acte crut que les Magiflrats
vouloient entiéreinent alFoupir l'affaire. Mais il apprit en
même têms que Voetius defcfpcré de ce qui s'ëtoit paiTé
à Groningue, avoir un libelle contre luy fous la prelTe. C'é^
Tom. 3 des toit une lettre au nom de SchoocKius dont il faifoit achever
ktir, pag. 18. l'i:npreffion contre le gré de l'auteur qui la defavouoit , afin
de tâcher de nuire à SchoocKius , ^ de publier de nouvelles
calomnies contre M. Defcartes. Il étoit tellement accoutu-
mé à régenter la Magiilrature même , & à brider les Dévots
de la Réformation, qu'il n'avoit rien à appréhender de leur
part, pourvu qu'il fè fèrvît du prétexte de la plus grande
2;loire de Dieu , où de la deftrudion dç l'Antechrift Romain,
Voyex cy.de- Il venoit CHCore de fignaler fon zélé contre les Chanoines
vanc liv. 5, rcformez de la Ville , comparant leurs biens Eccléfiaftiques
touciat't^ceV ^"^^^ ^^ larcin d'Achan , dont il efl parlé au chap. 7 de
Chanoines. Jofué. Lcs Etats de la province avoient été obligez de s'en
plaindre aux Magiftrats de la Ville, pour faire juftice de ce
Lettr. Mf. de pétulant Prédicateur : 8c les Minières Tes confrères , dont il
d'A^nd^eTiïé ^v°^^ imploré le fecours avec promclîè de partager la dé^
vrier 1^45. pouillc avcc cux, étoicot encore aduellement occupez avec
Et tom. 3 des luy à le juftifier , & à prouver que les Chanoines étoient
Jcttr. impf , obli2;ez çn confcience d'abandonner leurs revenus aux Mi~
niltres.
Le jeune Voetius marchant d'un pas hardy fur les traces
de fon père ne s'accoûtumoit pas à déférer plus que luy aux
ordres des Magiftrats, Malgré leur ordonnance du xidejuiii
il ne laiffa pas de faire imprimer divers libelles faits indirede.,
ment contre M, Defcartes , voulant peut-être prendre droit
fur les termes de la défenfc qui u'exprimoient que les Impri-
meurs & les Libraires. L'un des plus infolens de ces Ubeliesiuc
celuy qu'il pubha contre Meffieurs de Groningue, fous le ti^
tre de Tribunal iniquum, dans lequel il le donna la hcence de
déchirer les Juges qui avoient terminé Paffaire de SchoocKius
fans que les Magiftrats d'Utrecht ayent fait connoître qu'ils
s'en miffent en peine.
M. Defcartes ne fut pas auiîî indifférent qu'eux à défen-
dre rhonneur de iès Juges j ^ il prit la liberté de leur faire
une
Livre VII. Chapitre V, 159
une îc^ére remontrance fur leurs devoirs, en fè contentant i <j 4 f.
de réfuter quelques-uns des principaux points du Tribunal •
iràquum du Calomniateur. Leicune Voetiusfeicrnantdcvou- v.iaitrtr.
loir prouver l'injuftice^c la nullité dr. r il accufoit la {ènten- ^ VoW'And
cède Groningue , rcprochoit d'abord l'incompétance aux du ks juiikc
Juges. Mais la caufe de M, Dcfcartes avo^t été addreflee par '^^'^^•
rAmbafîadeur de France aux Etats de la province de Gro- P^g. t7(iuîc'
ningue, où étoit le Profelîeur Schoock dont il fe plaignoit: tom.deslctir.
&elle avoit été décidée par les autres ProfeOèurs, qui félon
les privilèges de leur Univerfité étoient les îu^cs légitimes
de SchoocK j outre que leur jugement avoitete revu, exami-
né , & confirmé par les Curateurs de la méma Univerfitéj
qui étoient membres àç.s Etats de la province. Un autre re- r. „ %
proche du jeune Voetius etoit que ion père n etoitpas de la j tom,
jurifdidion de Meffieurs de Groningue, qu'on ne l'avoit pas
cité , qu'on n'avoit pas debatu la caufè avec luy. Reproche
d'autant plus déraifbnnable,queron père n'étoit ny deman-
deur ny défendeur dans cette affaire. Auffi n'avoit-on rien
jugé contre luy: on avoit feulement reçu les dépofîtions de
Schoock comme on fiit dans tous les procez criminels lorfl
que ces dépofîtions peuvent fcrvir pour excufer le crime de
celuy qui efl accufe. Le jeune Voetius fè plaignoit encore Page i^:
que le procez n'eût pas duré afïèz long-têms à fon gré • que
M. Defcartes n'eût agi que par une lettre , fans avoir pris
Avocat ny Procureur ^ & enfin, qu'on n'eût pas ufé de toutes
les formalitez que la chicane a inventées pour rendre les
f)rocez immortels. Mais ces formalitez ne font requifès que
orfque le droit efl douteux. C'efl l'ordinaire dans toutes les
Cours de Juflice que lors qu*une des parties a fî mauvais
droit qu'on void par fbn propre plaidoyé qu^elIe doit perdre
ïdi caufè, on ne prend pas la peine d'oiiir les répliques de
Tautre. Ainfion avoit donné à ScIioock autant de ioifir qu*il
en avoit fbuhaité pour confulter fbn affaire, & pour la dé-- -=
fendre : il ne fè plaignoit point qu'on lay eût fait aucun tort
en cela : il n'avoit point lieu de dire , que l'éloquence des
Avocats de M. Defcartes , ou la fubtilité de fes Procureurs,
eût fiirpris fes Juges : la feule évi ience du bon droit de M.
Defcartes avoit plaidé pour kiy, fars s'être vu obligé d'em-
ployer d'autres moyens. Mais la niédifànce commune des
Kk ij * EmifTau-cs
2^0 La Vie DE M. Descautfs.
I <î 4 5. Emillaires de Vcetias publioic deux chofès qui auroient pu
=• — ~ donner atteinte à la validité de la Sentence , fî elles avoienc
été prouvées^ & qui n'auroient pas manqué d'être alléguées
par le jeune Voetius r;ns le Tribunal iniquum fi elles avoient
eu quelque apparence. La première, que le fieur Defmarêts
Profeireur en Théologie â Groningue, quiavoit préfîdé à
ce j'jgemenr, étoit devenu l'ennemyde Voetius depuis l'af-
Eiire de la confrairie de Nôtre-Dame de Bofleduc que nous
avons rapportée ^ 6c qu'il étoit récufable dans l'efprit de
ceux qui le croyoient capable de relîentiment &: de ven-
geance. La féconde, que Schoockius étoit irrité contre Voe-
Lcttr. Mf. de tius,lbr ce v]u'il avoit refuie de le recommander pour la
?And^7u°?^. chaire de Théologie à Utrecht vacante dés Pan i 64 4,par
jtiiiicc 1^45. la mort de Mainard Schotanus ^ & qu'on pouvoit le ibup-
conner d'avoir voulu le vanger dans lès déportions. Maison
Içavoit allez que Schoockius étoit déjà tout difpofé à décla-
rer toutes choies avant qu'on eût donné la chaire de Théo-
logie à perfonne , &; qu'il en avoit écrit à M. Defcartes. A
l'égard de M. Defmarêts, M. Defcartes avoit affecté de ne luy
^ point recommander fon affaire , craignant de donner lieu de
le foupçonner d'avoir voulu tirer avantage de leur amitié,
&: du refroidiffement de celle de Voetius avec Defmarêts
depuis l'affaire de Bofleduc.
Tandis que le vieux Voetius occupoit la plume de fbnfîls
pour fe vanger de Meflîeurs de Groningue , il concerta en-
core avec Dematius Ion collègue les moyens de punir l'in-
gratitude de Ion difciple Schoockius. C'efb ainlî qu'il traitoic
l'obligation qu'avoit eue celuy-cy de préférer la vérité au
menlbnge devant le tribunal de t(i^ Jî-iges. Mais parcequ'il
V. saiacnus n'étoit pIus Ibus la férule, ils luy intentèrent un procezd'in-
<^ i» F- 3iv jm-^^s ^ comme s'il les avoit calomniez , Ibus prétexte de ne
vouloir pas fe rendre ablblument l'efclave de leur palfion.
Schoockius fut donc appelle enjuftice à Utrecht, où il fut
aifé à ceux qui de les protecteurs étoient devenus {q^ adver-
faires de l'opprimer, parcequ'il n'y avoit jamais eu d'autre
crédit que le leur dans le têms qu'il étoit leur complice, êc
que tout ce qu'il pouvoit avoir d'induftrie étoit beaucoup
Tom. 3 des au-deffous de leurs intrigues. Le procez ne lailla point d'ê-
&"i« ^' ^^ tre dcbatu au commencement i^vec alFez d'ardeur de parc
Livre VIT. Chapitre V. z6i:
&c d'antre. Voetius fît même publier par avance qu'il Ta,,
voit déjà gagné , quoy qu'il n'eût encore que l'cfpér?ncc
que luy donnoit fbn crédit. Mais Schoockius avec toute fa
foiblefîe ne put paroître aux Juges aulîî coupable que Voe-
tius Tauroit fôuhaité. De forte que le procez ne tournant
pas trop à l'avantage de Voetius fur fa fin , fut arrêté tout
d'un coup lors qu'il étoit prefque en état d'être jugé. Ils
ceflerent l'un & l'autre de le pouriuivre, après s'être réci-
proquement menacez qu'ils découvriroient les fècrets l'un
de l'autre : dc la crainte qu'on ne connût ces myftéres les
obligea de fe rallier, quoy qu'il n'ait point paru qu'ils fè
foient pardonné férieufement l'un à l'autre dans la fuite des
têms.
Il n'en étoit pas de même des difpofitions de M. Defcar-
tes à leur égard. La tempête finie, il ne fit aucune difficulté
de découvrir fon cœur. Il fut afièz généreux pour vouloir
prévenir ceux à qui il appartenoit de faire les premières dé^
marches de la réconciliation, fans exiger d'eux aucune fatisfac-
tion particulière 3 fe contentant de celle qui luy avoit été
rendue par l'autorité publique des Juges. Voicy ce qu'il en
écrivit au fîeur Tobie d'André. » De quelque naturel que
foit Schoockius , je fliis tout à fait perfuadé que vous ne de-
fapprouverez pas que j'offre de merèconciher avec luy. Il
n'y a rien de plus doux dans la vie que la paix : & il faut fè
fouvenir que la haine du plus petit animal, ne fùt-il qu'u-
ne fourmi, efl capable de nuire quelquefois , mais qu'elle
ne fçauroit être utile à rien. Je ne refaferois pas même l'a-
mitié de Voetius, fî je croyois qu'il me l'offrît de bonne
foy.
Voetius &; fbn fils raifbnnoient autrement à fon fujet. Ils
continuèrent leurs mauvaifès pratiques avec tout le coura-
ge 6c toute la perfévèrance qu'on puifTe fuppofèr dans des
ennemis irrèconciUables. Ils fe vantèrent comme aupara-
vant d'avoir obtenu une Sentence des Magiflrats d'Utrecht
contre luy , àc de garder encore une Adion contre luy dont
ils pourroient fe fervir en fon têms. C'efl ce qui porta M.
Defcartes à drefler un Manifefte Apologétique pour les Ma-
giflrats d'Utrecht, afin de pouvoir enfevelir une bonne fois
route cette afKiire, de de la bannir abfolument de fà mè-
Kk iij * moire
I ^4 y.
Item pag. 31.
ibid.
Lettre Mf«
à Tob.
d'André
du lé.
May liiS*
C'eft h pre-
mière pièce
du 3 voiume
des lettres Je
Defcartes.
i6i La Vie de M. Des cartes.
1^45. moire s'il etoit pofîible. Il leur fît ui abrégé hiftorique &
^ raiibiinë de ce qui s'ëcoit pailc dans leur ville depuis l'an
1659 touchant fa Pliilofophie & fa Perfbnne. Il leur expofà
toute la juftice de fa caufe ôc rinjuftice de fes ennemis , pour
les porter à luy faire raifon du tort qu'ils avoient fait à fà
réputation par la faveur qu'ils avoient donnée à Voetius.
CHAPITRE VL
M.ivei quoique Carte fie n^ n entend pas les livres de M. Defcar^
tes. Il excite M. Gaffcndi à écrire contre fes Principes. Àf^
Gaffendi s'en excufe ^ fe contente de dire quelques injures à
iVf. Defccirtes. Les Jéfuite s % témoignent vouloir fe ranger du.
far à de M. Defcartes. Différence de la conduite du P. Bour-.
din d'avec celle de M. Gaffendi à, regard de M. Defeartes.
Le P. Mefland va aux Mi.fJîons de l'Amérique. Sentimens
de M. Defcartes fur cette réfolution. Thé fes Carte fiennes fou-^
tenues à Leyde. De ceux qui paffentpour les premiers Poètes
Cartéfiens. Heereboord profeffe la Philo fophie Canéfiennek Lcy^
de. M. Regius commence a s écarter de la doctrine de fon Maître y
^ veut devenir Auteur d^ une Philo fophie particulière, il/. Def^
cartes luy fait de vaines remontrances fur fes erreurs. Regius
fe révolte^ forme fon fchifme contre fon Maître ^Q' luy frit in-
fuite dans une lettre. Ingratitude c^ infolence avec laquelle il
traite M. Defcartes ^ dont il fefit Plagiaire après fa mort.
CEpendant la publication des Principes de la PKilofb-
phie de M, Defcartes commençoit à produire (qs ef-
fets , mais d'une manière conforme à la difpofîition différen-
te où les efprits fè trou voient à l'égard du Philoibphe. Tout
le monde fe picquoit de vouloir lire fbn livre: mais tout le
monde n'etoit pas aulFi fincére que M. Rivet fur rintelligen-
€e qu'on en avoit. Cet homme faifoit profefTion d'être ami
de M. Defcartes • il avoit pris fbn parti contre Voetius Çox\
confrère dans l'affaire o'Utrecht ^ il s'étoit joint à M, de
Zuytlichem ôc à M. Pollot pour Ty fèrvir ^ & il ne faifbit
point difficulté de fe déclarer feâ:at_^ur de fa Philolbphie ,,
pour imiter piufleurs Cartéfiens avec lef(juels il avoit à vi-
vre.
LivKE VIL Chapitre VI. iS^
vre. Mais quoy qu'il file au rang des Scavans &; d^s bons ef- 164.^
prits du (îëclc ^ quoy qu'il eut ëcc long-tcms Profeiîeur dans — ____^
rUniverfité de Leyde , Mmiftre de l'Eglife Françoife , 6c
qu'il fut encore aduellement Confciller de Théologien du
Prince d'Orange à la Haye, cela ne Tempecha pas d'avouer
humblement qu'il ne comprenoit rien dans les principes &
les raifbnnemens de M. Defcartes. Il étoit trop tard à un
vieillard de 73 ans de vie, occupé du fpirituel de toute une
Cour , de vouloir le remettre à l'étude de la Philofophie ,
èc de jetter de nouveaux fondemens. M. de Sorbiére qui
luy rendoit quelquefois viiite furvint alfez à propos lors qu'il
en étoit à la ledure de ces Principes, non pas pour luy en
donner l'intelligence , mais pojr l'en délivrer par les diC
cours, &par un préient qu'il luy fît aux étreines de l'an
1645 du traité que M. GalFendi avoit fait contre les Médi- Epift. adcaf.
tations de M. Defcartes. M. Rivet le recrût comme un gage de ^^"'^- ^°'°- ^*
l'amitié de M. GafTendi, à qui il crut pouvoir faire fa cour aux 485/ ^'
dépens & à rinf(^û de M. Defcartes, avec lequel il n'avoit
pas de liaifbn immédiate. Il manda donc dés le lendemain
à M. Gailéndi après les remercimens qu'il luy faifoit de fou
beau préfent, que le Public n'attendoit rien moins de luy
contre les Principes de M. Defcartes , que ce qu'il avoit
donné contre fes Méditations, Le fîeur Bornius d'Utrecht
avoit déjà fait les mômes foUicitations à M. GafTendi dés Pajr. 4S0.
qu'il eût vu fbrtir ces Principes de la prefle d'Elzevier j èc ^P'^- Henr,
elles avoientété fuivies de celles de plufieurs autres perfon- f}°l^'^^^
nés, qui croyoicnt que ce feroit une chofe curieufe & utile
de voir aux mains les deux premiers Philofophes du fié-
£le.
M. GafTendi s'en excufa principalement à M. Rivet ;, ftir
la crainte qu'il avoit de renouveller une playe qu'il croyoit
fermée, ne jugeant pas qu'il fut honnête d'aller attaquer de
gayeté de cœur un homme qui le laifTbit joiiir de fbn re-
pos, & qui s'étoit abftenu d'inférer dans fbn dernier livre ce
qu'il avoit promis d'y mettre contre {es Infiances. Après ce
qui s'étoit pafTé entre eux , M. Gafîendi croyoit qu'il ne lui
étoit plus libre d'écrire contre M. Defcartes fans fe rendre
fufped de reffentiment ou de jaloufîe. Mais cette confidé- CafT. epift.
iration ne l'empêcha pas de décharcrer fon cœur à M. Rivet ^^ ï^'^^fp'5-
i- i^ O 117. tom. 6.
avec opcr.
2<?4 La Vie De M. Descartes.
I 6 4- 5. avec une ouverture, qui a fait juger que c'etoit moins la vo-
lonté que les forces qui luy ma îquoient. •» Le travail , dit-
jugement „ il ^ dont VOUS voudricz que je me chargeaile feroit alTez in-
S"^,.^^^: ,5 utile, parce qu'il me paroît que l'ouvraee mourra devant
fendj fait ■» r 1 .r T ■ P j i i-
desPnnci- " lo'i autcur. Je ne vois pcrfonne qui ait le courage de le lire
pes de M. ,j jufqu'à la fin,ricn n'eft plus ennuyeux, il tue fon lecteur, & on
^^ ^" « s'étonne que des fadailès ayent tant coûté à celuy qui les a
Calomnies „ inventées. Quant à moy , j'appréhende fort pour la témé-
la'kurau'^ " ^^^^ ^'^^^'^ hommc qui entreprend par ces voyes de détrôner
p. Dinet, >5 Ariftote des Ecoles pour fe mettre à fa place , & de faire
& lesRép. „ m^^ nouvelle Théoloirie pour lafubftituer à l'ancienne. On
aaud. " doit être larpris qu un aulli excellent Géomètre que luy aie
« ofé débiter tant de fonges & tant de chimères pour des dé-
>5 monftrations certaines.
Ce jugement que M. GaflenJi fèmbleroit avoir pronon-
cé de fang froid lur les Principes de M, Defcartes , trahifl
fbit un homme qui n'étoit peut-être rien moins que ce qu'il
vouloit paroître. Il n'en étoit pas de même de celuy que
les Jéfuites failoientde cet ouvrage. lien reçût des témoi-
gnages trés-avantageux des principaux de leur Compagnie,
jufqu'à lui donner des afTûrances que toutleurc jrps étoit pour
lettre Mf. luy & pour fà Philofophie.ïjJ'ay reçu, dit-il à l'Abbé Picot ,
du 9 Févr. ,5 Jes lettres du Père Charlet, du Père Dinet, du Père Bour-
^^^^' » din, & de deux autres Jéfuites , qui me font croire que la
Voyez CCS „ $cc été vcut être de mon parti. Il n'étoit rien de plus glorieux
ii°ift"re Mf ^" ^^ P^^^^ confolant pour M. Defcartes que les éloges que
à Picot. deux perfonnes d'aulîî grande confidération qu^étoient le P.
Charlet & le P. Dinet donnoient à ks ouvra2;es dans leurs
lettres. Mais en conddérant les marques d'eftime ^ d*ami-
rié dont celles du P. Bourdin étoient rempHes, on ne peut
s'empêcher d'oppoiér ce Père à M. Gallcndi, qui s'eft trou-
vé Çon inférieur en matière de retour &: de réconciliation ,
quoy qu'il eût eu beaucoup moins fujet de s'ofïe ifèr que ce
Père. Aulîi faut-ila'ouër que le Père Bourdin n'avoit pas
de Sorbiére qui l'irritât continuellement contre M. Defcar-
tes, &;qui le mit en danger de perdre la qualité du plus doux
à^ts hommes, que l'on n'auroït point dû difputer à M. GaC
fen-'i fuis ces fàche^fès épreuves.
La joye qu'eut M. Defcartes d'apprendre qu'il fût fi par.
Eiitemejiit
Livre VIT. Chapitre VI.
1(55
fliitemcnt uni de fèntimens & d'alïeclioii avec les JcfLiites ,
fut un peu troublée par le dernier adieu que luy die fbn in-
time ami le P. Mcfland, qui avoit obtenu fà miiïioii pour
aller en Amérique travailler à la converfion des Infî.ieiles.
L'affliclion que luy donna cette triPce nouvelle ne luy ôta
point la liberté de raifbnner fur larélblutionde ce Père, &
fiir la conduite môme defès Supérieurs. Il luy en récrivit
en ces termes. » J'ay lu , dit-il , avec beaucoup d'émotion
l'adieu pour jamais que j'ay trouvé dans vôtre lettre : &c il
m'auroit touché davantage, fî je n'étois icy en un païs où je
vois tous les jours plufieurs perfbnnes qui font revenues des
Antipodes. Ces exemples ii ordinaires * m'empêchent de
perdre entièrement l'efpérance de vous revoir quelque jour
en Europe. Encore que vôtre defïein de convertir les Sau-
vages foit trés-généreux &; trés-iaint, toutefois parce que
je me perfùade que pour l'exécuter on a feulement beibin
de beaucoup de zélé &c de patience, & non pas de beaucoup
d'elprit & de fçavotr ; il me fcmble que les talens que Dieu
vous a donnez pourroient être icy plus utilement employez
à la converfion de nos athées , qui fe picquent de bon ef-
prit, ôcqui ne veulent fe rendre qu'à l'évidence de la raifon.
C'effc ce qui me fait efpérer qu'après que vous aurez fait
quelque expédition aux lieux où vous allez , èc conquis plu-
sieurs milliers d'ames à Dieu, le même Efprit qui vous y
conduit aujourd'huy vous ramènera , de je le fouhaite de tout
mon cœur.
M. Defcartes recevoit de fréquentes nouvelles des grands
fruits que failoit la lecture de fon dernier livre à Paris , où
on l'afluroit que perfonne ne s'étoit encore élevé contre fa
dodrine. Ses prosirez n'étoient pas moindres en Hollande:
& dès le mois de Février M. deHooghelandluy avoit envoyé
trois théfes différentes foûtenuës depuis peu à Leyde , &
ne contenant que {es opinions. Ces diccés le firent fbnger
à faire imprimer les traductions Françoifes de fes Médita-
tions & d: fes Principes. N'ayant pas remarqué toutl'em-
preffement pofîible dans Elzevier pour ces éditions en nôtre
langue, il prit des mefuresavec M. Clerfelier & M. Picot
pour les faire faire à Paris. Mais la verfion des Principes
u'étoit pas encore achevée ..
Ll * Ce
1645.
Lettr. Mf.
u de Defc aa
P-Mclland.
* Le P.
Chailet
fon parent
en étoir re.
venu & a-
voit été de.
puis Pro-
vincial &
Afliftant
du Géné-
ral.
Lctt. Mf. à
Picot du 9>
Févr. I64Î.
Lettr UC. à
Clerfelier du
même jour.
Elzevier fe
plaignoit du
peu de dcbir
des Principes,,
comme le
Maire s'é-
toit plaintau
fujct des Ef-
fais.
164.5-
Moment* de-
fultoria.
V. la lettre
Latine de M,
Defcartes à
Henry Bni-
non, in Refcr.
prarliminarib.
de Moment,
defult.
* Appelle
maintenant
Enguien.
V. fon Char-K
îemagne pag.
68 & fuivan-
îes , où. l'on
fait débiter le
Carte fianifiBC
à un Ange ,
&c.
In Rcfcript
de Mo- 55
ment. De-
fultor.pra;- "
îimin. 53
Î5
»3
»
Kenry Louis
Habert Sei-
gneur de
Montmort &
de la Brofle
de l'Acadé-
înic Françoi-
fe.
iC6 La Vie de M, Descartes.
Ce fut vers le même têms qu'il reçut le préfent que M.
de Zuytlichem luy fit de Tes Poëfies. Elles avojent pciru dés
l'année précédente fous le titre à! Heures perdues : & l'Auteur
avoit donné commiffion pendant fon abfence au Heur Hen-
ry Brunon d'en faire tenir un des premiers exemplaires à
M. Defcartes, qui étoit alors en France, mais qui ne le re-
çût que quelques mois après fon retour en Hollande. Par-
mi les belles pièces du Recueil fe trouvent celles qu'on y lit
fur les Principes de la Philofophie de M. Defcartes, fur fon
axiome Je pcnfe donc je fuis :, fur fon nom , fur fon portrait ; &:
ce qu'il aajoiité depuis fur fa mort. En général tout ce qu'il
y a de philofophique dans ces poëfies ne roule que fur la doc-
trine de M. Defcartes. De forte que M. de Zuytlichem a
ôté à M. le Laboureur Bailly de Montmorency * la gloire
que plufieurs luy donnent en France , d'avoir été le premier
Poëte Cartéfien qui eût paru dans le monde. Le Père Mer-
fonne dans le remerciaient de l'exemplaire qui luy avoit été
donné, témoigne à M. de Zuytlichem qu'il auroit fait en-
core autre choie fi Dieu l'avoit fait Poëte comme ce Gen-
tiî-homme. ^î Je vous alTùre, dit ce Père, que fi j'avois au-
tant de génie pour la Poëfie que vous , je mettrois toute la
Phyfique de M. Defcartes en vers , comme Lucrèce a fait
celle de Démocrite. Mais je le ferois avec plus de grâce que
luy, car je vous imiterois : c'eft-à-dire que j'en ferois une
partie en vers héroïques, une autre en fipphiques , une au-
tre en iambiques, &c. félon le caprice qui me prendroit.
Mais ce bon Père ne fçavoit pas encore alors que la Pro-
vidence préparoit la veine de l'un des plus lUuières Magif
trats du Royaume pour donnera la Philofophie de M. Def-
cartes plus que Lucrèce n'avoit donné à celle de Démocri-
te. Ce Magiftrat étoit Monfieur de Montmor Maître des
Requêtes , univerf.^llement connu pour fon fçavoir, fon ef-
prit, & fa vertu. Il avoit une eftime infinie pour la Philofo-
phie & la perfonne de M. Defcartes , qu'il foUicitoit par
plus d'une forte d'artifices de prendre un établifiTement à
Paris ou dans le voifinage. Comme il avoit de beaux talens
pour la poëfie, il n'eut pas plutôt lu le hvre des Principes
de M. Defcartes, qu'il voulut fe donner leplaifir de \ç.s met-
tre en vers. Le Poëme latin qu'il en fit avoit pour titre
" pag. 371-
(C
LivreVII. Chapitre VI. 2(37
De rerum Isfaturà: & M. de Sorbiére prétendoit que -^-iles 1645.
penfées de M. Dcfcartesy éioimî plus aifécs à. entendre que dans ^^ iG 4.^.
les écrits de leur Auteur. Il ne pouvoir comprendre comment j, sormerc
ce Pocte avoit pu trouver des mots dans la latinité ancien- ^^ ',^^"-.*^
ne pour les expliq 'er,parceque , félon luy, c'étoient toutes ^' '^' '" ^^
penfées n uveiles, qu'on n'avoit pas même eues en fbnge
du tcms des Romains. Le Public joùiroit mauitenant de ce
beau Poëme Cartëfi^n, lî M. de Montmor avoit eu autant
de confîdëration pourluy, que le Chancelier de l'Hofpital ,
le Préfident de Thou , & les autres illustres Poètes de la
Robe. Mais pour revenir aux Poëfîes de M. de Zuytlicliem,
il eft bon de remarquer que la ledure des pièces de (ow Re-
cueil, qui regardent la Philofophie de M. Defcartes, étoit
une eipéce de préparatif à celle de les Principes qui com^
mencérent à paroître incontinent après. Le fleur Adrien ^^i^- ?«%»
Hecreboord Prof.^fFeur en Pliilofbphie dans l'Cjuverfité de moments, dt
Leyde & fous-principal du collège théologique , ne trou- M*»""^ w«-
va point de meilleur compliment à faire à M. de Zuytlichem, ^^n^w""/»
qu'en luy marquant qu'il avoit pafîe des amufemens de Çqs vtroYummetxi.
Poëfies, aufquelles il avoit donnfé Tes heures perdues, à Têtu- '^^^ff^pHl^r^'
de férieufe des Principes de la Philofophie de M. Defcar- phu PrincipUs
fg5 evolvend'.s. Et
venimfdtehor,
Ce M.Heereboord eftceluy qui a introduit la Philofophie obftupefc
co , ttet
Cartéfienne dans l'Univerfité de Leyde à la faveur de M. Naturamuni-
Heydanus Mi.iiftre & Prédicateur célèbre, de M. Golius, Z^ZTJL
de M: Schooten, 5c de quelques autres Profefïeurs qui s'è- cruùs, ftntDeo
toient rendus eux-mêmes fèctateurs de cette nouvelle Phi- nofirordtriîu-
lofophie. Le zèle de M. Heereboord dans fes premières le- TLtumhuno-
(^ons n'étoit peut-être pas ardent au même degré de chaleur i^if i»cem iijfui.
que celuy de M. Regius à LTtrechttmais il pouvoit être plus ^HrherTcar-
circonfped & mieux réglé. En effet lors que M. Defcartes ufio, pro quo
trouva de nouveaux Voetius dans l'Univerfité de Leyde en f'* ^'""'^/^'^S"
1 r i> Ti • iï --1-1 • 1 1- -^ 1- "^ verffUt vt-
ia perlonne d an Revius & d un Triglandius , on peut dire demtur omms
que M. Heereboord ne gâta rien : & il continua fis leçons ^nteh^tcThUo*
Cartéfiennes avec fuccès , parce qu'il lesfaifoit fans bruit & H Refcrint.
fans fafte , & qu'il avoit eu l'induftrie de ne point fè laifler de Moment.
mêler dans la paffion des Théoloc^iens. ?^^a u^'
Il auroit ete a fouhaiter pour M. Defcartes que M. Re- soibiéickttr.
eius eût gardé la même conduite à Utrecht, ou qu'il eût &diic. imv
T 1 •• * r' ' ^ pas- 6SS.
Ll ij perle ver e ^ °
2é8
La Vie de M. Descartes.
1645.
€^od homofit
ens per acci-
dem , (^c.
§luod anitnn
rationalis fit
modus cerporis.
Tora. I. des
kttr.pag.431.
Lettr. J3.Mr.
de Reg. du 6.
Juillet i<Î4j.
peiTévcré du moins dans fa première docilité à l'égard de
fon Maître. Depuis qu'il s'etoit hazardé à do2;matifer de
Ton chef liir l'union de l'Ame humaine avec le Corps, ^fur
quelques autres points délicats , il avoit donné beaucoup
d'exercice à M. Deicartes, qui par fes exhortations parti-
culières ôc par les corrections qu'il avoit faites à fes théles ôc
ci /es autres écrits , avoit tâché de retenir fbn efprit dans fes
bornes. M. Regius s'étoit infenfiblement écarté depuis ce
têms : &: foit qu'il fût enfin retourné à fbn premier génie ,
foit qu'il cherchât quelque milieu pour fe racommoder avec
{qs ennemis d'Utrecht, & s'afTiirer la paifible pofTefîîon de
fà chaire, il avoit pendant le voyage de M. Dcfcartes en
France drefTé des EfTais d'une Philofbphie à fà mode , aux-
quels il prétendoit donner le titre de Fondeynens de Phyfique.
L'expérience qu'il avoit des bontez de M. Defcartes luy fit
croire qu'il luy pafTeroit cet ouvrage de la manière qu'il Ta-
voit compofe. Il le luy envoya pour l'examiner , plutôt pour
ne pas laifTèr périr fa coutume tout d'un coup , que pour
profiter véritablement des leçons de fon Maître. M. Def^
cartes n'eut point la complaifànce dont il s'étoit flaté. Il
trouva dans ce dernier écrit plus de licence qu'il n'en avoit
remarqué dans tous les autres : & au lieu d'envoyer à M.
Regius les corrections des endroits qui en avoient befoin ,
comme il l'avoit pratiqué jufques-là, il luy manda nette-
ment qu'il ne pouvoit donner une approbation générale à
cet ouvrage, &: qu'il renfermoit diverfes chofes qui ne luy
plaifbicnt pas. Il ajouta que s'il étoit alTez amoureux de i(^s
r ■ ^ ■ y- r ■ 1 • >i 1 1
lentimens particuhers pour ne pas luivre i'avis qu il luy aoïv-^
noit de fiipprimer ou de réformer entièrement fbn ouvrage,
il fèroit obligé de le defavouër publiquement , &; de détrom-
per le Public , qui avoïc crû jufqu'alors qu'il n* avoit point
d'autres fèntimens que les fîens.
M. Regius qui avoit déjà pris fbn parti , & qui s'étoit for-
tifié contre toutes fortes de remontrances, ne laifïa point de
remercier M. Defcartes de {.o.^ avis : mais au lieu de les fui^
vre comme auparavant, il fe mit en devoir d'excufèr fon ou-
vrage 3 & d'en faire voir l'œconomie & les beautez à fon
Maître , comme fi ces chofes eufTent échappé à {^^s réflexions.
Il luy fit valoir fur tout fa méthode d'Analyfe , 6c fa belle ma-
ni ère
Livre VII. Chapitre VI. 2^9
niére de définir & de divifcr. Il luy promit feulement dere- 164.^
mëdier à quelques obfcuritcz, quoiqu'elles puflent fcrvir à -=
afÎLijettir davantage un ledeur , & à le rendre plus attentif
aux difficultez. Et pour éviter les inconvéniens dont M. Deil
cartes Tavoit averty , il luy envoya ce modèle d'avertiflcment
au lecteur , pour être mis au bout de fa préface. Four dé-
tromper ceux qui s'imagineroient que les chofes qui font contenues
dans cet ouvrage feroicnt les fentimens purs de M. De [cartes , je
fuis bien aife d'avertir le Public quil y a ejfecHvement plujîeurs
endroits ou je fais frofejjïon de fuivre les opinions de cet excellent
homme 3 mais qiiil y en a aujjî di autres ou je fuis d'une opinion
contraire , ^ d'autres encore fur lefquels il n'a pas juge a propos
de s' expliquer jufqu icy . C'e(} ce qu'il fera aifé de remarquer à tous
ceux qui prendront la peine de lire les écrits de ce grand homme ^ ^
de les confronter avec les miens. Pour tâcher de prévenir le def.
aveu public dont il croyoitque M. Defcartes le menaçoit, il
luy fît oiïre d'ajouter encore dans fa préface tout ce qu'il
jugeroit à propos , parcequ'il appréhendoit ce defaveu com-
me une réfutation de fbn ouvrage, capable de l'étouffer,
ou de le décrier dans fa naifïance. Mais il ne parla point de
retoucher au fonds de fbn ouvrage.
M. Defcartes luy manda qu'il approuvoit fort la manière xom. i des
de traiter la Phyfique par définitions &; divilîons , pourvu, lettr, pag.
qu'il y ajouta les preuves néceffaires. Mais il luy fît connoî- ^^^ ' '^^''
tre en même têms qu'il ne luy paroifîbit pas encore afïez
verfé dans la Méthaphyfique , ny dans la Théologie , pour
entreprendre d'en publier quelque chofè : & que s'il étoit
abfblument déterminé à l'impreffion de fes fondemens de
Phyfîque , il devoir au moins retrancher ce qui regardoit
l'Ame de l'Homme, & la Divinité , & ne rien falfîfier de ce
qu'il empruntoit de luy : en un mot, qu'il luy feroit piaifir
de ne le pas rendre participant de '^o.s égaremens dans la
Métaphyfique,ny de {^s vifions dans la Phyfîque ôcla Mé-
decine. Cette dernière lettre fît enfîn lever le mafque à M.
Regius : &: réfolu de facrifîer l'honneur de {ov\ Maître au
fien, il renonça tout de bon à fa difciphne par u-e lettre
affez cavalière, écrite du 23 de Juillet 1645, dans l^qj-ielleil
voulut fe décharger une bonne fois en ces termes. ,. Je ne ^^ schifmcde
vois pas que j'aye grand flijet d'appréhender pour mon opi- ^^ Regius.
L iij * nion
rjo La Vie de M. Descartes.
1645. *' nion qui regarde l'Homme , donc vous voudriez pourtant me
• w faire un crime. Car je ne vous en ay dit autre chofe, (înon
M^^'de^* " 4^'^^ ^^ ^^^^^ par l'Ecriture fainte que l'Ame raifonnable effc
Regius. » une fubftance immortelle : mais qu'on ne peut le prouver
53 par aucune raifon naturelle , & que rien n'empêche qu'elle
Erreur que „ j-jg Çq[^ ^\xÇÇ\ bien uu mode du corps qu'une fubffcance qui en
cenfuiW. " feroit réellement diftinguée. C'eft en quoy je crois avoir af-
îî fermy l'autorité de l'Ecriture en ce qui dépendoit de moy :
» au lieu que ceux qui prétendent fe fervir des raifons natarelles
» en cette occalîonîemblent ie défier de cette autorité divine^
» & n'alléguant que de foibles raifons trahilîent la caufè de l'A-
»> me &; des faintes Ecritures , par leur indilcrétion ou par
" leur malice. Ce n'eft pas que je ne puile pour l'amour de
>î vous retrancher de ce fentiment ce que vous jugeriez à pro-
•>•> pos : mais au refte vous vous feriez peut-être plus de tort
>5 qu'à moy ^ fi vous alliez publier par écrit ou de vive voix^
>3 que vous avez touchant la Métaphyfique des fèntimens éloi-
55 gnez des miens. Car l'exemple d'un homme comme moy , qui
>5 ne pafie point pour un ignorant dans vôtre Pailofophie, ne
" fervira qu'à confirmer plufieurs perfonnes qui ont déjà des
» fèntimens fort difFérens des \ ôtres fur ces matières : &; ils ne
« pourront me refufèr la qualité d'homme d'honneur voyant
i> que mes engagemens pafiez avec vous ne m'empêchent pas
>5 de m'éloigner de vos fèntimens lorfqu'ils ne font pas railbn-
>3 nables.
w Vous ne ferez pas furpris de ma conduite, lorfque vous
w fi^aurez que beaucoup de gens d'efprit & d'honneur m'ont
« fbuvent témoigné qu'ils avoienttrop bonne opinion de l'ex-
« cellence de vôtre efprit, pour croire que vous n'eufiîez pas
>5 dans le fonds de l'ame des fèntimens contraires à ceux qui
»> paroifi^ent en pubhc fous vôtre nom. Et pour ne vous rien
ïnfultc ^j diilimuler , plufieurs fè perfuadent icy que vous avez beau-
confronter » coup décrédité vôtrc Philofophie en publiant vôtre Meta-
avec le ju- „ phyfique. Vous ne promettiez rien que de clair, de certain,
quM 'avoit " ^ d'évident .• mais à en juger par ces commencemcns , ils
porté au- « prétendent qu'il n'y a rien que d'obfcur & d'incertain , 6c
"5fj.'^^" ->•> les difputes que vous avez eues avec les habiles 2;ens à l'oc-
Méditat. r j ^ r >v ^1 i- i
dcM-Defc. » caiion de ces commencemens ne fervent qu a multiplier iqs
»î doutes & les ténèbres. U efl inutile de leur alléguer que vos
raifonnemens
Livre VII. Chapitre VI. 171
raifônnemens fe trouvent enfin tels que vous les avez pro- c< 1^345.
mis. Car ils vous répliquent qu'il n'y a point d'enthouLafte, ce ■ —
point d'impie , point de bouffon qui ne pût dire la môme «
chofe de fès extravagances &; de fès folies. Encore une fois, u
je confentiray que l'on retranche de mon Ecrit ce qui peut «c
vous y déplaire , fi vous le jugez à propos : mais après tout, et
je n'y vois rien qui puiiTe me fiire honte , ou que je doive et
me repentir d'avoir écrit. Ainfi rien ne m'oblige à refufèr et
l'imprelTion d'un ouvrage de l'édition duquel on peut efpé- «
rer quelque utihté. Pour vous, Monficur, à qui j'ay déjà des c<
obligations infinies , vous me permettrez de vous remercier et
de la bonté que vous avez eue de Hre mon livre , ou pour «
mieux parler, vôtre livre , puifqu'il eft véritablement fbrty u
de vous ^ &; de la fincérité avec laquelle vous m'en avez dit et
vôtre ientiment. Vous agréerez aulîî la liberté avec laquelle «
je viens de vous expliquer les miens , puifque cette liberté «
n'eft que le fruit de l'amitié dont vous m'honorez. et
Peut-être Ariftote n'avoit-il jamais porté plus loin l'in-
gratitude envers fon maître Platon. Peut-être Maxime le
Cynique n'avoit_il jamais traité fon maître Grégoire de Na-
zianze avec plus d'infolence, L'ingratitude de l'infblence
ontfbuvent été la récompenfe dont les meilleurs Maîtres ont
été payez parleurs Difciples dénaturez. Mais il falloit que
parmy la corruption du genre humain M. Regiusvint don-
ner encore l'exemple de l'infulte, qui certainement efl: plus
rare que les deux autres. Auffi falloit-il qu'il fe diftinguât dans
fa nouvelle révolte contre M. Defcartes d'avec les autres
difciples,qui n'ont rien foufFert pour ladodrine qu'ils avoient
apprifè des maîtres qu'ils ont abandonnez enfuite. M. Re-
gius avoit été au hazard d'être le premier martyr de la doc- Tom. j. des
trine de fon maître , mais contant pour rien la perte de la """P" ^* "
gloire acquife par fes dangers & fes fbuffrances , il voulut fi-
2;naler fon Schifine par des outrages. Il fit plus enjoignant
î'injuftice à la rébellion. Car après avoir retenu la plus gran-
de partie de la doclrine de fon maître pour s'en faire tou-
jours le même honneur qu'auparavant , il la défigura &; la Lcttr. Mr. de
corrompit dans la fuite comme il luy plut : & fous prétexte JJçj?'^^^* ^
que M. Defcartes refufa tant qu'il vécut de la reconnoître oaob.i64<î.
pour fienne fous cet extérieur étranger , il s'en fàifit après fà
mort
172 La Vie de M. Descartes.
1645. mort en fiioprimant même fon nom avec tant d'indignité
. que plu (leurs ne le regardent pas moms comme le premier
B^-ecKinaa plagiaire de M. Defcart.s , que comme le premier rebelle
ayant fait lef- (^»e.-jrj.£ [^^ difciples , OU le premier fchifinatique d'entre (es
îiait'é de la fedateurs. M. Defcartes répondit aux inilikes de M. Re-
Mufique de gm^ ^y^^ une douccur6c une fageire, qui auroit été capa-
îi^éto'It^ plus Sle fîule de fcUre l'Apologie de Tes fentimens & de fa con-
piagiaire de duïte j 6c il ne voulut finir fon commerce avec cet ingrat,
M.Dcfcaites. q^'g^-^ i^y clonnant les avis les plus falutaires qu'on put ac-
Tom. 3 des T / o J' ' • i 1 ^
ictti". p. 431, tendre d un bon maître &c d un véritable amy.
453.
CHAPITRE VIL
Traité de M. Defcartes fur la nature des Animaux. Il s'ap^
pli^ue de nouveau aux opérations anatomiques, Qf^cUe était la
bibliothèque ^ l'étude de M. Defcartes. il s'élève une difpuie
fameufe fur la quadrature du cercle entre les M^athématiciens
du fîécle. 2if. Defcartes efl engagé d'y prendre part, il efiime la
quadrature du cercle impo^ljîhte. Jugement qu'il fait du livre de
Grégoire de faint Vincent. Jtf. Cbanut va en Suéde en qualité
de Réjtdent, M. Defcartes le void en pajfant. Amitié de M,
Porlier avec M. Defcartes. Preuves de la Religion ^ de la
probité de M. Defcartes. Il répond aux inftances de M. Gaf-
fendi 3 ^ fait fon traité des Pa^ljîons. Dcffeins ^projets de
la Philo fophie Morale de M. Defcartes, il fe dégoûte du tra-
vail: il fait réfolution de ne plus rien imprimer .^ ^ de ne plus
étudier que pour luy.
MR Regius réiôlu de pouffer fa pointe pour Pimpref-
fion de fon livre , tckha de ne poiat s'écarter de la
dodine de M. Defcartes, à la Métaphyfique près. Pour
conferver encore une ombre de liaifon avec luy , il voulut
retoucher le livre avant que de le mettre fous la prefTe, non
pour en retrancher ce qui déplaifoit à M. Defcart'S ,. mais
pour l'enrichir des obfervations nouvelles que fon maître
avoit faites depuis peu fur la nature des Animaux., Il avoit
eu communication des mémoires que M. Defcartes avoit
drelTez depuis l'édition de k^ Principes , dans le deiTein de
faire
Livre VII. Chapitre VII. 273
£iire un jufte traité des Animaux. Mais on peut dire que i 64 5.
ce que M. Regius voulut mettre en œuvre n'étoir qu'une •
ébauche fort imparfaite de ce que M. De/cartes méditoitfur
ce flijet. Apres le gain de ion procez de Gromngue , le de-
Rr d'exécuter fon grand deflein l'avoit fut remettre aux
opérations anatomiques avec une application nouvelle. Ce Lcttr. Mf. do.
fut où il borna toute fa dépenfè & toutes Ces facultez pen^ ^^ juillet
dant cette année. Hors un voyage de quelques lemaines d'Aadré>
qu'il fit à Leyde 6c à la Haye fur la fin de Juin de le com-
mencement de Juillet , il ne fortit point de la maifon d'Eg-
niond , où il iê faifbit apporter d' Alcmaer & des autres en-
droits de Ion voiHnagc toutes fortes d'animaux propres à la.
dilTection.
Ce f[it durant le têms de ces occupations qu'il fut vifité,
non pas à Alcmaer comme l'a cru M. Borel , mais à Egmond, Sorb. lettr. &
par un Gentil-homme des amis de M. de Sorbiére qui luy ^gj^VI^o^.'
demanda à voir fi bibliothèque , &:,qui le pria de luy dire
quels étoient les livres de Phyfîque qu'il eftimoit le plus, &:
dont il avoit fait là lecture la plus ordinaire M. De/cartes
pour fàtisfairc la curiofité du Gentil- homme le conduifit fur
le derrière de fon logis , où étoit uneefpéce de gallerie ou-
verte par dedans la cour , & tirant le rideau il luy montra un
veau à la diiTeclion duquel il alloit travailler, p^oi là, luy ait- comp.p. ié,
il, ma bibliothèque i voila l'étude a laquelle je m applique le plus
maintenant. Cette réponfe ne renfermoit rien de contraire à
la vérité, ny à l'idée qu'il vouloit donner à ion hôte pour
répondre à fà penfée. Elle n'avoit aufîi rien d'indigne de
J'état de M. Defcartes. Mais comme je ne voudrois pas la
mettre au rang àcs plus admirables & des plus rares apo-
phthegmes avec M. Borel,auiîî fèrois-je trés-éloigné de pren-
dre une repartie fî innocente &: fî naïve pour un témoigna-
ge de la vanité de M. Defcartes , comme a fait M. de Sor-
biére, à qui il plaifbit alFez rarement de prendre en bonne
part les chofes qu'il trouvoit les plus indifférentes dans nô-
tre Philofbphe , lors même qu'il n'étoit pas queftion défaire
fa cour à M. GafTendi. De la connoiilance des B.tes, M..
Defcartes pafîa à celle du Corps humain par les mêmes fe-
cours de l'Anatomie & de ks autres expériences: & il com-
mença dés l'automne de cette année fon traité féparé de
Mm * V Homme
174 ^A V i^ DE M. De s CARTE s.
ï /j 4 5. V Homme , 6c même celuy de la formation du Fœtus , quoiqu'il
I n'eût pas achevé celuy des Animaux, La fin de toutes ces eta-
Tom. I des des étoit de trouver les moyens de conferver la fanté du corps
ktu-.pag.r56. humain , &; de la rétablir lorfqu'elle fe perd.
Il fit une petite diverfion à cette étude par l'engagement
où il fè trouva avec les premiers Mathématiciens de l'Euro-
pe , de prendre part au fameux différent qui s'éleva en cet-
te année entre Zongomontanus èc Vcllius touchant la Qi^a-
drature du cercle. Longomontanus dont le nom étoit Chrif-
ilctoitnccn tianus Sévérini Danois de nation étoit un vieillard de qua-
1562., & mou. tre- vingts-trois ans, à qui il ne reftoit plus que vingt ou vingt-
^^' deux mois de vie. Il étoit encore actuellement Profeflèur
des Mathématiques dans l'Univerfité ou collège royal de
Coppenhague. lls*étoitfait un nom confidérable, première-
ment par l'honneur qu il avoit eu d'être le difciple du célè-
bre Tyco Brahé , 6c par l'avantage qu'il avoit eu. de travail-
ler fous luy aux obfèrvations aftronomiques dans le fameux
laboratoire d'Uranienbourg , 6c enfuite par l'édition d'un
livre qu'il avoit publié l'an 1612 ^ Ibus le titre à' Aftronomia.
Danica. Le bon homme ne voulant pas fè contenter de la
gloire qu'il y a de connoître les aftres , afpiroit encore à
celle de paroître Géomètre : 6c pour s'y fîgnaler d'une ma-
nière plus éclatante , il avoit entrepris de démontrer la Qua-
drature du cercle, qui eft l'écuëil où les plus grands génies
ont échoué jufqu'icy. En quoy il ne ïdt pas plus heureux
que les autres , malgré la bonne opinion qu'il avoit de ion
travail. Le fieurjean PellAnglois Profeflèur des Mathéma-
tiques au collège d'Amfterdam , y remarqua d'abord beau-
vit. Hob- coup de paralogifmes : 6c voyant que le point de la difficulté
bian. au^u«. confiftoit dans la preuve d'un fêul théorème , il en fît pré.-
^^°' ' * mièrement la démonftration par luy-même, 6c il voulut pro-
poser la chofe à tout ce qu'il connoifloit d'habiles Mathé-
maticiens pour leur en demander leur fèntiment. Ceux qui
Lipftorp. fpc- examinèrent la chofê ôc qui luy envoyèrent leurs démon-
cim. PhiioC fixations furent M. de Roberval, M. le Pailleiy: , M. Carcavi,
anc . p. I . ^ Mydorge , 6c le P^ Mericnne revenu de fon voyage d'Ita-
lie dés le commencement de Juillet -, Milord Candiche ou
Cavendish, 6c M. Hvobbes d'Angleterre jjean Adolphe Taf-
fiu5 Mathématicien de Hambourg j Jean Loiiis Wolzogen
libre
Livre VIT. Chapitre VII. 275
libre Baron d'Autriche , GcntiLhoiTiiTie de la chambre du i(^ 4 y.
Rôy de Poloî^ne, Cartëfîen d'études,&: Socinien de Religion j — — _^^
le Père Bonaventure Cavaliëri Italien Profeiïèur des Mathé-
matiques à Boulogne j M. GoUus Profefîèur à Leyde, &c
quelques autres Mathématiciens de Hollande. M. Defcar-
tes envoya aufTi à M. Pell une courte démonftration fur le
même fujet, qui fervit à autorifèr merveilleufement ce qu'il
avoit avancé contre Longomontanus. Il y a voit longtêms
que M. Defcartes étoit convaincu que la Quadrature du cer- Lipftorp;
cle étoit impoflible , &c depuis qu'il en avoit fait la preuve ^^*^'-
par le moyen de fa Méthode Se de fon Analyfe,il s'étoit ab-
ftenu de cette opération comme d'une chofe impraticable &:
inutile. Les plus grands Géomètres du fîécle avoient recon-
nu auffi la même choie avec le lîmple fècours de l'Analyfè
de Viéte. Mais un confèntement fî général ne fut point ca-
pable d'épouvanter le P. Grégoire de iaint Vincent Jéfuite
de Flandre, qui nonobflant le mauvais fuccés de Longomon-
tanus ne laifla pas de travailler à la Quadrature du cercle
avec toute l'afTiirance d'un homme qui devoit réiifîîr. A dire i^ïp^orpi
le vray, il y employa une méthode qui parut allez belle, èc ^ *
tout-à-fiit nouvelle à quelques Sçavans du Nord : &: ily ap-
porta tant de travail éc de foins qu'il en fit un fort gros li-
vre imprimé deux ou trois ans après in folio. Cela renouvella
la curiofîté des Mathématiciens. On examina l'ouvrage du
Père. M. de Roberval fut l'un de ceux qui s'y portèrent Tom. j. <ics-
avec le plus d'ardeur , & il en fit une cenfure encore plus T^ol^iJ^ ^'
vigoureufè que n'avoit été celle de M. Pell contre Longo-
montanus. Il flit fuivy du P. Merfènne qui fe trouva plus
hardy après luy à dire ion fentiment iùr cet ouvrage. Le
plus grand éloge que ce Père crut devoir donner à l'Auteur,
étoit ai avoir compofé un grand livre , ^ d'avoir cherché cette Qua-
drature par des chemins fort lonp ^ déjà connus. Mais il y avoit
dans l'ouvrage d'autres choies aiîèz nouvelles 6c dignes de
quelques louanges , dont néanmoins le P. Meriènne ièm-
bloit avoir afFeéié de fe taire. Le jeune M. Huyghens fils
de M. de Zuytlichem, qui s'étoit rendu trés-habile dans les
Mathématiques fous M. S chooren bc M. Pell, examina auiïï Lipftorp.fpc^
l'ouvrage, & trouva que l'auteur avoit exécuté fon deiîèin cim. Cart..
avec plus de fubtilité que de Jfuccès. Enfin , l'on voulut que P* ^^°
Mmij ! M. Defcartes,
Pag. 458
r7'(î La Vie de M. Descarte s.
ré 4 5. M. Defcartes en ditfon avis comme les autres , &;il fallut que
M. Schooten fou ami luy envoyât le livre du P. Grégoire
Pag. 614 , du de faint Vincent pour le lire. 11 fè trouva conforme de fen-
j tom. des timent avec M. de Koberval. I) en iLitjufqu'à ce qu'il eût
^'"* remarqué quelques paralogifines dans la Quadrature préten-
due du cercle , &: il ne trouva dans tout ce qu'il en lut que
Pag. ^17 , & des proportions Ci fimples & fi faciles, qu'il jugeoit que l'Au-
éis.ibid. ^ç^j. avoit plus perdu de têms à les écrire, qu'il n'avoit ac-
quis de gloire à les inventer. Il femble que ce Père eûtvou-
Pag.444.ibid- lu fonder M. Defcartes quelques années auparavant fur ce
delîein : &: celuy-cy avoit fait réponle à un amy commun
qui s'en étoit mêlé , qu' « encore que les proportions du Pé-
)5 re Jéfuite qu*il luy avoit envoyées fuifent trés-vrayes , il
i. tom. ^^ n*efpéroit pourtant pas qu'il en pût déduire la Quadrature du
M cercle comme il fèmbloit le prétendre. Le P. Grégoire de
faint Vincent parut prendre en bonne part le jugement que
M. Defcartes èc les autres firent de fon ouvrage, 6c il témoi-
Pâg. Tï4-Rc- gna quelques années après à M. de Sorbiére que ce qu'il a-
lac.dcSorb.m ^^j^. Jebit^ (J^ns fon gros ouvrage avec tant d'étendue étoit
plutôt pour exciter ceux qui viendroient après luy à mieux
faire que par aucune penfée qu'il eût eu de n'avancer que
des propofitions tout à-fait démontrées. Mais il trouva mau-
vais que le P. Merfenne eût enchéri iûr M. de Roberval, ôc
PiCT. 614 , & qu'en rapportant le mal qu'il en avoit oiiy dire à celuy-cy,
4îi" ' il le fût abftenu d'en dire d'ailleurs le peu de bien qu'il pou-
voit y avoir remarqué : conduite qui ne luy paroillbit pas
conforme à Tefprit de charité , qui eft l'ame & la devifè de
la profeifion religieufe des Minimes. Il écrivit contre ce Pè-
re, & répondit en peu de mots au jugement qu'il avoit por-
Pag.4pau té de fon livre: mais il ne fit paroître fon écrit que fous
3 tom. des jg j^Qj^ ^Q Yyj^j^ ^Q Çq^ écoliers, comme nous l'apprenons de
lettr.dc Defc. , ^ ^ ■ ^ ^
M. Carcavi.
Pendant que M. Pell agitoitdans Amllerdam laqueftion
de la Quadrature du cercle , il arriva à M. Defcartes une
occafion agréable de quitter fà fblitude pour fe rendre en
cette Ville. M. Chanut fon amy avoit été nommé par le Roy
pour aller en Suéde en qualité de Réfident. Etant arrivé â
Amflerdam avec fa famille au commencement d'Octobre, il
écrivit à Egmond le iv du mois pour informer M. Defcartes
de
Porlicr.
Livre VII. Chapitre VIL 277
de cequileregardoit, &; pour liiy demander de Tes nouvelles. 1645.
M. Defcarces quitta tout pour venir embraflér un ami de cet- .
te importance, & voir toute fa famille, particulièrement Ma-
dame Clianut fœur de M. Clcrfèlier. Il ne les quitta point pen-
dant leurféjour en cette ville : ôc ce fut dans cétintervale que
M. porlier qui étoit du voyage de Suéde à la compagnie de
M. Chanut vid M. Defcartes qu'il n'eut jamais occafion de
revoir une féconde fois de fa vie. M. Porlier qui s*ëtoit fènti
Cartéfîen àis la première ledure de fcs ouvrages, s'entre-
tenoit depuis long-têms du defîr d'en connoître l'Auteur.
Il l'étudia exadement dans {qs converfations , comme il a- RcUt. Mf.de
voit fait dans {as livres ^ &: avec toute fon application il ne
put y remarquer rien qui luy parût fufped de cet athéifîne
6c de cette irreligion prétendue , dont Voetius avoit répan-
du la calomnie jufqu'en France. Enfin pour ne s'en rappor-
ter ny à {es livres ny à {es converfations , il en voulut cher-
cher de nouveaux éclairciflemens , par le moyen de quelques
perfonnes à qui M. Defcartes fut entièrement indifférent,
•& qui euflènt néanmoins d'afTez grandes habitudes avec luy
pour le connoître au naturel. Il trouva un Maître d'armes,
qui s'étant venu rendre fur le bord de M. le Réfident pour
pafTer en Suéde, parut furpris de rencontrer dans le porc
•M. Defcartes, qu'il fe vantoit de connoître mieux que per-
fbnne , pour l'avoir hanté fbuvent en différens endroits de
la Hollande. M. Porlier fe joignit au Maître d'armes , dans
le deflein de le faire parler flir tout ce qu'il fçavoit de nôtre
Philofophe fans précaution , oc avec toute l'ouverture d'un
homme qui ne fe méfie de rien. Le Maître d'armes débuta
par dire , que M. Defcartes étoit un homme de beaucoup
de Religion , d'une grande droiture de cœur , généreux à
fîncére dans fèsamitiez, libéral &; charitable dans {es aumô-
nes, exemplaire &; exad dans les exercices de fa Religion,
pafTant par toute la Hollande pour un homme qui faifbit
beaucoup d'honneur à l'Eglifè Romaine, &: qui édifioit les
Proteftans du païs. M. Porlier fut ravi intérieurement d'ap-
prendre que la calomnie de l'irréligion parût fî mal fondée
&; fî peu re^ûc dans les lieux mêmes où on l'avoit fait naî-
tre ; &: voulant profiter de la belle humeur où il voyoit le
Maître d'armes pour raconter , il l'engagea infènfiblement
Mm iij * à
lyï La Vie DE M. Des CARTES.
jg V f à continuer le récit qu'il luy fit de plufîeurs particularitez
,.«...,1— . de la vie que M. Delcartes menoiten Hollande, & ^^vd é-
toient toutes preuves différentes de la bonne confcienci^ de
de la probité de ce Philofophe chrétien. Il luy dit entre au-
tres chofès, que M. Defcartes étoit un homme de bon con-
feil touchant la diverfité des ReUgions pour quantité de
peribnnes qui chancelioient depuis les révolutions du païs ,^
& qui étoient en peuie de résoudre le parti qu'ils dévoient
prendre. Il luy fit Thifloire d'un honnête homme , lequel
quoique élevé dans la Religion catholique , s'étoit trouvé
fort ébranlé par le changement général d^ Ton païs , & par
le fâcheux exemple de diverfes perfonnes de ià connoiiîan-
ce. Cet homme defiroit fur toutes chofes de ne point per-
dre fbn ame, mais il étoit fort embarraiîé fur les moyens de
la con{èrver. Les doutes dont il fe vid accablé le firent ad^
drefîèr à M. Defcartes, qu'il ne connoiffoit que comme une
perfbnne que l'on confultoit volontiers fur ces matières. M-,
Defcartes fans le faire entrer dans la difcuffion des dogmes
fe contenta de luy demander s'il croyoit TEglife Protellan-
te fort ancienne , èc s'il en connoifïbit les commencemens j
s'il avoit oiiy parler de la conduite & des motifs des nou-
veaux Réformateurs, de leur miflîon ^ de leur autorité &c
des mayens qu'ils avoient employez pour étabhr la réfor-
mation i s'il avoit remarqué dans les nouveaux Réformez
plus de charité &; plus de condeicendance chrétienne , plus
de patience, d'humilité, & de Ibumiflion aux ordres de Dieu.
La perfonne qui n'étoit point déjà trop édifiée de plufieurs
effets fcandaleux de la nouvelle réformation en reconnut
aulîî-tôt l'illufion, 6c fur les conclufions que M. Defcartes
luy fit tirer de tout ce qu'il luy avoit fait avouer , il remit
ion ame dans les voyes dufalut. M. Porlier n'oublia point
cette hifloire , eftimant M. Defcartes heureux d'avoir été
calomnié pour la Vérité. Il fiât admis dans fon amitié en pré-
fènce de M. Chanut, & il luy déclara que l'une des princi-
pales raifons qui l'avoient rendu fedateur de fa Philofophie,
étoit qu'elle donnoit félon luy de grandes ouvertures pour
expliquer tous les myftéres de nôtre Reh^ion d'une maniè-
re qui n'eft ni dure ny forcée. M. Porlier fe conferva tou-
jours depuis dans cette amitié, tant parfes lettres que par
celles
1(^4 5-
Toi
110.
Livre Vil. Chapitre VIT. 179
celles de M. Clerfelier ami de l'un & de l'autre. Il fit même
dans la fuite des objedions à M. Defcartcs, pour luv faire
voir combien il avoit de Poiit & de pénétration pour fa Phi- /°"' ; f'^'S
j r 1 r ■ r r- .1 1 ■ r- no. &Iuiv.
lolophie: ôc la latisraction quil en rcqut luy avoit nie con- p^^
cevoir le defîèin de compofer un livre en faveur de cette ibi3.
Philofbphie , auquel il auroit donné pour titre antiqua Fi-
des Theoloqia nova , pour montrer que les principes de M.
Defcartes font plus commodes que ceux dont on fe fert vulgai-
rement pour expliquer les myftércs de la Religion chrétienne.
Maiscedeflein a été traverfe par une vocation-de Dieu plus
preiîante à d'autres emplois : 6cle têms qui auroit été deuiné
à la compofition de cet ouvrage , s'eft trouvé employé au fèr-
vice des Pauvres dans l'adminiflration de l'Hôpital général.
M. Defcartes fut quatre jours avec M. Chanut dans Am- Lctt. MC da
fterdam : &: l'ayant lailTé le Lundy au foir 9 du mois d'Oc- ^^^^i^t-
tobre dans le navire où il s'étoit embarqué pour la Suéde, Lettr. Mf. de
il s'en retourna fort fatisfait à Egmond, où il pafTa l'hyver , oaobrci/4ç,
oui fut fort rude cette année, à deux petits ouvrages de pur _
palic-tems , parce que les plantes de ion jardin n etoienc lettr. pag.
pas encore en état de luy fournir les expériences qui luy 100 •
ëtoient iiécefTaires pour continuer fa Phyfique.
Le premier de c^s ouvrages étoit la Réponfe qu'il avoit
filons^-têms refufëc au livre des Inftances de M. Gaflendi.
Il la fit, non pas fur le livre de M. Gailendi qu'il avoit lut Bcsrnii Epif^.
avec un peu trop de nég-lieence, ôc dans la réfolution de n'y P^S- +*'• ®'
rien trouver qui eut belom de reponle ^ mais lur des extraits [^^ ^
fidelles que quelques amis communs avoient faits des en-
droits qui méritoient le plus d'être réfutez. Il envoya cet- \^:]^^' ^**'
te Répon/e à Monfieur Clerfelier , qui préparoit une édi-
tion fran<^oife de fes Méditations avec les Objcdions ôc les
Réponfes tant de la tradudion de M. le Duc de Luynes
que de la fienne. Sa lettre d'envoy étoit dattée du u de
Janvier de l'an 164.6 : 6c fur la connoiilance qu'il avoit de la
manière dont Monfieur Clerfelier en ufbit avej M. Gafien-
di qui étoit aufiî de fès amis, il voulut le prévenir far quel-
ques termes qui pourroient luy paroître un peu durs. Il le ^^"'■- ^'^ ^^
* . j r\' >-i > ■ \ ■ r ^ \ r- i 'i^- Janvier
pria de conliderer qu il n avoit pu traiter Ion adveriaire plus 16^6, i cicr.
civilement après les injures de (on gros livre d*Jnfiances j 6c qu'il ^^^ler.
auroit pu faire encore toute autre chofè,s'il n'avoit eu le def
fein
1 6 4t ]'
1 646.
Lcctr. Ml. da
^o. Dccembr.
Î64;,
înftant. Gaf-
fciid. adverf.
Caicef.
Ces Inftanccs
avoient été
irapriinées
chez Blaew
avec fes Dif-
quifitions ou
Objeûions.
Lettr. Mf. de
DefcàClerf.
du 10. Dé-
ccmb. 164Î ,
& du II Jan-
vier 164^.
Lcttr. Mf. du
13. Fcvr.
Tom. ï. des
lcttr. p. lox.
Le 1 j de Juin
280 La Vie de M. Descartes.
/cin àc Tépargner. Il luy recommanda fur toutes chofes de
ne laifTer trlilTer le nom de M. Galîendi en aucun endroit !e
la nouvelle édition qu'il entreprenoit ,ny dans ce qu'il luy
envoyoit contre i^Qs Inftances^ afin de luy ôter tout fujet de
le plaindre qu'on l'eût voulu deshonorer. Il changea aufîî
de fèntiment touchant les Objedions de M. Gaiîeadi, qu'il
n'étoit point d'avis d'abord qu'on imprimât avec les Médi-
tations fi'ançoifès , parce que M. Galîendi avoit o-rondé de
ce qu on l:s avoit imprime mené en Latin chez hlzevier,
comme lî c'eût été contre fbn gré,quoique le P. Merfènneluy
en eût alors communiqué les feuilles de l'avis de M.Defcartes
àmefure qu'on les imprimoit. Mais M. Clerielier avant bien
voulu prendre la peine de traduire auiîî ces Objections & la
dernière Réponfe de M. Defcartes, lé chargea de faire trou-
ver bon à M. Galîendi qu'on imprimât le tout enfemble. Ce
qui fè fit à l'exception des Inftances ou Répliques qui paru-
rent trop grolîes pour la forme du volume. Mais la Réponlè
de M. Defcartes à ces Inftances étoit iî, courte, qu'on jugea
à propos de l'ajouter A la Réponfè faite an premier Ecrit de
M. GaiîènJi. M. Clerfelier obtint encore depuis , que non
feulement le nom de M. Galîendi paroîtroit par tout par
fa permilîîon j mais qu'il adouciroit dans fa traduction çer.
tàiDs termes de M. Defcartes , qui bien que tolérables- en
Latin , auroient été capables de choquer en notre langue
M. Gafîcndi, qu'il vouloit racommoder pour une bonne fois
avec M, Defcartes. Ce fécond fèrvice fut eflimé ce qu'il va-
loit par M. Defcartes, qui par une lettre du 23 de Février
1646 remercia M. Clerfelier de vouloir bien être tout à la
fois fbn Tradudeur, fbn Apolo2;ifle, &fon Médiateur.
L'autre ouvrage qui occupa M. Defcartes durant l'iiyver
de cette année au défaut de [qs expériences de Botanique,
étoit un petit traité de la nature des PalFions de l'Ame. Son
defïein n'étoit pas de faire quelque chofe de fini qui méritât
de voir le jour, mais feulement de s'exercer fur la Morale-
pour fà propre édification , 6c de voir ii fa Phyfîque pour-
ront luy férvir autant qu'il l'avoit efpéré, pour étabhr des.
fondemens certains dans la Morale. C'eft ce qu'il manda
quelq îes mois après à M. Chanut , qui luy répondit Je
Stockl:iolm en ces termes. >î J'ay eu beaucoup de joye de
voir
Livre Vîï. Chapitre VI ï. iSi
voir dans vôtre lettre un cban2:cmcnt de ce dégoût que vous ,. i ^ a.6.
me témoignâtes à Amflerdam. Pviifque vous avez écrit quel- «c --— •
que chofe des Paffionsde l'Ame , vous n'êtes plus en colère t, Lett.xMfde
contre nous : vous ne vous tiendrez pas de nous faire encore ^ chanut du
plus de bien. Car je crois que je raifonne bien , jugeant qu'il ^^ ic'^6.
n'ejft pas polîibîe que ces adions les plus communes de l'A- ;, Djpen.iin-
me fbient exactement connues ^ qu'on n'ait donné une i^ran- ^^ ce de la
de atteinte à la nature de l'Ame même, &: à faliaifon avec le ,, Î^T'^lf,*^
corps, qui font des myftércs jufques à préfent fort cachez. ^^ ck^uz.
Ce dégoût dont M. Defcartes avoit entretenu M. Clia- Tom. 5. des
mit à Ton palFage de France en Suéde , regardoit é;2;alement iettr.pag.511?
la compoiition ^cla publication de (qs ouvrages. C'étoit un Tom. 1. des
efFet de la contradiction qu'on apportoit à fès écrits en les ^'^^"^■P- ^^4.
lifant, ou de TindifFérence qu'on avoit pour les lire. Tamais 7°"^* '" '^^
il iiimprima un livre dont il ne le repentit enluite, n étant 103, 104 &
plus en état pour cette fois de fè vanger de l'ingratitude de ^?-
fes ledeurs , ny de remédier A la négligence des autres : &
pour combler fi mortification , les Libraires n'étoient point
honteux d'infulter encore à fes chagrins , & de fe plaindre
qu'ils n'avoient pas le débit de les h'vres. Nous avons vu
que dés la première impreffion de les Efîiiis il détella fa qua- v. cy.dcïïus,
lité d'Auteur qui luy coûtoit la tranquillité de la vie. Lors
qu'il revenoit de fes déplaifirs , 6c qu'il écoutoit d'un lens
plus rafîîs ce que fa confcience & fi raifjni luy dicloient , il
ne fe repentoit plus d'avoir imprimé ce qui étoit palFé : mais
il prenoit de fjrtes réfblutions ilir l'avenir pour n'y plus re-
tourner j jufqu'à ce que quelque ami vint luy remontrer
qu'il ne devoit pas regarder fès difciples ou fes ledl^urs par
leur nombre, ny refufer de faire du bien à ceux qui étoient
bien difpofez pour punir les autres. Depuis que M. Chanut
lity eût remis le courage à Amfterdam , il étoit retombé
dans foii premier découragement après avoir fait fà derniè-
re Réponfe à M. GalFendi & fon petit traité des Pallions,
Pour s'excufer du travail il avoit déclaré à cet excel- Png. loi. &;
lent ami , qu'encore qu'il eût perdu toute envie de plus 103- du tom.
rien mettre au jour, il auroit pourtant été et humeur a écrire ^ ^' "^^ ^"'^-
Jï le dc'^oât qu'il avoit de voir combien peu de perfonnes daiqiioicnt
lire fes écrits ne le rendoit négligent. M. Chanut s'étant rendu
l'avocat de ce feu de £erfonnes , ne vint à bout de le vaincre
Nn * qu*à
iSi La Vie de M. Des car. te s.
1646. qiiM force de raifonnemens & de prières. Et pour le dédom-
^ mager du petit nombre de ies lecteurs par le mérite &l la
qualité de fes dilciples, il luy acquit la Reine de Suéde, à
qui il lit naître Tcnvie de lire fes ouvrages , & de le connoî.
tre. M. Deicartes ne fut point infenilble à tant de bons of-
fices. Il en récrivit en ces termes à fon ami. » Je n'ay jamais
* LaRci- ,j eu alîèz d'ambition pour defîrer que les perfbnnes * de ce
fie de Sué- r '^ nr ^ o ^ r* •> • ' r r 1
^„ ->« rang içulient mon nom : de même , h j avois ete feule-
j^^ ^ « ment auiîi fage qu'on dit que les Sauvages fe perfuadenc
des lettr. >' que foHt les Singes , je n'auroïs jamais été connu de
pa^.io4. >j qui que ce Ibit en qualité de faifèur de livres. Car on die
» qu'ils s'imaginent que les Singes pourroient parler s'ils vou-
îî ioient j mais qu'ils s'en abftiennent, afin qu'on ne les con-
« traigne point de travailler. Et parceque je n'ay pas eu la,
ïî même prudence à m'abftenir d'écrire , je n'ay plus tant de
« loifir ny tant de repos que j'aurois , fî j'eulles eu l'eiprit de
» me taire. Mais puifque la faute eft commife, ôcque je fuis
?5 connu d'une infinité de gens d'école, qui regardent mes é-
55 crits de travers, &: y cherchent les moyens de me nuire :j'ay
)5 grand fujet de Ibuhaiterauffi de l'être des perfonnes de plus
>? grand mérite, dont le pouvoir dc la vertu me puillent pro-
« téger. J'ay oiiy faire tant d'eftime de cette Reine , qu'au lieu
î? que je me fliis fouvent plaint de ceux qui m'ont voulu don-
5» ner la connoilîance de quelque Grand , je ne puis m'abfbenir
î5 de vous remercier de ce qu'il vous a plu luy parler de moy.
» Mais j'ay peur que les écrits que j'ay publiez ne méritent
î5 pas qu'elle s'arrête à les lire, & qu'ainh elle ne vous fçache
» point de gré de les luy avoir recommandez. Si j'avois traité
îî de la Morale , j'aurois peut-être lieu d'efpérer qu'ils pour-
ra roient luy être plus agréables : mais c'eft dequoy je ne dois
« pas me mêler d'écrire. MelTieurs les Régens de collèges
" îbnt fi animez contre moy à caufe desjnnocens principes de
» Phyiique qu'ils ont vus , 6c tellement en colère de ce qu'ils
î5 n-y trouvent aucun prétexte pour me calomnier , que fi je
î3 traitois après cela de la Morale, ils ne me laifïeroient aucun
?.Boui-din. 53 repos. Car puis qu'un Père Jéiliite a cru avoir allez de fu-
« jet pour m'accuier d'être fceptique de ce que j'av réfaté les
G.Voctms. „ Sceptiques ^ & qu'un Minidre a entrepris de perfuader que
>i j'etois athée fans en alléguer d'autres laifons , finon que j'ay
tâché
Livre VIL Chapitre VIL 2S3
tacîiÀ de prouver rexiftence de Dieu : Que ne diroient-
ils point, fî j'entreprenois d'examiner quelle eil la jrfte va-
leur de toutes les chofes qu'on peut defirer ou craindre j
quel fera l'état de l'Ame après la mort -, jufqu'où nous de-
vons aimer la vie ^ & quels nous devons être pour n'avoir
aucun fujet d'en craindre la perte. J'aurois beau n'avoir que
les opinions les plus conformes à la Religion , 6c les plus u-
tiles au bien de l'Etat, ils ne laiiTeroient pas de me vouloir
faire croire que j'en aurois de contraires à l'un de à l'autre.
Ainfi je penfe que le mieux que je puiiTe £nre dorénavant
fera de m'abftenir de faire des livres : & ayant pris pour ma
devifè 7^i mors gravis incubât , qui notus nimis omnibus ^ iyiotm
moriturfihij de n'étudier plus que pour m'inflruire -, & ne
communiquer mes penfées qu'à ceux avec qui je pourray
converfèr en particulier.
16 ^6.
Projet de
la Morale
deM.DcCc.
CHAPITR E VIIL
%es Je fuites 3 quoique Véripatkicicns ^ attache^ à la Scholafti^
que ^ font com.p liment à M. De fartes fur fa Philo fophie. Vai-
ne appréhenfion de M. T)e fartes fur îcurfujct , à l'occafion du
JP. Kirchery qui devint enfuite fon ami. Amitié avec le P.
Mo ël Je fuite. Son fentim^nt touchant le livre de JV^ndelinus fur
la pluie rouge. Difpute fur les Vibrations avec M. Candi fhc
j4nglois ^ M. de Koberbal, Af. De fartes en belle humeur
contre ce dernier , entreprend de cenfurcr fon Arifiarque. Exercl^
ces entre M. De fartes ^ la Princeffe Eliz^beth aux eaux
de Spa fur la vraye félicité de ce monde ^ fur le livre de Sénéque
de Vitâ beatâ, ^ fur divers autres points de Morale. Edi-
tion du livre d.e Regius intitulé Fondemens de Phyfique. Su-
jets de mécontentement quen a M. Defcartes. Mauvaife con-
duite de Regius 3 fur tout après la mort de M, Defcartes dans
la féconde édition de fon livre.
Dieu ne lailïà point M. Defcartes fans quelque confo-
lation au milieu des d épiai fîrs qu'il avoit de voir fès
écrits {i mal reçus parmi ceux qui étoient préoccupez des Tom. i. des
opinions de rçcole» » Il reçût pendant toute l'année des ^'^^"' P^»- ^^'-
Nn ij ! compliniens
I ^4 ^* "
55
lettr. Mf. du
à Picot.
Lettr. Mf. du
4. May 1646.
Tom. I. des
îettr. VA'A. au
P. Merfenne,
variorum.
pag. 104.
Invent, des
pièces MIT.
Et tom. X. des
kttr. p. ^6l„
Tom. 3. des
lettr. pag. 58.
& lettr. Ml', à
CLcifelier de
laiîade 164^.
284 La ViE De M. Descartes.
compiimens des Pérès Jéruices , qu'ii avoit toujours crû être
ceux qui le fentiroient les plus intéreilèz dans la publica-
tion d'une nouvelle Philofopiiie , de qui , félon luy , auroienc
dû le luy pardonner le mouis , s'ils avoient crû pouvoir y
bldmer quelque chofe. Ces nouveaux témoignages des Jé~
fuites le tirèrent de l'inquiétude où il avoit été flir la fin de
Tannée 1645 tt>uchant leurs difpofitions à fon égard. Sur
le rapport que M. Naudé, un peu avant fon retour de
Rome, avoit fait à M. Picot de la manière peu obligeante
dont le P. Kirche^ 'jéixnte Allemand avoit parlé de fa Philo-
fopiiie dans un nouveau livre , où il la confondoit mal à pro*
pos avec celle de Démocrite , il s'étoit imaginé trop lé^-é^
renient que les jéfuites d'Allemagne èc d'Italie ne luy vou^
droient pas de bien ; & toute la bonne opinion que les Jé-
fuites de France &c des Pays-bas faifoient paroître pour elle
n'avoit point été capable de luy ôter cette penfée. Il en a-
voit écrit le xxix de Décembre de Tan ié'45 ^ ^- Picot,
pour tacher d'avoir des éclaircifîemens là defliis, & de fe
fortifier contre toute fâcheuie aventure. Mais il fçût depuis
que Kircher n'avoit point parlé au nom des autres j êc il
jugea par la manière dont on luy marqua les études & les
qualitez de ce Père, qu'il ne devoit pas avoir l'efprit fort
propre à examiner une choie qui auroit requis beaucoup
d'attention , comme il croyoït qu'en dpmandoient fçs écrits.
Le Père Kircher ne fut pas long-têms làns changer de fen-
timent à l'égard de M. Defcartes , dont il rechercha l'ami-
tié parla médiation du P. Merfenne : & M. Defcartes outre
des comphmens ôc des recommandations de luy, recrût en-
core ce qu'il avoit écrit de la nature & des effets de l'ay-
man , 6c y fit quelques obfervations qui fe font trouvées après
là mort parmi lès papiers,
Ce fut fur la fin de la même année que le Père Eftienne
2\^oeI Recleurdu collège de Clermontà Paris voulut l'alTû^
içr de Ion amitié & de fon ellime , par le prélènt qu'il luy
fit de deux nouveaux livres de fa compofition. L'un avoit
pour ptre u4phorifmi Phyfici , feu , Phyjic^ peripatetic^ prtnc'-
pia breviter ^ dilucidè propojita. L'autre s'appelloit Sol fl.im-
?na ^ feu tralbatus de foie utflamma eft ^c'pifque pabi.lo. Ce der-
xiier luy fut rendu avant l'autre par M. de T-uytlichcm , i
qui
LivfiEVII. Chapitre VIII. 285
'qui le P. Merfcnnc i'avoit adreflc. Il ne fit point infenfiblc 1 6 4.6.
au plaifir qu'il eut de s'y voir citer avec éloge, & il a^ fut —
point fâché de connoître par la lecture qu'il en fit, que les v.aurniaict-
r» ' J 1 ^ ^ ■ J ^ r > 1 ^ tre Mf. de
Itères de La Compd'^me de je Jus ne s attachent fas tant aux an- Defc.à McrC
tiennes opinions , quils rien ofent propofer auffi de nouvelles. Le du 15. No-
Pére Noël , quoique Péripatéticien de profjffion , n'étoit vembici64^,
pas fort éloigné des fentiinens de M. Dcfcartes. C'eft ce
qu'il a donné lieu de croire par divers autres ouvrages qu'il
a publiez depuis fïir les rapports différens de la Pliyfique
nouvelle avec l'ancienne ^ îur la comparaifbn de la pefan-
teur de l'air avec la pefanteur du vif-argent-, fur le Plein de
la nature contre l'opinion du Vuide. C'eft au fujet de cet-
te dernière opinion qu'il eut difpute avec M. Pafcal le jeu- j.^^^^. j^^ ^^
ne en faveur de M. Defcartes d'un côté, & des Péripaté- bi, Pafcaian
ticiens de l'autre. Ils s'écrivirent plus d'une fois, le P. Noël \- ^^- Noël
pour prouver qu il n y a point d elpace qui ne ioit un corps, ,^^7^
M. Pafcal pour nier l'impoiTibilité du Vuide : tous deux en
des termes pleins de civilitez l'un pour l'autre , & d'eftime
pour M. De/cartes, Le Père Noël , Lorrain de naiflance ,
ëtoit pour lors âgé de 65 ans, & il flirvéquit plus de neuf ans
à Ai. Defcartes. Ils s'étoient apparemment connus à la Flè-
che, où le P. Noël avoit régenté avant que d'y être Rec-
teur , & où il retourna pour y mourir après avoir été enco-
re Redeur ailleurs, & vice-Provincial de fa province.
Cefutauffi vers le même têms que M. Defcartes reçit le DeFiuvjdpur^
nouveau livre de la JPluye rouge ou fanglante qui étoit tom- ^l'^fui^m
bée à Bruxelles de la part de fbn Auteur , qui étoit du 8°.
nombre de ces amis avec lefquels il avoit peu de communi-
cation , mais qu'il ne laifîbit pas d'eflimer beaucoup. Cet
Auteur étoit le fleur Godefroy Wendelin Curé de Herck
& Chanoine de Condé , dont nous avons déjà eu occafion
de parler. M. Defcartes récrivit en ces termes à celuy qui
avoit pris la peine de luy faire tenir le livre , & qui I'avoit
prié de luy en mander Ion fentiment. ^ L'obfervation que
contient le livre de Pluvia purpureà cfl: belle : ôc ayant été «*
faite par M. Wcndelinus, qui efl homme fçavant aux Ma- «t
thématiques & de très- bon efprit , je ne fais point de doute «
qu'elle ne /bit vraye. Je ne vois rien aufTi à dire contre les «
raiions qu'il en donne;, parce que dans cts fortes de matières, «
N n lij t dont
iS6
La Vie de M. Descarte j.
1646,
* Arrivé
en Juillet
164 j. car ce
rére retourna
encore rjii ver
fuivant en
Italie, d'oLi il
ne revint qu'-
au comm'en-
cement de
Septembre
Tom
• 3- d
es
ïettr.
H87.
&c.
>5
Pag-'iî'i. ibid.
donc on n'a pas plufieurs expériences , c'eft afiez d'imariner
une cau(e qui puifïe produire reîTecpropofé, quoiqu'il puif-
ie auffi être produit par d'autres , & qu'on ne fçache point
la vraye. Ainfi je crois facilement qu'il peut fortir des exha-
laifons de divers endroits de la terre, & particulièrement de
ceux où il y a du vitriol , qui fè mêlant avec l'eau de la
pluie dans les nues la rendent rouge. Mais pour afTûrer
qu'on a juftement trouvé la vraye caufê, il me femble qu'il
faudroit faire voir par quelque expérience , non pas com-
ment le vitriol tire la teinture des rofes, mais comment queL
ques vapeurs ou exhalaifons qui fbrtent du vitriol jointes â
celles qui Ibrtent du bitiune fe mêlant avec celles de l'eau
de pluie la rendent rouge : èc ajouter pourquoy les mêmes
mines de vitriol &; de bitume demeurant toujours aux mê>^
mes lieux proches de Bruxelles , on n*a cependant encore ja-
mais remarqué que cette ièule fois qu'il y fbit tombé de la
pluie rouge.
Depuis le retour du P. Merfenne en France* , M. de
Roberval oubliant peu à peu la réfolution qu'il avoit prife
de vivre en bonne intelligence avec M, Defcartes après
l'honneur qu'il avoit reçu d'une de fes vifites à Paris , re-
tournoit i ilenfiblement à fbn génie inquiet , & parloit de ce
que M. Defcartes fçavoir, ou ne fçavoit pas, avec afîèzpcir
de précaution. M. Defcartes en Rit averty par des gens qui
luy rendirent peut-être M. de Roberval plus criminel quH
n'étoit , fans confidérer qu'il y avoit plus de foibleiïè natu-
relle que de malignité dansfès manières. On luy donna avis
dés le commencement de l'an 1646 de deux principaux points^
fur lefquels M. de Roberval {e vantoit de pouvoir luy fiire
de la peine. Le premier re^ardoit la queftion de Pappus^
dont nous avons déjà été obligez de parler ailleurs : l'autre
Goncernoit les Vibrations , ou la grandeur que doit avoir
chaque corps de quelque figure qu'il jfbit étant fufpendu en;
l'air par Tune de iès extrémitez , pour y faire {^^ tours- &: re-
tours égaux à ceux d'un plomb pendu à un filet de longueur
donnée, La quefi:ion des Vibrations luy fat propofée pre-
mièrement par le P. Merfenne, auquel il fit deux réponfes,
rune le ir de Février , l'autre le 1 de Mars j & enfuite par
M. Candifche^ qui écoit pour lors d Paris. Il envoya la folu-
tion.
tiVKE VIL Chapitre VIÎI. iS7
tion de la qucftion à ce Seigneur le xxx de Mars,iuy mar- i ^^ (,.
quant la crainte de pouvoir encore moins le fatisfairc que ». , - —
,1 , . i ^ ^ . r T 1 M. Oelcàitcs
les autres navoient pu taire, parceque les railonncmensne ctoitau/iia-
s'accordoient pas avec les expériences que ce Seigneur a- i*'y tresparti-
voit pris la peine de luy envoyer. Il le pria d'attribuer au Mar^qms"dc-
zéle qu'il avoit pour luy obéïr, la hardieile qu'il avoit eiië puis Duc de
de déterminer ainfi des choies qui dépendent de l'expcrien- ^^^^^^cafiie foa
ce, fans en avoir fait l'épreuve auparavant, M. Candifche lettr. Mf.â
communiqua la lettre qu'il avoit reçue de M. Defcartes à Mei^. du 14
M. de Roberval, qui y fit aufli-tôt des obfervarions que ce ^l^e^
Seigneur Anglois ne manqua point d'envoyer à M. Defcar- Elles fetrou-
tes. Il en reçut la réponfe quelque têms après; & M. DeC vemaiapage
ATirïiii • -i 498. du 3. ton»,
cartes voyant que M. de Koberval s appuyoït principale- Pa„. jo^.
îTient flir fes expériences touchant les Vibrations des trian- ibid.
gles, il manda au P. Mer/ènne par une lettre du 10 d'A-
vril, " qu'il nepréfumoit pas aflèz de luy-même pour entre- ^^ p^^
prendre d'abord de rendre raifon de tout ce qu'on peut a- ^^ 5io^ibid.*
voir expérimenté. Mais qu'il croyoit que la principale ad- ^^
drelîe qu'on pût employer dans l'examen des expériences ^^
confiftoit à choifir celles qui dépendent de moins de caufès ^^
diverfès , 6c dont on peut le plus aiiement découvrir les vrayes „
raifbns. La difpute ne finit point avec l'année 1646. M. de ^^
Roberval l'entretenoit avec d'autant plus d'avantage qu'el-
le fiifoit alors le point de fà Profefllon qu'il exammoit ac-
tuellement pour fes écoliers. Quoiqu'il parût y procéder
d*aflez bonne foy , & que M. Candifche &: le P. Merfenne
ne l'excitafTènt à continuer la difpute que pour en faire naî- Pag.nr, yî4;
tre un plus grand bien par quelque nouvelle décou^'erte, il &îi7.ibid.
ne laifîa point de mettre en mauvaife humeur M. Defcartes, L^ttr. MIT de
qui auroit voulu finir de bonne heure, âc qui n'étoit pas JuY&^ju il"^ '
content de fè voir obligé de continuer pour M. de Rober- oaobiv&du
val ce qu'il n'avoit commencé que pour le P. Merfenne & ^ ^'^ Novem-
M. Candifche. Mais quoiqu'il eût renoncé aux Mathéma- ^"^ ^^^^'
tques depuis plufîeurs années, il ne \ç:s avoit pas encore
tellement oubliées qu'il ne luy fût trés-facile de faire l'ana-
lyfc delà régie de M. de Roberval pour les Vibrations des Pag. çc?. <Sfc:
triangles, & de montrer que de la manière qu'il la propo- ^^^^•
foit elle étôit comme une étrivière qui s'allonge ^ s accourcit au-^
tant que l'on veut 3 ou comme les Oracles de la Décffe de Syrie
qui
i88 La Vie de M. D es caktes,
164.6. ^^^ poHvoiem fe tourner en tous fcns. II ne nioit pourtant pas
___________ qu'elle ne put s'accorder avec l'expérience : mais il faifoit
voir que dans qq^ fortes de matières les expériences ne poa-
voient jamais être fort exades.
Qiiant à l'autre point fur lequel M. de Roherval auroit
DansfaGéo- été u'iiumcur à tourmenter M. Defcartes qu'il accufbit de
mércnTi^/y! ^^'^voir pas réfolu la queilion de Pappus, il ne fut pas agité,
parceque M. de Roberval ne voulut point déclarer le iéns
différent de celuy de M. Defcartes , qu'il prétendoit avoir
Pag. 487. du trouvé par la folution de cette quefnon. M. Defcartes le fit
leur? * '^^ prier néanmoins par le Père Merfèime de vouloir le mettre
par écrit, afin qu'il p lit le comprendre plus facilement. Et
pour l'engager en galant homme à ne luy pas refufèr cette
faveur , il offrit en récompenfe de l'avertir des principales
Livre de M. fautes qu'il avoit remarquées dans fon Ariflarque , touchant
imprrmé'^c- 1^ ^Y^éme du monde. Le Père Merfenne^ qui depuis long-
puîs peu feus têms follicitoït M. Defcartes de porter fbn jugeaient fîir ce
ce nom. livre, dont il I uy en avoit envoyé deux exemplaires à différen-
tes fois dans cette intention,ne laifla point tomber cette offre ;
&; M. Defcartes fè voyant fbmméde fi parole par l'ordinaire
Elle eft au j fuivant,ne pût refufer à ce Père la cenfîire de l' Ariftarque qu'il
tom des leur. j^„ envova cu latin àh le xx d'Avril iGa.6. C'étoit pour la fe-
I. Le livre de condc lOis que M. Deicartes le meloit de ceniLirer les ouvra-
Gahiée. gg^ d'autruy qui ne le regdrdoient pas. M.-is c'étoiren l'une
Q^yç^ ^^ ^^' &: l'autre occafîon l'effet des importunitez de {^^ amis. Car
3. Car la il avoit un vray déplaifîr lorfqu'il ne pouvoit fuis bleilèr la
Géoftatique vérité portcr un kiçement à^s icrvis qu'on luy donnoit à
l'intcreffoit. examiner qui put plaire a leurs Auteurs. La principale des
4. Etiejuge- fautes qu'il avoic remarquées dans ce faux Ariflarque , c^
dlTaizaceft' ^^^ règuoit partout le livre, étoit, que les chofès que M
plutôt un éio- de Roberval avancoit & fuppofbit pour en expliquer d'au-
ge qu'une j-j^.^^^ ètoicntmoiiis probables , moins évidentes , moins fîm-
pies , ou enhn moins connues de quelque manière que ce mt,
que celles qu'il vouloit expliquer par leur moyen y & qu'a-
vec cela ce qu'il avoit voulu conclure ne fuivoit pas de (qs
fuppofîtions. Il fe contenta d'envoyer au P. Merfenne l'e-
xamen ài^s quatre premières pages de ce livre, rebuté du
grand nombre de fautes qu'il auroit dii remarquer dans le
Pag. f 10 du ^^f|.ç^ ybX^ il accorapaçrna cet écrit d'un autre iu2;ernent qu'il
). vol. oc pag, 1 w> ) o i ,
J37. IiUloïC
Livre VII. Chapitre VIII. 289
fajfoit de refprit & de La capacité de M. de Roberval , à qui 164.6.
il ne laiila qu'une gloire fort médiocre, nonobftant la gran- -
de réputation que ce Géomètre s'étoit acquifè dans Paris,
M. de Roberval ne dilîimula point fon chagrin lorfque le
P. Meilénne luy eût fait voir la cenfure des premières pa-
ges de fon Aàilarque. La crainte que M. Defcartes ne la
continuât le fit pafler à des menaces mêlées d'invectives qui
dévoient ctre fuivies flir la certitude de les promefles, d'une
réponfe à cette cenfure :, d'un examen rigoureux de fa Géo-
métrie, &: d'une réfutation de fes Principes. C'étoit au moins
pour l'obli ;er à donner ce qu'il promettoit depuis fept ans
contre fi Géométrie,que M. Defcartes avoit ufé de ce ftrata-
géme. Mais toute la colère de M. de Roberval s'évapora en y^idcm.
difcours frivoles : & quoy qu'il fe vantât éternellement d'avoir
dans fon cabinet de quoy faire des leçons à M. Defcartes , ja-
mais il n'^eutle courage de rien produire, ny pour ladéfenfe
de f n Ariftarque ,ny contre la Géométrie, ny enfin contre
les Principes de M. Defcartes.
M. de Roberval eut de quoy fè confbler delà févérité de
la cenfure que M. Defcartes avoit faite de fon livre dans
la manière dont Sènèque fut traité vers le même têmsr
fiir tout s'^il confidéroit qu'il n'étoit pas de meilleure con-
dition que ce Philofbphe , àc qu'il avoit fur luy le privi-
lège des auteurs vivans, c'eft-à-dire , l'avantage de pouvoir
fè plaindre & fe corriger. M. Defcartes fè trouvant en hu-
meur de faire des jujeniens de livres lorfque la Princelîè
Elizabeth luy demanda dequoy s'entretenir aux eaux de
Spa, ne put imaginer rien de plus propre à divertir cette.
Princefîe Philofophe dans fes difgraces éc dans fes remèdes,
que le livre de Senéque touchant la vie hcureufc , fur lequel
il s'avifa de faire des obfervations en fa confîiération tant
pour luy en faire remarquer les fautes , que pour luy £iire
porter Çqs penfees encore au-delà de celles de cet Ancien.
Voyant augmenter de jour en jour la malig^nité de la Fortune
qui commençoit à perfecuter perfonnellement cette Prin-
cefîe, il s'étoit attaché depuis quelque têms à l'entretenir
fbuvent dans fes lettres des moyens que la Philofophie pou-
voit luy fournir pour être heureufe 6c contente dans cette ^^^^ ^ ^^^
Y.ie:&il avoit, entrepris de luy perfuader que nous ne fçau- lettr. pag. 7,
O 0 * rions
8.
19^ LaViede m. Des carte s.
1646. rions avoir que de nous-mêmes cette félicité naturelle que
. lésâmes vulgaires attendent en vain de la Fortune. Lorfqu'il
choifit le livre de Séncque De la vie heureufe^ pour le pro-
pofer à la PrincelTe dans la vue d'un entretien qui pourroit
luy être agréable 6c divertiflant pendant le têms que les
Médecins luy avoient recommandé de n'occuper fbn efpnt
à rien qui put le travailler , » il eut feulement égard à la ré-
" putation de l'Auteur & à la dignité de la matière, fans fbn-
" ger à la manière dont il Tavoit traitée. Mais l'ayant confidé-
Ce juge- j.^Q depuis , il ne la trouva point aOez exacte pour mériter
iTvrcdeSc. d'être fuivie. Pour donner lieu à la Princcfle d'en pouvoir
nëquc eft juger plus aifément, il luy expliqua d'abord de quelle forte
renfermé -^ ^^j-^yQ^j- gyg cette matière eût dû être traitée par un Phi-
dans laiv, tri 1 c' ' • ï' ' 1 • ' j 1
la V, & la VI, lolophe tel que Seneque , qui n étant pomt éclaire de la
icttr. au I. fQy n'avoitque la raifon naturelle pour 2;uide. Enfuite il luy
rit voir >j comment Seneque eut au nous enieigner toutes les
" principales véritez dont la connoifïance efl requife pour fa-
" ciliter l'ufage de la vertu, pour régler nos deCirs & nos paf.
" fions , Se joiiir ainfî de la béatitude naturelle : ce qui auroit
" rendu fbn livre le meilleur &; le plus utile qu'un Philofophe
Jâg- 15 & » Paven eût fçû écrire. Après avoir marqué ce qu'il luy fèm-
bloit que Seneque eut du traiter dans Ion livre, il examina
dans une féconde lettre à la PrincefTe ce qu'il y traite, avec
une netteté & une force d'efprit, qui nous fait regretter que
M. Defcartes n'ait pas entrepris de redifîer ainfî les penfees
de tous les Anciens. Les réflexions judicieufes que la Prin-
ceife lit de fon côté fur le livre de Sénéque portèrent M.
Defcartes à traiter dans Ces lettres fuivantes des autres quef^
rions les plus importantes de la Morale , touchant le fbuve-
rain Bien, la liberté de l'Homme , l'état de l'Ame, l'ufàge
de la Raifon, l'ufige des Pafîions, les adions vertueufes &
vicieufes, l'ufage des biens & des maux de la vie. Ce commer-
ce de Philofophie morale entre leMaîrre àc laDifciple fut con-
tinué parla Prince (îe depuis fbn retour des eaux de Spa'avec
une ardeur toujours égale au milieu des traverfes de fa viej Se
rien ne fut capable de le rompre que la mort de M. Defcartes.
La joye qu'il eut de voir fà Philofbphie fî heureufèmcnc
cultivée par la Princefle fut un peu tempérée par la morti-
fication qu'il eut de voir paroître enfin le livre de M. Re-
gms
Livre VII. Chapitre VIII. 191
gius dédié au Prince d'Orange, foas le titre de Fuyidamcnta 164.6.
I^hyjjca. Il trouva q'ie l'Auteur n'avoit rien retranché des -
erreurs qu'il luy avoit fait voir fur ce qi-i regardoit la Meta-
phyfique ^ & qu'en ce qu'il avoit écrit de Phy^que & de Mé-
decine ,